Il y a trente ans j’avais lu cet atlas anthropologique et
politique avec une jubilation qui avait persisté. Les temps étaient simples,
les cartes des votes pour Giscard coïncidaient avec celle des pratiques
religieuses, je retrouvais sur le papier mon histoire familiale avec des grands
parents légèrement singuliers en Dauphiné après avoir travaillé sur une terre
gasconne qui les avait formés.
Avec la réédition de ce livre, je me suis remis en mémoire par
exemple ce rapprochement étonnant : les zones où les chasses aux sorcières
de la fin du moyen âge avaient été les plus virulentes correspondaient aux
départements qui avaient le taux de sages-femmes le plus important. Et révisé
que l’implantation protestante s’est faite en Europe sur fond de sentiment national mâtiné d’une
pointe d’identification au peuple élu, alors que le catholicisme était plus
universaliste.
La superposition des cartes depuis les invasions barbares,
en passant par les taux d’alcooliques, celui des suicides, l’âge des mariages,
la proportion d’hommes en capacité de signer… montraient des persistances
politiques qui nuançaient une approche uniquement économique.
La zone d’occupation romaine continuait à se distinguer de
celle des germains et des celtes.
L’implantation du parti communiste était forte dans les
zones intermédiaires entre les types de famille nucléaire (papa/maman) et la
famille communautaire quand les enfants mariés cohabitent avec les parents.
La forme de transmission de l’héritage, les champs ouverts
ou fermés étaient déterminants :
« En pays de
population agglomérée, on tente de limiter les conflits de voisinage car le
voisin est tout proche de vous, alors qu’en pays de bocage, au contraire on
cherche à faciliter le rapprochement car le voisin est loin. »
L’ouvrage de 500 pages est agréable à lire avec des titres
tels que « les Francs sont ils de gauche ? » mais la vision
claire des années 80 s’est compliquée avec l’émergence du FN.
Les deux chercheurs récusent sur ce terrain là aussi les
lectures simplificatrices qui voient l’implantation du parti d’extrême droite
essentiellement sur les territoires perdus par le PC.
La quatrième de couverture donne le ton.
« … du nord au
sud, de l’est à l’ouest de l’Hexagone les mœurs varient aujourd’hui comme en
1750. Chacun des pays de France a sa façon de naître, de vivre et de mourir.
L’invention de la France est un atlas qui cartographie cette diversité en
révélant le sens caché de l’histoire nationale : hétérogène, la France avait
besoin pour exister de l’idée d’homme universel, qui nie les enracinements et
les cloisonnements ethniques.
Produit d’une
cohabitation réussie, la Déclaration des droits de l’homme jaillit d’une
conscience aiguë mais refoulée de la différence. L’idéologie aujourd’hui
dominante, analysée dans la nouvelle partie inédite de cet ouvrage augmenté,
pourrait être décrite comme un programme de défense d’une homogénéité menacée,
ou, chez les plus radicaux, le rêve d’un retour à une homogénéité perdue. Mais
ce que montrait justement L’Invention de la France, dès 1981, c’est que cette
homogénéité n’a jamais existé.
Les défenseurs
autoproclamés de l’identité nationale ne comprennent pas l’histoire de leur
propre pays. Osons le dire : ils sont aveugles à la subtilité et à la vérité du
génie national. Alors, pourquoi ne pas ajouter quelques différences, parfois
importantes, quelques nouvelles provinces mentales, maghrébine, africaine ou
chinoise, pour les atténuer, les apprivoiser avec le temps, comme on l’a toujours
fait en France ? Il n’y est pas question de fixer des différences pour
l’éternité, d’essentialiser des pays et des peuples.
La culture est
mouvement, progrès, diffusion, homogénéisation bien sûr, mais sans oublier que
de nouvelles différences apparaissent sans cesse. L’Invention de la France
s’achève par une partie politique. L’effondrement du catholicisme, puis du
communisme ont engendré un vide religieux et idéologique qui a fini par couvrir
tout l’hexagone. On peut donc parler d’une nouvelle homogénéité par le vide,
qui explique l’apparition, parmi bien d’autres choses, dans un pays où les
Français classés comme musulmans ne pratiquent pas plus leur religion que ceux
d’origine catholique, protestante ou juive, d’une islamophobie
laïco-chrétienne, qui prétend que la seule bonne façon de ne pas croire en Dieu
est d’origine catholique.
Le vide métaphysique du moment Sarkozy est ici saisi à sa source. »
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Un dessin du "Canard" de la semaine: