jeudi 3 septembre 2009

Images et (re)présentations.

Deuxième étape au "Magasin" d’une exposition concernant les années 80.
Si je reprends des extraits du dépliant d’accompagnement qui devrait nous éclairer, je risque d’être quelque peu moqueur : j’ai trouvé mon maître en obscurité amphigourique.
« Les signes peints par l’artiste hésitent entre les référents artistiques et les signes du quotidien, comme la croix de Malevitch et l’enseigne de la pharmacie…hésitation qui établit une corrélation entre la géométrie et l’espace tel qu’il est organisé et réglementé dans notre société et qui marque la fin de la peinture pour la peinture »
Les références les plus élitistes se mélangent aux évidences les plus banales, ou comment faire fuir le spectateur ?
Cette exposition voit pourtant un certain retour à la peinture. La fresque très colorée des frères Ripoulin en est un exemple, tout en témoignant du sempiternel jeu avec les mots et les images des autres. Des installations autour de la danse mêlant musique, vidéo, cinéma, sculptures en papier créent un univers en sollicitant des œuvres anciennes. Du crayon Conté sur du coton peut créer du mystère et rendre les œuvres voisines kitch encore plus pétantes. Dans une salle « l’inévitable expérience de la transition » qui accueille l’école du magasin nous a menés vers la sortie, « leur choix formel représente une démarche processuelle dont la terminologie manifeste une culture commune ».

mercredi 2 septembre 2009

« Faire classe ». Fin de cycle.

Je viens de clore en juin la publication sur ce blog de 36 épisodes de mon expérience de maître d’école de 1968 à 2005.
Des préaux solitaires de villages du nord Isère à la périphérie grenobloise.
De la dame de ménage qui me nommait « monsieur » quand j’avais encore mes dix-huit ans, jusqu’à mes élèves qui ne me reconnaissaient plus.
De l’ardoise et son éponge aux écrans de plus en plus démesurés.
De mon patron en pédagogie, au nom de héros de "la guerre du feu" : Ago, qui m’a accueilli fraternellement et épaulé tout au long de mes interminables années de formation,
jusqu’à la collègue qui préparait si bien mes grands dès le CP : Colette.
Nous nous tenions d’aplomb, pouvant nous regarder dans une classe.
De la même façon que j’ai cru en l’écriture comme moyen pour que mes élèves grandissent,
j’ai choisi les mots pour mettre de l’ordre dans ce travail qui a éclairé mes jours.
Je suis très fier de l’avis de Régis Debray qui a eu l’amabilité de répondre à l’envoi de cette somme sur papier :
« Merci, cher monsieur, pour ce « faire classe » qui mériterait de faire école, si l’humour et la nuance y étaient (encore) autorisés. L’autobiographie professionnelle : un genre insolite et nécessaire ».
Comme Thierry Roland après la victoire de l’équipe de France en 98 : « maintenant, je peux mourir tranquille »
En mêlant des remarques pratiques à quelques digressions, j’ai voulu sortir des images trop simplistes qui structurent les débats pédagogiques où de béats innovateurs pourfendent de sinistres regretteurs d’hier et vice versa.
Je ne sais pas voir dans les jargons pédagogiques actuels qui me semblent plus creux que facteur de dynamique, les espoirs d’émancipation que nous portions en nos années ferventes, même si nos nostalgies, nos attaches sentimentales nous éloignent de l’objectivité.
Comment garder un regard neutre pour juger de pratiques qui impliquaient tout notre être ?
D’ailleurs l’impartialité n’est pas loin de l’indifférence, alors que la passion anime !
Croire toujours aux possibilités extraordinaires de l’intelligence enfantine ne doit pas autoriser les petits à devenir tyranniques mais à aller vers les savoirs en dispensant ses éducateurs de toute démagogie distrayante.
Nous mettions alors « l’enfant au centre de nos préoccupations », et pourtant quand les circulaires ministérielles ont posé la formule comme principe nous sommes devenus rétifs.
Il en allait bien sûr d’un salutaire esprit de contradiction quand la société doit pouvoir compter sur des enseignants indociles pour vérifier sa vitalité démocratique mais aussi une prise de conscience d’un dévoiement évident concernant les mots.
Les mises au pas actuelles inquiètent les gardiens de la flamme contestataire et tous les chercheurs de progrès. Le relookage par les managers actuels consterne les chercheurs pragmatiques de ces années passionnées.
Mais mes arguments qui se fortifiaient à l’épreuve du terrain s’assèchent aujourd’hui que je me retrouve côté spectateur.
Je vais transporter mes encriers vers d’autres scènes.
Le mercredi, je mettrais en ligne notre voyage au Viet Nam par petites séquences. Je ne saurai cependant tenir ma langue dans les débats qui concernent l’école ; mes amis savent bien que je ne suis pas prêt à me défaire de mes réflexes, de mes marottes, qui me constituent en instit « for ever ».

