jeudi 19 janvier 2017

Alfons Mucha. Catherine de Buzon.

La conférencière CDB a pu dévoiler devant les amis du musée de Grenoble, des peintures, des fusains, de vastes réalisations, au-delà des belles affiches du maître de l’ornement « grand style ». Elle a  conseillé à son auditoire d’écouter pour rester dans l’ambiance,  la musique de son compatriote Smetana (La Moldau).
Mucha, ici peint par Tasev Warszawa, est né en Moravie, au sud de Prague en 1860 dans une famille qui a perdu cinq de ses enfants. Lui, petit chanteur, ne se sépare pas de son crayon, il est cependant refusé par l’académie des Beaux arts de Prague.
« Choisissez une autre profession où vous serez plus utile. »
Il deviendra une des personnalités les plus marquantes de l' Art nouveau.
Il passe par Munich et Vienne, creusets des recherches d’alors, avant de devenir illustrateur à Paris.
En 1894, il est choisi par défaut, car il était le seul disponible, pour réaliser l’affiche de théâtre de la Renaissance «  Gismonda » avec Sarah Bernhardt. L’histoire de la martyre chrétienne fut un succès. 

« La lionne en vogue », « La Divine indomptable » l’introduit dans les cercles mondains.
Alors il produit toute une série d’annonces élégantes qui «  s’arrachent » comme « Médée »
Dans cette affiche, tout concourt à l’efficacité du message : le lettrage rappelle la Grèce, lieu d’une passion brûlante où la rivale, terrassée, gît aux pieds de la barbare assassine.
«  La Samaritaine » d’Edmond Rostand entourée de caractères évoquant la culture juive est gracieuse sous son immense chevelure traçant des courbes et des contre courbes affolantes.

Après la tournée américaine de Sarah B., en collaboratrice rousse qui joue dans «  La dame aux camélias » où les motifs floraux vont de soi, comme une certaine langueur, il sera reconnu du côté de New York comme «  le plus grand artiste décoratif du monde ».
« Salammbô », au milieu des fumées d’encens, la belle de Flaubert, dans Carthage revisitée nous fait penser à Klimt.
Il a célébré exclusivement la femme, même avec « Lorenzaccio », puisque Sarah Bernard interprète le rôle.
Il partagea des moments pas tristes avec Gauguin. Passionné d’occultisme, de spiritisme, de théosophie, il s’intéressa aussi aux travaux de Charcot et de Freud et fut un franc-maçon assidu. Il a exposé avec la Sécession viennoise. Mackintosh et les préraphaélites l’ont inspiré. C’est dans son atelier, en tant qu’ami des frères Lumière et de Léon Gaumont, qu’eut lieu la première expérience cinématographique au monde !
Si les couleurs émeraude et roux s’accordent dans la publicité du « Lance- parfum Rodo », les volutes et les boucles de la jeune femme se pâmant sous l’effet de ce qui est contenu dans le papier cigarette étaient vouées à « Job ».
Les bières de la Meuse, des imprimeurs, le PLM, le chocolat Idéal, Nestlé, les cycles Perfecta, des champagnes, bénéficient de son talent, et les petits beurres Lefèvre Utile
« Je ne trouve rien de meilleur qu'un Petit LU, oh si ! Deux petits LU. ». Sarah Bernhardt 
Arabesques entrelacées, étoffes soyeuses, ses décors épurés recèlent des motifs signifiants et le halo qui entoure ses modèles sensuels identifie facilement un style.   
Ainsi, les fruits généreux de la nature s’étalent sur les palissades des chantiers du Paris de la « Belle époque ». Il décore menus, cartes postales, emballages, papier à en-tête, calendriers, la façade et l’intérieur du magasin du bijoutier Fouquet avec qui il collabora depuis un serpent enroulé au bras de Médée. La boutique est visible aujourd’hui au musée Carnavalet.
Il réalise un  répertoire des formes à exploiter dans les arts décoratifs et met en images « Le Pater » dans un livre ambitieux. Cet élan spirituel chargé de références maçoniques traduit la lente ascension de l’homme vers l’idéal. 
A l’occasion de l’exposition universelle de1900, il réalise une fresque pour le pavillon de la Bosnie-Herzégovine où le tilleul et le faucon, symboles slaves, sont présents ainsi que le tabac allégorie de la liberté.
Lorsqu’il est revenu au pays pour trente ans, il n’est pas accueilli à bras ouverts. Après un séjour aux States, le millionnaire Charles Crane finance son œuvre colossale  « L’épopée slave »   composée de 20 toiles de 6m X 8m.  
« Bourgeois décadent » pour les communistes, « judéophile » et « franc-maçon » pour les nazis, il a tenté de sortir de son image trop liée au commerce, pourtant ce soir nous avons mieux fait connaissance avec un artiste profond parfois sombre.
La diversité des supports de sa virtuosité peut  d’ailleurs souligner la richesse de son parcours ainsi le « Vitrail de la cathédrale Saint Guy » à Prague.   

mercredi 18 janvier 2017

Equateur J 10 # 1. Amazonie. San Juan de la Terra.

