lundi 22 avril 2024

Amal - Un esprit libre. Jawal Rhalib.

Le cinéma s’invite beaucoup en ce moment dans les lieux d’éducation : en France où « Pas de vague » a été tourné, en Allemagne avec «  La salle des profs ». 
Ce film belge va au-delà des murs.
Mila harcelée, déscolarisée, Samuel Paty - et comment s’appelait-il ce prof ? - Dominique Bernard, assassinés, reviennent dans nos mémoires lorsque pendant 2 h de fiction aux allures de documentaire, s’affrontent liberté et obscurantisme, évitant cependant tout manichéisme.
Les coups de poignard sont malheureusement vraisemblables de même que la « Taqiya » d’un néo converti en costume cravate aux doucereuses paroles, camouflant sa délétère influence, tel un Tarik Ramadan.
Ce film, riche de sujets civilisationnels brûlants, traite de l’intolérance des intégristes musulmans dont sont victimes en premier lieu les modérés, de l’homophobie, du rôle des réseaux sociaux, et de la digue fragile que constitue la laïcité.
Une prof, jouée par l’énergique Lubna Azabal
ne s’en laisse pas compter par des parents aux pouvoirs disproportionnés, elle propose à ses élèves un poème du VIII°siècle d’Abû Nuwâs qui met le feu aux poudres : 
« Cinq fois par jour je fais pieusement mes prières.
 Docile, je confesse l’Unité de Dieu. 
Je fais mes ablutions lorsqu’il me faut les faire. 
Je ne repousse pas l’humble nécessiteux. 
Une fois l’an, j’observe tout un mois de jeûne. 
Je me tiens à distance de tous les faux dieux.
 Il est vrai, cependant, que point ne suis bégueule 
 et que j’accepte un verre quand il est en jeu. » 
Investie totalement dans sa tâche émancipatrice, Amal apparait malheureusement comme une héroïne assez esseulée, et lorsqu’elle dit : « dans ma classe Hallah n’a rien à faire » elle sait bien que dans le cours voisin de religion jusque là obligatoire en Belgique, le salafisme s’impose dans bien des têtes, protégé par de vagues « pas de vague » qui éclaboussent au-delà de l’administration, chaque acteur éducatif.

samedi 20 avril 2024

La papeterie Tsubaki. Ogawa Ito.

A énoncer « Livre simple et gentil » on peut entendre « simplet », car habitués aux règlements de comptes à plein volumes, difficile d’échapper à la violence que nous avions éloignée pendant 400 pages. 
Mais pour prolonger la lumière de cet ouvrage, et rester dans son état d’esprit, je vais m’abstenir de le définir en opposition à d’autres productions. Sa poésie, sa délicatesse plaident suffisamment pour la japonaise dont nous pouvions pressentir l’élégance dans quelques films de chez-elle plus familiers. 
Chaque fois que nous reprenons le livre, nous retrouvons avec plaisir la chronique, à travers les saisons, des débuts d’une jeune fille revenue dans la papeterie que sa grand-mère lui a transmise, où elle va exercer comme elle la belle fonction d’écrivain public.
Se joue ainsi l’éternelle dualité modernité/ tradition constitutive de l’empire du soleil levant. 
« Mange amer au printemps, vinaigre l'été, piquant l'automne et gras l'hiver. »
L’attention apportée à l’expéditeur et au destinataire des lettres d’amour, de rupture, toujours singulières, passe par le choix de l’encre, de la plume, du papier, de l’alphabet, des mots.Tout fait sens : une calligraphie, une pivoine, un silence, et tant d’attentions spontanées.   
« Si l'enveloppe est un visage, le timbre est le rouge à lèvres qui donne le ton.En se trompant de rouge à lèvres, on fiche en l'air le reste du maquillage. » 
Ce raffinement naturel, attentif, jamais ostentatoire, s’applique dans le respect des traditions, avec chaque boisson, chaque plat, chaque dialogue si évident quand la vie est paisible ;la trace d’une calligraphie. 
« Plutôt que de rechercher ce qu'on a perdu, mieux vaut prendre soin de ce qui nous reste. »

vendredi 19 avril 2024

Schnock n° 41.