dimanche 5 juillet 2009

Pina Bausch

Nous courons tellement les spectacles, les expositions, les exposés, les films, et puis parfois une rencontre rare où l’essentiel saute aux yeux. Pina Bausch m’a fait sortir de mes préventions concernant la danse où je ne savais voir que chichis et tutus. Avec ses danseuses pieds nus, j’ai approché ce qui peut se dire du plus profond de nos vies. La maladresse qui m’était tellement familière rencontrait la grâce, la douleur, une beauté fulgurante en rythmes obsédants, répétitifs, envoutants. L’engagement de sa troupe, la violence des solitudes exposées, des musiques sombres sublimées, m’ont donné accès à un univers où les mots peuvent s’effacer pour crier l’indicible douleur de survivre. Il n’y aura plus de prochaine promesse de rendez-vous.

samedi 4 juillet 2009

« Parasite social »

Un de mes commentateurs des plus fidèles, qui tient par ailleurs un blog de haute volée (voir ci- contre « autre monde »), a pu se sentir maltraité, par un de ses interlocuteurs, voyant les retraités en « parasites sociaux ».
Si je me propose de broder autour de cette expression encore inédite, c’est qu’elle ne me laisse pas indifférent. Je réserverais, quant à moi, cette boutade aux praticiens qui refusent des soins aux bénéficiaires de la CMU, par exemple, ou à quelque patron voyou.
La situation des retraites est explosive et l’avenir, comme dans d’autres rayons, bien compromis par nos courtes vues d’anciens des années « Boum » : nous nous sommes tant trompés.
Pour ma pomme, je ne suis pas allé tout à fait au bout de mes annuités, ayant pourtant débuté le métier d’instit à 18 ans, j’ai fini comme promis à 55, avec le sentiment du devoir accompli. Je suis regardé comme une anomalie, même si mes amis sont bienveillants, mais quand même… Je peux bien me vanter d’heures de bénévolat, il reste que je m’expose comme un privilégié. D’avoir encore des poils noirs dément la fatigue qui a pu peser dans ma dernière ligne droite. Mes incompétences pour m’adapter aux anglaises prescriptions en vigueur dans l’école d’aujourd’hui, sont jugées de peu d’importance. La qualité de ce qui peut être dispensé aux élèves, par des profs déphasés, est absente des discussions, dans une société qui se prosterne pourtant volontiers devant la jeunesse. Cette attitude révèle l’abandon de toute volonté, le renoncement à l’imagination, elle méprise en réalité les jeunes, en ne leur laissant pas de place.
J’ouvre le Nouvel Obs (pour la dernière fois ?) oui, celui de l'interview publicitaire de Sarko : page 1, un édito de Jean Daniel (89 ans), au dos article sur Jeanne Moreau (81 ans). Bravo les artistes, mais qui va-t-on mettre dans « Notre temps » ? Et que ça n’en finit pas avec le retour des papis rockeurs ; Bedos en avait fait un bon sketch, mais lui non plus ne lâche pas la rampe : touche pas à mon spot !
Hortefeux (51 ans) boute récemment : « allongement de la durée des cotisations, vous dis-je ». Les défauts en propositions devraient être taxés : il y a des trous à combler ! Ne destinez pas vos sous qu’aux vieux banquiers, laissez bosser les jeunes. Que l’âge de la retraite soit impératif pour les politiques, c’est un métier pénible ! Et il y aura la chance de voir arriver d’autres Badinter… pour Pasqua la relève est assurée.
Les retraités sont souvent des amortisseurs de la crise, mais peu importe à ceux qui font bouclier pour défendre les privilèges, qui ont attaqué les cheminots, attaquent les fonctionnaires. Avec les mots de la paix, ceux-ci avivent les fractures sociales, vont-ils jouer à la guerre des âges ?
Dans le même Obs, quelques grands mots justes, mais que peuvent-ils contre des Lefebvre ?
« Qu’est ce qu’être jeune aujourd’hui, quand les cinquantenaires ne veulent pas renoncer à leur jeunesse ? De quelles manières notre époque tue-elle un homme ? Avons nous troqué le monde de la connaissance contre celui de l’information ? » Wadji Mouawad

