jeudi 23 novembre 2023

La jeune fille à la perle. Jean Serroy.

D’après le roman à succès de l’américaine Tracy Chevalier, autour d’un tableau de Vermeer, le britannique Peter Webber en fait lui aussi toute une histoire.
Devant les amis du musée de Grenoble, dans la série « les peintres au cinéma », le conférencier a apporté des compléments qui ont donné du relief à une production de 2003 quelque peu académique. 
Le livre et le film ont fixé le titre du tableau qui s’intitulait parfois : « La jeune fille au turban ».
La fiction a pu se déployer car Vermeer dont le nom lui même est incertain a eu une existence mystérieuse. De 1632 à sa mort en 1675, il n’a pas quitté sa ville de Delft.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2014/12/vermeer-s-legat.html
Le film pictural où chaque plan est un tableau sait dire la matérialité des pigments et aussi la réalité des conditions marchandes.
Il ne s’agit pas d’un biopic, mais de la genèse d’une œuvre.
Le peintre passe au second plan derrière son modèle,
 
la servante Griet, interprétée par Scarlett Johansson, très ressemblante avec l’originale qui  dans la réalité serait plutôt une fille de Vermeer.
Le père de onze enfants dont sept filles devait vendre ses tableaux surtout qu’il n’était pas du genre expéditif : 34 tableaux de lui ont été identifiés. Le percepteur Van Ruijven son commanditaire appartient à la bourgeoisie hollandaise. En Italie ce sont les seigneurs politiques et religieux qui financent leurs artistes.
L’arrivée de la domestique issue d’un milieu protestant dans une famille catholique suscite la jalousie de l’épouse et l’inquiétude de la belle mère.
Une idylle nait avec un jeune homme de sa condition, alors qu’elle est affrontée à l’animalité du mécène et à l’engouement de l’artiste.
Le maître s’est épris de son modèle, sensible elle aussi à l’importance de la lumière, quand elle mesure bien la conséquence du nettoyage d’une vitre.
Chaque geste compte dans une reconstitution précise d’une maison de cette époque et de la ville, seul plan de synthèse numérique, couteux.
Le dévoilement de la chevelure était (déjà) un enjeu de pudeur et de tradition.
Cette lumière serait-elle plus vraie que cette histoire inventée ?
Depuis Barry Lyndon de Stanley Kubrick, les candélabres, les torches éclairent les scènes d’un XVII° siècle où l’on vivait dans le noir. Mais les peintres depuis Le Caravage savent que le noir donne de l’éclat à la clarté.
Dans ce « tronie » (portrait de caractère) aux lèvres humides après une mise en scène précise, ce regard fascinant par-dessus l’épaule reste mystérieux et ouvre les imaginations.
Johannes dit Jan lui a offert deux bijoux de sa légitime et lui a percé l’oreille, un peu de sang  a coulé qui peut être interprété comme une défloration symbolique suivie d’une plus charnelle tout de suite après avec le garçon boucher.

mercredi 22 novembre 2023

Machine de cirque.

« - Dis moi un spectacle vu récemment où tout le monde a ri ? »
Maintenant nous pouvons répondre : avec la compagnie québécoise acclamée ce soir à la MC2, quand les acrobates nus derrière leurs serviettes endiablées partagent leurs pudeurs affolées.
C’est qu’ils se sont montrés virtuoses avec d’autres outils circassiens plus classiques, mais réinventés tels que quilles, cerceaux, vélo, tremplins, barres en tous genres, décollant complètement à la planche coréenne, sorte de balançoire pour s’envoyer en l’air.
Si le début est un peu lent, quelque peu poseur, lorsque les bâches se lèvent sur des échafaudages, la musique vivante entraine les six comparses dans une foisonnante représentation au rythme intense, à la créativité époustouflante. 
La joyeuse troupe sur un plateau où se présentent d'autres projets parait bien plus digne d’éloges par leur travail, la précision demandée, que tant de sombres donneurs de leçons prétentieux. Plaisir et admiration.

mardi 21 novembre 2023

Les dames de Kimoto. Cyril Bonin.

Les traits délicats du dessinateur né en Saône-et-Loire et même une certaine raideur, ses couleurs douces, conviennent parfaitement au récit du destin de quatre générations de femmes au Japon.
Leur lente émancipation ne suit pas une progression linéaire, mais la confrontation de la tradition et de la modernité tout au long du XX° siècle est paisible. 
Le pays du soleil levant exotique à bien des égards peut paraître comme un exemple de retenue.
Les 106 pages de la BD sont inspirées par le roman à succès de Sawako Ariyoshi. 
« Le mont Kudo était encore voilé par les brumes matinales de ce début de printemps. La main serrée dans celle de sa grand-mère, Hana franchissait les dernières marches de pierre menant au temple Jison. L’étreinte de la main autour de la sienne lui rappelait que, maintenant qu’elle allait être admise comme bru dans une nouvelle famille, elle cesserait d’appartenir à celle où elle avait vécu les vingt années de son existence. »

lundi 20 novembre 2023

Flo. Géraldine Danon.

