jeudi 25 mai 2023

La femme et le monde du travail, la femme et le monde du spectacle. Serge Legat.

En « présentiel », bien que le mot rebute tout le monde, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble avec le « Portrait de Catharina Hooft et sa nourrice » de Frans Hals, le maître du noir, entame le dernier volet du cycle consacré à l’image de la femme dans l’art. 
Présente dans l’entourage des enfants, la nourrice était employée pour deux ans, à domicile chez les aristocrates ou chez elle pour les bourgeois.
Les travaux d’aiguille, apanage des femmes vertueuses, ont fait partie de l’éducation de la Vierge. « La dentelière » de Vermeer et ses points lumineux provenant de la camera obscura qu’il utilisait, une de ses dernières œuvres de petit format (21X24), fait dire à Renoir que c’est « Le plus beau tableau du Louvre ».
«  La cuisinière »
de Gabriel Metsu, digne et sérieuse, dont les harmonies de bleu et jaune plaisaient tant à Van Gogh,
parait moins piquante que « La femme versant de l’eau dans un récipient » de Gerrit Dou, traitée de manière fine par l’élève de Rembrandt, lui, plutôt adepte de manière plus brute.
La lavandière,
dépêchée dans les demeures patriciennes, souvent associée à la pauvreté, ne faisait pas partie de la maisonnée. « La Blanchisseuse » de Jean-Siméon Chardin
comme la « Laveuse de vaisselle » de l’italien Crespi 
qui peint à la manière hollandaise du siècle précédent.
Bien des artistes ont illustré les travaux des champs. « Les cribleuses de blé » de Courbet idéalisant la campagne, résument en trois étapes les progrès des techniques.
La vendeuse ne fait pas commerce de ses productions comme les paysannes sur les marchés dans l'« Enseigne de Gersaint », dernier tableau d’Antoine Watteau.
La jeunesse se mire dans le miroir et le couple plus âgé a des intérêts divergents, quant à Louis XIV, il finit en caisse.
« La maîtresse d’école »
de Chardin est plus efficace
que le couple officiant dans « Une école pour garçons et filles » de Jan Steen.
Francis Dodd
rend hommage à une courte expérience dans les métiers du soin où le personnel  était exclusivement féminin. « Operation at the Military Hospital, Endell Street »
Avec le développement des services, de nouvelles professions voient le jour, et la secrétaire devient un archétype : « La nuit au bureau » Edward Hopper.
Les hommes se plaignaient que les femmes faisaient baisser les salaires.
« La petite brasserie »  du peintre suédois Anders Zorn.
« Les fileuses de lin »
  Max Liebermann.
« Ruby Loftus vissant un manchon de culasse »
Laura Knight
« Ouvrières de l’usine Ouralmach » Iouri Pimenov.
Le travail à domicile est si mal payé ; reste la prière,  
« Pour qu'un court moment, le chant de la chemise » d’Anna Blunden.
Petit à petit, il devient admis cependant que la femme puisse se cultiver, 
sans prétendre toutefois devenir érudite :  
« Mademoiselle Ferrand méditant sur Newton » de Maurice-Quentin de La Tour.
Sous le buste de Voltaire se déroule « Une soirée chez Madame Geoffrin » par Gabriel Lemonnier, tableau commandé par Joséphine, autre salonnière, pour la Malmaison.
« Portrait d'Antoine Lavoisier et de sa femme »
par Jacques-Louis David 
« La République n’a pas besoin de savants, ni de chimistes » 
avait dit le président du tribunal révolutionnaire avant de les guillotiner.
Le foyer de l’Opéra était interdit aux femmes (légitimes) mais pas aux hommes. 
Le monde du spectacle du XIX° ne peut se passer du regard de Degas et de Lautrec 
Plus près de nous, les stars commencent à apparaître et leurs cortèges de cancans: 
« Portrait de Mademoiselle Chanel » de Marie Laurencin qui entre autres aventures 
eut un coup de foudre pour la mère de Benoîte Groult, elle aussi styliste.
« Liz »
a eu bien plus que son quart d’heure de célébrité prophétisé par Warhol, et de toutes façons : 
« Quand une femme veut réellement monter au sommet de l'art international, elle y arrive. J'en suis la preuve vivante ! » Niki de Saint Phalle