La pluie se met à tambouriner avec violence sur le toit en tôle, dès qu’on a éteint la lumière. La température sous la moustiquaire est assez fraîche. Pas de chiens, pas de coqs pour troubler notre sommeil.
Après le petit déjeuner, Juan nous équipe en bottes en caoutchouc, préférables dans la forêt amazonienne aux chaussures de marche. Il s’arme  d’une machette et nous le suivons lui et son fils « Ronaldinho » ainsi baptisé à cause de son maillot, sur une trace de sentier qui part derrière le restau.
Juan nous montre une cosse de cacao blanc dont les graines sont comestibles puis les vraies cosses de cacao pendant aux arbres d’une plantation. Il nous donne trois règles :
1) planter les talons ; 2) ne pas s’accrocher ou se rattraper aux branches et aux arbres pour éviter ce qui est venimeux ou vénéneux ; 3) ne pas s’isoler ni partir seul.
Le chemin est glissant, boueux et recouvert de feuilles mortes, il traverse de petits marécages et des ruisseaux où le gamin ramasse des escargots pour les manger.
Nous passons de la forêt secondaire à la forêt primaire, avançons par petites étapes pour découvrir la végétation, nous goûtons des termites au goût de carotte ou des fourmis acides comme des citrons.
Les troncs s’élèvent droit à la recherche de la lumière et s’ancrent dans la terre en multipliant les ramifications car les racines ne peuvent s’enfoncer  qu’à 50 cm dans le sol.
Juan nous explique la différence entre les plantes épiphytes qui ne prélèvent rien de la plante support  et les plantes parasites, nous montre des tiges de vanille qui sont une variété d’orchidée.
Il y a aussi les ficus, végétaux qui se nourrissent de l’arbre,  puis l’entourent  de branches et l’étranglent petit à petit, gagnant sur son tuteur grâce à une croissance rapide.
Nous courons après les papillons, nous voyons des fourmis balles dont les piqûres sont très douloureuses et des feuilles de palmiers dont la nervure est si tranchante que les femmes s’en servent pour couper le cordon ombilical au moment des accouchements.
Des fleurs rouges nous amusent car elles ressemblent à de grosses lèvres que nous mettons dans la bouche.
Nous entendons plus que nous les voyons, les oiseaux, nous apprenons que le toucan est l’ennemi de tous les oiseaux. L’oriole s’en protège en tissant des nids en forme de cône et imite d’autres oiseaux ou animaux pour leurrer des prédateurs.
Les cigales stridulent comme des scies électriques et changent de chant en fonction de l’heure de la journée. Les termites se servent de leurs excréments pour construire leur habitat dont les hommes récoltent des morceaux et les brûlent pour éloigner les moustiques. Dans un tronc, une excroissance indique la présence d’un nid d’abeilles.
Au pied de l’arbre, Juan ramasse de la cire dont les quichuas se servaient comme bougie.
Des racines aériennes, à ne pas confondre avec les lianes, tombent de rhododendrons épiphytes, elles permettent de produire de l’anti venin contre les morsures de serpent.
La symbiose entre animal et végétal est fascinante, tout le monde vivant profite et se rend utile dans un équilibre fragile.
Les racines d’un arbre mort où vivent de nombreux animaux pourront servir à protéger le chasseur de l’ours à lunettes.
Nous n’avons pas vu passer les 3h 30 avec quelques glissades évitées de justesse.

mardi 17 janvier 2017

Ma vie de réac. Morgan Navarro.

