mardi 5 octobre 2021

La mémoire dans les poches. Etienne Le Roux. Luc Brunschwig.

A n’avoir lu que le deuxième tome d’une série de trois dont le dernier volume s’est fait attendre 8 ans, le temps de la résolution d’une dépression de l’auteur, je n’ai pas perçu toute l’intensité, ni la sincérité de ce récit proche d’une réalité intime. 
Ces 70 pages finement dessinées et colorisées suivent un fils à la recherche de son père. Nous passons de cours d’alphabétisation pas de tout repos à l’exposition médiatique du jeune écrivain proche d’une mère pas facile. Le prêchi-prêcha devant un parterre de policiers qui viennent de lui décerner un prix parait quelque peu daté, dans un récit qui aborde pourtant la complexité : 
«  Il faudrait préférer plus de relationnel avec la population, ceci afin d’être mieux connu des gens, mieux travailler avec eux et mieux appréhender les mœurs sans cesse en évolution de quartiers voués à la mondialisation.»  La mondialisation…
Il est question de bouts de papier dans les poches du père pour aider sa mémoire défaillante et de ceux qui pourraient aider une jeune réprouvée algérienne et son enfant.

lundi 4 octobre 2021

Les amours d’Anaïs. Charline Bourgeois Tacquet.

On pourrait croire à une parodie de film français en milieu germanopratin comme on n’ose plus en produire tant les outrances des personnages sont appuyées. 
J’en inverse mes penchants antérieurs quand Anaïs Dumoustier m’énerve
alors que Bruni Tedeschi m’apaise cette fois ci. 
La belle, un peu âgée pour son rôle, séduit et détruit avant de passer prestement à autre chose, aussi irresponsable avec son directeur de thèse, sa logeuse, ses amants, ses parents. Elle avorte entre deux courses, toujours contrariée et malgré son intelligence et sa séduction, se perd. Sa course affolante vers la liberté crame tout sur son passage, mais est-ce une recherche tant cette personnalité semble fragile, indécise ? 
Dans la fourmilière d’un entre-soi affolé nous percevons aussi le grotesque de nos paniques.
Il vaut mieux y voir une comédie bien dialoguée où les notations cocasses se multiplient avec de bons acteurs qu’une chronique inquiète de notre temps tendant vers un amoindrissement de notre humanité.

dimanche 3 octobre 2021

«Anesthésie Générale ». Jérémy Ferrari.

Il est question de santé dans cette prestation solitaire à la Vence scène, c’est que décidément l’humoriste après avoir traité des religions, des attentats, aime les sujets délicats.
Il s’en tire parfaitement, passant de la gravité, aux jeux de mots les plus nuls, nous donnant à rire et à réfléchir, nous surprenant.
Pourtant c’était mal parti avec l'exclamation rituelle : « ça va Saint Egrève ! » et spots aveuglant un public frappant des mains en cadence et pris à partie d’emblée. Mais d'autres comme lui étaient retombés sur leurs pattes au bout de deux heures et demie
La référence à la mère semble également inévitable et malgré quelques facilités ravissant ses fans, j’ai apprécié sa sincérité et son intelligence en des moments forts où il met en scène une tentative de suicide, fait part de sa folie avec les conflits entre ses diverses personnalités.
Il joue d’une palette étendue avec mimes, imitations, autodérision, voire pédagogie avec l’évocation de l’histoire de la sécurité sociale se confondant avec les rapports des pouvoirs où Servier joue un rôle éminent. Le rappel de la mort du milliardaire a pu faire naître des réactions problématiques, à mon sens, dans le public. 
Il nous emmène avec énergie bien au-delà du divertissement, nous manipule, et nous met face à notre crédulité dans un numéro très habile qui vaut à lui tout seul le prix du billet. Arriver à faire rire en évoquant l’homéopathie à partir de données très sérieuses ou ne pas faire rire volontairement, juste avant de se laisser aller à des rires régressifs : c’est du grand art.
Le sketch du directeur d’hôpital recevant des familles est tordant. Le rappel de mots imprudents de politiques au début de la pandémie peut tourner à la leçon trop facile à postériori,  mais la profusion des approches, la variété des angles permettent de ne pas s’appesantir et de passer un excellent moment.

samedi 2 octobre 2021

Boule de suif. Guy de Maupassant.

