jeudi 10 juin 2021

« Speak white ». Alain Borer.

A l’heure où le white se fait « mater » par le black, l’injonction : « speak white » à destination des québécois qui devaient impérativement parler la langue du colon, n’est même plus nécessaire, l’anglais est devenu hégémonique.
L'anglais intégral s'installe dans les conseils d’administration, « globisch » passe partout, « anglobal » , « anglolaid » : « maisoning » et « France bashing ». On ne court plus on « run »,  « fooding » se substitue à « cuisine », 
« Il y aurait aujourd’hui, plus de mots anglais sur les murs de Paris que de mots allemands sous l’Occupation. » Michel Serres.   
J’avais oublié la signification de « chiac »  pourtant appris avec Lisa Leblanc  
 « une des variétés du français acadien, qui comporte une part plus ou moins importante de mots empruntés à l'anglais»  
Exemple :« Ça t'tente tu d'aller watcher un movie? » (Est-ce que ça te tente d'aller voir un film?)  
Ce mot qui claque,  figure parmi quelques termes qui m’ont paru énigmatiques et rendent ces 42 pages parfois difficiles à lire, alors que l’interrogation figurant sur la couverture «  pourquoi renoncer au bonheur de parler français ? » laissait entrevoir du plaisir, d’autant plus que l’auteur est un poète, spécialiste de Rimbaud.
L’avenir se révèle plutôt sombre pour notre langue, « la plus littéraire du monde », car il n’est pas question que de lexique, même si l’examen de la différence entre les deux premières personnes,« I » et « je » recèle des trésors de finesse, c’est une vision du monde qui est en jeu.
Pour donner une idée de la richesse de cet essai dans la collection « tract » de chez Gallimard, j’extrais un passage de circonstance qui peut sembler cependant anecdotique dans un ensemble charpenté. 
«  L’écriture dite inclusive, ignorante de la langue française, laide, sourde, simpliste, moraliste et d’ailleurs illisible, appropriée à des relations en chien de faïence, constitue un signe manifeste de l’auto colonisation américaine, séparatiste et communautariste, opposée à la coprésence esthétisée de cette idéalisation en langue française. Ainsi sans la brumisation du e muet, la féminisation « genrée » s’active dans le même sens que l’écriture dite inclusive, dont on s’aveugle à ne pas voir qu’elle est exclusive : soumise aux représentations américaines, elles en propagent les pratiques, political correctness, sexual harrassment, juridisme… »

mercredi 9 juin 2021

Chartres # 1.

 
Nous retrouvons donc la voiture 
et roulons vers Chartres par l’autoroute, quittée à Eaubonne pour déjeuner. 
Nous dénichons avec un peu de difficulté un restaurant italien ouvert, « la dolce Vita », servis par une jeune fille timide sous l’œil vigilant et pédagogique du patron/père.
Une fois repus de spaghetti bolognaises, nous ne sous éternisons pas dans la ville d’Eluard et d'Alain Chamfort. L’autoroute nous rapproche de Paris.
Vers Versailles, l’A 83 plonge curieusement  sous terre dans un tunnel long de plusieurs kilomètres. Nous nous arrêtons sur une aire d’autoroute à 20 km de notre destination car nous ressentons le besoin d’une petite sieste, satisfaite dans l’auto.
De nouveau d’attaque, nous laissons le GPS nous guider vers Lucé. Nous y retrouvons le propriétaire de notre Airbnb. Il nous fait faire le tour de l’appartement, qu’il utilise quand il ne réside pas à Paris. Le logement est sympa, vaste et aéré, bien équipé.
« Mais vous apparaissez, reine mystérieuse.  
Cette pointe là-bas dans le moutonnement  
Des moissons et des bois et dans le flottement 
De l’extrême horizon ce n’est point une yeuse (chêne vert) » Charles Péguy
Chartes où Jean Moulin fut préfet est à 5 ou 6 km de Lucé. 
Nous nous y rendons en voiture, et après nous être  embarqués dans les rues très étroites de la vieille ville, nous trouvons à garer la Clio  près de la rue aux juifs. 
Nous déambulons au feeling, arpentant des voies pentues, 
au milieu d’anciennes et jolies maisons moyenâgeuses à colombages 
il y a l’escalier de la Reine Berthe,
 