J’avais oublié le titre de l’album et j’ai demandé à l’excellente librairie « Les modernes » :
« le livre du grenoblois qui est venu signer chez vous la semaine dernière ».
M’est revenue alors la scène où Woody Allen ayant planqué son magazine porno sous une revue littéraire, se faisait remarquer, la caissière du magasin de journaux interpellant son chef, bien fort :
« Orgasm’ c’est combien ? »
Si énoncer « ma vie de réac » me coûte tellement, c’est que je ne suis pas bien au clair et qu’il serait temps de faire mon coming out, tant j’ai pu me trouver en accord avec le personnage principal.  
 Pourtant la féminisation de la langue m’indiffère, ainsi que les lesbiennes, les drônes ou les téléphones portables, je reste dans les clous et sur le sujet des nouvelles technologies j’ai la chance d’avoir des descendants bien plus rigoureux que moi et des petits enfants pas encore dans les dilemmes de la tablette qui reste pour eux en chocolat.
Mais sur l’éducation, la réforme du collège ou les réunions de démocratie participative : tout à fait d’accord ! Je peux d’autant plus m’identifier au chauve dégingandé justement émouvant dans ses contradictions, et jouant avec les différents degrés de l’humour que ce dessinateur efficace est hébergé sur le site du « Monde » et que « Le Petit Bulletin » en a dit du bien : le bobo beauf que je suis reste « correct », d’autant plus que vient de naître la catégorie « réac de gauche », alors : cette BD est  bien vue, bien marrante.

lundi 16 janvier 2017

Poesia sin fin. Alejandro Jodorowsky.

Une grande inventivité : chaque plan recèle des trouvailles mais elles m’ont parues datées et le format de deux heures appelle à lire le titre d’une façon ironique. 
Jodo, le grand homme à l’issue de sa vie règle ses comptes à son enfance mais en reste aux absolus adolescents. Son lyrisme qui conviendrait peut être à la discrétion du papier perd de sa subtilité à être surligné par des images tellement premier degré qu’il en devient ronflant.
Quand la poésie est claironnée, elle s’évanouit, même si elle jaillit parfois avec l’explosivité, le brillant d’un feu - bien nommé - d’artifices.

dimanche 15 janvier 2017

Vertiges. Nasser Djemaï.

Ce soir là au petit théâtre de la MC 2, je pensais simplement me tenir au courant de la nouvelle production d’un natif du coin tout en essayant de mieux comprendre les dilemmes des familles immigrées comme avec les « chibanis », il y a déjà un moment :
Cette fois le metteur en scène va bien au-delà de l’enquête sociale, voire du pittoresque pour présenter un spectacle abouti, évoquant avec précision des drames particuliers tout en allant vers l’universel, suscitant les rires, les sourires, l’émotion, la réflexion.
Le constat est pessimiste concernant les replis en banlieue, mais une empathie avec chaque personnage offre une palette aux couleurs diverses où la violence n’éteint pas la tendresse.
Le poids des corbeilles de linge, les risques d’une cigarette, des médicaments plein les sacs plastique, Carrefour comme lieu de promenade, les fuites d’eau, marquent le poids du quotidien, alors la poésie pousse les murs.
La mise en scène limpide ménage des surprises et la légèreté n’empêche pas une mise à nu rondement menée des systèmes familiaux.
Les frères rivalisent, père et fils se cherchent, les couples se défont, des libertés se tentent,   toutefois l’apaisement serait mérité.
Cris et silences, ordre et bordel, les arbres, les nuages, la mort, le téléphone et les jouets mécaniques, la peur et la sagesse, Dieu, les femmes, les princesses…
Enumérer pour dire la richesse et redire que rien n’est étranger : avec le temps les distances se sont installées, les retours sont difficiles entre silences et cris qui balisent le chemin de la réconciliation.
« On a tous dans l' cœur des vacances à Saint-Malo
Et des parents en maillot qui dansent chez Luis Mariano «
Mes vieux non plus n’y sont jamais allés en Bretagne, pourtant « on a tous dans l’ cœur ».
La force des images, des musiques, du théâtre.
Ce rendez-vous avec le Saintmartinier (habitant de Saint martin le Vinoux) m’a tellement  ravi que je ne suis même pas sûr que certaines longueurs finales n’aient pas contribué à mon plaisir.

samedi 14 janvier 2017

Sur le Tour de France. Antoine Blondin.