vendredi 3 juillet 2009

Les onze

Je n’ai pas encore lu le livre de Pierre Michon, mais j’en ai bien l’intention après la lecture par l’auteur lui-même de quelques extraits à la librairie du Square. Son projet d’écriture remonte à 92(1992) où après les fastes de 89, le bicentenaire ne suscita plus aucune fièvre éditoriale. L’auteur des « Vies minuscules » s’attaque à des vies en majesté, avec un tableau qu’il invente de François-Elie Corentin, représentant le comité de salut public de la terreur qui officia alors. Une maturation longue, aujourd’hui en librairie, et c’est la fête du style, du rythme, de la fiction plus vraie que la réalité, avec les vies des Limousins et de ceux qui auraient mérité passer à la postérité mais dont le sang leur monte à la tête, rejouant les passions antiques et leurs crimes passionnels. Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André.

jeudi 2 juillet 2009

Saumon, avocat, pamplemousse.

Autrement dit : fraicheur d'avocat, marmelade de pamplemousse au gingembre et saumon fumé.
Dans une verrine ou un verre, des petits cubes d'avocat écrasés à la fourchette, surmontent une marmelade/chutney « sucré, salé, acide, amer » au gingembre frais, et décorés avec des lanières de saumon fumé.
Laver et prélever les zestes de 2 pamplemousses. Peler et prélever les segments des autres pamplemousses, notre chef parlait aussi de suprêmes de pamplemousse pour désigner la chair du fruit débarrassée de ses membranes. Peler et râper le gingembre. Eplucher et ciseler l'oignon rouge, puis le faire suer avec le gingembre et un filet d'huile d'olive dans une casserole. Ajouter les segments de pamplemousse, les zestes, le miel, le vinaigre de vin, le sel et le poivre et laissez cuire à feu doux pendant 20 min. Laisser refroidir à température ambiante 30 minutes. Peler et couper en petit dés les avocats, les écraser et ajouter un peu de jus de citron vert. Découper le saumon fumé en lanières. Mettre dans le fond d'une verrine le chutney, la purée d'avocat, ajouter et décorer de lanières de saumon fumé et de brins de ciboulette.
Voilà avec les mots adéquats qui font partie des plaisirs de la cuisine : « faire suer l’oignon », une recette qui n’est pas dans mes habitudes, mais c’était l’objectif du cadeau qui venait de m’être offert : un cours de cuisine à Lyon pour apprendre. Confort maximum : les ingrédients sont là, les avocats à point, pas de vaisselle à faire pour des ustensiles adaptés, une méthode pour s’organiser en permettant de préparer des cailles en attente de marinade pendant que les pamplemousses refroidissent. Une vingtaine d’élèves pour deux heures qui passent en un éclair.
Un cadeau original et convivial. Pour plus de renseignements un site bien fourni : www.atelierdeschefs.com à côté de l’église Saint Nizier et d’un Mac Do :

mercredi 1 juillet 2009

Mes syndicats. Faire classe # 36

« Ne pas tirer sur l’ambulance » : l’expression que Françoise Giroud réserva à Giscard n’appelle pas la pitié, mais surtout du mépris.
Je me suis promené vingt ans dans l’ambulance siglée CFDT, heureux.
« On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. […]
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -
A des parfums de vigne et des parfums de bière... »