mercredi 24 mai 2023

Limoges # 2

En retournant vers le quartier de la boucherie, nous réussissons quand même à boire un café dans un bar encore déserté, mais sans la douceur d’une quelconque viennoiserie. 
Nous patientons de cette manière en attendant l’heure de notre RDV pris hier à l’office du tourisme pour découvrir l’artisanat incontournable de Limoges dans une fabrique de porcelaine.
Sur réservation, la manufacture Bernardaud propose la visite guidée de ses ateliers avec des explications détaillées de la matière première au produit fini.
- Nous démarrons devant les matériaux de base exposés côte à côte : le kaolin (blanc) à 50%, le feldspath à 25% et le quartz à 25%, Ils subissent différents traitements, délayés dans de l’eau, broyés, mélangés, tamisés puis filtrés afin de former des galettes
- Trois techniques de fabrication interviennent ensuite, soit par moulage et coulage, soit par calibrage (avec un tour), soit par pressage isostatique (avec comme avantage pas de temps de séchage)
- Le temps de séchage varie de 12 à 24 heures et il faut compter un retrait de 3% de matière  par pièce.
- Après la 1ère cuisson, les pièces deviennent très poreuses  et donnent des porcelaines appelées biscuits.
Ou alors, elles partent à l’émaillage et connaissent une 2ème cuisson avec cette fois-ci un retrait de 10 à 12% : elles ressortent avec une transparence qui laisse filtrer la lumière même à travers une certaine épaisseur
- Le choisissage élimine les pièces défectueuses allant jusqu’à 25% de la production.
- Puis arrive le stade de la décoration, que ce soient des dessins, peintures, incrustations, reliefs par évidage ou travail à la feuille d’or.
Les arts picturaux et le luxe s’invitent dans cette étape au service de la créativité
- Enfin, nous nous tournons vers les fours mastodontes. Ils  constituent des outils essentiels dans cette activité. Ils fonctionnent  majoritairement à l’électricité, à l’exception d’un four  à gaz très long.
Tout aussi imposants nous apparaissent les chariots à enfourner.
- Après les explications, les résultats : la manufacture, renommée dans le monde, expose les créations commandées par des marques ou des lieux les plus prestigieux : nous pouvons admirer la vaisselle en service dans de grands  restaurants comme La Mamouna, l’hôtel Meurisse, le plazza Athénée, ou dans le mythique train Orient Express et Air France. Des noms de célèbres créateurs participent au design, des marques de luxe comme Guerlain travaillent et collaborent avec la fabrique.La fondation Bernardaud s’intéresse à l’avenir et répond volontiers à la demande des créateurs d’aujourd’hui, français ou étrangers.
Elle cherche constamment à progresser, dompter la matière et dominer les problèmes techniques en se soumettant aux exigences des artistes comme Koons  par exemple.Une exposition titrée « esprit libre »nous surprend dans sa diversité, sa virtuosité,  avec les œuvres :
  - de Christina Bothwell (« Birds, girls with boys ») aux transparences éthérées,
- de Séverine Gambier  (« Pavane et caracole ») et ses mosaïques de faïences
- Jessica Harrison et ses figurines chinées
- de Crystal Morey et son univers poétique
Et bien d’autres encore.
Nous restons époustouflés  face à la prouesse technique des artisans tant ils arrivent à changer complètement l’aspect de la porcelaine.
La visite se termine  devant le magasin d’usine.
Il propose aux clients des articles moins chers repérés par les choisisseuses, altérés par de petits défauts à peine visibles. Parfois un minuscule point noir suffit à abaisser le prix comme un bol ou  un photophore qui ne produit  pas le son cristallin attendu d’un article parfait et non fendu.
Sans céder à la tentation, nous rebroussons chemin jusqu’au parking Churchill.
Puis nous nous installons en face des halles « Chez Alphonse » pour tester la formule de midi : melon jambon /aile de raie et petits légumes (navet carottes fenouil) plus café voire café  gourmand pour monsieur.

mardi 23 mai 2023

Les olives noires. Emmanuel Guibert Joann Sfar.

Le titre d’un premier album d’une série de trois reste énigmatique : 
« Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? » 
avant « Tu ne mangeras pas le chevreau dans le lait de sa mère » et « Adam Harishon ».
Sous sa forme interrogative le titre reprend ce qu’il y a de plus palpitant dans ces 50 pages vite lues : les questions naïves et drôles, fondamentales, posées par un fils à son père en route vers Jérusalem. 
Le ton original allège le récit dans un univers religieux très normé et nous initie aux coutumes juives d’il y a 2023 ans en rappelant les querelles autour du Temple avec ses marchands et l’occupation romaine.
Le dessin participe à la fluidité et au confort de lecture de dialogues vifs même si le langage de déserteurs gaulois par exemple peut paraître trop relâché : « elle est bonne »  
Le scénario limpide d’un pourvoyeur majeur des bacs à BD des bibliothèques est comme il se doit, biblique.

lundi 22 mai 2023

Huit films à Cannes 2023.

