jeudi 7 octobre 2021

Le MAMCS à Strasbourg.

Derrière son parvis rendez-vous des skateurs,
le Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg
réussit à faire rencontrer des œuvres classiques et des propositions, comme on dit, contemporaines qui se réveillent, se révèlent les unes les autres,
sans avoir besoin de se noyer dans les baratins cache-misère des FRAC 
(Fonds Régionaux d'Art Contemporain).
Toutes les écoles sont là :
la peinture académique, abstraite ou surréaliste, l’impressionnisme et sa version néo, le symbolisme, le cubisme, l’expressionnisme : Marquet,  Sisley, Rodin, Monet, Signac, Braque, Picasso …
Nous avons remarqué les danseuses et de petites figurines de François Rupert Carabin
et découvert un autre régional de l’étape, Gustave Doré, dont « Le christ quittant le prétoire », monumental donne une autre idée du célèbre graveur.
« Das Kreuz » (La croix) d’ Eugen Schoenebeck invite à un dialogue autour du sacré  
auquel Patrick Neu nous convie également.
De Jean Arp, alsacien lui aussi, est proposée « La Trousse du Naufragé », quand les avant- gardes Dada ou surréalistes, avaient de l’humour en jouant avec le hasard.
Les propositions interactives sont ludiques :  par exemple Ben nous propos de choisir des objets posés sur une étagère et de constituer notre propre création , en les touchant, en les déplaçant. Nous nous arrêtons à une attraction où une séquence vidéo avec un système de delay se succède à elle même trois fois sur trois plans décroissants  tel un écho visuel.
Le « Siège de musique pour deux sonneurs de Launeddas et Madonna Ciccone » 
de Michel Aubry tient moins de place
que « La chambre de musique » de Kandinsky ambiancée par Schönberg.
Nous retenons l’amusante araignée, « The Spider » d’Alain Séchas qui ne ferait même pas peur à ma petite fille.
Je me souviens essentiellement des anges de Wim Wenders
ou de « La belle Noiseuse », Emmanuelle Béart, qui animaient l’exposition « La Beauté du geste » placée sous mots d’Henri Michaux: « La vie dans les plis » ou d’André Malraux « Les voix du silence ».
Je me rappelle du nom de Daniel Dezeuze parce qu’il exposa au musée de Grenoble 
et de Giuseppe Penone
une belle découverte dont nous avons pu voir son « Procedere in verticale ». 
« La Petite opération »( Kleine Operation) de Max Beckmann est chirurgicale.
Les graveurs ne manquent pas dont Max Klinger l’un des plus étranges. « Grossjena ». 
Le livret d’accompagnement : «  Joyeuses frictions » n’était plus disponible en français. Cette pénurie loin d’être exceptionnelle dans les lieux artistiques ajoute à mon incompétence en anglais la contrariété de voir notre langue perdre de son importance. 
 

mercredi 6 octobre 2021

Promenades autour de Grenoble # 4.

Voreppe
dont on connaît surtout les ronds-points peut offrir l'occasion de rencontres avec l'histoire, la littérature, la géographie et la musique aussi.
Sur un monument au bord de la route de Lyon représentant un homme la corde au cou on peut lire : 
«  Cette porte  des alpes que les armées d’invasion n’ont pu franchir en juin MCMXL (1940) les armées allemandes d’occupation harcelées par le maquis de Chartreuse ont torturé et tué d’innocents otages au mépris de tout droit humain. Vous qui passez souvenez-vous »
S’il y a une médiathèque Stravinsky, c’est que le musicien russe vécut deux ans dans la cité qui approche aujourd’hui les 10 000 habitants. 
L’école Debelle, honore plus sûrement le peintre célèbre pour «  La journée des tuiles » et dont on peut voir des fresques à l'église, que les généraux de la République et de l’Empire du même nom.
Au cimetière se trouve la tombe du docteur Rome qui ne se faisait pas payer par les plus pauvres et inspira Balzac pour « Le médecin de campagne ».
Le père du chanteur Michel Fugain, grand résistant, exerça dans la commune comme médecin.
Choderlos de Laclos écrivit « Les liaisons dangereuses » au château de Sieyes, Stendhal venait au domaine de son grand père Gagnon, et Berlioz chez sa cousine.
Je viens de trouver sur Internet une photographie témoignant d'un passé où l'industrie du ciment était importante au hameau du Chevalon. De quoi réveiller quelques velléités chez un photographe parmi des friches industrielles à tendance «urbex», .
Pour une promenade plus champêtre prendre la direction du monastère de Chalais où les Chartreux auxquels ont succédé des sœurs dominicaines avaient aménagé un sentier aujourd’hui ponctué de « stations sensorielles ».
Au bout d’une demi heure de marche pépère depuis le parking, la vue est exceptionnelle servie par une table d’orientation bien faite. 
De là on voit bien que Le Grand Ratz côté Chartreuse est de la même nature géologique que le bec de l’Echaillon côté Vercors, rattaché étonnamment au domaine jurassien.
En observant la cluse, les météorologues de jadis avaient la prévision égrillarde : 
« Le trou de la Mère d'Agoult est bien bouché, il faut prendre son parapluie » 
Marie d’Agoult avait quitté sa famille pour Franz Liszt.

mardi 5 octobre 2021

La mémoire dans les poches. Etienne Le Roux. Luc Brunschwig.

