vendredi 24 juin 2016

Icônes. Anne James Chaton.

Qui n’a pas joué à reconnaître les personnalités évoquées dans cette courte représentation théâtrale à la MC2 ?
Toutes à spoil: Camille Claudel, Mata Hari, Virginia Woolf, La Callas, Jacquie Kennedy, Janis Joplin, Marlene Dietrich, Margareth Thatcher... il en manque une.
« Elles » ne sont pas nommées, pour faire émerger la figure unique d’ « elle », la femme témoin du siècle passé, le sous titre annonçant « une histoire du XX° siècle ». Mais les anecdotes nous les remettant en mémoire vont à l’encontre d’une généralisation, tout en constituant la part la plus attractive de cette « poésie sonore » .
Comme si on ne pouvait appeler un chant : un chant, en évitant de laisser de côté ceux qui ne parlent ni l’anglais ni l’allemand couramment. Et quelques refrains en français sont parfois bien assommants ; lorsque le chanteur Nosfell chante, il est plus convaincant.
Les qualifications des artistes dans les programmes d’accompagnement devraient être plus modestes pour ne pas attirer l’ironie : « actrice performeuse », « poète sonore », « danseur chorégraphe » pour « produire un espace visuel et sonore ». Et le terme « icônes » appelle plus l’émoticône fugace qui pullule sur la toile que l’enluminée à vénérer.
Le sonore poète aligne les phrases sujet / verbe/ complément dans une scansion d’ailleurs pas inintéressante. La longue séquence initiale où la performeuse secoue un grand tissu évoquant la mer est dans le ton habituel des introductions lentes dans bien des spectacles de cette année.
A l’heure où pressés par les restrictions budgétaires, les artistes interpellent les politiques,  il serait peut-être temps, pas seulement par intermittence, que s’éclaircissent les liens avec les spectateurs.
La limpidité du propos ne diminuerait pas l’émotion, car la poésie ne nuit pas à la pédagogie, à condition de ne pas la servir sous des couches de vernis pour initiés.

jeudi 23 juin 2016

Max Ernst. Christian Loubet.

« Le Léonard de Vinci du surréalisme », valait bien un exposé devant les amis du musée de Grenoble, le génie florentin nous avait depuis longtemps invités à rêver à partir de taches sur un mur.
Max Ernst peintre majeur du XX° siècle, doit sûrement à ses origines allemandes d’être quelque peu sous-estimé, d’autant plus qu’à son retour des Etats-Unis, l’abstraction en peinture était la règle sur notre sol. Il a finalement acquis la nationalité française après avoir été interné dans un camp en 40 à cause de ses origines, avant de rejoindre les Etats-Unis à la suite d’une de ses quatre femmes, Peggy  Guggenheim.
L’« Autoportrait » réalisé à 18 ans témoigne de son admiration des couleurs de Van Gogh, quand son regard affirme une hyper sensibilité tranchant avec un milieu familial rigoriste.
Le père va l’initier à la peinture, et leurs promenades en forêt vont cultiver la tradition germanique d’une nature peuplée d’êtres fabuleux.
Né en 1891 à Brühl près de Cologne, il s’éteint à Paris en 1976.
Tout jeune, quand l’oiseau qu’il possède dans une cage, meurt au moment de la naissance de sa sœur, il pense à une liaison entre les deux évènements. Il va développer tout au long de sa vie une grande curiosité et une émotivité aimant jouer avec les forces occultes.
Il commence des études de philosophie, étudie Freud, Nietzsche, puis à Paris, découvre Delaunay, Apollinaire, Chagall, juste avant la première guerre. Il  éprouvera l’absurdité et la douleur du conflit sur le front français et polonais.
Il prend une part active dans le mouvement Dada à Cologne où Klee joue un rôle éminent, puis revient à Paris et devient intime d’Eluard qui lui achète « l'Éléphant Célèbes ».
Le titre vient d’une comptine où le pachyderme a « du jaune aux fesses » ; le tableau transfigure une photographie d'un silo à grains africain et si des interprètes voient Europe dans la femme sans tête, la trompe peut inspirer d’autres commentaires.
Après l’épisode expressionniste et dada, il devient membre du groupe surréaliste et se montre intéressé par la peinture métaphysique de De Chirico.
Le « Rendez-vous des amis »  les réunit tous : René Crevel de dos, Paul et Gala Eluard la future compagne de Dalí, Aragon, Breton, Desnos, De Chirico en statue romaine... auxquels se sont joints Dostoïevski et Raphaël.
« Au Premier Mot limpide»  lisse est énigmatique, la main a des allures érotiques, le « M » est celui de Max.
Les oiseaux sont très présents dans son œuvre, avec un certain « Loplop, supérieur des oiseaux » représenté dans plusieurs toiles. « Deux Enfants sont menacés par un Rossignol » est une porte ouverte sur le rêve.
Le tableau de « La vierge corrigeant l’enfant Jésus devant trois témoins : André Breton, Paul Eluard et le peintre »  est plus accessible : le fils de dieu perdant son auréole où s’inscrit la signature du peintre peut être lu comme une image anticléricale, mais en remontant à l’enfance la signification s’élargit : le père avait peint son petit Max en Jésus lorsqu’il revint d’une escapade sur la voie du chemin de fer où sa curiosité l’avait amené dès 5 ans à s’intéresser aux fils électriques.
Expérimentant sans cesse les techniques les plus variées, il construit une œuvre considérable.
Le frottage : « Sur un plancher aux mille éraflures… je posai au hasard des feuilles sur les lattes que je frottai au crayon noir… je fus surpris par le renforcement de mes qualités visionnaires. »  « L’évadé »
Le collage : « Le Jardin de la France ». Un catalogue de fournitures scolaire l’avait intrigué par la diversité des images, il passera à la postérité pour le soin apporté à l’organisation de rencontres de hasard fertiles, oniriques et ludiques. Il utilise aussi différents matériaux qu’il peint et colle.
Le grattage permet de retrouver des couches recouvertes qui surprennent l’artiste lui-même, à l’instar de l’écriture automatique. « La Forêt » au musée de Grenoble est un exemplaire d’une série abondante.
La décalcomanie : en pressant des feuilles enduites de couleurs, il multiplie les paysages fantastiques comme dans « l’Europe après la pluie ».
Il aurait inspiré Pollock qui a popularisé la technique du dripping.
« L’œil du silence », « une sphinge masquée au bord du chaos » fournissait le titre à l’exposé du conférencier attaché à mettre en lumière les apports du « magicien des décalages imperceptibles ».
« Le nageur aveugle » peut également évoquer sa quête des sens cachés.
Son « Jeune homme intrigué par le vol d’une mouche non euclidienne » ne fournit pas seulement un titre poétique et surprenant, c’est que  dans ces géométries, « l’être cherche sa place pour ne pas se perdre ».
Loin des colères engagées de « L’ange du foyer » du temps de la guerre civile espagnole.
«La sculpture m'amuse de la même façon que je m'amusais lorsque je faisais des châteaux de sable, quand j'étais petit garçon.» 
Le village de Seillans dans le Var, où il finit sa vie, a mis en évidence son « Génie de la Bastille »

