Nous partons tout
frais dispos pour le centre-ville dès 9h, laissons la voiture au parking de
l’hôtel de ville, et disposant d’une avance confortable pour notre rendez-vous,
nous commandons un café en terrasse au soleil à côté de la maison du
patrimoine. A proximité, l’espace Niemeyer de style moderne,
Ses deux « Volcans » de couleur blanche, dédiés à la culture, abritent
une bibliothèque et une Scène Nationale,
les Havrais les appellent aussi "les pots de yaourt"… Ils reposent sur une
esplanade semi enterrée peu végétalisée, comme concentrés dans une enceinte. Nous
rejoignons le lieu de rencontre pour la visite commentée de la ville. Toujours
à l’avance, nous patientons seuls dans
une petite pièce devant des films d’époque, l’un sur les bombardements des
Britanniques (qui n’ont pas fait de quartier ) l’autre sur la vie dans des logements de fortune, « en carton », « où
s’entasse la population dans la convivialité du monde des femmes et des enfants
et la déchéance des hommes dans l’alcoolisme ». Nous ne visionnerons pas
les autres vidéos sans doute tout aussi
instructives et bien faites car notre jeune guide Lukas sonne le
rassemblement des candidats à la visite. D’entrée, il nous séduit par sa
maitrise de la langue française, précise et fluide, et son élocution claire tant au niveau du
volume vocal que du débit : c’est un plaisir- Il nous présente tout
d’abord la situation historique de la ville durant la seconde guerre
mondiale : cinq mille morts au sein de la population, une ville rasée
qu’il faut reconstruire rapidement. Les autorités font appel à Auguste Perret
alors âgé de 70 ans. Mais avant de construire, il faut déblayer et la tâche s’avère difficile à
cause de l’importance des gravats à déplacer et à disperser. Alors les
responsables décident de concasser les pierres des ruines et de les répartir
sur le sol ainsi élevé de 80 cm par rapport à
l’ancienne ville. En souvenir, et comme point de comparaison, la place de
l’hôtel de ville a conservé la hauteur d’origine.Puisqu’il ne reste rien ou
presque après les bombardements, l’urbanisme de la ville part sur de nouvelles
bases en favorisant de larges avenues,
une circulation plus fluide en résulte, et rares sont les embouteillages encore
aujourd’hui. - Notre guide nous signale la rue de Paris, petite sœur de la rue
de Rivoli dont elle copie les arcades sous lesquelles s’abritent des commerces.
Puis il nous conduit devant la mairie : elle se compose d’un corps de
bâtiment constitué de salles d’apparat et de salons d’honneur percés de hautes
fenêtres, et d’une tour carrée élevée sur la gauche qu’Auguste
Perret ne verra pas achevée. - L’architecture généralisée et uniforme de Perret
valut au Havre
le surnom de "Stalingrad
de la mer". Toutes les façades conçues selon le même modèle n’affichent aucune
fioriture, aucun décor.Symétriques et régulières elles s’inspireraient de
l’antiquité et du XVIII° siècle, mais avec du béton armé à la place de la
pierre et malgré quelques petites variations de couleur, le gris l’emporte
largement, peu compensé par de la végétation.- Grâce au guide, nous accédons à
un appartement témoin des années 1950. Sauvegardé au milieu des logements actuels, il témoigne du confort et
de la présence du progrès à la portée de tous dans les années après-
guerre. Pour la conception des
immeubles, tout repose sur le chiffre 6,24 m qui sert de base à n’importe quelle mesure : il a pour avantage de se
diviser par 2,3,4,…12….Leur principe de construction sert toujours
pour bâtir des garages en étages : des poteaux poutres assurent la
structure, des plaques de béton comblent les espaces et les portes et fenêtres
sont préfabriquées. Ce procédé plus
rapide et moins onéreux répond à la
nécessité d’offrir au plus vite aux Havrais des habitations décentes après des abris provisoires et insalubres. A
l’intérieur, tout concourt à l’amélioration des conditions de vie, Perret
veut intégrer la modernité, en proposant des aménagements
pratiques et des installations nouvelles concernant l’hygiène.Grace à l’absence de mur porteur, chaque
appartement reste modulable.Cependant, l’orientation Nord-Sud traversant et les portes
coulissantes optimisent l’entrée de la lumière, élément important pour l’architecte.
