jeudi 14 septembre 2023

Cy Twombly.

Je me doutais que les œuvres présentées jusqu’au 24 septembre au musée de Grenoble étaient destinées à étonner un public que plus rien n'étonne.
Pourtant quelque peu averti dans le domaine de l’art contemporain, devant ces gribouillages, ces ratures, ces salissures, mes bras fatigués m’en sont tombés.
Je pourrais me contenter de ne rien dire puisque c’est de rien dont il s’agit, mais la reconnaissance mondiale de cet artiste inspiré par l’abstraction lyrique, mort en 2011 à l’âge de 83 ans, interpelle. 
« Cy m’a scié » : piètre jeu de mots pour une rencontre anodine.
Je n’aurai pas recours aux enfants barbouilleurs en bas âge et ne saurai me mettre à la place d’un gardien confronté pendant des heures à tant de griffonnages climatisés, mais pour avoir résisté longtemps, en particulier dans les FRAC (Fonds Régionaux d'Art Contemporain), je veux aller au-delà du sentiment qu’ « on se fout de notre gueule ».
Certes je n’ai pas suivi quelque médiateur désormais indispensable dans bien des institutions muséales, mais il y avait plus à lire sur les cartels que dans les mots souvent inachevés, « Mont… Montaigne », tracés à l’arrache sur des papiers qui font gémir les arbres abattus pour de tels gestes vains.
La photographie de deux cygnes barbouillés de craie grasse vaut un développement sur le destin de Léda pour accompagner le collage, comme est évoqué sur huit tableaux, Virgile par la seule mention de son nom griffonné, dans une accumulation de références mythologiques muettes ou de grands noms de la poésie invisibles.
N’émerge qu’un pédantisme insignifiant, puisque les titres des dessins, collages, estampes réalisés entre 1973 et 1977, sont interchangeables et même lorsqu‘il est question de saisons : juillet en noir aurait pu valoir pour novembre, à moins que le génie soit dans ces non-sens. La révélation de l’absurdité peut avoir son charme, mais là les murs nus, les pièces désertes crient la fin d’une civilisation.
Seuls des mots de Rilke ou de Mallarmé inscrits dans les couloirs valent le détour : 
« La chair est triste, hélas ! Et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! Là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! Ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature ! »
 
Et même l’avis poétique de Barthes manquerait-il de cohérence ou se montrerait-il plus critique qu’Yvon Lambert le galeriste commanditaire, souvent cité, l’aurait voulu ?
« La Méditerranée est un énorme complexe de souvenirs et de sensations : des langues, la grecque et la latine, présentes dans les titres de Twombly, une culture historique, mythologique poétique, toute cette vie sur des formes, des couleurs, et des lumières qui se passe à la frontière des lieux terrestres et de la plaine maritime. L’art inimitable de Twombly est d’avoir imposé l’effet Méditerranée à partir d’un matériau qui n’a aucun rapport analogique avec le grand rayonnement méditerranéen ».
Il est acquis que la beauté n’est plus l’enjeu des productions picturales, bien qu’il convienne de s’adosser au passé, non pas ici dans le domaine artistique mais dans une liste froide de références littéraires sans rapport avec ce qui est montré.
Heureusement, les textes d’accompagnement sont toujours des moments divertissants : « Avec ses collages où se télescopent des images de toutes sortes et notamment de nombreuses illustrations de champignons, l’artiste rend hommage à l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien. »
Parmi d’autres « Sans titre »  cette œuvre s’intitule «  Mushrooms » (champignons). 
« Vingt huit collages de grand format, où prédominent des feuilles stylisées de ficus, motifs graphiques et ovales, aux formes évocatrices tant sexuelles que botaniques » : pas de quoi appeler les ligues de vertu, ce n’est que du « panthéisme expressif » !
A la sortie les petits tableaux d’Aurélie Salvaing dans un coin d’« Extravagance » boutique d’objets décoratifs nous ont rassurés sur les capacités des peintres à proposer de jolies choses.
Un graff en face du musée affirmait d’une façon tonitruante l’incohérence de sa démarche en utilisant les manières du street art qu’il dénonce. Il est dans la lignée de ceux qui ne cessent d’assassiner la littérature dans leurs livres, de nier l’art dans les musées, d’exposer sur une fresque à l’intérieur d’un collège, une école qui brûle.

mercredi 13 septembre 2023

Paris # 2, Musée d’Orsay.

