mardi 17 décembre 2024

Bouts de ficelles. Olivier Pont.

« Exquis » comme le dit « cadavre ».
Exercice de style réussi avec brio à partir de la comptine « trois p’tits chats, chats, chats, chapeau de paille… » entrainant dans un rythme d’enfer, un anti héros sur les toits de Paris, le temps d’une nuit.
« Moi je veux juste rentrer chez moi et être tranquille ! 
Me glisser sous la couette et regarder la télé en mangeant des chips ! » 
Drôle, romantique, virevoltant, original, loufoque, ce thriller (même pas peur) qui est aussi une quête involontaire, ne se prend pas au sérieux et nous régale pendant plus de 120 pages expressives sans tomber dans la caricature grotesque.
« - C’était tes premières menottes ? 
 - Ben oui…
 - Dans mes bras mon grand ! Te voilà un homme !! »

lundi 16 décembre 2024

Noël à Miller’s Point. Tyler Taormina.

Francesca Scorsese (fille de Martin) et Sawyer Spielberg (fils de Steven) brillent au casting comme boules dans le sapin pour la mise en scène d’un moment de l’année où s’exacerbent les nostalgies. 
Une famille italo-américaine très nombreuse est réunie pour la dernière fois dans la maison de la grand-mère dont l’autonomie est objet de débat. La profusion des personnages à comprendre dans leur ensemble n’en fait pas un film choral selon la formule consacrée. Chaque génération joue son rôle sous les bonnets adéquats, avec la musique de circonstance et une décoration tellement abondante et kitch qu’elle devient un élément poétique marquant. 
Les tables croulent sous les victuailles, les verres se vident, des notations cocasses alternent avec des sujets plus graves, donnant par ces ruptures de ton , le temps de se sentir concernés par cette fête des couleurs. 

samedi 14 décembre 2024

Loving Frank. Nancy Horan.

« Divulgacher » constitue une faute de goût, mais en sachant la fin tragique de Mamah l’amoureuse du célèbre architecte Frank Lloyd Wright, ces 567 pages m’ont encore plus ému.
On connait la fin du Titanic et on peut apprécier le film, on sait la conclusion de nos vies et on l’aime - notre vie. 
« Je me souviens, juste après la mort de Jessie, lui raconta Mamah. J'étais à un pique-nique organisé par l'église et il y avait une course en sac. Je regardais tous ces gens qui sautillaient frénétiquement à cloche-pied. Ils riaient mais ils mettaient toute leur énergie à gagner cette épreuve. Je me rappelle avoir pensé : Ne savent-ils donc pas qu'ils vont mourir ? »
Les combats de cette femme quittant mari et enfants pour un génie qui le sait trop bien, leurs moments de bonheur prennent une plus grande force. La presse, attachée aux célébrités, tout en se repaissant de cet amour dévorant, condamne les amants.
La recherche de l’indépendance même en milieu privilégié est semée d’embuches et les dilemmes abondent qui fournissent une passionnante matière littéraire non linéaire, non binaire. 
« Elle s’était toujours considérée comme quelqu’un de profondément moral. Pas une prude, loin de là, mais une femme bien. Honorable. Elle ne se permettait pas de souligner les passages d’un livre de bibliothèque, ne laissait pas le boucher se tromper en lui rendant sa monnaie. Comment avait-elle réussi à se convaincre que commettre l’adultère avec le mari d’une amie n’avait rien de répréhensible ? » 
Protagoniste de l’indispensable engagement féministe en début de XX° siècle, Mamah  prend essentiellement la lumière, apparaissant comme le personnage principal qui aurait pu fournir un titre plus fidèle au contenu de ce roman documenté à partir d’une histoire terriblement vraie.
Je choisis ci-dessous, un extrait anodin d’apparence pour évoquer la fluidité d’un style décrivant une expérience banale, prenant des allures de moment de grâce avec un œil toujours ouvert sur les maladresses, les conditions contingentes.
«  Elle se dirigea vers le champ où la pellicule de glace se brisa sous ses pas et s’enfonça dans la neige jusqu’aux genoux. Elle poursuivit sa route tête baissée, les jumelles autour du cou,. Quand elle releva les yeux pour s’orienter, le soleil inonda son visage. Le temps que ses pupilles se contractaient dans la lumière aveuglante, elle ne vit que des ondes blanches. En regardant derrière elle, elle ne distingua aucune forme précise. Rien de distinct, nulle part. Elle ne voyait même pas ses pieds. Quelle imbécile tu fais ! pensa-telle en éclatant de rire. Dans la neige jusqu’aux genoux et complètement éblouie.
Elle ferma les yeux et attendit. »

vendredi 13 décembre 2024

La vie secrète des arbres. Fred Bernard Benjamin Flao Peter Wohlleben.