ou la maison du saumon 
et bien d’autres encore.
Au sommet domine la cathédrale Notre Dame, au gothique flamboyant  plutôt sobre,
flanquée de tours asymétriques, 
d’une rosace
et  parée de statues oblongues.
Dans le  tympan central réside le Christ entouré des quatre évangélistes figurés par le lion, le taureau, l’aigle et l’ange,
quant à  celui de droite, il est dédié à la Vierge ; nous renonçons à découvrir l’intérieur où un prêtre célèbre la messe, nous reviendrons demain pour une visite plus approfondie et munis d’un livre spécialisé  acheté dans un magasin voisin.
Nous dinons au café du Général (croque-monsieur, glace ou salade fitness et bières) en attendant le son et lumières  projeté sur la cathédrale.
2 programmes s’enchaînent : le 1er poétique rappelle le sacre d’Henri IV dont on dit qu’il franchit la nef à cheval et le 2ème  parcourt les siècles et  l’Histoire de ce patrimoine religieux.
Une fois de plus, nous sommes séduits par ce type de  spectacles, gratuit mais de qualité qui réveille ces vieilles dames par des couleurs et des récits instructifs.

mardi 8 juin 2021

Vivons décomplexés. Germain Huby.

Comme pour tout le monde, la pandémie a accentué les traits caractéristiques de l'auteur
plasticien vidéaste, sa noirceur. 
S’il est moins inventif et amusant que Reuzé dont on n’oublie pas un titre fameux,  
« Faut pas prendre les cons pour des gens »,
il participe à la même veine dont Fabcaro chanteur et scénariste au cinéma est la référence en BD. 
Des dialogues d’un humour glacial sur fond de dessins réalistes inspirés de plans cinématographiques mettent en évidence les absurdités de notre temps.
Le champ/contrechamp d’un patient et de son médecin est particulièrement approprié pour évoquer la confusion des rôles, comme ce couple dont l’un regarde avec soulagement une expulsion dans l’immeuble d’en face alors que l’autre compatit avec une maman qui vient de vendre son bébé dans un film qui « mérite vraiment sa palme d’or ».
Parmi 56 planches, je trouve bien vue celle où le chômeur arrête de travailler parce qu’il en a « marre  de cotiser pour tous ces chômeurs qui n’en foutent pas une rame de la journée. », ou quand les journalistes des chaines d’info en continu s’étonnent de l’angoisse des gens qu’ils ont contribué à créer. J'ai tout apprécié.
Tout y passe parmi tant de situations troublées avec les ados, entre voisins, homme et femme, dans les rapports parents/enfants. Les corrects acharnés de la correction ne sont pas forcément clairs et la directrice « pas de vague » est prévisible. De nouveaux protagonistes apparaissent : les complotistes, les télétravailleurs, la boulangère experte en chloroquine, l’écrivain révélant des secrets de famille pour son livre «  40 recettes faciles en région occitane », les CRS … Epicé !

lundi 7 juin 2021

The Father. Florian Zeller.

Après le dad odieux de "Falling" 
un père paumé parlant anglais sous les ordres d'un french réalisateur en est à la fin de son parcours.
«Boomer » invité à la fermer, je m’agite en tant qu’ancien visiteur d’EHPAD et jadis indécent qui à la moindre étourderie évoquait Alzheimer, je suis à présent impliqué par la question: « est- ce que vous allez nous emmerder encore longtemps ?» 
Le film nous embrouille et nous concerne. Anthony Hopkins nous fait peur plus intimement que dans l’exotique « Silence des agneaux », en ne reconnaissant plus sa fille, ni sa maison. Le temps est embroussaillé, les espace confondus, le domaine de la parole n’est pas encore atteint : « je perds mes feuilles une à une » dit Anthony. Il se débat, intelligent, drôle, lucide, pathétique, injuste, sifflotant après avoir été pris par « Le génie du froid » de Purcell en introduction, quand on comprend que nous allons être enfermés pendant une heure trente huit. 
Le montage ne joue pas au malin pour rendre complexe gratuitement un déroulement fatal. Il nous met habilement dans la tête de celui qui est en train de la perdre, sobrement, efficacement. Les prudences peuvent être violentes, les gentillesses humiliantes, l’ « absurde » autrefois sujet de dissertation met son pyjama à point d’heure. Dans notre monde vieillissant, cette immersion peut émouvoir ou effrayer, elle est forte.

dimanche 6 juin 2021

Chansons populaires de France # 2. Yves Montand.