La gare d’Orsay construite en 1900 sur le quai du même nom
fut transformée en musée, 86 ans plus tard,
il accueille les œuvres du XIX° siècle, 
dont plus de 1000 peintures impressionnistes et postimpressionnistes.
En ce début d’été 2023, la complicité et la rivalité de Manet et Degas étaient mise en lumière en une exposition temporaire qui pour être sans risque n’en était pas sans charme.
Le tableau peint par Degas : « 
Édouard Manet et sa femme » avait été découpé 
par l’auteur d’ « Olympia » mécontent de cette vision.
Dans « Le repos », Berthe Morisot,
future belle-sœur de l’auteur du « Déjeuner sur l’herbe » 
est plus rêveuse que lorsqu’elle apparaissait
« Au balcon » 
de l’auteur du « Joueur de fifre ».
Un quizz nous interrogeait en fin de parcours pour distinguer 
celui qui a peint un « Torero mort »
et celui qui  a saisi d’inoubliables danseuses 
dont les sujets souvent semblables, témoignaient de la modernité.
« Le tub » d’Edouard Manet,
« Le tub » d’Edgar Degas,
rappellent .
Bonnard
au spectateur
Au pays de Boudin, Manet regarde : « La plage à Boulogne »
et Degas choisit : « Bains de mer, petite fille peignée par sa bonne »
Manet : « Les Courses au bois de Boulogne »,
ou Degas : «  Course de gentlemen, avant le départ »
Degas : « L'absinthe »,
ou Manet, « La prune »,
Toulouse Lautrec n’est pas loin.

mardi 12 septembre 2023

Trashed. Derf Backderf.

Ramassage des poubelles dans une ville de l’Ohio racontées par un dessinateur en immersion  en 79/80 dans le milieu des éboueurs avant son départ en fac.
« Et nous on est là, devant le trou du cul du libéralisme, à nettoyer. »
Pendant les grosses chaleurs, la décharge encore à ciel ouvert est nauséabonde et acrobatiques sont les tournées sous les tempêtes de neige. 
A l’époque :« Le principal poste d'exportation des USA vers la Chine, pour plus de 10 milliards de dollars par an, sont les déchets ! » 
Les rapports entre les travailleurs sont rudes et la hiérarchie est corrompue. 
Les indifférences des usagers mettent le corps de ces travailleurs en contact direct avec merdes de chien et cadavres d’animaux, couches, et bouteilles pleines de pisse abandonnées par les routiers.
Les données statistiques portant sur l’histoire des ordures, les volumes collectés ou abandonnés donnent le vertige, mais font mesurer aussi les prises de consciences et les progrès effectuées depuis 40 ans. 
« J'ai lu que des économistes se basent sur les ordures comme indicateur économique ! Plus il y en a sur le trottoir, plus l'économie est saine ! » 
Les dessins peu aimables conviennent à la description d’un rude quotidien passé au cul des camions.

lundi 11 septembre 2023

Vers un avenir radieux. Nanni Moretti.

La dimension ironique d’un tel titre ne peut nous échapper, dans notre époque désenchantée, voire lors d'un retour vers les années 50 évoquées dans un film dans le film, quand les chars soviétiques entraient dans Budapest. 
Le cinéma est beau qui peut transformer les souvenirs, jouer avec les sentiments, se regarder jouer et ne pas être dupe. 
Il nous distrait : les débats à propos du positionnement du parti communiste italien sont lointains, l’extrême droite est au pouvoir au pays de Gramsci.
Mais je suivrai la recommandation de consommer ce cinéma citant Fellini, avec des projets de dégustation de glaces, voire de voyage à Rome pour une langue exceptionnellement bien articulée et les musiques du temps où Ramazzoti et Dassin étaient de la même patrie:
« Et si tu n'existais pas
J'essaierais d'inventer l'amour
Comme un peintre qui voit sous ses doigts
Naître les couleurs du jour »
 
C’est bien bon quand les cinéastes les plus fameux réinterrogent leur art
quand la dépression est proche d’un lyrisme enjoué dans un foisonnement fécond où le narcissisme omniprésent devient le nôtre et que les animaux tristes du cirque d’hier côtoient les commerciaux de Netflix.

dimanche 10 septembre 2023

Au Bonheur des Mômes 2023.