mercredi 22 juin 2016

Presque Falstaff…et les autres. Gilles Arbona.

Les comédiens de cinéma qui passent à la réalisation ne sont pas toujours convaincants et cassent le métier de metteurs en scène qui se prennent aussi parfois pour d’autres.
De surcroit les divertissantes évocations de quelques monuments de la littérature ou du théâtre type : « Victor Hugo en une heure », peuvent présenter un air de déjà vu, ou de bien vu parfois :
Là, le comédien Arbona, de chez Lavaudant et d’autres
est sans prétention : «Je n’ai jamais pensé pouvoir écrire quoi que ce soit. »
Il fait cadeau à son vieux complice Papagalli
du personnage truculent de Falstaff, présent dans quatre pièces de Shakespeare, sans insister sur son rôle  de séducteur pathétique dans les « Joyeuses Commères de Windsor ».
Certains replacent l’énorme couard dans le contexte historique qui résonne avec notre époque :
« Falstaff, comme Dom Quichotte, évolue dans un monde qu’il ne comprend plus. Lui, qui paraissait si moderne face au chevalier Hotspur, devient passé de mode. Les mots si chers à Falstaff n’ont plus le dernier mot. »
Dans le petit théâtre de la MC 2, tout est léger : sous l’armure, le bon vivant est mélancolique sans trémolo, sa drôlerie monte en verve après un jeu théâtral calamiteux dont on peut mettre un moment à comprendre que c’est volontaire. Les quatre acteurs sont excellents dans des registres variés où Racine, Feydeau tiennent la plume parmi quelques morceaux toujours savoureux de Shakespeare et d’autres.
« C’est un teckel qui tourne autour d’un sapin.
- Chic un cul !
- Mince, c’est le mien. »
Il est question de théâtre dans le théâtre et de la version cinématographique d’Orson Welles car tout est mis sur la scène jusqu’à la présence du critique de service qui incite les teneurs de blogs, « la bonne blague », à l’indulgence, puisque c’est surtout une histoire d’amitié.

mardi 21 juin 2016

Ceux qui me restent. Damien Marie & Laurent Bonneau.

Le graphisme est élégant, le découpage efficace et subtil mais les teintes pastels conviennent-elles pour traiter de la maladie d’Alzheimer ?
Le soixante huitard, veuf depuis longtemps, qui n’a pas assuré avec sa fille, essaye de reconstituer quelques morceaux d’une vie étourdie.
De beaux effets maritimes, mais le scénario lacunaire n’était pas très riche, bien que l’ambition de traiter d’un sujet envahissant soit louable.
Des rancœurs restent en suspens parmi des espaces bleutés où se diluent nos émotions et une empathie minimale qui aurait pu naître à l’égard d’un collègue de la même génération et pourtant : non !
S’oubliera rapidement, mais je retrouverai volontiers le dessinateur remarquable.

lundi 20 juin 2016

Illégitime. Adrian Sitaru.