Du temps de Guy Mollet et des dictées souvent signées Guy de Maupassant, mes camarades de classe s’amusaient de notre prénom commun, alors il serait temps que sur ce blog à la dénomination désuète figure une chronique consacrée à celui qui était né pile un siècle avant moi (1850).
Je me souviens que son récit fulgurant : « La ficelle »  m’avait servi pour introduire une leçon de morale sur « la médisance» lors de mon C.A.P. d’instituteur.
Onze nouvelles parmi trois cents accompagnent «Boule de suif» dont Flaubert avait dit que c’était un chef d’œuvre. Elles sont d’une efficacité souveraine, d’une densité remarquable.
Pas étonnant que les adaptations se soient multipliées, tant la structure des tableaux est charpentée avec des dialogues d’une grande authenticité et des portraits vivement brossés. 
« La femme, une de celles appelées galantes, était célèbre par son embonpoint précoce qui lui avait valu le surnom de Boule de Suif. Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de saucisses ; avec une peau luisante et tendue, une gorge énorme qui saillait sous sa robe, elle restait cependant appétissante et courue, tant sa fraîcheur faisait plaisir à voir. » 
Les descriptions fines et profondes vont au cœur du réel, sans s’attarder : nous sommes pendant la guerre de 70 en Normandie où la tragédie est familière. 
« Un calme profond, une attente épouvantée et silencieuse avait plané sur la cité ; la vie semblait arrêtée, les boutiques étaient closes, la rue muette ; l'angoisse de l'attente faisait désirer la venue de l'ennemi… » 
Le style virtuose passe de la légèreté la plus heureuse à la noirceur la plus incurable. 
« Le capitaine se tut. Je ne répondis rien. Je songeais à l’étrange pays où l’on pouvait voir de pareilles choses ; et je regardais dans le ciel noir le troupeau innombrable et luisant des étoiles. » 
Les conclusions sont à l’image de sa propre vie dont il prédisait la fin dramatique: 
« Je suis entré dans la littérature comme un météore, j’en sortirai comme un coup de foudre. » 
….
Je viens d’emprunter à la bibliothèque une BD de Battaglia adaptateur d’autres géants 
et ce volume consacré  aux «Contes et nouvelles de guerre» est vraiment en accord avec l’écriture de Maupassant : 
« un style concis, époustouflant de précision, dissèque l’âme humaine jusqu’aux tréfonds, dans ses faiblesses insignes et ses surprenants courages… »

vendredi 1 octobre 2021

L’art d’être français. Michel Onfray.

Le philosophe est d’autant plus abordable qu’il ne ménage pas ceux avec lesquels il est en désaccord, en relevant des traits péjoratifs de leur biographie. 
Comme je n’ai pas les outils conceptuels les plus affutés, je ne peux que savourer ces anecdotes situées assez loin du débat d’idées pures, mais rendant vivantes les 392 pages. 
De plus l’indifférence éditoriale que rencontre son livre m’attirerait plutôt quand il va à l’encontre des conformismes idéologiques bien que je réprouve son positionnement envers le chef de l’état et son « en même temps ».
La méthode du fondateur de l’université populaire de Caen est efficace lorsqu’il partage chaque chapitre entre ce qui relève des paroles et ce qui est prouvé par les actes.
Sa France est celle de la finesse de Montaigne, de la «  gaieté libre et truculente » de Rabelais, du doute de Descartes, de l’ironie voltairienne, de la galanterie de Marivaux  et celle d’Hugo pour l’attachement au peuple et à la justice.
Après des années de pédagogie auxquelles j’ai contribué, je partage son constat sombre sur la nature humaine: 
« Cet être égotique revendique tous les droits et ne reconnaît aucun devoir : tout lui est dû, il ne doit jamais rien à personne. Il prend mais ne donne pas. Il exige mais veut qu’on lui fiche la paix. Il se sert mais ne sert jamais. »
L’incorrect n’y va pas avec le dos de la cuillère et si je l’accompagne dans sa vision d’un effondrement de la société et de l’inversion des valeurs, je ne suis pas d’accord avec son obsession anti européenne. 
« …  dès qu’un ancien maori ignore les généalogies de son peuple et reste muet un jour de leur déclamation rituelle, l’acte de mort de la civilisation est dressé. » 
Les titres des chapitres désignent les problèmes :
    la moraline, l’infantilisation, la déresponsabilisation, l’art contemporain,
et les réponses faisant « la bête » en voulant « faire l’ange » :
    l’écologisme, la créolisation, le néo féminisme, le décolonialisme, l’islamo-gauchisme,          l’antifascisme, l’antispécisme.
Il remonte aux sources mais évite par exemple de dénoncer Marcel Duchamp pour mieux critiquer ses successeurs. Sa verve est efficace pour dénoncer le freudo-marxisme et le déconstructivisme, Sartre et Houria Bouteldja, Foucault et Edwy Plenel, Glissant et Mélenchon…
La conclusion intitulée «  Le sublime de la catastrophe » laisse entrevoir un avenir transhumaniste avec lequel devra composer l’Islam prenant la place de la civilisation judéo chrétienne, bien que « la technique fasse mauvais ménage avec une pensée féodale. »
«  On peut dire non à la Divine comédie de Dante […] aux films de Charlie Chaplin, mais peut-on vivre sans électricité, sans informatique, sans pénicilline, sans moteur, sans la chirurgie contemporaine ? »