Les chambres donnent côté cour pour plus de tranquillité et le salon s’oriente côté rue.
Aucun couloir
ne chemine entre les pièces, évitant de l’espace perdu.
Par contre, beaucoup de
placards bien agencés remplacent d’encombrantes armoires,
Enfin la cuisine possède un vide-ordures, un évier en inox
et un étendage suspendu.
Le confort passe aussi par le chauffage collectif à air
pulsé et des colonnes d’aération.Auguste Perret ne livre pas ses appartements
garnis mais il conseille et invite les futurs occupants à se fournir dans une entreprise particulière afin de s’équiper de meubles de
qualité (bois de chêne) à prix abordables car fabriqués à la chaîne : lits
gigogne, fauteuils… C’est le mobilier exposé ici, enrichi d’objets
iconiques : audio, tourne disque, un vrai frigidaire d’origine US, et toutes
sortes d’ustensiles découverts avec l’apparition des arts ménagers.La qualité,
il la recherche dans les matériaux et utilise un bon béton, mais il est aussi
attentif à leur pose ; par exemple, il prévoit des plinthes arrondies côté
sol pour mieux passer la serpillère, comme on le pratique dans les hôpitaux.Même
dans le hall d’entrée de l’immeuble, il ne lésine pas sur la marchandise et les
petits détails, il opte pour des revêtements en chêne sur les portes, une sorte
de travertin moins cher tapisse le sol mais faisant bien son effet et des
rampes en fer forgé aux soudures invisibles alternent barreaux ronds, barreaux hexagonaux.- A cet ensemble
architectural en béton,
s’intègre parfaitement l’église Saint Joseph conçue
elle aussi par A.Perret. Il l’a érigée à
partir du niveau du sol existant avant les
bombardements du Havre, en hommage aux victimes et la ville du passé. Elle sortit de terre en un temps record de 6 ans. Notre guide nous conduit à
l’intérieur.
Bien que nous l’ayons visité hier, il nous informe utilement,
nous convie à mieux regarder et interpréter
les choix de l’architecte. Tout d’abord, Perret ne respecte pas un plan en
croix latine et lui préfère la croix grecque en étoile; il place l’autel
en son centre. Sur cette croix reposent un carré, puis une demi-pyramide, et
une tour lanterne octogonale de 107m portée par 4 piliers, souvent
comparée à un cierge ou à un phare.
L’importance des figures
géométriques s’inscrit fortement dans l’édifice.Soucieux de la qualité des matériaux, il fait appel au
maitre verrier Marguerite Huré pour imaginer les 12768 vitraux colorés dont
l’épaisseur s’amincit et les couleurs s’éclaircissent au fur et à mesure que
l’édifice s’élève. La créatrice opte
pour des verres soufflés à la bouche, et sélectionne des dominantes de couleurs différentes pour chacun des points cardinaux en leur
attribuant une signification liée à la religion. Et en fonction de l’heure de
la journée, de la saison, de la lumière
due au temps ensoleillé ou au temps
pluvieux, les teintes vibrent et chantent, se modifient en permanence. Curieusement, ce chatoiement n’apparait pas
à l’extérieur, où une sorte de doublage
en verre blanc s’accorde au gris du
béton dans une bi tonalité douce. Il faut
passer le seuil pour être baignés dans la lumière divine.Pour l’anecdote,
Perret aurait dit à l’Abbé Marcel Marie :
"Vous voulez que votre église soit belle, vous voulez aussi qu’elle soit
aimable.
Alors il faut confier les vitraux à une femme".Comme mobilier,
plutôt inhabituel, des fauteuils de
spectacles soi-disant plus confortables
que des bancs entourent l’autel, disposés en légère pente pour une meilleure vision. Quant au baptistère,
dans l’ombre, il est minimaliste : trois marches symbolisant la
trinité encerclent une base
carrée au centre de laquelle apparait un petit bassin rond et bas.Le
style de Perret se retrouve jusque dans
son aversion pour la décoration, le
superflu :
pas de place pour des tableaux, des statues, des chemins de
croix. Outre le crucifix planté devant l’autel, il concède juste la présence
d’un claustra sur la galerie de l’orgue, sorte d’évocation du moucharabieh
utilisé au Maghreb qu’il affectionnait particulièrement.
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