jeudi 27 décembre 2018

Andrea Palladio (1508-1580). Benoit Dusart.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble a commencé par une facétie : le portrait de l’illustre architecte par Le Greco intitulé pourtant «  Portrait de Palladio » ne le représente pas, et même ses contemporains dont Véronèse n’ont pas laissé de traces de son image.
Par contre ses écrits, dont Les Quatre Livres de l'architecture, d’une clarté empreinte d’un savoir faire pratique, lui ont assuré une renommée internationale.
Le comte Giangiorgio Trissino fut son premier pygmalion et donna à Andrea di Pietro della Gondola un nouveau nom inspiré de Pallas, un géant grec. 
Il l’emmena en voyage et comme pour d’autres architectes, la spectaculaire coupole de 43 m de diamètre du  Panthéon de Rome déclencha chez le sculpteur, sa vocation.
Il avait vu aussi le Tempietto de San Pietro in Montorio de Bramante
Avant une autre conférence qui traitera de l’héritage palladien voire du palladianisme, il allait de soi d’examiner ses soubassements en faisant le tour de ses inspirateurs.
Avant sa démolition, Le pallazzo Caprini s’inscrivait dans un vocabulaire antique qui sera repris avec ses colonnes doriques au dessus d’un socle aux puissants bossages.
Dans la ville où est né Palladio, Mantoue, Giulio Romano a construit Le palais du Te dont les murs selon le vocabulaire de l’architecture, loin d’être lisses, sont « plastiques ».
Dans le genre maniériste, Michel Ange avait bousculé les codes avec La bibliothèque Laurentienne de Florence annonçant le baroque.
Le château de Roncade à côté de Trevise gardait ses tours médiévales mais annonçait les opulentes villas à venir.
Daniel Barbaro, pourtant délégué au concile de Trente, consacra plus de temps à ses livres concernant Vitruve ou à ses recherches en optique (camera obscura) qu’à ses activités ecclésiastiques ; il accompagna Palladio, le classique, qui multiplia les résidences aristocratiques à vocation agricole dans toute la Vénétie.
La paix est installée depuis que La Sérénissime République dont les prétentions à s’étendre sur la terre ferme eurent été contrariées par la défaite infligée par la ligue de Cambrai et un certain Bayard.
« Les proportions des voix sont harmonie pour les oreilles; celles des mesures sont harmonie pour les yeux »
Un pigeonnier et un silo destiné à recevoir du maïs encadrent la façade sobre de la villa Emo.
La villa Godi Malinverni incorpore les dépendances dans le plan d’ensemble, 
les fresques de la Sala del Putto sont de Gualtiero Padovano.
Pour la villa Pisani, de noblesse dogale, au caractère élitiste, 
une des façades comporte une baie thermale (en demi-cercle divisée par deux montants).
La résidence Cornaro est dans la surenchère avec ses deux niveaux au dessus du pronaos, comme à l'entrée d'un temple.
Les « barchesses », abris destinés à recevoir le matériel agricole, ouvrent leurs bras autour de la villa Badoer surélevée à cause des inondations fréquentes dans ces plaines.
Joseph Losey a tourné des scènes de Don Giovani dans la villa Rotonda aux quatre façades au bout d’une croix grecque.
Comme 24 de ses villas réparties dans la campagne, tout le centre historique de la ville de Vicenze est classé au patrimoine de l’UNESCO. 
Pour les arcades du  palazzo de la Ragione il multiplie les « serliennes », triplette de fenêtres dont la centrale est cintrée, entre deux rectangulaires.
Après le palais Valmarana, le palais Schio, le palais Barbaran de Porto, le palais Chiericati,  il se vit confier par l’académie, qui précédait la française de 80 ans, le théâtre olympique, premier à être bâti depuis l’antiquité par-dessus une forteresse médiévale.
A Bassano au dessus de la Brenta, il construisit un pont mainte fois détruit et reconstruit.
A Venise même, s’il a assez peu travaillé, la basilique de Santa Maria Maggiore se voit de loin. 
«  Une fresque du Dominiquin ou du Titien qui s’efface, un palais de Michel Ange ou de Palladio  qui s’écroule, mettent en deuil le génie de tous les siècles. » Chateaubriand

mercredi 26 décembre 2018

Lacs italiens # 4

Gros orage dans la nuit : des trombes d’eau se déversent sur la terre et les toits, le tonnerre gronde dans un roulement continu et les éclairs s’enchaînent. Pourtant au  matin, pas un nuage ne traîne sur le bleu du ciel.
Tout le monde se retrouve au petit déj’, où le grill à viande électrique remplace le grille-pain.  Nous préparons nos maillots et le pique-nique et départ pour Sirmione bâtie sur une presqu’île du lac de Garde, distante d’une cinquantaine de kilomètres. Le ciel se voile peu à peu, nous avons parfois l’impression de zigzaguer car nous n’écoutons pas scrupuleusement les instructions de direction fournies par le GPS. Au bout d’une heure nous atteignons quand même notre destination, nous rapprochant au maximum et abandonnant la Clio dans un énorme parking aux portes de la vieille ville moyenâgeuse. A pied nous longeons le lac puis franchissons un pont-levis.
Nous négligeons la visite du château où, semble-t-il, il y a peu de choses à voir, si ce n’est le point de vue du haut d’une tour ou des chemins de ronde.
Nous hésitons  puis nous optons pour une courte promenade panoramique qui devrait nous permettre de trouver un endroit propice pour le pique-nique; midi a déjà sonné.
Sur le chemin nous regardons du dehors et du dedans la chiesa Santa Maria Maggiore dans laquelle subsistent encore des fresques du XV°.