Cannes écrans seniors a récompensé parmi trois films australiens aux vues aériennes toujours aussi graphiques : « Rams » histoire de deux frères fâchés, repris du film finlandais : « Béliers » avec incendies remplaçant le blizzard 
Il devance « Limbos », indolent policier en milieu aborigène et « Little Tornadoes », plutôt bavard à propos d’un sujet vu cette année à deux reprises : un père élevant seul ses enfants.
Dans « Ama Maria », une petite fille orpheline de sa maman voue un amour éperdu à sa nounou capverdienne : remarquablement interprété, ce film alliant simplicité et finesse nous a ému.
Cette année, pour les dépourvus d’accréditations,
 la sélection de la quinzaine des cinéastes
- ne plus dire quinzaine des réalisateurs pas assez « inclusifve »- était la plus accessible.
Faouzi Bensaidi m’a paru le plus créatif avec « Desert »western couscous en voiture décapotée à la scie à métaux, proposition burlesque, politique, poétique, surprenante. 
« The sweet East » présente le voyage d’une lycéenne dans des univers contrastés, symptômes d’une société américaine détraquée, alors que «  The feeling that the time for doing something has passed »  voit l’actrice réalisatrice new-yorkaise assumer sa liberté dans la soumission aussi bien dans son travail, ses rapports familiaux et dans ses pratiques sado maso en matière sexuelle : pas glauque mais tristounet.
Au Pakistan, une romance amoureuse qui s’amorce permet de croire à un bonheur possible dans les interstices laissés par une société oppressant les femmes, mais cela finira « In flames » quand la folie devient la seule échappatoire.    

dimanche 21 mai 2023

La belle au bois dormant. Marcos Morau.

Le sommeil dont il est question dans le conte de Perrault est réenchanté par le chorégraphe catalan qui rend beau même les cauchemars.
Adieu fuseau endormeur, nous pénétrons dans le temps, les songes, notre temps préoccupé. 
Nous échappons à une trop insistante interprétation woke autour d’un baiser salvateur non consenti et sommes emmenés autour de la musique de Tchaïkovski entrecoupée d'habituels sons discordants, dans un univers créatif d’une richesse et d’une force qui ne se démentent pas tout au long de cette heure et demie. 
Les éclairages sont magnifiques, les mouvements passant de l’indifférenciation initiale à la vitalité affolée des 15 danseurs courant pour 150 réconcilient avec les formes contemporaines. 
Les souples robes à crinoline comme des corolles permettent de douces fusions et des déplacements rêveurs. Les gestes mécaniques du début s’effacent pour la découverte de silhouettes rappelant quelques béguines ou les rondeurs des ménines, avant que des pantins apparaissent et que l’angoisse monte lorsque des corps se désarticulent et que fuient interminablement les danseurs dépouillés petit à petit de leurs atours.

samedi 20 mai 2023

Mensonges au paradis. Colombe Schneck.

La journaliste revient sur ses vacances heureuses dans une maison d’enfants en Suisse, dont les enfants de ceux qui tenaient ce chalet, le « Home », ont mal vieilli.
Ses recherches autour de ces moments heureux, durs et tendres, ne débouchent pas sur des révélations de scandales mais nous interrogent, au-delà des problématiques littéraires, sur ce que l’on veut garder de nos souvenirs.
Le dernier mot de Deleuze cité au cours des remerciements au bout des 172 pages situe bien les enjeux : 
« Il faut beaucoup de mémoire pour repousser le passé » 
La vérité ne s’écrit pas en lettres majuscules, elle se cherche honnêtement, avec ses contradictions, sa complexité, ses causes et ses dénis, chacun s’arrange. 
« J'aime être crédule, me persuader que la solitude mène à l'amour, la pauvreté à la fortune, la destruction à la séparation. » 
L’écriture sincère, sensible, sans apprêt, permet de surmonter notre appréhension de découvrir au fil de la lecture, de noirs aveux. Ce retour vers l’enfance l’amène à revoir bien des tombes et à travers les mensonges attestés des autres, nuancer ses certitudes, relativiser ses engouements, distinguer, apprécier, se regarder en face. 
« Auschwitz était pour moi un gros mot, comme les mots du sexe, qui m’attiraient et me révulsaient à la foi.» 
Hommes et des femmes formateurs sont respectés sans que la lucidité soit abandonnée à une mièvre bienveillance. 
« Je me suis dressée, des muscles dans les jambes, des épaules pour impressionner, des poings fermés, des dents et des ongles dont je sais me servir, prête à rendre coup par coup, une géante, une tête d’acier, faut pas m’emmerder, je suis la fille du Home que rien n’arrête. »

vendredi 19 mai 2023

Coup de chaud.