En picorant au hasard dans la collection des revues des vieux de 27 à 87 ans 
puisque le temps ne fait rien à l’affaire, voilà le numéro consacré à celle qui « faisait peur aux garçons » : Claudia Cardinale. Honnêtement pas que peur.
N’est ce pas Paul VI qui la reçut ? 
«  Moi je suis pape mais vous vous êtes cardinal, vous pouvez faire ce que vous voulez » 
Effectivement, à travers un entretien avec elle, Jacques Perrin son partenaire de « La fille à la valise », Jean Sorel celui de «  Sandra » de Visconti, ou sa fille Claudia, la brune C.C.  face à B.B. dans « Les pétroleuses » a gagné sa liberté au cours d’une riche carrière.
Après une sélection de 12 films dont « Cartouche », « Fitzcarraldo », ses rôles se sont étoffés  dans «  Il était une fois dans l’Ouest » ou « Les professionnels ». Et dans le bric à brac sensément alphabétique allant de C comme « Cascadeuse » à C comme « Chirurgie esthétique », il n’y a pas que Moravia qui s’exprime : un admirateur  pour celle qui fut la femme d’un seul homme, Pasquale Squitieri, un réalisateur très coureur : 
« Je suis un jeune paysan, j’habite la Lozère, dans un petit village joli, je ne suis pas bien riche, mais j’ai quand même un revenu stable. J’ai sept vaches, qui donnent du bon lait et du beurre, trente trois brebis et un bouc. J’ai aussi une agréable petite maison mais… ? Il me manque quelque chose pour être tout à fait heureux. Chère Claudia, si vous le désirez, vous serez la plus heureuse et la plus chérie de toutes les femmes du monde. » 
Après ce dossier fourni, la fin prématurée de la chanteuse, Joëlle Mogensen du groupe musical « Il était une fois » donne une tonalité sombre à l’évocation d’Yves Bigot.
Et même l’article consacré au « Corned beef » fabriqué à Bressuire (Deux Sèvres) malgré son « effet bœuf » a des allures crépusculaires.
Patrick Bouchitey et Jackie Berroyer, toujours intéressants, réhabilitent en 12 pages le film rock « Lune froide » sur la route de l’oubli.
Mais le rappel des pubs d’ Europe N° 1 de 1966 à 1992, de Bellemare à Delarue, ajoute un chapitre de plus au catalogue : « La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ».

jeudi 18 avril 2024

Aspects méconnus de l’art nouveau. Gilles Genty.

« L’Armurerie Coutolleau »
à Angers dessinée par Guimard, dont il ne reste que quelques photographies, illustre le propos du conférencier devant les amis du musée de Grenoble: porter à notre connaissance certaines créations méconnues, disparues.
Ne subsistent que quelques dessins du « Castel « Eclipse »  à Versailles
pour Mirand Devos qui devait sa fortune à la bière.
« Le billard » de Serrurier Bovy occupant jadis le château de la Chapelle en Serval
a été reconstitué hors contexte.
Parfois le décor initial a pu être redécouvert, ainsi la salle de restaurant de  « La Fermette Marbeuf » créée par l'architecte Émile Hurtré en 1900 au moment de l’exposition universelle fut restaurée en 1978.
Les œuvres de Théodore Deck, qui a donné son nom à des nuances de bleu, 
sont exposées à  Guebwiller, « Décor provenant de la véranda de la villa « Les Glycines ».
Le projet de vitrail au musée d’Orsay, « La capture de Jeanne d’Arc » 
d’Eugène Grasset pour la cathédrale d’Orléans ne verra pas le jour.
Son « Printemps » figure au musée des arts décoratifs
et « Le Travail, par l'Industrie et le Commerce, enrichit l'Humanité » 
se trouve dans l'ancien siège de la  Chambre de commerce et d’industrie de Paris.
L’art nouveau doit sa diffusion aux revues qui donnaient carte blanche aux artistes, 
Maurice Pillard Verneuil illustre « Art et Décoration ».
Georges Le Feur
dessine dans  « Le Figaro illustré ».
Des concours offrent des opportunités aux amateurs:
Socart : « Lithographie pour vitrail ».
Les  frères Calavas éditent « Flore Naturelle » d’ Henry Lambert.
Les femmes sont reconnues dans les arts décoratifs : Juliette Milési « Géranium »,
Mary Golay
« Poésie matinale »,
au musée du Pays rabastinois à Rabastens, Jeanne Atché est à l’honneur: «  Job ».
Jeanne Jozon, céramiste et sculptrice, 
célèbre le célibat dans «  Pourquoi ne se marie-t-on plus en France ? »
La frontière entre petits maîtres et amateur doués est  ténue  
« Pendant de cou » de Madame Jonnart.
Des matériaux inédits investissent des domaines inhabituels dans les reliures de Charles Meunier, « Les fleurs du mal ».
L’art s’allie à l’industrie : Emile Muller crée à Ivry la plus grande fabrique de céramiques 
pour orner par exemple « La Chocolaterie Menier ».
Des manteaux de cheminée produits en série réduisent les coûts. 
« Les Flammes ».
A Briare, le Musée des Émaux et « La Mosaïque » présente une œuvre de l’exposition de 1905 à Liège.
Eugène Grasset
auteur du « Logotype de Larousse »,
avait illustré l’ouvrage considéré comme le « plus original du siècle »,  
« l’Histoire des Quatre Fils Aymon, très nobles et très vaillants chevaliers »  
destinée aux bibliophiles.
Parmi tant d’affiches : 
l’ « Exposition internationale d’Electricité Marseille » 
de David Dellepiane, souligne le progrès apporté par la lumière.
« Last but not least » (dernier mais non le moindre) quelques surprises:
- à Nevers une « Faïencerie » 
a résisté au temps, cachée derrière des caissons,
- «  Le grand café »  à Dreux fut une imprimerie
- et la « villa Laurens » à Agde où d’importants  travaux de réhabilitation ont duré 16 ans.  
« Le monde de l’art n’est pas celui de l’immortalité, c’est celui de la métamorphose » 
A. Malraux.