Version dessinée du livre à succès du défenseur des arbres mondialement connu
Les illustrations dynamiques mettent au premier plan le forestier depuis son enfance, jusqu’à la fondation de son académie et la reconnaissance de sa gestion respectueuse des forêts.
Nous partageons ses découvertes étonnantes, ses découragements.
Sa grande patience acquise au fil des saisons l’amène à éviter le catastrophisme bien que coupes à blanc et artificialisation des sols compromettent l’avenir. Sa démarche pragmatique et exigeante, à l’encontre des impatiences contemporaines, arrive à être partagée au-delà des sept millions de lecteurs de la version sans image.
Le temps long est le maître dans ce domaine merveilleux et fragile où les elfes de l’enfance n’ont pas disparu, bien que des dégâts soient irréversibles.
Nous révisons que les arbres communiquent entre eux par racines et champignons associés, ils mémorisent, interagissent avec les animaux proches qui s’y abritent ou s’en nourrissent pour se reproduire ou s’en défendre, se montrent résilients face aux vents et aux orages... ils se déplacent.
Mes réserves lors de la parution de la première version écrite ne tiennent plus quand les prises de positions du pédagogue vont évidemment vers une meilleure qualité de vie pour les humains. 
« Certaines personnalités ont commencé à s’inquiéter de notre impact destructeur dès la fin du XVIII° siècle et les premières actions de protection sont apparues aux Etats-Unis au XIX° siècle. Cela fait moins d’un demi-siècle que l’on sent concrètement les limites et les effets de nos abus, et à peine quarante ans qu’ils sont devenus un vrai sujet de société. Nous commençons vraiment à chercher des solutions. Il est bien tard, mais c’est tout de même une bonne nouvelle. »
Un cèdre devant chez nous, cassé le 1° septembre 2024.

jeudi 12 décembre 2024

La chapelle Matisse. Marc Chauveau.

Avec les amis du musée de Grenoble, nous revenons dans la chapelle de Vence à la suite de frère Marc Chauveau, historien de l'art. https://blog-de-guy.blogspot.com/2024/04/le-vitrail-moderne-frere-marc-chauveau.html
Le « résultat d’une vie consacrée à la recherche de la vérité » comme le disait Matisse,
 ce questionneur de beauté,
auteur du grenoblois « Intérieur aux aubergines », est aussi une histoire d’amitié.
En 1941, Henri Matisse, « le miraculé », avait besoin alors de soins constants, il employa . Monique Bourgeois, comme infirmière. 
Devenue un de ses modèles, « Tabac royal », elle entre peu après dans l’ordre des dominicaines et prend le nom de sœur Jacques-Marie.
La villa de Matisse «  Le rêve » est située à deux pas de la maison qui abrite la congrégation.
Ne disposant avec les autres religieuses que d’un garage comme lieu de culte, elle montre un projet de vitrail pour lequel le maître l’encourage, elle lui permet de rencontrer un jeune dominicain Rayssiguier qui convainc rapidement l’artiste :  
« Votre chapelle nous allons la faire »
Il reste à vaincre la réticence des sœurs et à trouver un architecte véritable : Auguste Perret  a l’élégance d’accepter d’assurer la direction technique derrière le religieux pris un moment par le doute sur ses capacités à mener jusqu’au bout le chantier.
Imbriquée dans d’autres bâtiments, la chapelle s’adapte à sa position en contrebas de la route. Le transept est décalé dans une salle ressemblant à un grand livre ouvert où la lumière des vitraux apporte de la couleur aux dessins noirs sur carreaux blancs.
A l'image de son livre « Jazz » des gouaches découpées voisinent avec l’écriture.
Il  avait prévu  un vitrail « Fleuve de vie » , mais trop agité à son goût pour un lieu de prières, c’est sous le nom « Les abeilles » qu’il le réalise pour une école maternelle au Cateau-Cambrésis, sa ville natale.
Les vitraux aux verts et bleus transparents, au jaune opaque se souviennent de Tahiti avec des motifs végétaux évoquant le figuier de Barbarie, recours du voyageur dans les lieux les plus arides, sous un rideau protecteur.