Le bloggeur hebdomadaire serait bien ridicule s’il prétendait échapper aux faiblesses des débats ambiants et des redites. 
Les mots s’usent : «  changement »  ne vit plus qu’accolé à «  climatique ». L'expression qui accompagne toute vie a pris un coup de chaud. 
Le neuf n'est plus bien porté, la nouveauté suspecte,  le conservatisme devient de plus en plus costaud sous des atours divers : SUV d’un côté, dreadlocks de l’autre, BFM télé et Télérama. La déploration envers le temps présent se paralyse sous les populismes bigarrés brun, rouge, brun-rouge. 
Depuis la dernière fois que l’étranger installa à Vichy une extrême droite, les valeurs du dernier triptyque qu’elle inscrivit sur les timbres ont  pris de sérieux coups de vieux : 
« travail, famille, patrie », flageolent. Et on nous fait le coup de la nouveauté !
A écouter ceux qui se plaignent de ne pas être écoutés, le mieux serait de ne rien faire,
et ainsi satisfaire les conservateurs de toujours et les squatteurs hirsutes aux imaginaires chérissant l’âge d’avant l’agriculture.
En ce moment, le courage passe pour de l’autoritarisme, la vision à long terme pour de l’arrogance. 
Les loups sont plus respectés que les beaufs, les humains perdent leur instinct de survie et se bouffent entre eux.
On prête une âme aux choses et ce sont elles qui ont pris la main, la toute puissance humaine efficace dans la malfaisance parait bien faible dans la réparation.
Les bouleversements de la Nature accélérés par l’homme n’évoluent pas en bien malgré la bonne volonté médiatique adossée à une radicalité militante.
CO2 et particules fines nous filent entre les doigts, les espaces infinis qui effrayèrent Pascal ne sont plus silencieux : les températures ont beau s’afficher à toutes les devantures, la fièvre climatique ne retombe pas.
Le rideau de fer est de retour après un cycle d’évènements initiés par l’explosion de tours jumelles. Quand s’oublie aussi facilement la mort de Samuel Paty, les excès des plus fanatiques peuvent se réactiver. Nous avions ignoré si longtemps les religions dans nos conversations, emportés par le déclin de l’une et ignorant l’essor de l’autre, que nous réévaluons peut être avec excès leur impact. 
Le sempiternel remord de missions pédagogiques ratées, dévoyées, peut se consoler en constatant un paysage éducatif loin d’être uniforme. Le zèle pour élever correctement ses enfants sans soda ni  trop écrans est proportionnel au renoncement d’autres qui s’en remettent aux autres pour dire non, voire qui ont abandonné toute ambition de transmission en n’ayant aucun héritier.
Une taille des familles raisonnable que ni le Hamas ni les orthodoxes juifs ne recommandent n’est pas audible non plus chez les affolés solitaires qui pensent que la civilisation s’arrêtera avec eux. 
En attendant ces ambiances apocalyptiques familières des jeux vidéos, des domaines essentiels comme le transport où des mesures efficaces sont à portée de décision voient la diversité des intérêts particuliers entraver toute évolution réalisable.  Les parts de marché du fret ferroviaire s’effondrent : on ne peut pas dire que les grèves à répétition n’y sont pour rien au risque de confirmer l’irresponsabilité des agents du service public. Les Zones à Faible Emission (ZFE) sont en route, mais empêchées y compris par ceux qui ne cessent de mépriser les automobilistes pouvant bien leur rendre leur dédain quand est dérangé le développement du rail entre Lyon et Turin. 
Nomade ou sédentaire. La construction de maisons se heurte aux égoïsmes limités au seuil des portes, villas témoins de nos difficultés à envisager un avenir allant au-delà d’une paire de kilomètres en vélo électrique. 
« Si le feu brûlait ma maison, qu’emporterais-je ?
J’aimerais emporter le feu... » Jean Cocteau