jeudi 30 septembre 2021

Musée Unterlinden. Colmar.

Le prestigieux musée Unterlinden (« sous les tilleuls »),
ouvert en 1853 dans un ancien couvent datant du XV° siècle, présente de nombreuses œuvres de l’art rhénan.
Nous retrouvons Martin Schongauer auteur de « La vierge au buisson de roses » habillée aux couleurs de la passion, vue ce matin dans l’église des dominicains.
Des retables du célèbre graveur admiré par Dürer ont de fraiches couleurs comme si elles venaient d’être apposées  alors qu’elles ont 500 ans d’âge. « Retable des Dominicains ».
Bonne introduction, avant d’arriver devant un des chefs-d’œuvre de l’art occidental :
le retable d’Issenheim, du nom d'un village voisin, peint par Matthias Grünwald.
Les panneaux pouvaient offrir différentes scènes: « Saint Sébastien, La Crucifixion, Saint Antoine » 
Les mains crispées, les pieds déformés du Christ crucifié, expriment la douleur d’une façon très moderne,
accentuée par les mains tordues de Marie Madeleine.
Sur les volets latéraux figurent saint Sébastien transpercé des flèches, 
et saint Antoine qui protégeait du « mal des ardents » dû à un parasite du seigle. Après s’être soigné avec des herbes médicinales ayant macéré dans l’eau avec des reliques, les malades venaient partager leur douleur avec celle du Christ.
Sur l'autre face du retable « L’Annonciation, Le Concert des Anges, La Vierge et l’Enfant, La Résurrection » présentés lors des grandes fêtes contrastent avec la scène précédente,
 en particulier lorsque le fils de Dieu monte au ciel dans un suaire de plus en plus coloré.
A l’étage où sont exposés des objets d’art décoratif et de tradition populaire, « Le trésor des trois épis », trouvé dans un chaudron enfoui pendant la guerre de trente ans pour échapper à l’envahisseur suédois, témoigne de l’orfèvrerie de la Renaissance.
A côté d’une cave reconstituée, sont conservés un « Portrait de femme » d’Holbein 
et « La mélancolie » de Cranach 
Pendant notre visite de trois heures et demie, nous ne nous sommes pas attardés dans les salles consacrées à l’époque gallo-romaine, 
alors que nous n’avons pas manqué, de Théophile Schuller, « Le char de la mort »  
où tous les hommes de toutes conditions sont emportés avec tous les arts.
Otto Dix côtoie 
Séraphine de Senlis,
Bonnard 
et bien sûr Picasso.
Dubuffet est bien mis en valeur dans un espace qui était consacré aux bains.
Le travail de Yan Pei Ming, sous le titre « Au nom du père », entre en résonance avec celui de Grünwald.
Une cinquantaine de tableaux essentiellement dans de grands formats aux pâtes épaisses noires et blanches nous impressionnent.
Le rapprochement entre trois portraits et celui de la figure christique entourée de deux larrons est peut être forcé. 
Mais entre l’ergotisme qui sévissait au moyen-âge et « La pandémie » les liens sont évidents.
Depuis ses dessins de jeunesse, ses nombreux auto portraits, ses paysages grandioses et inquiétants peuvent refléter notre image et celles que nous nous faisons du monde.
  