A écouter les chansons du passé, l’amour côtoie souvent la mort
ainsi dans « Le soldat mécontent » 
« Qui a composé la chanson
C'est un tambour du bataillon
C'était un soir, en battant la retraite
En pensant à sa mie que toujours il regrette »
 
Tout est dit d’emblée dans « Le chant des canuts », ouvriers lyonnais de la soie révoltés au début du XIX ° siècle par le vil prix proposé pour leur travail quand de nouveaux métiers à tisser sont apparus : 
« Pour chanter "Veni Creator"
Il faut avoir chasuble d'or.
Nous en tissons
Pour vous, gens de l'église,
Mais nous pauvres canuts,
N'avons point de chemises. »
 
En première page du cahier de chansons de la gauche, figure « Le temps des cerises » de Jean Baptiste Clément, l’auteur de « Dansons la capucine », qui abandonna pour une pelisse les droits de l’impérissable hymne à la commune de 1871, où il tint une des dernières barricades. Il y eut alors tant de sang dans les rues de Paris que l'écarlate chanson d’amour porta pour les siècles des siècles la nostalgie et les espoirs de tous les merles moqueurs et cueilleurs de pendants d’oreille : 
« J'aimerai toujours le temps des cerises :
C'est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte »
Si Montmartre avait été un foyer de résistance, « La butte rouge », est située en Champagne et a pris ce nom avec d’autre sang encore versé lors de la guerre de 1914.
« La butte rouge, c'est son nom, l'baptême s'fit un matin
Où tous ceux qui grimpaient roulaient dans le ravin.
Aujourd'hui y'a des vignes, il y pousse du raisin.
Mais moi j'y vois des croix portant l'nom des copains »
Rosa Holt, allemande réfugiée en France, pressentant l’horreur, écrivit en 1935  « Giroflé, Girofla » en reprenant une comptine où le contraste entre l’innocence et la férocité  n’en est que plus frappant : 
« Que tu as la maison douce !
Giroflé, Girofla
L'herbe y croit, les fleurs y poussent,
Le printemps est là.
Dans la lune qui devient rousse...
Giroflé, Girofla
L'avion la brûlera, l'avion la brûlera ! »
 
Que dire après Malraux lors de l’entrée de Jean Moulin au Panthéon ? 
« L’hommage d’aujourd’hui n’appelle que le chant qui va s’élever maintenant, ce « Chant des Partisans » que j’ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d’Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors, quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Rundstedt lancés de nouveau contre Strasbourg. Écoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. »
« C'est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères
La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère
II y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves
Ici, nous, vois-tu, nous on marche, nous on tue ou on crève. »
Il fallait bien scinder en deux la chronique concernant ces chansons pour diluer un peu ces émotions qui s’accumulent et que le vieil écrivain chevrotant ranime à tous coups.

samedi 5 juin 2021

Canoës. Maylis de Kerangal.

Quand la quatrième de couverture annonce que les sept nouvelles « sondent la nature de la voix humaine », on pourrait craindre un exercice de style, mais j’ai trop d’admiration pour l’auteur, je sais qu’elle dit la vérité.
Elle parle de femmes « de tout âge, solitaires rêveuses, volubiles, hantées ou marginales. Elles occupent tout l’espace. Surtout, j’ai eu envie d’aller chercher ma voix parmi les leurs, de la faire entendre au plus juste, de trouver un « je » au plus proche. » Elle parle pour chacun.
Son écriture précise rend le monde plus proche, plus riche. 
«  Il était quinze heures, le ciel était fade, couleur d’orge malade, et le silence revenu comparable au bourdonnement continu d’un frigo, un silence si étrange, si envahissant que je ne parvenais plus à le distinguer de moi-même… » 
Cet extrait tronqué ne peut rendre l’ampleur, l’acuité, la pudeur, la finesse, la simplicité de son écriture qui va, sans jamais peser, livrer quelques mystères. 
« Je m’attardais moi , moi, sur une autre théorie, ambiguë celle là, et tragique, celle de l’impasse évolutive, la sénescence de l’espèce au cours du Crétacé, les dinosaures atteints de gigantisme et pourvus subitement de structures anatomiques absurdes, devenus lourds et lents, incapables de rivaliser avec les autres mammifères-ils dodelinaient de la tête en secouant des collerettes vaines ployant sous le poids de cornes aberrantes, has been mélancoliques… » 
Toujours documentée, elle n’a pas besoin de la ramener :  
«Elle m’a parlé des coquelicots qui ne poussent que sur des terres calcaires, sur des terres remuées, retournées, aérées, de sorte qu’ils apparaissent souvent sur les champs de bataille ravagés par les combats… » 
165 pages : ce n’est pas assez, mais cette livraison permet d’attendre avec impatience la prochaine.

vendredi 4 juin 2021

Hors sujet.