Pour arriver à l’épure la plus sobre,  il travailla à très nombreux dessins pour laisser le temps à la rêverie, à l’identification.
Son « Saint Dominique » de Vence reçoit les couleurs,
celui d’Assy en apporte. 
Dans un geste d’accueil, préfigurant en même temps la crucifixion, « La vierge à l’enfant »,
inspirée de celle de Fouquet, se présente toute en élégance et douceur, avec pour modèle une jeune fille en train de devenir femme qu’il s’est empressé de dessiner, 
De nombreuses esquisses témoignent de ses recherches échappant aux modes.
Avec humilité, il met ses pas dans ceux des anciens dans son « Chemin de croix » où les scènes s’entremêlent, violentes. A la sixième station,  la « Sainte Face »
sur le voile de Véronique représente le seul visage de la chapelle.
Il s’agit d’une œuvre d'art total, par l’architecture, les vitraux, les grands dessins sur céramique, les objets liturgiques,
l'autel réalisé avec la même pierre que le pont du Gard regardant les deux petites nefs.
Bénitiers, tabernacle, confessionnal, chasubles se coordonnent.
Sur le linteau une autre « Vierge et l’enfant » figure aussi en tondo.
Impliqué pendant quatre ans, il  répondit à Picasso qui n’était pas d’accord avec son engagement dans un projet spirituel:  
« Au fond, il ne faut pas que nous fassions les malins. Vous êtes comme moi : ce que nous cherchons tous à retrouver en art, c'est le climat de notre première communion »
La Chapelle du Rosaire fut inaugurée en 1951. Trois ans avant la mort de l’artiste.

Le père Marc Chauveau avait revêtu la chasuble noire pour célébrer l’enterrement de sœur Jacques Marie en 2005.
« Cette petite chapelle est un grand témoignage - celui du vrai. 
Grâce à vous une fois de plus, la vie est belle. Merci. »
 Le Corbusier.

mercredi 11 décembre 2024

Comment sont vos nuits ? Orchestre national de Lyon.

Voilà une bonne idée surtout si 
Mendelssohn, 
De Falla, 
Moussorgski 
et Schönberg 
sont au programme d’un orchestre plantureux dirigé par l’énergique Johanna Malangré.
Au pays des rêves et des étoiles, pas besoin de vidéo pour que les auditeurs puissent répondre à la question initiale, chacun pour soi, sans injonction.
On peut se laisser bercer par l’ouverture du « Songe d’une nuit d’été » du romantique allemand moins sombre 
que « Nuits dans les jardins d’Espagne » aux accents de là bas.
Même pas peur, mais du plaisir pour « Une nuit sur le Mont-Chauve » du maître russe du fantastique.
« La nuit transfigurée » en deuxième partie de soirée ne laisse pas deviner les atonalités futures du « dégénéré » réfugié à Los Angeles.
Novice en musique jusqu’à la fin de mon temps, j’aurais bien aimé apprécier sa musique sans image et sans un texte qui pourtant a servi son inspiration, mais a pu me paraitre dépourvu de poésie : un homme accepte que la femme qu’il aime porte l’enfant d’un autre.
Cela avait fait scandale à l’époque : tout n’était pas mieux avant.   

mardi 10 décembre 2024

Nora. Lea Mazé.

 Une petite fille est confiée à son oncle qui vit seul dans sa ferme.
- Tonton, pourquoi la guerre, ça existe?
- Je... Heu... Je ne sais pas... Moi aussi, je me pose la question, tu sais...
- Mais elle est finie, hein?
- Ici, oui. Mais tu sais, la guerre elle est tout le temps dans d'autres endroits du monde.
- Il ne faut pas l'oublier. Il faut être heureux qu'ici il y ait la paix, parce qu'il y a des petits enfants de ton âge qui aimeraient que ce soit pareil chez eux
.
La petite boudeuse va être amenée à interroger le taiseux qui ne manque pas de bon sens. 
« Tu sais mourir à la guerre c'est très triste, mais le plus dur c'est d'être vivant à la guerre. Le plus difficile c'est de rester et de voir tout ça... de... de voir tout s'effondrer autour de soi sans pouvoir faire quoi que ce soit. » 
A partir de la naissance de petits chats, l’amour et la mort interrogent, et quand les réponses sont trop évasives, l’imagination de la fillette prend toute la place et l’amène à grandir.
Les couleurs sépia des dessins me plaisent davantage que le nez démesuré du Lucien. 
Mais rien qu’en 70 pages, au cours d’un récit assez original, les rapports entre les personnages évoluent, ce qui constitue pour moi une qualité primordiale.