dimanche 19 septembre 2021

Tu n'en reviendras pas. Aragon Ferré.

J’aurai pu essayer de mettre des mots autour de plus modestes chansons, car celle là est un monument impressionnant à propos de la première guerre mondiale pendant laquelle Aragon avait été brancardier. 
Place à l’immortel poème où tout est dit de l’horreur survenant au milieu de l'insouciance:
« Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu
Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille
Qu'un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre »
 
« Gueules cassées »:
« Et toi le tatoué l'ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage, sans yeux »
 
La fatalité s’inscrit dans les odeurs de la vie et la chaleur fraternelle des hommes : 
« On part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n'être plus du jeu 
Les bonshommes là-bas attendent la relève
Roule au loin roule le train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur »
 
La pierre des monuments est solide
et la terre, où ils sont tombés les uns après les autres, accueille les morts. 
« Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit
Déjà vous n'êtes plus qu'un nom d'or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s'efface
Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri »
 
Mes lignes intercalées ne voudraient pas profaner des paroles sublimes parfaitement mises à la portée de tous par Ferré qui sur le même album a enluminé « L’affiche rouge » : 
« Vous n'avez réclamé ni la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants »
 
Et tant d’autres : 
« Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent »
.
 L’étrangère : 
« Nous avions joué de notre âme 
Un long jour, une courte nuit,
 Puis au matin : "Bonsoir madame" 
L'amour s'achève avec la pluie. »

1 commentaire:

  1. Merci pour ces beaux écrits, ce matin.
    Il m'arrive de penser à ce destin d'homme(s), de faire la guerre, d'y trouver, dans le meilleur des cas, la fraternité, la camaraderie dont nous avons commencé à entendre parler dans "l'Iliade", entre Patrocle et Achille. Amitié sacrée, par excellence, celle de partager le risque de la mort avec un autre/des autres.
    Y avait-il un moment où la différence entre guerre et jeu était encore tenue, où on pouvait regarder avec un doute, avant que ça ne se mette à devenir une chose... si terriblement sérieuse ?
    Oui, pour le sérieux dans nos vies, pour leur donner du poids (mais... la mort leur donne déjà son poids), mais pas au prix de ce jeu qu'on ne doit pas laisser entre les mains de la seule ? culture spectaculaire. Cela ne (nous) suffit pas, de mon point de vue.

    RépondreSupprimer