samedi 11 juin 2016

Un chemin de tables. Maylis de Kérangal.

J’attendais sûrement trop de la contribution de mon auteure préférée, à une belle collection qui s’intitule «  raconter la vie » au Seuil :
Ces 100 pages sentent l’exercice, la commande, et en dehors du titre qui dit bien la diversité des expériences du jeune apprenti cuisinier, je n’ai pas su voir beaucoup  de personnalité dans l’écriture.
La littérature semble posée sur un documentaire. La narratrice suit un jeune étudiant qui multiplie les lieux d’apprentissage : « brasserie parisienne, restaurant étoilé, auberge gourmande, bistrot gastronomique, taverne mondialisée, cantine branchée… », manque le fast-food.
L’empathie avec ses personnages aux caractères contradictoires, complexes m’avait enthousiasmé dans son roman précédent. Cette fois nous ne savons pas grand-chose de Mauro, le héros.
Il sacrifie sa vie personnelle à un métier qui l’accapare sans que la passion soit perceptible sous les phrases aux adjectifs bien disposés pour une vision panoramique de la profession. La sueur des hommes semble aussi lointaine que la saveur des préparations.
Le menu aux intitulés savoureux en main, je suis pourtant resté sur ma faim :
« Dans ce livre, c’est vrai, le travail du cuisinier m’a fait penser au travail de l’écrivain. Longtemps, le cuisinier a été considéré comme d’autant plus génial, ou un artiste d’autant plus extraordinaire, qu’il arrivait à métamorphoser un produit. Aujourd’hui, par exemple, la vogue du fooding valorise au contraire le produit brut, restitué. Là est le talent du chef. Or, en tant qu’écrivain, où sommes-nous au plus près de la vérité ? Dans la métamorphose ou dans la restitution ? »
Je serai tenté d’écrire : « vivement le prochain livre ! » tout en sachant qu’il faut du temps. Les sollicitations que lui valent son talent gâchent un peu le fond de sauce comme ses brillants éditorialistes qui se multiplient et s’affadissent, comme tous ces chefs qui se chauffent plus sous les spots que devant leurs fourneaux.

vendredi 10 juin 2016

MDR (mort de rire)

« Piolle Pot »: j’avais trouvé rigolo le mot attrapé au vol parmi tant d’autres qui ne sont pas que gazouillis. Pour la famille écolo en déshérence, parmi d’autres, qui aime tant délivrer des leçons à la pelle, ce peut être un juste retour de fond de court. Quand de surcroît, l’incompétence est revendiquée par la responsable de la culture de cette équipe municipale exemplaire, ignorant jusqu’au nom d’une figure majeure de la danse : Pina Bausch, il y a de quoi s’inquiéter ou rire. Rire.
Mais une fois évaporé l’effet de jeu de mot malin, de ceux qui constituent le fond de nos matins, la fatigue me gagne. Cette plaisanterie participe-t-elle au présent climat de violence ?  
Lors des fins de manifs, quand les barrières qui séparent symbolique et réalité sont brisées par quelques allumés sous les yeux des indulgents, la haine se banalise et enclenche une escalade inquiétante. Les nez rouges côtoient les masques noirs.
Les amuseurs à la langue bien pendue qui se nourrissent de Gattaz à tous les repas tiennent-ils la même échelle que ceux dont l’ennemi est l’étranger?
En envisageant des échéances futures, je m’inquiète et me rappelle d’un mot de Clémenceau pour ne pas perdre quand même des occasions de sourire : 
« On reconnaît un discours de M. Jaurès à ce que tous les verbes sont au futur… »
Comme il y a eu dans le passé récent tant de malheurs depuis Cabu assassiné jusqu’aux crachats place de la République, ma peur, mauvaise conseillère, ne se situe pas seulement dans l’avenir.
On crie « au traître ! » envers Hollande dont l’ennemi fut la finance, mais se souvient-on du « je vous ai compris » de qui vous savez, de «  la réduction de la fracture sociale » d’un de ses héritiers, et de « la rupture » de l’autre ?
Cela  finit par apparaître comme une méthode de gouvernement, à moins que ce soit un retour du réel, au bout de quelques tournants vers la rigueur et de tunnels qui n’en finissent pas. Alors pourquoi ne pas le dire ?  Sur ce coup, ce n’était pas « mieux avant », comme nous le rappelle donc l’histoire si discrète, même quand elle date de la veille. Par contre c’est depuis une vision géographique que tous les éditorialistes prônent le changement : « allons voir chez nos voisins » tout en regrettant les tendances des français à ne pas s’aimer qu’ils entretiennent régulièrement.
Après avoir promu  l’idée que «  le niveau montait » l’école ne semble plus bonne à rien aujourd’hui, alors que la maternelle servait d’exemple, il y a peu, à ces mêmes voisins.
Dans le lexique des réformateurs - toujours pour les autres - pourquoi utiliser des mots bouleversants qui rendent sourds les acteurs et ne pas s’appuyer sur des réussites pour modifier, améliorer, réactualiser ? C’est la méthode prônée à l’égard des élèves. Elle pourrait prouver sa validité avec leurs profs qui sont au front. L’argent qui leur est distribué ne les guérira pas du sentiment de mépris dont ils souffrent. Si la pédagogie dite inversée est la dernière des marottes à la mode, rien que son appellation est dans un air du temps qui aime les zig zags.
Ainsi côté présidents un normal indécis succède à un anormalement excité,  ce qui donne en version mammouth(e) : dictée quotidienne après leçon de morale prônée le temps d’un tweet par la même qui envisage le collège plutôt comme un lieu d’animation.
Comme dit Le Gorafi :
« Apprendre en s’amusant » ne serait pas amusant pour 80 % des élèves interrogés. »
Dans le flot questionnant, une p’tite louche de plus, quand la raison est défiée :
La déclaration d’impôts par ordinateur constitue un progrès indéniable mais pourquoi interdire la forme traditionnelle ?
Le transport par le train est moins polluant que par camion, pourquoi refuser les subventions au Lyon/Turin ?
Et pour être à la hauteur d’une polémique à deux balles : 
Si Valbuena n’a pas été sélectionné, c’est que Deschamp n’aimait pas les petits ?
« La danse pourra cesser,
Le violon pourra casser,
Je veux rire, je veux rire. »
Jean Moréas
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Cette semaine: dessin du "Canard".

