Je me doutais que les œuvres présentées jusqu’au 24
septembre au musée de Grenoble étaient destinées à étonner un public que plus rien n'étonne. Pourtant
quelque peu averti dans le domaine de l’art contemporain, devant ces
gribouillages, ces ratures, ces salissures, mes bras fatigués m’en sont
tombés.
Je pourrais me contenter de ne rien dire puisque c’est de
rien dont il s’agit, mais la reconnaissance mondiale de cet artiste inspiré par
l’abstraction lyrique, mort en 2011 à l’âge de 83 ans, interpelle.
Je n’aurai pas recours aux enfants barbouilleurs en bas âge
et ne saurai me mettre à la place d’un gardien confronté pendant des heures à
tant de griffonnages climatisés, mais pour avoir résisté longtemps, en
particulier dans les FRAC (Fonds Régionaux d'Art Contemporain),
je veux aller au-delà du sentiment qu’ « on se fout de notre gueule ». Certes je n’ai pas suivi quelque médiateur
désormais indispensable dans bien des institutions muséales, mais il y avait
plus à lire sur les cartels que dans les mots souvent inachevés, « Mont…
Montaigne », tracés à l’arrache sur des papiers qui font gémir les arbres
abattus pour de tels gestes vains. La photographie de deux cygnes barbouillés de craie grasse
vaut un développement sur le destin de Léda pour accompagner le collage, comme
est évoqué sur huit tableaux, Virgile par la seule mention de son nom griffonné,
dans une accumulation de références mythologiques muettes ou de grands noms de
la poésie invisibles.N’émerge qu’un pédantisme insignifiant, puisque les titres
des dessins, collages, estampes réalisés entre 1973 et 1977, sont
interchangeables et même lorsqu‘il est question de saisons : juillet en
noir aurait pu valoir pour novembre, à moins que le génie soit dans ces non-sens.
La révélation de l’absurdité peut avoir son charme, mais là les murs nus, les
pièces désertes crient la fin d’une civilisation.Seuls des mots de Rilke ou de Mallarmé inscrits dans les
couloirs valent le détour :
« La chair est
triste, hélas ! Et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! Là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! Ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature ! »
Fuir ! Là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! Ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature ! »
Et même l’avis poétique de Barthes manquerait-il de
cohérence ou se montrerait-il plus critique qu’Yvon Lambert le galeriste commanditaire,
souvent cité, l’aurait voulu ?
« La Méditerranée
est un énorme complexe de souvenirs et de sensations : des langues, la
grecque et la latine, présentes dans les titres de Twombly, une culture
historique, mythologique poétique, toute cette vie sur des formes, des
couleurs, et des lumières qui se passe à la frontière des lieux terrestres et
de la plaine maritime. L’art inimitable de Twombly
est
d’avoir imposé l’effet
Méditerranée à partir d’un matériau qui n’a aucun rapport analogique avec le grand
rayonnement méditerranéen ». Il est acquis que la beauté n’est plus l’enjeu des
productions picturales, bien qu’il convienne de s’adosser au passé, non pas ici
dans le domaine artistique mais dans une liste froide de références littéraires
sans rapport avec ce qui est montré. Heureusement, les
textes d’accompagnement sont toujours des moments divertissants : « Avec ses collages où se télescopent
des images de toutes sortes et notamment de nombreuses illustrations de
champignons, l’artiste rend hommage à l’Histoire naturelle de Pline
l’Ancien. » Parmi d’autres « Sans titre » cette œuvre s’intitule «
Mushrooms » (champignons).
« Vingt huit
collages de grand format, où prédominent des feuilles stylisées de ficus,
motifs graphiques et ovales, aux formes évocatrices tant sexuelles que
botaniques » : pas de quoi appeler les ligues de vertu, ce n’est
que du « panthéisme expressif » !A la
sortie les petits tableaux d’Aurélie Salvaing dans un coin
d’« Extravagance » boutique d’objets décoratifs nous ont rassurés sur
les capacités des peintres à proposer de jolies choses. Un graff en face du
musée affirmait d’une façon tonitruante l’incohérence de sa démarche en
utilisant les manières du street art qu’il dénonce. Il est dans la lignée de
ceux qui ne cessent d’assassiner la littérature dans leurs livres, de nier
l’art dans les musées, d’exposer sur une fresque à l’intérieur d’un collège,
une école qui brûle.
Oui, oui, oui. Et au fur et à mesure que les musées s'acheminent vers la gratuité pour tous, on constate de plus en plus que le roi est... nu, et qu'on ne veut plus y aller.
RépondreSupprimerC'est mon cas, en tout cas. Je suis fatiguée de l'idéologie muséale, ayant constaté à quel point elle nous éloigne du passé, ce qui ne me semble pas salutaire.
Quelle scandale, toutes ses références à l'antiquité greco-romaine... les Grecs qui étaient sensuels, mais pas que. Je vois dans les photos que tu nous montres de cette expo ce qui arrive quand la "science" englobe l'art et sa beauté de manière trop... inclusive. "TOUT" devient "science" en ce moment, et ça nous rend triste.
"On" ne nous dit pas à quel point l'inclusion peut devenir... colonisation, un mot qui, me semble-t-il, est à la mode, mais pas dans CE contexte.