A. Rimbaud
J’avais dix-huit en 68, année ardente, plus « spontex » du nom marrant d’une éponge qu’indûment spontané comme se disaient quelques Maoïstes. Leurs délires qui ont perduré le temps de quelque éventuel automne chaud furent tellement excessifs que je me gardai quand même d’un surcroît de sectarisme. Pour filer la métaphore sanitaire qui leur était familière, ils auraient encore le goût du savon dans la bouche s’ils avaient subi le châtiment réservé à ceux qui « parlaient mal ». Quand des millions de morts cambodgiens, chinois ont été justifiés si légèrement, cette hygiène aurait été le maigre prix de leurs imprudences tellement sûres d’elles mêmes.
Le joli printemps avait éclaté pourtant et ses parfums nous ont suivis longtemps. Nous rencontrions les espoirs de 36, les souvenirs de la libération, les chants de la guerre d’Espagne ; j’étais devenu le collègue du fils d’un chef du Vercors qui donna son nom à un parking puis à un cinéma. L’Histoire roulait ses tambours à l’oreille du jeune chien fou de la campagne que j’étais. J’entrais en syndicalisme, comme pour m’établir en usine mais dans les bureaux poussiéreux quoique branchés de la C.F.D.T. Nous y avons passé des heures ferventes, dépensé de nos payes qui comptaient si peu. Ronéo et enveloppes. Nous croyions alors que la seule force de notre conviction convaincrait le monde. Nous ne disions pas « les gens » comme lorsque les stratégies publicitaires éloignèrent les débats. Nous avons cependant marqué notre temps puisque la notion de Z.E.P. vint de chez nous, la gauche américaine, désormais à l’Ouest après des regards brûlés vers l’Orient rouge. Des décennies plus tard, du chemin reste à parcourir pour les zones de relégation puisque les dépenses publiques dans ces territoires se situent en dessous de la moyenne nationale : d’un tiers.
Nous étions dans un petit syndicat.
« Le criquet tient dans la main, mais on l’entend dans toute la savane ».Proverbe africain
Comme la souris toute petite, toute fière à côté de l’éléphant pour la poussière soulevée, nous avons cru précipiter des mouvements alors que le marché nous appelait. Nous voulions des projets, ils ont amené la concurrence ; nous avons prôné le contrat, il se substitue à la loi.
J’ai été détaché permanent syndical une paire d’années : à la boutique, j’avais le temps de me nourrir d’études, de conclusions, de conclaves, j’en arrivais à être perméable aux arguments qui découplaient effectifs et réussite scolaire. Sur le terrain je constatais l’inanité de ces interprétations. Quand l’œil exercé des maîtresses prédisant des destins scolaires dès deux ans croise le regard d’experts estimant que tout se joue très tôt, ne peut-on massivement apporter des moyens conséquents avant qu’il ne soit trop tard ? Il ne reste que leurs yeux pour pleurer aux protocolaires compassionnels.
Quelques regrets subsistent de contradictions encore peu fouillées entre un syndicalisme vécu comme un chatoyant intellectuel collectif et une défense individuelle trop systématique de personnes qui bafouaient pourtant nos idéaux pédagogiques. Laboratoire d’idées, et aussi comme disaient nos ennemis, une entreprise d’affaiblissement des syndicats proches du parti communiste. Les intransigeants du P.C. (M.L). (Marxistes Léninistes) plus rigoureux que le P.C. tout court ne rougissaient pas de se retrouver avec d’autres anti-communistes primaires. Soustelle en fut, la coquille était presque vide. Mais avec quelques anars, des rocardiens, des pédagogues, des cathos, des lecteurs de Télérama sans télé, j’ai vécu cette diversité comme une richesse et un apport fondamental à ma formation d’adulte. Tout se voulait politique : j’y ai noué mes amitiés qui ont traversé de vraies tempêtes et d’autres plus théâtrales.