La formule « In vélo véritas », je l’ai trouvée dans un commentaire concernant l’œuvre du suiveur de 27 éditions du Tour de France qui fut connu pour son goût de la petite reine, du calembour rafraîchissant et des produits de la vigne.
Un style épatant apporte, au creux de l’hiver, les bruits de juillet et de l’enfance, quand il y avait de l’espace pour rêver des champions et des paysages de France.
Un grand écrivain http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/11/certificats-detudes-antoine-blondin.html qui écrit pour être lu sur le zinc :
« Et les mille cinq cents personnages qui vivent ces trois semaines d’aventure s’émerveillent, à chaque fois, qu’une manifestation sportive annexe aussi spontanément à sa cause les trésors du patrimoine culturel et les offrandes de la nature, leur confère de nouvelles couleurs - ces couleurs cyclistes, si j’ose m’exprimer ainsi, qui se fanent douloureusement au vent de la course pour renaître plus pimpantes, le lendemain matin. »
Anquetil, Poulidor, Merckx, Bobet … «  les circonstances se prêtaient à la célébration, non du culte de la personnalité, mais de la personnalité de l’occulte ». Il aime les petits.
Et c’est comme ça tout le long des 150 pages, avec de bons mots autorisant des envolées lyriques, des tendresses envers les faiblesses des accros aux substances illicites qui existaient avant qu’on ne parle plus que de "produits".
C’était un autre temps :
« De Bordeaux à Bayonne, je me suis étonné d’être dans cette caravane qui décoiffe les filles, soulève les soutanes, pétrifie les gendarmes, transforme les palaces en salles de rédaction, plutôt que parmi ces gamins confondus par l’admiration et chapeautés par Nescafé. Je peux le dire, mon seul regret est de ne pas m’être vu passer. »

vendredi 13 janvier 2017

Biodégradables ?

Les graffitis vont bien aux grottes préhistoriques et aux friches industrielles mais lorsqu’ils prolifèrent à l’entrée de notre ville dont les édiles aiment tant le street art, ils lui donnent un aspect peu accueillant, un air de défaite, et participent au stress hard.
Le mot « liberté » tant de fois graphé sur de nombreux volets ne concerne sûrement pas celui qui reçoit cette signature, fut-elle assortie d’un point d’interrogation.
Le genre fin de civilisation surligné de couleurs vives donné par de vibrionnants lettrages apposés en tous lieux, contrarie les proclamations d’une agglomération « apaisée ». Et les imaginaires s'étiolent, M. Piolle, devant les stéréotypes bombés.  
L’individu tonitruant ne fait pas qu’animer la ville, en fixant un signe illisible à tous ceux qui ne sont pas de chez lui ; il se soumet à l’ordre des égos démesurés.
Pour un Banksy inventif interrogeant le monde artistique et son marché, combien de vains  vaniteux aux jets incrustés dans la pierre ?
Pour avoir jadis tant aimé jouer de la brosse et de la colle à tapisser sur les murs de la ville, ou du pochoir dans les passages souterrains : « Le monde change, changeons l’école », je  sais l’illusion de la puissance. Mais quand ma jeunesse a décampé, j’ai changé de camp.
« Le monde a changé, où est l’école ? »
Les posters d’une chambre d’adolescent peuvent évoluer, alors quand des subventions généreuses pérennisent des images grand format, très grand format, la volonté de laisser une trace vite démodée, a tendance à sentir le pâté dont la date de péremption est indéterminée.
Certes la recherche de consensus n’est plus de mise chez les amis de « Nuit debout » dont Frédéric Lordon, un de leurs maîtres disait :
«  Nous ne sommes pas amis avec tout le monde et nous n’apportons pas la paix »
La véhémence de leurs protestations se situait à la hauteur de leur impuissance à convaincre au-delà des convaincus d’avance.
Qui a analysé l’extinction aussi brutale que son émergence de ces forums printaniers où le folklore a submergé la pertinence de sincérités nouvelles ?
Mais que les donneurs de leçons municipaux qui s’en voudraient de représenter tous les Grenoblois ne s’étonnent pas de susciter des oppositions véhémentes qu’ils alimentent de leurs maladresses et arrogance, de leur amateurisme aggravé d’une propension aux manœuvres politiciennes alors qu’ils ont émergé sous le maquillage d’un renouvellement des pratiques politiques.
Quand sur les grilles de la piscine Jean Bron est écrit en gros qu’il est nécessaire de se coordonner contre le SIDA, à qui ce message peut-il s’adresser ? Ce dazibao datant de l’agit prop’ maoïste n’est ni propre ni beau.
Nous sommes loin de l’art dont Malraux  disait :
«  L’oeuvre surgit dans son temps et de son temps, mais elle devient oeuvre d’art par ce qui lui échappe. »
et de la politique :
La préoccupation de l’image a dévoré toute réflexion politique et les verbiages les plus délirants voudraient habiller les rois nus aux bagages vides.
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 Le dessin du « Canard » de cette semaine: