jeudi 13 mars 2025

Le Havre # 2

Nous partons tout frais dispos pour le centre-ville dès 9h,
laissons la voiture au parking de l’hôtel de ville, et disposant d’une avance confortable pour notre rendez-vous, nous commandons un café en terrasse au soleil à côté de la maison du patrimoine.
A proximité, l’espace Niemeyer de style moderne, 
contraste avec l’architecture austère et uniforme de Perret. 
Ses deux « Volcans » de couleur blanche, dédiés à la culture, abritent une bibliothèque et une Scène Nationale,  les Havrais les appellent aussi "les pots de yaourt"…
Ils reposent sur une esplanade semi enterrée peu végétalisée, comme concentrés dans une enceinte. Nous rejoignons le lieu de rencontre pour la visite commentée de la ville.
Toujours à l’avance, nous patientons seuls dans une petite pièce devant des films d’époque, l’un sur les bombardements des Britanniques (qui n’ont pas fait de quartier ) l’autre sur la vie  dans des logements de fortune, « en  carton », « où s’entasse la population dans la convivialité du monde des femmes et des enfants et la déchéance des hommes dans l’alcoolisme ». Nous ne visionnerons pas les autres vidéos sans doute tout aussi  instructives et bien faites car notre jeune guide Lukas sonne le rassemblement des candidats à la visite. D’entrée, il nous séduit par sa maitrise de la langue française, précise et fluide, et son élocution claire tant au niveau du volume vocal que du débit : c’est un plaisir
- Il nous présente tout d’abord la situation historique de la ville durant la seconde guerre mondiale : cinq mille morts au sein de la population, une ville rasée qu’il faut reconstruire rapidement.
Les autorités font appel à Auguste Perret alors âgé de 70 ans. Mais avant de construire, il faut  déblayer et la tâche s’avère difficile à cause de l’importance des gravats à déplacer et à disperser. Alors les responsables décident de concasser les pierres des ruines et de les répartir sur le sol ainsi élevé de 80 cm par rapport à l’ancienne ville. En souvenir, et comme point de comparaison, la place de l’hôtel de ville a conservé la hauteur d’origine.
Puisqu’il ne reste rien ou presque après les bombardements, l’urbanisme de la ville part sur de nouvelles bases  en favorisant de larges avenues, une circulation plus fluide en résulte, et rares sont les embouteillages encore aujourd’hui.
- Notre guide nous signale la rue de Paris, petite sœur de la rue de Rivoli dont elle copie les arcades sous lesquelles s’abritent des commerces.
Puis il nous conduit devant la mairie : elle se compose d’un corps de bâtiment constitué de salles d’apparat et de salons d’honneur percés de hautes fenêtres, et d’une  tour carrée élevée sur la gauche qu’Auguste Perret ne verra pas achevée.
- L’architecture généralisée et uniforme de Perret valut au Havre 
le surnom de "Stalingrad de la mer".
Toutes les façades conçues selon le même modèle n’affichent aucune fioriture, aucun décor.
Symétriques et régulières elles s’inspireraient de l’antiquité et du XVIII° siècle, mais avec du béton armé à la place de la pierre et malgré quelques petites variations de couleur, le gris l’emporte largement, peu compensé par de la végétation.
- Grâce au guide, nous accédons à un appartement témoin des années 1950. Sauvegardé au milieu des  logements actuels, il témoigne du confort et de la présence du progrès à la portée de tous dans les années après- guerre. 
Pour la conception des immeubles, tout repose sur le chiffre 6,24 m qui sert de base à n’importe quelle mesure : il a pour avantage de se diviser par 2,3,4,…12….
Leur principe de construction sert toujours  pour bâtir des garages en étages : des poteaux poutres assurent la structure, des plaques de béton comblent les espaces et les portes et fenêtres sont préfabriquées. Ce procédé plus rapide et moins onéreux  répond à la nécessité d’offrir  au plus vite aux Havrais des habitations décentes après des abris provisoires et insalubres. 
A l’intérieur, tout concourt à l’amélioration des conditions de vie, Perret veut  intégrer  la modernité, en proposant des aménagements pratiques et des installations nouvelles concernant l’hygiène.
Grace à l’absence de mur porteur, chaque appartement reste modulable.
Cependant, l’orientation Nord-Sud traversant et les portes coulissantes optimisent l’entrée de la lumière, élément important pour l’architecte.
