samedi 23 juin 2018

Moby Dick. Herman Melville. Chabouté.

« Et j’en échappais seul, pour venir te dire » Job.
Pour ce monument de la littérature américaine, cette citation de la bible en épilogue convient parfaitement, c’est que le récit de la vengeance d’un capitaine voulant retrouver le cachalot mythique qui lui a pris une jambe, est une quête d’absolu.
« Vois, Moby Dick ne te cherche pas. C'est toi, toi qui la cherches follement. »
Même sans avoir lu le livre dont l’issue est connue, l’adaptation de Chabouté dont les noirs font merveille http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/11/zoe-sorcieres-pleine-lune-la-bete.html dans cette traque de la baleine blanche, nous tient en haleine en deux volumes de 118 et 135 planches.
Puissant, tirant vers le symbolique, il parvient à rendre compte de la rudesse de la vie de marins, des dilemmes parmi les hommes quand la folie est à la barre, de la sauvagerie de la nature. 
Giono avait traduit l' oeuvre originale et disait de la langue :
« La phrase de Melville est à la fois un torrent, une montagne, une mer…. elle emporte, elle noie…toujours elle propose une beauté qui échappe à l’analyse mais frappe avec violence.
Nous nous sommes obstinés à essayer d’en reproduire les profondeurs, les gouffres, les abîmes, les sommets, les éboulis, les forêts, les vallons noirs, les précipices et la lourde confection du mortier du tout. »
La BD m’a semblé à la hauteur d’un texte d’où cet extrait peut donner une idée :
« Mais la Foi, comme un chacal, se nourrit parmi les tombes et c'est même de nos doutes au sujet de la mort qu'elle tire ses meilleures raisons d'être. »

vendredi 22 juin 2018

« Je ne suis pas philosophe ».

Cette phrase entendue à la radio, d’une jeune fille s’apprêtant à passer le bac philo, peut se discuter.
Affirmer cette particularité ne devrait pas l’empêcher de « réfléchir », formulation préférable à l’expression éculée : « prise de tête » d’un des ses camarades dans la même séquence radiophonique, donnant une connotation décidément négative à de telles épreuves.
Celles-ci sont présentées comme forcément stressantes, bien que le simulacre du bac ne trompe plus grand monde. Lors de ce périlleux reportage, le moindre preneur de son est mentionné alors qu’avec tous ces collaborateurs crédités, tout crédit est enseveli sous les patronymes : remise des césars à chaque flash info, bien que sur les réseaux qui font soucis, l’anonymat est la règle. Outre l’effet selfie, entre techniciens, comiques, polémistes, il n’y a plus guère de place pour les journalistes. Tout est indifférencié,  confus, quand il est reproché au président de tutoyer un jeune qui l’avait interpellé familièrement, c’est fort de café : le malotru s’est fait recadrer, justement. Un rappel à la politesse, n’est ce pas J.J. Bourdin ?
Les  contempteurs des moralisateurs sont bien souvent les premiers en « moraline ».
 « Je suis comme ci ou comme ça » s’affirme dès que bébé est là. Et s’il est de bon ton d’hésiter en ce moment sur le genre fille ou garçon, « je suis matheux ou non » vient très tôt.
Ce genre d’affirmation ne tient pas compte des apports possibles de l’éducation, entérinant, flattant, les fatalités parentales. Et pourtant, il n’y a jamais eu tant de proclamations de liberté alors que les lois de l’hérédité pèsent de plus en plus.
J’adore le repérage des paradoxes à l’heure où les pensées conformes se reproduisent comme pyrales du buis, les micros allant prioritairement vers les opposants patentés sans que par exemple l’inflation des moyens consacrés aux banlieues ne soit interrogée. La place est libre pour les fake news, les querelles subalternes, les émotions pouffantes et étouffantes en lieu et place de pensées dialectiques, contradictoires.
Je ne sais si la tentative hebdomadaire d’émettre une opinion à prétention personnelle entre dans la catégorie des donneurs de leçons, mais pourquoi je ne gonflerais pas ma petite bulle dans un ciel saturé de gros mots.
 « Je tremble pour notre siècle quand je considère que les temps anciens où il y a eu plus de philosophes, sont précisément ceux où il y a eu moins de philosophie ! » Stanislas Leszczynski
A l’heure où ceux que l’on nommait entraîneurs s’agitent sur la touche faisant mine de diriger ce qui leur échappe parfois, et que les coachs divers sonnent à toutes les portes, il doit y avoir quelques opportunités pour mettre son grain de sel, des remplacements à effectuer.
Par exemple leçon numéro un : pour tirer des enseignements de ses échecs, il faut les reconnaître. Ainsi les agitateurs de bocal en voulant faire converger zadistes et pilotes d’Air France ont pratiqué des soustractions plutôt que des additions et leurs appels pour une mobilisation inouïe chaque semaine prochaine se sont perdus dans les sables.
Leurs partisans vont dire que c’est la faute des médias, avec une vue aussi courte que la mienne, regardant à tous coups le doigt du sage plutôt que la lune qu’il désigne.
Assaillis d’images nous avons tendance à ne plus regarder ce qui nous aveugle, ainsi cette élève qui portait un tee-shirt où était inscrit « Je vous emmerde » (humour),  n’avait ému personne comme un « Va fanculo » prometteur d’il y a quelques années.
Au hasard de mes publications, je viens de causer d’un livre consacré à la peinture intitulé « il n’y a rien à voir » http://blog-de-guy.blogspot.com/2018/06/on-ny-voit-rien-daniel-arasse.html . Circulez.
« Faute de pouvoir voir clair, nous voulons, à tout le moins, voir clairement les obscurités. » Freud