A n’avoir lu que le deuxième tome d’une série de trois dont le dernier volume s’est fait attendre 8 ans, le temps de la résolution d’une dépression de l’auteur, je n’ai pas perçu toute l’intensité, ni la sincérité de ce récit proche d’une réalité intime. 
Ces 70 pages finement dessinées et colorisées suivent un fils à la recherche de son père. Nous passons de cours d’alphabétisation pas de tout repos à l’exposition médiatique du jeune écrivain proche d’une mère pas facile. Le prêchi-prêcha devant un parterre de policiers qui viennent de lui décerner un prix parait quelque peu daté, dans un récit qui aborde pourtant la complexité : 
«  Il faudrait préférer plus de relationnel avec la population, ceci afin d’être mieux connu des gens, mieux travailler avec eux et mieux appréhender les mœurs sans cesse en évolution de quartiers voués à la mondialisation.»  La mondialisation…
Il est question de bouts de papier dans les poches du père pour aider sa mémoire défaillante et de ceux qui pourraient aider une jeune réprouvée algérienne et son enfant.

lundi 4 octobre 2021

Les amours d’Anaïs. Charline Bourgeois Tacquet.

On pourrait croire à une parodie de film français en milieu germanopratin comme on n’ose plus en produire tant les outrances des personnages sont appuyées. 
J’en inverse mes penchants antérieurs quand Anaïs Dumoustier m’énerve
alors que Bruni Tedeschi m’apaise cette fois ci. 
La belle, un peu âgée pour son rôle, séduit et détruit avant de passer prestement à autre chose, aussi irresponsable avec son directeur de thèse, sa logeuse, ses amants, ses parents. Elle avorte entre deux courses, toujours contrariée et malgré son intelligence et sa séduction, se perd. Sa course affolante vers la liberté crame tout sur son passage, mais est-ce une recherche tant cette personnalité semble fragile, indécise ? 
Dans la fourmilière d’un entre-soi affolé nous percevons aussi le grotesque de nos paniques.
Il vaut mieux y voir une comédie bien dialoguée où les notations cocasses se multiplient avec de bons acteurs qu’une chronique inquiète de notre temps tendant vers un amoindrissement de notre humanité.

dimanche 3 octobre 2021

«Anesthésie Générale ». Jérémy Ferrari.

Il est question de santé dans cette prestation solitaire à la Vence scène, c’est que décidément l’humoriste après avoir traité des religions, des attentats, aime les sujets délicats.
Il s’en tire parfaitement, passant de la gravité, aux jeux de mots les plus nuls, nous donnant à rire et à réfléchir, nous surprenant.
Pourtant c’était mal parti avec l'exclamation rituelle : « ça va Saint Egrève ! » et spots aveuglant un public frappant des mains en cadence et pris à partie d’emblée. Mais d'autres comme lui étaient retombés sur leurs pattes au bout de deux heures et demie
La référence à la mère semble également inévitable et malgré quelques facilités ravissant ses fans, j’ai apprécié sa sincérité et son intelligence en des moments forts où il met en scène une tentative de suicide, fait part de sa folie avec les conflits entre ses diverses personnalités.
Il joue d’une palette étendue avec mimes, imitations, autodérision, voire pédagogie avec l’évocation de l’histoire de la sécurité sociale se confondant avec les rapports des pouvoirs où Servier joue un rôle éminent. Le rappel de la mort du milliardaire a pu faire naître des réactions problématiques, à mon sens, dans le public. 
Il nous emmène avec énergie bien au-delà du divertissement, nous manipule, et nous met face à notre crédulité dans un numéro très habile qui vaut à lui tout seul le prix du billet. Arriver à faire rire en évoquant l’homéopathie à partir de données très sérieuses ou ne pas faire rire volontairement, juste avant de se laisser aller à des rires régressifs : c’est du grand art.
Le sketch du directeur d’hôpital recevant des familles est tordant. Le rappel de mots imprudents de politiques au début de la pandémie peut tourner à la leçon trop facile à postériori,  mais la profusion des approches, la variété des angles permettent de ne pas s’appesantir et de passer un excellent moment.

samedi 2 octobre 2021

Boule de suif. Guy de Maupassant.