Pour le compte rendu 31° édition du festival de spectacle vivant pour jeune public au Grand Bornand, mon petit fils a rejoint sa grande sœur. 
Sonata per Tubi. Nando & Maila.
Le spectacle débute avec deux personnes qui sortent de la brume et jouent au violon des morceaux de Mozart, des Rolling Stones. Puis une adolescente arrive sur scène et commence à faire de la gymnastique et du jonglage. De la musique avec des tuyaux de PVC risquait de ne plus constituer une surprise, cependant le dynamisme du trio italien rend l’heure agréable.
Le petit théâtre magique ambulant. Scott & Muriel. 
Scott le magicien ringard a commencé à faire des tours ratés et… un colis Ikéa avec écrit « Muriel » dessus est arrivé de nulle part et une dame est sortie du colis…L’assistante exubérante va finalement sauver la carrière du magicien maladroit. La divulgation de tous les tours, sauf un, rend encore plus mystérieux le découpage en deux d’un spectateur.
ImPulls.Compagnie Farfeloup. 
Cinq danseurs exploitent toutes les possibilités plastiques des pulls en laine, révélateurs de caractères : le maniaque des bouloches, le compulsif, la sensible aux odeurs… et signes d’appartenance à un groupe. Le propos est comme l’a osé une comparse des chauds chapiteaux est quelque peu décousu, et certaines séquences manquent de rythme. Mais 15 chandails superposés ont fait des émules de retour à la maison avec chaussettes à enfiler les unes par-dessus les autres. 
J’ai beaucoup aimé ce spectacle plein de fantaisie et de couleurs. Les acteurs se mettent dans les pulls de manière à ce qu’on ait l’impression que ce sont des créatures ! Ils mettent les jambes dans les manches. Ensuite ça m’a fait plaisir de retrouver de la danse contemporaine car la danse est un de mes hobbies préférés.
Plus haut. Barolosolo.
Trois circassiens font du jonglage, du kayak sur les gradins et même des roulés-boulés en gilet de sauvetage, puis quelques tours de magie et un (faux) lion est arrivé sur scène.  
Les allusions à Calder ne sont pas évidentes bien que des empilements de kayaks et des plongeons avec je ne sais plus combien de gilets de sauvetage défient l’équilibre. « Le géant à l’âme d’enfant » dont des stabiles se retrouvent à Grenoble devant la gare et le musée avait conçu un cirque miniature dans les années 50. La troupe, elle, réinvente un cirque élémentaire drôle, faisant naître avec un lion de carton pâte une petite peur pour de rire. 
A l’Ouest je te plumerai. Olifan. 
Les quatre frères John font beaucoup penser aux Dalton. Ils nous racontent leurs histoires passionnantes de la conquête de l’Ouest, et la ruée vers l’or en jouant de la guitarabine. 
En évoquant les grands mythes de l’Ouest américain le quatuor composant ce « rodéo musical rockamburlesque » fait penser à d’autres bandits stupides en habits rayés.
Il est des jeux de mots transparents : « Mets ta chaussette » pour «Massachusetts » ou « cocotte »  en lieu et place de « coyote » mais une boisson quelque peu « brutale » parlera aux connaisseurs des « Tontons flingueurs » plutôt qu’à ceux qui connaissent par cœur « Pirate des Caraïbes ».
Seule avec vous. Collectif l’effervescente.
 
Spectacle d’une clowne. Elle doit s’habiller mais choisir est son point faible. Le maquillage n’importe quoi : elle s’est mis du far à paupières sur les dents. Ce spectacle était trop bien. L’artiste au langage inarticulé universel, emmène son public par un abattage de bon aloi, éloignant la vulgarité qui aurait pu naître d’un bout de culotte. L’actrice dynamique, acrobate accomplie, fait plier de rire quelques mamies mûres qui ont enduré jadis les difficultés de marcher avec des talons hauts et fait se marrer les marmots en établissant de fines connivences. J’ai vu quelques damoiselles enchantées de cette critique truculente des stéréotypes féminins tout en gardant un humour qui les autorise à succomber au « phare à paupière » comme l’avait écrit un jeune rédacteur.
A tiroirs ouverts. La compagnie Majordome. 
Homme très persévérant et très maladroit. Il arrive dans une petite pièce et commence à jongler avec des balles puis il fait un parcours avec des planches, une table, un tabouret. Le but est de rentrer la balle dans une poubelle. Il tombe tout le temps. 
L’original jongleur élabore des enjeux considérables depuis la simple traversée d’une table d’hypnotiques et poétiques balles blanches jusqu’à une série de rebonds aboutissant au néant de la poubelle. La maladresse du sympathique ébouriffé met en lumière une habileté diabolique.
De l’autre côté. Bêtes à plumes.
 