Les chambres donnent côté cour pour plus de tranquillité et le salon s’oriente côté rue.
Aucun couloir ne chemine entre les pièces, évitant de l’espace perdu.
Par contre, beaucoup de placards bien agencés remplacent d’encombrantes armoires,
il existe même des dressings.
Chaque appartement bénéficie, luxe à cette époque,
de sa propre salle de bain et de ses WC. 
Enfin la cuisine possède un vide-ordures, un évier en inox et un étendage suspendu.
Le confort passe aussi par le chauffage collectif à air pulsé et des colonnes d’aération.
Auguste Perret ne livre pas ses appartements garnis mais il conseille et invite les futurs occupants à se fournir dans une entreprise particulière afin de s’équiper  de meubles de qualité (bois de chêne) à prix abordables car fabriqués à la chaîne : lits gigogne, fauteuils…
C’est le mobilier exposé ici, enrichi d’objets iconiques : audio, tourne disque, un vrai frigidaire d’origine US, et toutes sortes d’ustensiles découverts avec l’apparition des arts ménagers.
La qualité, il la recherche dans les matériaux et utilise un bon béton, mais il est aussi attentif à leur pose ; par exemple, il prévoit des
plinthes arrondies côté sol pour mieux passer la serpillère, comme on le pratique dans les hôpitaux.
Même dans le hall d’entrée de l’immeuble, il ne lésine pas sur la marchandise et les petits détails, il opte pour des revêtements en chêne sur les portes, une sorte de travertin moins cher tapisse le sol mais faisant bien son effet et des rampes en fer forgé aux soudures invisibles alternent barreaux ronds, barreaux hexagonaux.
- A cet ensemble architectural en béton, 
s’intègre parfaitement l’église Saint Joseph conçue elle aussi par A.Perret.
Il l’a érigée  à partir du niveau du sol existant avant les  bombardements du Havre, en hommage aux victimes et la ville du passé. Elle sortit de terre en un temps record de 6 ans.
Notre guide nous conduit à l’intérieur. 
Bien que nous l’ayons visité hier, il nous informe utilement, 
nous convie à mieux regarder et interpréter les choix de l’architecte.
Tout d’abord, Perret ne respecte pas un plan en croix latine et lui préfère la croix grecque en étoile; il place l’autel en son centre. Sur cette croix reposent un carré, puis une demi-pyramide, et une tour lanterne octogonale de 107m portée par 4 piliers,  souvent  comparée à un cierge ou à un phare. 
L’importance des figures géométriques s’inscrit fortement dans l’édifice.
Soucieux de la  qualité des matériaux, il fait appel au maitre verrier Marguerite Huré pour imaginer les 12768 vitraux colorés dont l’épaisseur s’amincit et les couleurs s’éclaircissent au fur et à mesure que l’édifice  s’élève. La créatrice opte pour des verres soufflés à la bouche, et sélectionne des dominantes de couleurs différentes pour chacun des points cardinaux en leur attribuant une signification liée à la religion.
Et en fonction de l’heure de la journée, de la saison, de la lumière due au temps ensoleillé  ou au temps pluvieux, les teintes vibrent et chantent, se modifient en permanence. Curieusement, ce chatoiement n’apparait pas à l’extérieur, où une  sorte de doublage en verre blanc s’accorde au gris du béton dans une bi tonalité douce. Il faut passer le seuil pour être baignés dans la lumière divine.
Pour l’anecdote, Perret aurait dit à  l’Abbé Marcel Marie :  
"Vous voulez que votre église soit belle, vous voulez aussi qu’elle soit aimable. 
Alors il faut confier les vitraux à une femme".
Comme mobilier, plutôt inhabituel, des fauteuils de spectacles soi-disant plus confortables que des bancs  entourent l’autel,  disposés en légère pente pour  une meilleure vision. Quant au baptistère, dans l’ombre, il est minimaliste : trois marches symbolisant la trinité  encerclent  une base  carrée au centre de laquelle apparait un petit bassin rond et bas.
Le style de Perret  se retrouve jusque dans son aversion pour  la décoration, le superflu : 
pas de place pour des tableaux, des statues, des chemins de croix.
Outre le crucifix planté devant l’autel, il concède juste la présence d’un claustra sur la galerie de l’orgue, sorte d’évocation du moucharabieh utilisé au Maghreb qu’il affectionnait particulièrement. 
Notre visite avec Lukas prend fin, le groupe s’éparpille.

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