jeudi 20 janvier 2022

Basquiat. Julian Schnabel. Jean Serroy.

Le dernier film de la série « Les peintres au cinéma » présenté devant les amis du musée de Grenoble, après Michel Ange et Caravaggio,
a été réalisé par un peintre contemporain du si jeune maître de la figuration libre.
Basquiat est mort en 1988 à 27 ans, le film après 6 ans de gestation date de 1996.
Le réalisateur dans un souci d’authenticité a choisi des acteurs proches du milieu des artistes émergents dans les années 80 : Bowie en Warhol, Dennis Hopper, Christopher Walken, Jeffrey Wright a la ressemblance troublante avec le grapheur et Keith Richards, Iggy Pop pour une bande-son forcément marquante avec l’inoubliable Tom Waits.
Il est surtout question des rencontres qui ont permis à celui qui dormait dans des cartons de devenir une star. Le mot semble le plus approprié pour désigner le créateur séduisant le marché de l’art.
« En 1980, Jean-Michel Basquiat survivait à peine en vendant ses dessins 50$ pièce. Aujourd’hui, certaines de ses peintures se vendent plus de 50 millions de dollars. »
Des aspects de sa biographie sont habilement traités comme le retour impossible vers une mère qui avait déterminé son destin
ou la rivalité/amitié entre Warhol, Basquiat et Schnabel oubliant Keat Harring dans son récit : qui était la création de l’autre ?
Jeffrey Deitch un marchand d’art avait pu dire de lui :  
« Toute la force de Basquiat réside dans sa capacité à opérer une fusion entre les images absorbées dans la rue, les journaux, à la télévision, et le spiritualisme de son héritage haïtien pour mettre ces deux éléments au service d’une compréhension merveilleusement intuitive du langage de la peinture moderne. »
Bien que la présence de critiques et de galeristes souligne les aspects financiers que les films américains ne négligent jamais, quand le talent se mesure en dollars, nous restons au bord de cet engouement soudain pour un peintre se réclamant d’un « art ignare » et de « la peinture moche ».
Serait-ce l’éternel remords d’avoir ignoré Van Gogh, la fascination pour l’underground, l’émergence enfin d’un noir qui se voulait créole, l’originalité de celui qui était toujours en recherche dans les styles, les techniques, les substances qui l’ont tué ?
Sa carrière fulgurante ne pouvait que solliciter le cinéma, bien que malgré tous ses atouts, l’émotion ne soit pas au rendez-vous, pas plus qu’un dévoilement des mystères de la créativité, alors que bien des aspects de sa biographie sont bien présents. 
 Le cinéaste qui a adapté «  Le scaphandre et le papillon », revenu récemment sur la vie de  Vincent Van Gogh « At Eternity's Gate » ( À la porte de l'éternité) est aussi un peintre côté adepte du collage, il était un personnage du film « The square » 

mercredi 19 janvier 2022

Colmar # 2.

 
Il a plu et après un faux départ, nous retournons par précaution chercher des pulls,
vite enchiffonnés dans un sac à dos.
Aujourd’hui sera consacré à la visite de la ville, aussi avons-nous besoin d’un plan et de conseils que nous trouvons à l’Office du tourisme.
- Le parcours proposé débute par la maison des têtes. Cette vénérable maison de style Renaissance sert actuellement d’écrin à un restaurant multi étoilé. 