J’ai vraiment aimé ce spectacle, à la fois poétique et rigolo. Une femme cherche de l’inspiration pour un tableau puis une étrange femme sort de son tableau pendant qu’elle réfléchit. Elles vont commencer à se poursuivre à travers le décor…Mais j’ai trouvé le début un peu trop long jusqu’à ce que la dame bizarre arrive.  
Spectacle graphique en costumes soignés sur un rythme quelque peu languissant d’après un boomer en fin de mèche alors que les plus jeunes à qui l’on prête le goût de la vitesse l’ont simplement trouvé beau.
Grou. Les renards Effet mer.
 
J’ai absolument A.D.O.R.É  ce spectacle drôle et à la fois entraînant qui nous fait remonter le temps des pharaons jusqu’à la découverte de la lune. Durant la nuit de ses 12 ans, Charlie va rencontrer un homme préhistorique( Grou) puis un chevalier qui vont changer sa vie.
Oui ! Cent fois oui ! à l’invitation d’écrire matérialisée par un petit carnet distribué à la sortie après une représentation qui a enchanté le public. Par la porte du four apparaît un impressionnant homme de Cro Magnon, le jour de l’anniversaire, moment pour s’interroger sur le temps, quand l’envie de grandir est là et qu’une terreur des cours de récréation menace. Quelques accessoires poétiquement utilisés permettent à l’imagination de voyager dans un passé parfois déraisonnable, parfois merveilleux. 
Les enfants ne sont pas pris pour des imbéciles alors que ce sont les adultes qui l’ont bien voulu qu’on infantilise - hydratez-vous - quand l’humour rencontre l’exigence. 
Benzo, le pape du Grand Bornand, qui souvent m’agaça s’est montré plus sobre cette année en répétant l’excellente formule :« Les petits devant, l’écran derrière »
Alain Benzoni le créateur du festival qui emploie 350 bénévoles pour épauler une centaine de professionnels, m’a semblé apaisé par la reconnaissance de la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, familière des lieux du temps où elle dirigeait « Clowns sans frontière ».
Le dernier concert «  Wok’n rol » Hilaretto Compagnie m’a fait mesurer mes lacunes musicales béantes, sans gâcher mon plaisir puisqu’ était mijoté « une pincée d'AC\DC, un soupçon de Stevie Wonder et un zeste de Rolling Stones, le tout mélangé dans un wok musical relevé d'une sauce Bach et Tchaïkovski ». Le pianiste et le violoniste excellents instrumentistes forment une généreuse paire de comiques complémentaires et concurrents
dans une subtile connivence mi-fugue mi-raison avec le public.  
J'ai vraiment beaucoup apprécié ce spectacle de musique qui à la première impression m'a paru un peu ennuyeux, finalement la prestation s'est révélée pleine de surprises et de clins d’œil à de grandes musiques connues dans le monde entier, les deux musiciens étaient vraiment très marrants et ont beaucoup fait rire le public. .

samedi 9 septembre 2023

Zigzag. Florence Delay.

En 160 pages, de petit format, sans compter la liste des auteurs cités, cet éloge de la forme brève aurait peut être gagné à être plus ramassé.
Etant peu amateur des formes trop construites, cette promenade poétique parmi les aphorismes, maximes, proverbes, adages me va bien : 
«  grelot d’argent, haïkus en prose, métaphore optimiste, fleur de l’air, ou qui s’épanouit dans l’eau façon fleur japonaise, nuance (d’un pluriel, d’une virgule, d’un diminutif), médaille offerte, au passage, par un arbre, un clou sur un mur qu’on regarde fixement, goutte des siècles qui traverse son crâne… » 
Ce serait abuser de la mise en abyme que de prélever parmi les citations qui abondent 
... ou alors une seule : 
« Sans le diable, Dieu n’aurait jamais atteint le grand public. » Cocteau.
Quoique « Le crocodile est une valise qui voyage pour son propre compte. » n’a pas la  notoriété du « couteau sans lame auquel ne manque que le manche », mais l’aurait méritée.
Ce n’est pas un recueil de blagues, mais un condensé d’érudition d’où s’échappent des fulgurances, où persistent des mystères.
L’académicienne joue avec les mots : c’est son boulot, c’est notre plaisir.