Oui, encore un biopic et alors ? 
Le cuirassé Potemkine étant à la casse, quelques destins individuels peuvent être intéressants voire édifiants pour les amateurs de leçons à donner.
L’existence flamboyante et dramatique de Florence Arthaud, fille d’un libraire grenoblois par ailleurs éditeur de Tabarly, valait bien un film. 
Entre deux accidents sévères de voitures qui lui ont valu un retrait de permis, elle s’est permis avec une énergie extraordinaire de damer le pion à tous les coureurs mâles des mers. L’expression: « sacrée bonne femme ! » aurait des relents un peu popote à l’opposé de l’indomptable. Alors « Quelle femme ! » plus élémentaire, moins familier, rendrait mieux compte d’un engagement féministe déterminé qui n’oublie pas de séduire. 
Sa confiance en elle renverse les montagnes, sa ténacité la sauve.
Le format de plus de deux heures aurait pu être plus ramassé, sans sacrifier de belles scènes de mer, et la musique conventionnelle se montrer plus discrète mais l’actrice Stéphane Caillard est  charmante même si son personnage peut se montrer déplaisant, rançon de sa détermination. 
Je suis plus compréhensif envers un père inquiet que vis-à-vis de l’héroïne aux imprudences magnifiques mais suicidaires, pour une vie intense achevée à 58 ans.  

dimanche 19 novembre 2023

« La valse du marcassin ». Shlemiel Théâtre.

Pour le dixième anniversaire de la Vence Scène à Saint Egrève, la troupe théâtrale qui avait inauguré la belle salle de spectacle est revenue avec cette fois le fils du couple Cécile Roussat, Julien Lubek : Désiré Lubek de dix ans d'âge.
L’idée est excellente surtout que l’enfant se montre plus sobre que ses vibrionnants parents, visiblement contents de se retrouver devant les « Sainté grivois et grivoises » auxquels ils ont transmis quelque peu de leur belle énergie poétique.
La représentation était parfaitement articulée au discours du maire avec ce qu’il faut de loufoquerie venant après des paroles consensuelles de l’édile. Il n'a pas à s’excuser d’être trop long,  ou alors il vaut mieux raccourcir. A moins que ce soit le gag bien connu de l'interminable annonçant qu’il va "faire court" .
Des images du «  Ballon rouge » de Lamorisse (1956) et Little Nemo (1905) peuvent se rappeler à nous parmi les vapeurs et les paillettes. Des séquences excellentes concernant les instructions GPS ou le chantage affectif des parents abondent, faisant pardonner des situations plus conventionnelles telles que mal se cacher pour ne pas monter ses fesses. 
Au milieu des absurdités du monde, les incongruités des clowns attirent l’indulgence : une chute accompagnée de bruitages mal réglés par la régie complice interroge sur la nature de nos rires. 
En manque de candeur, ce moment d’innocence même tapageur me fut salutaire.
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Désormais mes publications concernant les spectacles paraitront le mercredi en lieu et place des compte-rendus de voyage, vu qu'on a vu moins du pays ces derniers temps, en attendant d'autres opportunités. Dimanche sera page blanche.

samedi 18 novembre 2023

La péremption. Nicolas Fargues.

Ne pas se fier à la quatrième de couverture :  
« Assignée femme » 
mais plutôt à la première phrase du livre de 190 pages écrit par un écrivain, se mettant dans la peau d’une femme, alors que les écrivaines ne manquent pas : 
« Ce qui a de bien avec vous, Madame, c’est que vous donnez envie d’être vieille ». 
Elle vient de prendre sa retraite de prof d’art plastique à 50 ans et si son écriture est pleine de verve, de lucidité désabusée, elle se refuse à intervenir tant auprès de ses élèves, de son fils, de ses ex, de sa mère, de son frère, de son nouvel amant qui la conduira au bord du lac Kivu au Congo.
Sa grande tolérance alimente tant de renoncements, se laissant si facilement prendre par « des ivresses sans fondement. » 
L’indifférence maquillée en bienveillance me semble dans cet air du temps bobo dont je connais la délicatesse bien que son hypocrisie agace. 
«  Une raison de vivre, cela peut se délaisser pour mieux que ça : se laisser vivre. » 
Le vieillissement devient pathétique lorsqu’il s’accroche aux modes tout en sachant leur vanité. 
« Il y a pire que notre splendeur d’antan qui pique l’égo : les éloges qui blessent. » 
J’ai aimé quelques nuances grammaticales signifiantes : 
« Qu’est ce qui t’a prise ? ça ne te va pas du tout. »
« Mais que te prend-il ? » 
La mise à distance épargne les grandes douleurs et la lucidité, l’ironie font des bonheurs de lecture, nous donnant l’impression de ne pas être dupe, d’être un malin nous aussi :  
« Tu penses à cette phrase de Robert-Louis Stevenson, tellement citée et tellement reprise pour justifier tout et n’importe quoi qu’elle a fini par s’apparenter à un bibelot de boutique pour touristes : «  L’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage. » Avec tes mots à toi, cela reviendrait à prétendre qu’à défaut d’un avenir, tu es en train de te fabriquer de beaux souvenirs. »