mercredi 17 avril 2024

Antichambre. Romain Bermond Jean Baptiste Maillet.

Un musicien et un plasticien entourent un écran où apparaissent leurs manipulations.
Cette heure de spectacle offre aux enfants le temps de regarder un trait de pierre noire agrandi, les traces d’une brosse, la naissance de plantes tropicales, et des couchers de soleil, sous des musiques en vrai. 
Un film rassemble les séquences vues dans la première partie sans gagner en cohérence : l’histoire d’amour qui permet de passer des territoires polaires à l’Amazonie, m’a semblé décousue de fil blanc. Les vues sur la ville sont cependant mignonnes alors que les animations restent rudimentaires. 
Ce côté rétro tranche, sans présenter d’alternative probante, avec la sophistication des productions des studios américains, mais ces bidouillages ont pour eux l’avantage d’être du spectacle vivant. 
Je mettrai donc sur le compte d’une subjectivité tatillonne le fait de ne pas partager avec « Le Monde », « Télérama », le mot « poésie » à propos de ce spectacle d’une heure, car la belle vient  d’après moi quand on ne l’appelle pas trop fort.

mardi 16 avril 2024

Blanc autour. Wilfrid Lupano Stéphane Fert.

En 1832, 30 ans avant l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis, une élève 
afro-descendante est accueillie à l’école de Prudence Granval dans le Connecticut où les Noirs sont déjà « libres ».
Les violences des Blancs autour se déchaînent.
Je craignais un album édifiant sous ses traits décoratifs, eh bien cette douceur des dessins et même leur côté suranné ne font que mieux ressortir l’actualité du propos, l’exemplarité de l’institutrice, l’inhumanité des foules.
Dans les premières pages, un jeune « sauvage »  colporte le récit de la vie de Nad Turner, esclave révolté qui a massacré avec sa bande une soixantaine de personnes. Ainsi nous sommes sensibles au contexte où se complique la délimitation entre les gentils et les méchants.
Mais quand on sait que le slogan : « Black Lives Matter » (les vies noires comptent) est usité encore au XXI° siècle. La barbarie dirigée contre l’école, les femmes et les noirs est insupportable et de tels bavardages à la sortie du temple inadmissibles : 
« Et d’ailleurs, pourquoi des filles ?
En quoi cela va-t-il les aider dans leurs tâches quotidiennes ?
Ça n’a pas de sens ! 
Cela risque de laisser penser à ces négresses qu'elles valent les blanches. »
Les 150 pages ne baignent  pas que dans la haine et la férocité, elles illustrent le rôle émancipateur de l’école, et c’est bon ! Plus que jamais !

lundi 15 avril 2024

Chroniques de Téhéran. Ali Asgari Alireza Khatami.

Dispositif simple pour des constats élémentaires en neuf séquences avec des personnages à tous les stades de la vie face caméra, affrontant l’arbitraire le plus liberticide : nous sommes en Iran sous la coupe des religieux.
Chaque plan fixe déclenche l’indignation devant tant d’absurdité et révèle souvent de beaux caractères, surtout féminins.
Cette fois le tournage, effectué en une semaine, ne se déroule pas dans une voiture bien que la question de l’espace privé se pose à cet égard, mais aux guichets d’administrations, de commissariats, auprès d’employeurs éventuels, voire dans un magasin destiné à recouvrir  jusqu’aux petites filles.  
L’humour permet de ne pas désespérer totalement des petits et grands ne se laissant pas intimider par les serviteurs d’un état  tatillon, intrusif, totalitaire.