mercredi 29 septembre 2021

Promenades autour de Grenoble # 3

Un des charmes de la cuvette grenobloise est de pouvoir passer facilement de la ville plate à une nature escarpée aménagée pour recevoir tous les publics. 
Rocher de Comboire.
Le mot « Comboire » est davantage associé à la zone commerciale d’Echirolles qu’au fort militaire qui parmi sept autres devait défendre Grenoble après la défaite de 1870.
Au pied du Vercors, situé en face de celui de Bresson, il « battait la vallée du Drac vers l'amont », en principe, car il n’a guère servi. Qui sait qu’il se nomme « Monteynard » en l’honneur d’un lieutenant- général de Louis XV, appellation plus familière aux usagers de voile d’un lac voisin ? Le suffixe « oire » se rapprocherait du mot « orée », le bord de la combe.
Partis de Seyssins après avoir longé la digue du Drac nous arrivons dans les hauteurs de Claix aux belles bâtisses et son « chemin du repos de l’ouvrière » avant de prendre « le chemin des cimentiers » et de monter au belvédère qui offre une belle vue sur la Chartreuse, la Mathesine, Belledonne, et le Mont Blanc.
Le site internet remarquable https://baladesenisere.wordpress.com/2014/10/28/le-rocher-de-comboire  nous apprend que ce promontoire  est  une « relique glaciaire du Würm de 18 000 ans » (la dernière période glaciaire du Pléistocène dans les Alpes) et signale les fleurs remarquables : orchis homme pendu, ophrys araignée, les arbustes : pistachier térébinthe, « ces falaises sont des lieux de nidification très appréciés des rapaces, en particulier du grand duc d’Europe et du faucon pèlerin. On y trouve des abris sous roches et des diaclases dont le Trou du Renard, une cavité qui se trouve sur le flanc est de la colline et où ont été retrouvés des squelettes, ainsi que des poteries et des parures datant de l’âge du Bronze (-1800 à -800 avant notre ère). » 
Rocher du Cornillon. 
En bordure Ouest de la Chartreuse, détaché du rocher de l’Eglise, on peut aisément contourner l’éperon rocheux situé sur la commune du Fontanil-Cornillon.
« Cor désigne un grand rocher qui permet de servir de belvédère et que l'on retrouve notamment dans le nom d'autres communes telles que Corenc, Corps ou Corbelin. ».
Ce circuit familial à partir de Rochepleine quartier au nord de la commune de Saint Egrève, permet de trouver plus sûrement des escaladeurs que les vestiges d’un château idéalement placé, détruit depuis Lesdiguières.
Mont Jalla.
Rendez-vous est pris au pied de la statue équestre de Philis de La Charce, du nom d’une héroïne  de « L’astrée », roman fleuve de l’époque de Louis XIV. 
La « Jeanne d’Arc Dauphinoise » dont le nom de baptême était Philippe de la Tour du Pin de La Charce, avait abandonné la religion protestante pour devenir catholique. Cette conversion ne sera pas indifférente aux historiens pour évaluer ses performances guerrières. Cette altière guerrière est située à l’entrée du très soigné jardin des Dauphins situé Porte de France.
Nous passons d’une terrasse à l’autre par des sentiers qui en ce jour de semaine étaient bien moins embouteillés que le week-end où les familles profitent des aires de jeux, où les amateurs de botanique peuvent faire la différence entre coronilles et genêts.
Au fur et à mesure de la montée, nous ne nous lassons pas de reconnaître sous un autre angle les bâtiments de la ville dont on comprend l’extension à la couleur des toits.
Passant de tunnels en escaliers jusqu’à la gare d’arrivée du plus ancien téléphérique urbain (1934) nous pouvons partager les paroles de Stendhal « Je n'ai pas la force de décrire la vue admirable et changeant tous les cent pas, que l'on a depuis la Bastille».
La première bastille fut construite par Lesdiguières en 1591, puis l’inévitable Vauban apporta sa pierre aux fortifications qu’Haxo paracheva sous Louis XVIII à l’endroit le plus septentrional du massif de Chartreuse, frontière avec le Royaume de Savoie.
Des cavités creusées dans la roche calcaire dites « grottes de Mandrin » sont en réalité ultérieures à une présence du célèbre contrebandier. Le travail des hommes est impressionnant, sans parler des cimenteries qui s’alimentaient sur ces falaises pour fabriquer du ciment prompt.
La présence de l’armée est encore marquée avec le musée des troupes de montagne et le mémorial du Mont Jalla que l’on atteint après avoir pris le chemin derrière le restaurant du père Gras. Nous nous sommes élevés alors de 400 m.
La descente qui arrive au dessus de l’église Saint Laurent recèle d’autres belles surprises telles des marches monumentales le long d’une alignée spectaculaire de cyprès.