Joli porche d’entrée pour cette petite église soutenue par quelques colonnes assez courtes. Nous nous arrêtons dans un espace arboré occupé par des jeux pour les bambini, peu de tables  mais des bancs de pierre.  Puis nous retournons vers le parking, non sans avoir remarqué qu’une gelateria jouxte une gelateria qui touche un commerce de glaces etc… Des monceaux de glaces que nous regardons à peine.
Retour au bercail sous un ciel carrément gris. On est comme le temps, tout mous bien que l’on nous a repérés : « Vous êtes champions du monde ! ».
Et puis la pluie arrive d’abord doucement puis violemment au moment où nous avons décidé de nous promener à Castelrotto. G. se préoccupe du repas : salade verte, pommes de terre sautées dégustées après un spritz et un Cinzano. Pas flammes les petits français ! A 9 heures la moitié de l’équipe gagne son lit et l’autre lit, pianote téléphone ou tablette sous la bienveillante clim’ facile à régler et bien appréciée.



mardi 25 décembre 2018

Ailefroide. Rochette.

Un beau et grand livre qui ravira ceux qui n’oublient jamais les sommets couronnant
«  la capitale des Alpes » et même celui qui gite obstinément à 212 m d’altitude, admiratif de l’audace des alpinistes et de la force de leur émerveillement face au monde.
J’ai retrouvé des émotions d’enfant comme j’en ai connues à la lecture de Frison Roche avec le sentiment d’aborder une BD dont le succès présent l’inscrit d’emblée comme un classique.
A travers la naissance puis l’assouvissement d’une passion absolue, une relation filiale à la violence suggérée est abordée, comme est parfaitement rendue la force des amitiés exacerbées par le danger. 
Le beau texte de Bernard Amy qui  vient à la fin des 300 pages pourrait jouer des grands mots appelés par cette recherche de sublimes paysages, de sensations extrêmes, il rappelle simplement un mot de l’alpiniste Georges Livanos à qui on demandait qui était à son époque le meilleur alpiniste :
« Le plus vieux ! »
Oui, la mort est omniprésente mais le récit de cette jeunesse qui s’est donné les moyens de sa liberté nous ragaillardit comme un coup de vent matinal.
Ma femme se rappelle du joli garçon discret du lycée Champollion, moi j’avais apprécié ses toiles et le film qui fut tiré de sa BD culte  « Le Transperceneige ».

lundi 24 décembre 2018

DVD divers.

Good Will Hunting. Gus Van Sant (1997): Robin Williams est un psy décisif pour réorienter Matt Damon, un orphelin qui ne pense qu’à boire des bières plutôt que d’exploiter ses dons mathématiques. Feel good film de Gus Van Sant dont la conclusion souligne une trajectoire trop attendue rendue fréquentable par le tempérament de Minnie Driver.
Tueurs nés. Oliver Stone (1994): Une première mouture de Tarentino inspirée de faits réels donne une mixture démodée d’images tourbillonnantes qui finissent par être bien anodines. La présentation d’une violence inouïe s’avère complice de ce qu’elle semble dénoncer : les médias fascinés par des tueurs fous d’amour et de pétarades.
Trainspoting. Danny Boyle (1996): Orange mécanique sans Beethoven, musiques hagardes, montages speed, gueules hallucinées, comme un Ken Loach sans espoir.
L’héroïne c’est de la merde.
Blood diamond. Edward Zwyck (2006): Di Caprio, provisoirement méchant, rencontre une belle et bonne journaliste : la guerre c’est pas bien, surtout avec des enfants soldats. Le rouge sang sur fond de paysage africain condamne le trafic de diamants mais les clichés à la pelle accusent l’industrie hollywoodienne de fournir de tels films convenus.
Qui a peur de Virginia Woolf ? Mike Nichols (1966) : « C’est pas nous, c’est pas nous ! ». Il faut bien avoir en tête la comptine enfantine pour respirer un peu dans cet affrontement entre Liz Taylor et Richard Burton, un moment de l’histoire du cinéma, qui dans leurs jeux cruels et leurs mensonges révèlent des vérités dérangeantes. « Film saoulant » a dit un commentateur. Pas un « fuck »  dans ces dialogues très écrits peut être encore plus violents par leur intelligence.
Les bronzés. Patrice Leconte (1978): Des séquences oui, mais j’ai attendu 40 ans pour voir en intégralité les deux films cultes à la plage et à la montagne. Le temps a passé et c’est intéressant de le mesurer comme avec tant de films estimés vieillis pour vérifier notre fraîcheur critique. L’Hermitte le G.O. dragueur est devenu plus fragile quand le modèle Club Med n’est même plus un objet de railleries. Témoignage d’une époque mais beaucoup de rires se sont perdus.
Les sept mercenaires. John Sturges (1960): Film tellement archétypal qu’il na pas pris une ride depuis sa création en 1960 : une légende. Yul Brynner et Steve McQueen sont venus défendre un village mexicain avec cinq autres compères comme le firent les sept samouraïs de Kurosawa en 1954 parce qu’ils sont la justice et ça marche.
The Magdalene sisters. Peter Mullan (2001): Peut on aller plus loin dans la privation de liberté ? Le destin de quatre filles enfermées dans une institution religieuse pour expier des fautes de chair alors qu’elles en sont des victimes, révèle bien des perversions, mais au-delà il s’agit d’une remise en cause de l’oppression exercée par toute la société irlandaise, puisque ce type de punition a concerné 30 000 femmes jusqu’en 1996.
Seven. David Fincher. (1996): Un inspecteur à la veille de la retraite et un jeune impétueux enquêtent sur d’affreux crimes commis en référence aux sept péchés capitaux. Il pleut et les scènes de crime s’éclairent à la lampe torche. Une référence du film noir inventif, tordu, bien interprété et brillamment réalisé.