Elle doit son nom aux figures grimaçantes qui se détachent sur un oriel (sorte de bow window) à cheval  sur deux étages. Au sommet un tonnelier en étain du célèbre Bartholdi  se dresse sur un pignon, un verre dans une main, la bouteille dans l’autre, prêt à nous servir et sa présence nous rappelle  qu’à l’origine le bâtiment abritait la  Bourse aux vins
- A deux pas, l’Eglise des Dominicains nous invite  dans un monde plus spirituel.  Elle recèle un joyau de la peinture religieuse  du XV°siècle: « La vierge au buisson de roses » de  l’artiste alsacien Martin Schongauer.
Habillée de la couleur de la passion elle est  enchâssée dans un triptyque doré et sculpté où des angelots musiciens surgissent au milieu d’entrelacs floraux. Nous ne pourrons admirer le cloître de cet ancien couvent, car la plupart du  bâtiment subit des transformations et des rénovations afin de devenir prochainement une bibliothèque et un musée du livre et de l’image.
- Continuons dans le religieux  avec la collégiale Saint Martin de style gothique. Bicolore, elle utilise deux pierres différentes, près du sol une pierre rouge plus résistante à l’humidité  et au-dessus une pierre bien jaune (grès). Nous  croisons un grand-père en compagnie de son petit-fils, et au détour d’une interrogation nous engageons la conversation. Cet homme érudit et passionné par cet édifice,  répond gentiment à nos questions, voire les devance.
Ainsi, il nous explique pourquoi les touristes s’approchent en ricanant d’une petite statue anodine placée dans une voussure ; le personnage  représente un homme qui défèque, le sculpteur a poussé la plaisanterie jusqu’à cacher les testicules que les passants peuvent tâter en glissant les doigts à l’intérieur. Au toucher très lisse de la pierre, il est évident que la tradition se perpétue…D’autres œuvres surprenantes pour  un lieu religieux, bien que petites et discrètes, apparaissent  aussi sur la façade.
Notre grand-père nous emmène découvrir le personnage qui mord les parties génitales du démon,
et la vieille femme recommandant à ses congénères l’attitude à observer à la messe, le doigt dans la bouche pour se taire, et la main à l’oreille pour écouter.
Certaines scènes  anti sémites font polémiques comme cette gargouille représentant trois juifs portés par un cochon, faut-il les enlever ou les conserver ? Notre guide occasionnel  nous indique enfin une  tige de métal, à hauteur d’homme  encastrée dans un des murs : elle servait  de coudée les jours de marché pour mesurer les tissus.
- De l’autre côté de la place, l’ancien corps de garde d’époque renaissance marque  le pouvoir laïc : hôtel de ville un temps, lieu de marché puis tribune des magistrats. Sa loggia rajoutée peu après sa construction et ses ornements  lui confèrent  un petit côté italien,  balcon à la Roméo et Juliette.
Sur la même place  La maison Adolph est considérée comme l’une des plus anciennes de Colmar (XVI°) elle relève des monuments historiques.
- Nous nous déplaçons rue des marchands vers la célèbre maison Pfister. Son architecture intègre une tour d’escalier, une galerie en bois, un magnifique oriel. Ses commanditaires n’ont pas lésiné sur la décoration, que ce soit sous forme de médaillons d’hommes historiques, de sculptures ou  de peintures religieuses (les vertus, la bible…) C’est sans doute la plus belle, la plus originale de la ville
- Nous passons ensuite devant l’ancienne douane appelée Koïfhus.
Malheureusement pour nous, des travaux avec leurs bâches et panneaux  de protection nous empêchent  de le voir. Le peu que nous discernons accentue nos regrets !
Durant notre déambulation de ce matin, nous avons  trouvé la cité particulièrement bien entretenue, très propre,  façades pimpantes et enjolivées par les enseignes en fer forgé ouvragées et nombreuses.
Nous souhaitons interrompre notre promenade et désirons manger dans un établissement proposé par Le routard « Jadis et gourmande ». Devant l’afflux de clients, des locaux habitués à réserver dès le matin, nous retenons une table pour 13h 30.
- En attendant, nous découvrirons  le musée du jouet, installé dans un ancien cinéma. Il est désert à cette heure. Sur 3 étages, des vitrines rassemblent une collection de jouets du XIX et XX°siècles triés par catégories :
Les poupées se déclinent, de la poupée en porcelaine en passant par le poupon en celluloïd  puis par la Barbie sous tous ses avatars.
Peu de peluches et de nounours en revanche occupent les étagères.
Des théâtres, des dinettes, des maisons de poupées, des instruments de musique pour enfant, des accessoires, rien ne manque.
Des  voitures miniatures ou  des voitures à pédales attestent du temps et des modes qui ont  passé. 
De magnifiques trains électriques fonctionnent encore  sur de longs circuits, ils roulent sur des voies ferrées bordées de maisons, de gares richement décorées, leurs réseaux s’étendent sur l’ensemble du 2ème niveau.
Ils ont dû en faire briller, des yeux émerveillés de gamins !
Il y a aussi des jeux de société et de construction, des jouets mécaniques, des robots et des Playmobil.
Une exposition temporaire tourne autour des avions datant de leurs débuts, miniatures fragiles et au plus proche de la réalité jusqu’à  des machines plus récentes.
- Il est juste l’heure d’aller au restaurant tester le menu du jour : des lawerknepfla (quenelles de foie) accompagnées de salade et pommes de terre sautées. C’est bien bon !
Nous déjeunons en terrasse ;  à l’intérieur, de vieux  nounours  épient la rue derrière les fenêtres de l’étage.
- Le ventre contenté avec cette recette alsacienne,
nous nous apprêtons à passer l’après-midi au musée Unterlinden

mardi 18 janvier 2022

Faut pas prendre les cons pour des gens # 03. Emmanuel Reuzé.