Nos enfants portent les stigmates des préceptes de nous, les enfants de mai. J’envie parfois la fraîcheur, la fidélité, de camarades qui continuent à fulminer contre les O.G.M. ou qui défilent contre le C.P.E., mais depuis les manifs pour défendre la laïque je n’arrive plus à avoir suffisamment de certitudes. J’ai laissé mes dernières convictions autour de la bataille contre les maîtres-directeurs. L’anti sarkozisme a mauvaise presse (forcément) en ce moment, en ce qui me concerne c’est un bain régénérant pour mes indignations. J’avais pris des coups de mou quand j’ai compris que des intérêts parfois bien étroits se barbouillaient à la générosité. Individualisme de chez corpo avec plans de carrières se planquant derrière les bannières fraternelles. Les valets de chambre connaissent trop les grands hommes pour leur garder un respect aveugle. Des hommes de qualité subsistent mais quelques hâbleurs prolifèrent. A mes yeux de serviteur de la cause autogestionnaire, les illusions lyriques maintenues m’excitent la bile.
La lucidité trop teintée d’amertume n’est pas buvable mais elle ouvre l’appétit pour des destins pragmatiques. Je partis de la C.F.D.T. avec d’autres car nous estimions l’indépendance syndicale mise à mal par le P.S. avec des méthodes trahissant la démocratie.
Et je me retrouve aujourd’hui au parti socialiste, à l’heure où les tracteurs, les colleurs sont ce qui reste de meilleur quand les importants vont à la soupe. J’ai abandonné l’observatrice attitude. Avec nos petites mains, aller contre la superficialité dégoulinante, redonner du brillant à « solidarité » qui perd ses parts de marché chez les marchands de mots, face aux succès du grincheux « assistanat »
Je fus brièvement de l’expérience « alternative syndicale » qui se révéla vaine à mes yeux. L’absence revendiquée de structures du nouveau syndicat P.A.S. (Pour une Alternative Syndicale : beau mot positif, concret, progressif) a ouvert la porte à d’autres « coucous », comme le disait E. Maire en parlant des organisations gauchistes : nous étions manipulés par d’autres ! Comme pour les mômes : quelle arnaque l’autonomie ! Les assemblées générales bavardaient jusqu’à point d’heure, les insomniaques prenaient les décisions, après, sans grandes conséquences il est vrai. La chapelle « moins on est nombreux plus on a raison » se réchauffait sans frais, les donneurs de leçons manquaient un peu de commisération pour leurs pairs avec leurs préceptes tous azimuts, leur impuissance à agir. Aucune injustice ne leur échappait, cependant les voitures qui flambent sous leurs fenêtres les laissent muets. J’essaye de ne plus prendre la file derrière ceux qui en veulent toujours plus pour les gavés en regard du reste de la planète. Quelle prétention de juger des politiques qui n’ont pas préparé l’avenir ! Nous avons parfois contribué à retarder des décisions sages et nous nous montrons si peu unanimes dans des domaines où pourtant nous exerçons : c’est bien vrai, cet illettrisme ? Alors pour ce qui est des protections sociales, environnementales…Pouvons-nous regretter trop de légèreté chez nos jeunes, nous qui les avons formés, nous qui cultivons jusqu’à tard la posture adolescente du refus, qui naviguons sans cesse entre la nostalgie de cultures solidaires et la volonté de nous affranchir des socles qui fondent une vie en société.
Cette culture d’opposition s’adosse à ses ennemis comme la laïcité à la religion, elle n’était pas celle de nos prédécesseurs qui eurent une influence certaine dans la vie des communes quand ils cumulaient avec la profession de secrétaire de mairie. La vitalité des derniers politisés s’ossifie dans des protestations rituelles et clôt un cycle qui connut sa gloire en 81 avec des députés barbus en cohortes : des profs. Mais ils sont où ?
Les chefs d’états parviennent difficilement à inverser le cours des évènements, quant au petit fonctionnaire…
Ne nous fustigeons pas de tous les maux de la planète, mais nous avons tellement désiré un pouvoir sur les êtres et les choses que nous ne pouvons nous exempter de toute ridule sur le monde. Le temps a fait son œuvre, pas tout seul. La littérature nous doit bien un peu de son effacement. Nous avons négligé l’ampleur du chômage, et de la précarisation des emplois ; nous bénéficions du bon statut.