De digresser plus qu’à mon tour ne m’empêche pas de remarquer que beaucoup d’autres bavards choisissent de répondre de plus en plus souvent à côté des questions.
Je n’évoque pas les politiques malmenés par les journalistes qui contournent l’interrogatoire, ne voulant pas dire ce que les procureurs veulent leur faire dire de bon matin.
Je ne développerai pas non plus à propos des trolls des réseaux sociaux, trop faciles à débusquer, qui rendent cependant plus lisibles d’autres plus subtils et plus corsé l’air du temps.
Exemples : le Rwanda se déplace en Algérie, Piolle en gard’av et voilà Carignon ressortant de sa tôle, le Pass culture pour les jeunes : mais que fait-on pour les vieux ? Il pleut : c’est la faute à Macron, pour la canicule annoncée pas difficile de trouver le coupable à venir.
On a beau dire que tout ce qui excessif est insignifiant, une telle indigence augmentée d’une abyssale mauvaise foi devrait appeler le sourire mais c’est l’accablement qui survient. Des nappes de gaz nocifs stagnent pour longtemps dans nos lieux communs.
L’autre jour, une féministe s’insurgeait avec justesse contre l’expression «  post » accolée à « me too ». Dès qu’un phénomène apparaît, la semaine suivante il passe à la trappe.
L’histoire de l’art est un terrain de jeux distrayant pour jouer avec les préfixes approximatifs : des « néo impressionnistes » ont surgi après les « préraphaélites » (venus bien après Raphaël) pour précéder les « post modernes ». Mais dans d’autres matières où les déconstructivistes sévissent aussi, les tenants de la « post-vérité » ont encore de beaux jours devant eux.
Trump a disparu du paysage, pourtant les adeptes des « vérités alternatives » continuent d’œuvrer patiemment et pas seulement depuis des officines russes, ils imposent leurs sujets : les vautours se gavent des viscères de nos fondamentaux républicains abimés, de nos espoirs fatigués.
Si j’abuse d’images, c’est que je ne distingue pas vraiment les coupables et les nombreux profiteurs aux rôles amovibles. Sur ce tableau noir où j’usais de la craie jadis, je pourrais ajouter que la langue qui devrait nous unir n’en finit plus de s’effacer. Nous n’en sommes pas encore à l’étape « langue morte » telle celles évoquées la semaine dernière,  
Dans le tram, souvent je ne sais distinguer le langage qui me fut familier, même si une répétitive et désinvolte obsession autour des parties génitales masculines m’indique qu’il s’agit de langue française, débitée à la mitraillette.
Les populistes ne répondent pas à côté de la plaque, c’est eux qui forgent de nouveaux thèmes. Et les « idiots utiles » leur amènent sur un plateau matière à petits agacements qui nourriront les grands fleuves impassibles des rancœurs. Est qualifié de « présumé coupable » celui qui vient d’être pris le coupe-coupe encore plein du sang de ses victimes, alors que les mêmes organes de presse vont livrer sans vergogne la moindre confidence compromettante envers le dernier des apparus à la fenêtre.
Les inquiétudes sécuritaires sont exacerbées et même si les compétences des départements et des régions sont restreintes en ce domaine, les déclarations ne manquent pas. Mais quelles sont les propositions à ce sujet dans le canton 2 de Grenoble? Les tracts départementaux rivalisent dans les nuances de vert avec promesses proches. Le RN déroule les barbelés de la rue Auguste-Prudhomme à Sarcenas, il se distingue en s’autocaricaturant. Mais un avis opposé de plus ne convaincra pas un chat, pas plus qu’une inscription à la bombe  vue dans le quartier Saint Bruno «  Alors Eric (Piolle) on cède à l’extrême droite ! » sans doute à propos de la semaine « décononiale » n’incitera le propriétaire de ce mur fraîchement repeint ni un quelconque passant à rejoindre les indigénistes.  
« La création, comme la vie, est par définition un processus hors équilibre qui nécessite un certain degré de confinement. » Pierre Joliot-Curie