Excellent, pourtant il est difficile de faire durer l’enthousiasme un fois passé le moment de la découverte d’une voix singulière, d’un humour décapant, sous des aspects très classiques.
Toutes les informations qui nous tarabustent sont abordées : allant du nombre de place en crèche ou dans les EHPAD. 
« - Mon père a encore raté son concours d’entrée en maison de retraite !
- Mon père aussi ! C’est la quatrième fois qu’il échoue !
- Il est arrivé 27° sur 200 candidats mais ils n’ont pris que les 20 premiers ! … 
Je suis désespérée… La concurrence est rude !
- Pourtant je lui avais fait réviser ses différentes matières : le Scrabble, le Bridge, les Sudokus.
- Et le radotage ?
- Je l’ai fait papoter pendant des mois ! » 
Et je ne cite pas toute la séquence qui accentue encore l’absurde. 
Ailleurs face à la concurrence chinoise dans le domaine de la tauromachie le process est changé qui voit un abattoir prendre place au centre de l’arène. 
Les SDF font grève, les consommateurs poussent leurs chariots dans des allées d’un air-shopping vide pour ceux qui ne peuvent se passer d’acheter. 
Un entraineur apprend à ses joueurs à simuler une blessure, un inspecteur du travail relève que la ceinture d’explosifs d’un terroriste n’est pas aux normes et pour avoir réussi son examen d’horodateur une jeune fille en reçoit un en cadeau, il suffit de mettre une pièce.
Les cours de madame Pinson se font dans un gymnase tellement les élèves de la 4° B sont nombreux. 
Un élève d’un milieu favorisé ne s’ennuie pas après avoir sous traité ses devoirs et sa présence aux cours à un jeune béninois, ses parents payent trois coréens pour s’ennuyer à sa place. 
Caméras de surveillance, prostitution des étudiantes, démarchage téléphonique, réfugiés en bateaux pneumatiques, abandon des animaux de compagnie, déserts médicaux… 
nous font rire.

lundi 17 janvier 2022

Nos plus belles années. Gabriele Muccino.

Je voulais revoir comment, dans le genre « Mes chers amis » ou « Nos meilleures années » quitte à confondre les titres, le cinéma italien pouvait traiter du temps qui passe depuis « Nous nous sommes tant aimés »
Le film rétrospectif de 80 à 20 n’actualise pas vraiment le portrait dressé par la Scuola Scola mais l’amitié n’a pas d’âge et mon indulgence est constante quand il s’agit de l’Italie. 
Je me régale de tous les stéréotypes, de toutes les répétitions : la belle fille qui va de l’un à l’autre, le prof, l’avocat, le chômeur, le calcio, la mama, Berlusconi, les restaurants et la maison ocre sous les pins, la fontaine de Trévi ! Qu’est ce qui fait ce charme ? L’optimisme sans illusion, l’Opéra, la musique, les feux d’artifice, ne pas se prendre au sérieux, Rome et Naples, les enfants, les voitures, la beauté, la littérature et la légèreté, la débrouillardise, les acteurs… ça chante, ça boit , ça crie, ça rit, ça vit, ça pardonne. 
Voilà je suis contaminé par les bavards qui ne prennent pas la pose et parlent avec les mains et nous reposent des pontifiants de chez nous avec coach pour maitriser leur langage corporel : un bon moment pépère.

dimanche 16 janvier 2022

Chansons 2021.

Rappel des choix de la ronde année dernière : 
Et pour la vingt et unième de ce siècle quelques éternelles :
« Le marin » : rien qu’une chanson mais de Souchon. 
 Aragon : « Tu n’en reviendras pas » avec Ferré.
« Les cons », mot de l’année, par Brassens. 
Un, quand même de cette année : Bénabar.

samedi 15 janvier 2022

Anéantir. Michel Houellebecq.

Une petite semaine pour lire les 720 pages d’un livre dont l’aspect cartonné comme un classique le distingue des autres, d’autant plus que la densité d’une écriture claire et parfaitement documentée, la diversité des thèmes nous emmènent au-delà des productions ordinaires.
Nous suivons «un chemin plein d’ombres» traversant l’époque sans être étourdis de trop de péripéties et pouvons regarder en face les interrogations de toujours.
« On jette enfin la terre sur la tête, et en voilà pour jamais » Pascal 
En attendant, se déroule une sacrée « comédie », morne et prenante. 
«  La vie change alors de nature, et se met à ressembler à une course de haies : des examens médicaux de plus en plus fréquents et variés scrutent l’état de vos organes. Ils concluent que la situation est normale, ou du moins acceptable, jusqu’à ce que l’un d’entre eux rende un verdict différent. »
Le roman se situe en 2027. L’anticipation n’est que de cinq ans, de quoi rendre plus criants les problèmes des réfugiés, des attentats et des piratages informatiques. Elle nous dispense de l’apocalypse annoncée.
Sur fond économique apaisé, les solitudes s’arrangent entre elles. 
« L’Europe dans sa totalité était devenue une province lointaine, vieillissante, dépressive et légèrement ridicule des Etats-Unis d’Amérique »
Enigme diplomatique et coulisses du pouvoir, rêves, beauté de la campagne française, EHPAD, l’ennui est parsemé de rares coup d’élastique potaches à des baudruches branchées. Les questions fondamentales en prennent de l’évidence : 
« tout ce que nous avons réussi à accomplir, nos réalisations, nos œuvres, rien de tout cela n’a plus le moindre prix aux yeux du monde » 
« Manuel de réassurance pour vieux mâles blancs » pour Médiapart, étant de ceux là, je m’y retrouve. J’ai bien aimé la progression désinvolte jusqu’à la fin poignante, d’autant plus qu’elle n’est pas surjouée et que la littérature apparait une fois de plus comme le meilleur des remèdes au désespoir.