jeudi 21 juin 2018

On n’y voit rien. Daniel Arasse

L’émérite historien de l’art dans ce livre qui décortique six tableaux figurant au centre de l’ouvrage ose écrire :
« Les Ménines ! Encore ? Non ! Non ! Par pitié ! Ça suffit, avec les Ménines ! On a tout dit sur elles ! tout et rien ? D'accord, mais quand même, maintenant, ça commence à bien faire ! »
Cette bouffée au cœur de 216 pages, juste avant de dialoguer à distance avec Michel Foucault, relève d’une ironie annoncée par le titre qui invite au contraire à des interprétations des plus savantes quoique mâtinées d’humour.
« Velázquez, lui, grand peintre courtisan, « prend » le roi comme phénomène (sous l’espèce de sa « famille ») et comme « chose en soi », insaisissable dans le visible. »
Outre « Les Ménines » de Velázquez, il est question de « Mars et Vénus surpris par Vulcain » du Tintoret, « L'annonciation » de Cossa et du regard d’un escargot, « L'adoration des mages » de Bruegel, « La Vénus d'Urbin » de Titien, de la toison de Madeleine.
« Il faut dire qu’en matière de cordons, Brigitte en connaissait un bout vu qu’elle était suédoise, qu’elle s’était mariée et qu’elle avait eu sept enfants avant de se retrouver en sainte. »
Chaque chapitre est abordé avec une façon originale d’aller au fond des choses : dialogue avec une autre ou avec lui même, adresse au lecteur, lettre.
« Il avait tellement regardé, tellement appris à reconnaître, classer, situer, qu’il faisait tout très vite, sans plaisir, comme une vérification narcissique de son savoir. Chaque peintre à sa place et une place pour chaque peintre. Un savoir de gardien de cimetière. »
La peinture, son histoire, nous invitent à mieux voir sous les vernis : la vie et ses secrets.
« Vincent Carducho affirme glorieusement la toute-puissance de l’acte du peintre, du peindre. Il te parait assez proche de Léonard, pour lequel, si la peinture est cosa mentale, l’exécution était plus « noble » encore que la seule conception mentale parce qu’elle met en acte l’image à venir. »
Je ne connais pas le Vincente en question et n’ai pas de familiarité particulière avec Léonard et il y a autant à prendre et à laisser dans ces interprétations parfois tirées par les cheveux, mais des explications inédites, des indications originales nous enrichissent au-delà des parquets craquants sous quelques très hauts plafonds.

mercredi 20 juin 2018

L’école buissonnière. Nicolas Vanier.

J’ai été étonné qu’aucun critique, à ma connaissance, ne mentionne le film de 1949 portant le même titre qui retraçait l’histoire de  Célestin Freinet avec Bernard Blier dans le rôle du pédagogue. A ce moment là, il s’agissait d’une école de la liberté, de la responsabilité, pour tous ; cette fois c’est véritablement l’école des bois, des saumons et des cerfs, avec garde-chasse et braconnier, servante et châtelain, pour un petit orphelin.
Les  critiques « télérameurs », « obsolètes » et autres « rockuptibles » ont oublié les découvertes de l’enfance et à défaut d’observer pour de vrai, le brame du cerf, autant que nos petits rois le saisissent sur grand écran, comme assis au bord des étangs solognots, sans déranger le biotope.
Cette histoire simple d’amitié a pu me convenir pour une initiation d’une petite fille au cinéma avec des acteurs en permettant d’aller au-delà de films d’animation parfois plus impressionnants que ces belles images.
Il peut être intéressant de savoir que sous de  rudes abords, des personnages se révèlent gentils et généreux. Les scènes du temps passé, de la vie dans les bois, sont plaisantes, avec des adultes pas toujours infaillibles, mais capables de « beaux sentiments », avant que ceux-ci ne deviennent sur les claviers blasés des « bons sentiments » à bannir.

mardi 19 juin 2018

Histoires. Edgar Poe, Battaglia.