Du temps de Guy Mollet et des dictées souvent signées Guy de Maupassant, mes camarades de classe s’amusaient de notre prénom commun, alors il serait temps que sur ce blog à la dénomination désuète figure une chronique consacrée à celui qui était né pile un siècle avant moi (1850).
Je me souviens que son récit fulgurant : « La ficelle »  m’avait servi pour introduire une leçon de morale sur « la médisance» lors de mon C.A.P. d’instituteur.
Onze nouvelles parmi trois cents accompagnent «Boule de suif» dont Flaubert avait dit que c’était un chef d’œuvre. Elles sont d’une efficacité souveraine, d’une densité remarquable.
Pas étonnant que les adaptations se soient multipliées, tant la structure des tableaux est charpentée avec des dialogues d’une grande authenticité et des portraits vivement brossés. 
« La femme, une de celles appelées galantes, était célèbre par son embonpoint précoce qui lui avait valu le surnom de Boule de Suif. Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de saucisses ; avec une peau luisante et tendue, une gorge énorme qui saillait sous sa robe, elle restait cependant appétissante et courue, tant sa fraîcheur faisait plaisir à voir. » 
Les descriptions fines et profondes vont au cœur du réel, sans s’attarder : nous sommes pendant la guerre de 70 en Normandie où la tragédie est familière. 
« Un calme profond, une attente épouvantée et silencieuse avait plané sur la cité ; la vie semblait arrêtée, les boutiques étaient closes, la rue muette ; l'angoisse de l'attente faisait désirer la venue de l'ennemi… » 
Le style virtuose passe de la légèreté la plus heureuse à la noirceur la plus incurable. 
« Le capitaine se tut. Je ne répondis rien. Je songeais à l’étrange pays où l’on pouvait voir de pareilles choses ; et je regardais dans le ciel noir le troupeau innombrable et luisant des étoiles. » 
Les conclusions sont à l’image de sa propre vie dont il prédisait la fin dramatique: 
« Je suis entré dans la littérature comme un météore, j’en sortirai comme un coup de foudre. » 
….
Je viens d’emprunter à la bibliothèque une BD de Battaglia adaptateur d’autres géants 
et ce volume consacré  aux «Contes et nouvelles de guerre» est vraiment en accord avec l’écriture de Maupassant : 
« un style concis, époustouflant de précision, dissèque l’âme humaine jusqu’aux tréfonds, dans ses faiblesses insignes et ses surprenants courages… »

vendredi 1 octobre 2021

L’art d’être français. Michel Onfray.

Le philosophe est d’autant plus abordable qu’il ne ménage pas ceux avec lesquels il est en désaccord, en relevant des traits péjoratifs de leur biographie. 
Comme je n’ai pas les outils conceptuels les plus affutés, je ne peux que savourer ces anecdotes situées assez loin du débat d’idées pures, mais rendant vivantes les 392 pages. 
De plus l’indifférence éditoriale que rencontre son livre m’attirerait plutôt quand il va à l’encontre des conformismes idéologiques bien que je réprouve son positionnement envers le chef de l’état et son « en même temps ».
La méthode du fondateur de l’université populaire de Caen est efficace lorsqu’il partage chaque chapitre entre ce qui relève des paroles et ce qui est prouvé par les actes.
Sa France est celle de la finesse de Montaigne, de la «  gaieté libre et truculente » de Rabelais, du doute de Descartes, de l’ironie voltairienne, de la galanterie de Marivaux  et celle d’Hugo pour l’attachement au peuple et à la justice.
Après des années de pédagogie auxquelles j’ai contribué, je partage son constat sombre sur la nature humaine: 
« Cet être égotique revendique tous les droits et ne reconnaît aucun devoir : tout lui est dû, il ne doit jamais rien à personne. Il prend mais ne donne pas. Il exige mais veut qu’on lui fiche la paix. Il se sert mais ne sert jamais. »
L’incorrect n’y va pas avec le dos de la cuillère et si je l’accompagne dans sa vision d’un effondrement de la société et de l’inversion des valeurs, je ne suis pas d’accord avec son obsession anti européenne. 
« …  dès qu’un ancien maori ignore les généalogies de son peuple et reste muet un jour de leur déclamation rituelle, l’acte de mort de la civilisation est dressé. » 
Les titres des chapitres désignent les problèmes :
    la moraline, l’infantilisation, la déresponsabilisation, l’art contemporain,
et les réponses faisant « la bête » en voulant « faire l’ange » :
    l’écologisme, la créolisation, le néo féminisme, le décolonialisme, l’islamo-gauchisme,          l’antifascisme, l’antispécisme.
Il remonte aux sources mais évite par exemple de dénoncer Marcel Duchamp pour mieux critiquer ses successeurs. Sa verve est efficace pour dénoncer le freudo-marxisme et le déconstructivisme, Sartre et Houria Bouteldja, Foucault et Edwy Plenel, Glissant et Mélenchon…
La conclusion intitulée «  Le sublime de la catastrophe » laisse entrevoir un avenir transhumaniste avec lequel devra composer l’Islam prenant la place de la civilisation judéo chrétienne, bien que « la technique fasse mauvais ménage avec une pensée féodale. »
«  On peut dire non à la Divine comédie de Dante […] aux films de Charlie Chaplin, mais peut-on vivre sans électricité, sans informatique, sans pénicilline, sans moteur, sans la chirurgie contemporaine ? »