dimanche 23 décembre 2018

Magnétic. Jérôme Thomas.

Lumières pour balles, cannes et plaques.
Lorsqu’un spectacle n’est pas convaincant on se rabat parfois sur les lumières qui ont pris depuis un moment de l’importance sur les plateaux.
Ici les éclairages sont au centre de la représentation d’une heure et magnifient ballets de balles, vertiges autour de longues tiges et variations d’images sur plaques.
Le quatuor de circassiennes virtuoses dans le maniement d’objets  joue entre apparitions et disparitions, éclat de blanc et profondeur des noirs, et compose de magnifiques tableaux abstraits bien accordés à des musiques stridentes ou explosives, concrètes.
Les effets cinétiques nés de l’élasticité des matériaux, de la précision des dispositifs nous ont offert à l’Hexagone de Meylan un moment original et poétique.

samedi 22 décembre 2018

La seule histoire. Julian Barnes.

L’épigraphe m’avait mis en appétit :  
« Roman : une petite histoire, généralement d’amour ».
Cette légèreté ne s’est pas démentie jusqu’aux dernières phrases :
« …de fait, je pense en avoir fini avec le sentiment de culpabilité. Mais le reste de ce qui faisait ma vie, tel qu’il était, et serait ensuite, me rappelait à lui. Alors je me suis levé et j’ai regardé Suzan une dernière fois ; aucune larme ne m’est venue aux yeux. En sortant, je me suis arrêté à la réception et j’ai demandé où se trouvait la station-service la plus proche. L’homme a été serviable. »
L’histoire d’amour entre un jeune homme de dix-neuf ans et Suzan, trente huit ans depuis une partie de tennis en double, tient 260 pages, ironiques et profondes, so british.
« Un premier amour détermine une vie pour toujours : c'est ce que j'ai découvert au fil des ans. Il n'occupe pas forcément un rang supérieur à celui des amours ultérieures, mais elles seront toujours affectées par son existence. Il peut servir de modèle, ou de contre-exemple. Il peut éclipser les amours ultérieures ; d'un autre côté il peut les rendre plus faciles, meilleures. Mais parfois aussi, un premier amour cautérise le cœur, et tout ce qu'on pourra trouver ensuite, c'est une large cicatrice. »
Le narrateur passe au fil des chapitres de la première à la troisième personne, accumule les citations puis les rature, y revient :
« En amour, tout est vrai, tout est faux ; et c'est la seule chose sur laquelle on ne puisse pas dire une absurdité » (Chamfort). Il avait aimé cette remarque depuis qu'il l'avait découverte. Parce que, pour lui, elle ouvrait sur une pensée plus large : celle que l'amour lui-même n'est jamais absurde, ni aucun des participants. »
Cette liaison située en banlieue aisée dans les années 60 a des allures de scandale mais à bas bruit. La passion absolue est décrite tout en nuance et même le lecteur qui a pu lire d’autres livres à ce sujet peut apprécier la virtuosité de l’écrivain au service d’une honnêteté revigorante.
Conversation de bar, lieu pas si anecdotique que ça, puisque les amants auraient plutôt tendance à dire la vérité, au moins entre eux, alors que l’alcoolique ment :
« Elle disait qu’elle voulait reposer sur mon épaule aussi légèrement qu’un oiseau. Je trouvai cela poétique […] L’homme inhala la fumée et la souffla dans l‘air parfumé.
«  Primo, les oiseaux s’envolent n’est ce pas ? C’est dans leur nature. Et secondo, avant de partir, ils vous chient sur l’épaule. »