vendredi 17 novembre 2023

Nous sommes tous…

« Nous sommes tous des juifs allemands » chantions nous joyeusement en mémé 68 pour répondre à Le Pen Jean Marie et à Georges Marchais qui pensaient ainsi discréditer l’anarchiste allemand Daniel Cohn Bendit.
A Grenoble, en novembre 2023, nous étions à la manifestation pour dire aux juifs qu’ils ne sont pas seuls face à l’antisémitisme.
Je me suis décidé à répondre à l’appel des présidents de nos assemblées démocratiques après avoir lu qu’un témoin de la Shoah était sous protection policière quand il intervenait dans des lycées en Allemagne. La formule banale : «  on n’a rien appris » se vérifiait une fois de plus.
Je doute pourtant que la portée de la mobilisation, plus massive que je l’envisageais, aille au-delà de la semaine, même si ces centaines de milliers de personnes silencieuses venaient en appui des plantons devant les synagogues.
La moyenne d’âge des marcheurs du dimanche devant le monument des déportés n’incitait pas à l’optimisme. Nous les enfants de l’après guerre, nous étions submergés d’informations sur les camps, la sidération était passée, mais les mots se sont banalisés. « Génocide », terme ultime, a été mis à toutes les sauces, l’étoile du drapeau israélien absente des dignes rassemblements du 12 novembre avait trop souvent été dessinée, sur bien des poitrines illégitimes telles celles des anti-vax.
A l’heure des réseaux « Terre plate », il suffit que l’information passe par l’école pour qu’elle soit remise en cause. Au royaume de la légèreté inappropriée voisinant avec des hystérisations sans second degré, l’histoire ne peut être seulement l’affaire des vivants ; les survivants des camps se font rares et un voyage à Auschwitz n’est pas obligatoire pour avoir une idée de l’holocauste. Si l’Allemagne se débarrasse en ce moment d’une culpabilité qui a pesé pendant des décennies, des professeurs d’éducation civique bien de chez nous risquent d’échapper à la gravité en ne retenant pas que le nombre d’actes antisémites a explosé sous notre nez.
Il s’agit évidemment de dissocier la situation française de celle du Moyen-Orient : tous les américains ne ressemblent pas à Trump et tous les juifs ne sont pas Netanyahou.
L’ancien sénateur Mélenchon a gagné la partie quand des médias mettent en avant sa non-participation plutôt que le large appel à marcher contre l’antisémitisme. Pourvu qu’on cause de lui. Les Insoumis étaient moins regardants sur l’identité des participants quand ils faisaient copains-copains avec les gilets jaunes du RN. Autour des ronds points s’étaient accentués bien des traits d’une société clivée où les extrêmes s'aiment : démagogie, non respect des règles démocratiques, confusion des valeurs, blocage des décisions… Rivarol, journal de droite depuis 1792, négationniste et antisémite à n’en plus pouvoir, vient de couvrir d’éloges le chef éructant des Insoumis. Le monde de la culture s’estime à gauche mais les comportements violents, intolérants, manipulateurs,  le soupçon permanent, le mépris, marques de fabrique de l’extrême droite ont envahi la société.
Et les contre-feux ne peuvent venir de chroniqueurs boute-feux de France Inter se proclamant « islamo gauchistes » pour rendre cette posture dérisoire et mieux en accentuer les outrances. Des bouffe-curés poursuivent des fantômes en se montrant acerbes contre ceux qui portent soutane mais sont branchés en admettant avec déférence l’abaya. Devant tous ces voiles, j’en ai des vapeurs.
Ceux qui reprochent aux politiques d’avoir appelé à cette initiative citoyenne pour « diviser » le pays vont mécontenter le prophète de la « bordélisation », en inversant les responsabilités.
A une toute autre échelle et si loin de nous, dans l’enchainement des causes et des effets, il faut remonter à la nuit des temps lorsque les juifs étaient appelés palestiniens. Abel et Caïn. Les extrêmes là bas aussi se sont nourris, ils ne veulent pas de résolution au conflit, l’extrême droite israélienne a souhaité un ennemi détestable, le Hamas semant la terreur et convoquant l’horreur sur son territoire martyrisé.  
« … Il n'est pas davantage acceptable que des violences soient perpétrées sur des personnes à raison de leur pratique religieuse, de leur orientation sexuelle ou de leur couleur de peau. Toutes ces formes de violence notamment conjugales, de discrimination, de racisme, d'antisémitisme seront combattues avec la dernière énergie. » Jean Castex 2020.