vendredi 14 janvier 2022

Money time.

Les jours de l’an passent et disparaissent derrière nos haleines bavardes.
Si nous arrivions à éloigner tous les sujets à propos desquels nous sommes incompétents ou impuissants, il resterait peut être plus d’espace pour profiter de nos conforts occidentaux. Pourtant ce serait s’exposer à l’étiquette «  chacun pour sa gueule » qui colle à chaque article du vendredi sur ce blog, que de ne rien dire sur ce qui nous passe devant le nez. 
En abordant le thème de l'argent, je n'ai pas le sentiment de m'exprimer comme un hobereau  pété de thunes ne comprenant point ses manants las d'être bénévoles, mais comme un radoteur d'un autre siècle quand le savetier de La Fontaine chantait plus volontiers que le financier.
Le pouvoir d'achat reprend du poil de la bête quand les décroissants déclinent, pourtant nos façons de parler : « je la calcule grave» auraient pu avertir que le PIB n'est peut être pas une fin en soi bien que ça compte, quand on a faim. J'ai croisé récemment un dératiseur dont la fierté de faire ce que les autres ne veulent pas faire, était revigorante.
La part de chacun à apporter dans la société, en particulier en situation de crise, ne se monnaye pas forcément, quitte à insister sur cette contradiction des pourfendeurs de la  marchandisation du monde. Les céréaliers de la Beauce mettaient les petits paysans en tête de leurs cortèges revendicatifs pour défendre leurs privilèges de gros, les personnels à statut ont amélioré leurs situations en évoquant les précaires qui finiront par assumer les tâches les plus périlleuses. Nous n’échappons pas à ce que nous dénonçons. Les jeux d’argent ne concernent pas que les gratteurs de tickets de Loto et le mot « pouvoir » n’est pas réservé au locataire de l’Elysée.
Ces « nous » sont difficiles à dénouer, entre ceux qui ne veulent rien savoir du passé et les blessés de l’enfance qui ne cessent de ressasser les traumatismes anciens. Cela vaut pour les décoloniaux en général ou quelque septuagénaire en particulier coincé sur l’obligation qu’ils avaient de finir leur soupe lorsqu’ils étaient enfants.
Depuis nos places de village désormais vides, nous avions des raisons de mesurer la perte de l’influence du christianisme, nous avions tellement méprisé les religions où les plus intégristes ont pris la main (de fatma), qu’aujourd’hui nous en exagérons peut être le poids. Les soldats derrière leurs lunettes à vision nocturne perdus dans le désert n’ont pas mieux vu. Le sujet enfoui prend une importance démesurée, mais il est là, et bien fol qui se défile. Mais quand Gims occupe toute la place, j’en suis à regretter d’autres maîtres d’antan.
Je viens d’envoyer à ma commentatrice unique, à propos d’un autre article, cette phrase de Bossuet qui me semblait propre à contredire son sentiment de perte de liberté alors que la vaccination lui permettrait de faire tout ce qu’elle veut. 
« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes » 
avait été prononcé à propos des protestants regrettant la violence. Nous en sommes encore là ; chacun reprochant aux autres d’être violents et poussant des cris d’orfraie au moindre mot de travers alors que les évènements en Guadeloupe les laissent cois.
Les chroniqueurs qui reprochent par exemple à Houellebecq de banaliser l’extrême droite font bien mieux dans ce sens là en collant l’étiquette infamante sur tout ce qui les contrarie ! En les multipliant, elles se décolorent et le pauvre collé, bon citoyen, qui s’est vu assigné métaphoriquement à la surveillance du camp de concentration, ne peut que se dire: décidément ce qui est excessif est insignifiant. 
« La traitrise et la violence sont des lances à deux pointes ; elles blessent ceux qui y ont recours plus grièvement que leurs ennemis. » Emilie Brontë