Quand un homme politique affirme que pour aller vers plus de justice, il est fatal d’augmenter les impôts, il se retrouve bien seul.
Piètres veilleurs, après avoir piétiné les mots tels que devoir, travail, nous n’avons plus qu’à écarquiller les yeux quand les individus sortent tellement désorientés de nos écoles baratineuses. Déliés trop tôt, nos enfants ne savent plus que le savoir est émancipateur ; sensés être libres, il ne leur reste que des appartenances illusoires et la solitude.
« Ecole fabrique de l’avenir », les mots sont tellement usés que ce qui fut une évidence, se déprécie en slogan creux tant nous avons perdu la foi. Bonne nouvelle pour l’agnostique multicarte. Mais il n’y a pas regain de raison ; nous ne nous rassurons même pas en nous retranchant derrière : « heureusement les enfants bonnes pâtes n’étaient pas si faciles que ça à modeler ».
Par bien des côtés j’ai le sentiment d’assister au dévoiement d’utopies premières. Depuis l’époque du « tout est politique », les excès de la mise en lumière des jardins secrets s’approchent plus de l’obscénité que d’une honnêteté qui vise à la cohérence qui ne sépare pas les mots des actes. Clament-elles dans le désert, les voix qui hurlent à la marchandisation de tous les aspects de la vie où le moindre don apparaît comme suspecte stratégie ? La transparence, masque d’un carnaval permanent, escorte d’hermétiques solitudes. Les cynismes sont bien portés alors que l’être tout entier destiné à l’enrôlement corps et âmes fournira la chair à bûcher des religions. La république et la laïcité qui pourtant séparent temporel et spirituel s’épuisent.
Les enjeux touchant les modalités de la démocratie sont passionnants pour sortir de l’omnipotence des experts ; il s’agit de pédagogie, encore. Ils auraient pu être mesurés au delà d’une soirée de gueule de bois électorale. Quand une démarche plus participative, plus difficile, s’essaye elle est brocardée par ceux qui ne cessent d’appeler au renouvellement des méthodes et des hommes.
J’ai achevé mon travail de maître, et l’élève restant est accablé sous les banquises qui s’effondrent, les forêts qui flambent, les sources qui se tarissent. J’étais dans les transmissions ; pour celle qui intéresse notre maison, la terre, ne restera-t-il que la musique d’une langue qui abuse des allitérations ? Les airs délétères préparent de sombres soirs.
Après avoir siffloté dans les matins qui chantaient, il serait temps pour moi de sortir de l’absolu trop rose, trop noir.
Quelles bases avons-nous données à nos enfants pour mieux comprendre le monde, mieux le transformer, mieux l’aimer ? Pourront-ils surmonter les égoïsmes, les aveuglements démagogiques ? Pourront-ils, mieux appréhender les dimensions nouvelles constitutives de cette mondialisation qui nous a fait perdre de notre superbe à nous les occidentaux ?
Nous devons assumer nos rôles d’aînés pour contrer les litanies qui déplorent et sortir de la forme interrogative. A secouer un peu de mélancolie, arrivent d’autres lourdes interpellations lorsque des jeunes ne voient plus de dignité dans le travail, dans leur part apportée au monde.
L’aide soignante qui accompagne l’ancêtre, la femme en Afrique qui porte sempiternellement l’eau si lourde, pour la survie de ses petits, l’artisan qui redonne vie à la vieille bicoque, le paysan au bout du sillon interminable, l’emballeuse de biscuits, l’intérimaire sous payé qui vient suppléer le statutaire pour nettoyer les fosses de notre confort, le chercheur de virus, de solutions, de sens, le pilote qui assume ses responsabilités, l’artiste dépositaire de liberté qui vous chavire, l’ instit qui s’acharne à apporter une culture où la finesse réveillerait les blasés : ils assument leur devoir, ils peuvent prendre leur part au droit.
« La servante » au théâtre est la lampe que les régisseurs laissent pour veiller le décor éteint.
Dans les matins d’hiver, brillent des lumières tôt allumées aux carreaux des écoles.