« Divulgacher » constitue une faute de goût, mais en
sachant la fin tragique de Mamah l’amoureuse du célèbre architecte Frank Lloyd
Wright, ces 567 pages m’ont encore plus ému. On connait la fin du Titanic et on peut apprécier le film,
on sait la conclusion de nos vies et on l’aime - notre vie.
« Je me souviens,
juste après la mort de Jessie, lui raconta Mamah. J'étais à un pique-nique
organisé par l'église et il y avait une course en sac. Je regardais tous ces
gens qui sautillaient frénétiquement à cloche-pied. Ils riaient mais ils
mettaient toute leur énergie à gagner cette épreuve. Je me rappelle avoir pensé
: Ne savent-ils donc pas qu'ils vont mourir ? »
Les combats de cette femme quittant mari et enfants pour un
génie qui le sait trop bien, leurs moments de bonheur prennent une plus grande
force. La presse, attachée aux célébrités, tout en se repaissant de
cet amour dévorant, condamne les amants.
La recherche de l’indépendance même en milieu privilégié est
semée d’embuches et les dilemmes abondent qui fournissent une passionnante
matière littéraire non linéaire, non binaire.
« Elle s’était
toujours considérée comme quelqu’un de profondément moral. Pas une prude, loin
de là, mais une femme bien. Honorable. Elle ne se permettait pas de souligner
les passages d’un livre de bibliothèque, ne laissait pas le boucher se tromper
en lui rendant sa monnaie. Comment avait-elle réussi à se convaincre que
commettre l’adultère avec le mari d’une amie n’avait rien de répréhensible
? »
Protagoniste de l’indispensable engagement féministe en
début de XX° siècle, Mamah prend
essentiellement la lumière, apparaissant comme le personnage principal qui
aurait pu fournir un titre plus fidèle au contenu de ce roman documenté à
partir d’une histoire terriblement vraie.
Je choisis ci-dessous, un extrait anodin d’apparence pour évoquer
la fluidité d’un style décrivant une expérience banale, prenant des allures de
moment de grâce avec un œil toujours ouvert sur les maladresses, les conditions
contingentes.
« Elle se
dirigea vers le champ où la pellicule de glace se brisa sous ses pas et
s’enfonça dans la neige jusqu’aux genoux. Elle poursuivit sa route tête
baissée, les jumelles autour du cou,. Quand elle releva les yeux pour
s’orienter, le soleil inonda son visage. Le temps que ses pupilles se contractaient
dans la lumière aveuglante, elle ne vit que des ondes blanches. En regardant
derrière elle, elle ne distingua aucune forme précise. Rien de distinct, nulle
part. Elle ne voyait même pas ses pieds. Quelle imbécile tu fais !
pensa-telle en éclatant de rire. Dans la neige jusqu’aux genoux et complètement
éblouie.
Elle ferma les yeux et
attendit. »