Du « brutal» si le mot n’avait une connotation amusante depuis les « Tontons flingueurs », alors que l’humour est absent dans cette famille dysfonctionnelle et violente.
La façon de filmer où les regards ont toute leur expression rend bien le trouble et la tension entre enfants et père.
Malgré la lourdeur des sujets : inceste, avortement, collaboration avec le régime de Ceausescu, nous partageons le malaise des personnages.
Par la force des acteurs ce qui pourrait n’être que glauque nous interroge.
Une fois encore le cinéma roumain nous intéresse tout en décrivant une société où le temps des tablettes et téléphones portables est advenu, sans s’être délesté tout à fait des années  tyranniques.     

dimanche 19 juin 2016

De peigne et de misère. Fred Pellerin.

Depuis longtemps je n’avais pas assisté à un racontage du Festival des arts du récit en Isère, subséquemment je me suis fustigé rétrospectivement d’avoir manqué d’autres beaux moments qui auraient pu être à la hauteur de cette soirée exceptionnelle.
Dans nos régions, les insectes sont devenus si rares qu’ils ignorent désormais nos allées-venues automobiles, dans le village du jeune québecquois découvert aujourd’hui, Saint-Élie-de-Caxton, ce sont « Les lutins et les fées qui s’écrasent dans les pare-brise le soir » alors ce lieu de légendes a bien mérité d’accueillir pas moins que le début et la fin du monde.
Ce conteur qui tient son talent de sa grand-mère, mêle le fantastique au quotidien avec inventivité et vivacité, sans barboter dans une pacotille surannée, mais revivifiant ce que Vigneault appelait les « placotages ».
Cette province est bien belle, d’où nous viennent tant de chanteurs et de conteurs élémentaires, légers et profonds qui polissent et repolissent nos mots, les déplissent. Alors surtout ne pas dire qu’il s’agit d’un « one man show » ou d’un « stand up ».
 Puisque nous sommes les invités d’un pays où
« chaque cheveu fait de l'ombre sur terre »
l’attention aux autres est au plus haut comme celle qui est apportée aux voix qui disent si bien la douce fantaisie, le tragique, le loufoque, la solidarité dans une communauté aux individus hauts en couleurs, en douleurs, sans s’appesantir.
Ce feu d’artifice loquace, agrémenté de chansons à la guitare et à l’harmonica amarré à son porte-harmonica, se conclut magnifiquement par une boite contenant le silence, héritée bien entendu de cette grand-mère préhistorique «  quand j’ouvre ma boîte, tu fermes la tienne »
Les mots bafouillés, retravaillés, triturés, offerts en cascades se régénèrent et permettent tous les décollages poétiques, drôles et poignants.
Un des personnages, le barbier coiffeur, « habile à trier les cheveux blancs et les idées noires » a beau avoir inventé « la coupe du client qui ne reviendra plus jamais », le public fervent reviendra lui à tous coups.

samedi 18 juin 2016

Je ne me souviens pas. Mathieu Lindon.

Le souvenir vague de Perrec, auteur de « Je me souviens », prolongé par quelques imitateurs de magazines, allait-il consoler les béances de ma mémoire tracassée ?
La proposition était tentante.
Bien qu’une seule phrase des « Antimémoires » de Malraux depuis un champ lexical voisin, situe le glorieux ancêtre dans une autre cour : 
« L'orgueilleuse honte de Rousseau ne détruit pas la pitoyable honte de Jean-Jacques, mais elle lui apporte une promesse d'immortalité. »
A travers ce portrait, en creux, l’oubli des autres, m’a paru trop explicite pour attirer ma sympathie.
« Si la vie est une drogue, je garde mes distances avec le produit, je consomme avec modération. Entre la coupe et les lèvres, il y a de la place pour la réticence. »
Bien que  s’appliquant à la contrarier, l’élégance de l’écriture du chroniqueur littéraire de Libération vient parfois amoindrir une sincérité qui pourrait toucher.
Quelques séquences donnent à réfléchir :
« Exagérer c’est faire comprendre la vérité ou le mensonge ? »
 Mais fallait-il tant d’anodines remarques pour les mettre en valeur ?
« Je ne me souviens pas d’avoir aboyé  quand on me traitait comme un chien »
Placé  derrière un épigraphe de Victor Hugo :
«  Celui dont le flanc saigne a meilleure mémoire »
Ces 150 pages manquent justement de chair pour ne pas paraître comme un exercice de style agréable à lire, mais oubliable.