C’est en 2005 que les éditions Mosquito, institution locale, ont proposé cette série de courts récits fantastiques, mais ne m’ont pas converti à un genre auquel je suis rétif.
Les planches très graphiques sont élégantes, équilibrants les masses noires et les réserves blanches dans des ensembles harmonieux presque trop sages alors que le but est d’effrayer le lecteur.
L’inventivité d'un  voyageur en ballon est bien décrite  dans une « Aventure sans pareille », et l’ambiguïté du « système du Docteur Goudron et du Professeur Plume » bien rendue.
Les revenants reviennent dans les châteaux hantés, le diable traîne dans les parages, les destins sont cruels, mais j’ai trouvé conventionnelles ces ambiances et quelque peu froids et démodés les trop beaux dessins plus proches des gravures du XIX° siècle que des foisonnantes productions audio visuelles actuelles, tonitruantes et flippantes.

lundi 18 juin 2018

L’homme qui tua Don Quichotte. Terry Gilliam.

Le montypythonesque réalisateur a enfin abouti dans son projet de cervantesque film : raconter 400 ans après l’apparition du « chevalier à la triste figure », la lutte de l’idéal et du réel à la sortie des temps médiévaux, alors que nous entrons dans un âge bien moyen.
L’imagination permet toutes les folies, avec film dans le film, comme il y eut livre dans le livre.
Les avis critiques étaient très partagés mais plutôt que de rejeter ou de louer cette  œuvre dans son entier, mes sentiments se sont distribués avec leurs contradictions tout au long des 132 minutes, retrouvant un humour perdu de vue depuis un moment, malgré quelques séquences poussives.
Les moulins aux ailes abîmées persistent sur un autre versant occupé désormais par les éoliennes.
Les images baroques de l’auteur de Brazil sont toujours là avec digressions fantaisistes, trucages bricolés, bien que quelques baisses de régime surprennent.
Comme une part de l’histoire du cinéma est révisée entre productions maladroites et ridicules de la jeunesse jusqu’à la désinvolture et au cynisme présent, on ne sait si c’est du lard ou du cinéma.
On ne peut reprocher à l’un des maîtres de la comédie de faire naître de la tristesse parce que les rires paraissent vraiment indécents au moment où les autodafés prennent des allures de feux d’artifices.
Fallait-il rêver d’un monde meilleur ? Sancho avait-il raison ? Les rêveurs se sont-ils endormis ?

dimanche 17 juin 2018

Let me try. Isabelle Lafon.

J’avais déjà vu cette pièce, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/03/les-insoumises-isabelle-lafon.html c’est ce que mon ordi me dit, et je ne m’en rappelais plus.
Je vais éviter d’attaquer la chronique de la perte de ma mémoire en racontant aussi comment j’ai acheté des livres déjà lus, bien que le propos de cette mise en scène du journal de Virginia Woolf encourage à «  toucher l’intime sans jamais s’avachir sur ses intimités. »
Je retiens la jubilation du jeu des comédiennes à la hauteur de l’intensité de la recherche des mots justes de celle dont l’humour a tempéré les désespoirs.
Son suicide, tellement marquant, est très pudiquement évoqué, alors que tout crie dans cette vie où un arbre coupé la surprend, comme si c’était la mort elle-même qui la sidérait.  
Tout s’enchevêtre: ce qui l’entoure et l’enserre, les paysages et les proches, et ce qui l’emplit.
La mondaine, l’amoureuse, s’émerveille d’une coiffure, d’une robe et puis se montre indifférente, puis prospectant, submergée par la poésie, elle quête une vérité tout à la fois indicible et passionnante à traquer.
Elle avait écrit : « un jour de pluie, peut-être, je lirai Proust comme on va au musée. »
C’est ce que je me dis aussi.
« Il scrute le papillonnement des nuances jusque dans leurs plus infimes composants. Il est aussi solide qu'une corde de violon et aussi subtil que la poussière des ailes du papillon. »
Woolf parle de l’auteur d’ « A la recherche du temps perdu », j’aimerais parler d’elle aussi bien ; il faudrait encore que je la lise.
Cette pièce est incitative, mais je vais essayer d’échapper à une troisième écoute… encore que cette heure ait passé agréablement, touillant quelques unes de mes préoccupations d’écrivaillon.