jeudi 9 juin 2016

Bacon, la peinture de la sensation brute.

En introduction à la conférence de Christian Loubet devant les amis du musée de Grenoble sont posés quelques enjeux de taille:
« Peut- on se référer à un modèle de représentation humaniste après 1945 ? En arrachant ses masques, afin de se re-connaître, l’homme finit par déchirer sa chair. L’artiste met en forme le doute contemporain. »
Francis Bacon, mort à Madrid il y a 23 ans, était né en 1909 à Dublin, pas loin de chez  Oscar Wilde.
A 16 ans, il est chassé de chez lui pour avoir revêtu les habits de sa mère. Il assumera son homosexualité.
A Berlin, il découvre l’expressionisme, à Paris, Picasso et les surréalistes. Il rejette l’art abstrait trop esthétique, qui n’a « rien à combattre » et la figuration traditionnelle. De retour à Londres,  il sera marqué par les crucifixions de Roy de Maistre.
De 1933, année de l’installation du nazisme, il conservera une de ses « Crucifixion », alors qu’il détruit toutes ses autres toiles. Il va travailler ce thème pendant plusieurs années.
Des Érinyes, figures mythologiques monstrueuses, vengeresses, sont les éléments centraux du triptyque « Trois études de figures au pied d’une crucifixion »  de 1944. Les bouches hurlantes de cette allégorie de l’horreur vont frapper le public au plexus et initier une notoriété internationale.
« Fragment of a Crucifixion » : « Cette crucifixion d’un des fils des dieux, de siècles en siècles recommencée » Jean Clair. «Amas rose et pantelant de viscères au milieu duquel, s’ouvre terrible, la bouche ronde et hurlante ».
"Trois études pour une crucifixion" évoque le bœuf de Rembrandt, les carcasses de Soutine et le christ de Cimabue comme un ver vu à l’envers. L’accouchement est « viandesque », rouge sang dans la nuit noire.
Ses papes, en 40 variations, enfermés depuis leur sedia gestatoria, victimes de la condition humaine, hurlent, leur majesté est impuissante. En voici une « Étude d’après le portrait du pape Innocent X de Vélasquez », le cauteleux, «  troppo vero ».
Ses têtes en séries crient car «  la route de l’âme est coupée », dédoublées en miroir, fendues ou éclatées en trois. « Study for the Nurse from the Battleship Potemkin » est composée comme souvent à partir d’une photographie du film d’Eisenstein.
L’affrontement bestial de “La corrida” est enfermé dans un cercle, matador et taureau confondus.
« Sweeney agonistes » d’après le poète TS Elliot, traite de l’incommunicabilité avec au centre un compartiment d’où l’auteur du crime a disparu. Les taches sont jetées puis organisées, exploitant l’accident, pour retrouver dans la peinture, la vivacité de la photographie.
Si les amis de FB ne souhaitaient pas forcément être portraiturés,  «George Dyer », son ami, mort d’overdose la veille d’une exposition au Grand Palais est représenté dans son identité fuyante. La solitude et le désespoir perdurent dans d’autres toiles entre vomissement dans un lavabo et prostration sur le siège d’un WC, où flèches et macules ciblent la figure se fondant dans la nuit sous l’ombre de la mort.
Nous pouvons être choqués ou bouleversés par ses formes monstrueuses, torturées, enfermées, il ne s’épargne pas dans ses « Auto portrait » allant au-delà de l’anecdote, infra portrait, tuméfié, au delà de la psychologie.
Son atelier de Kensington, » où s’accumule « l’humus de la création » remonté à Dublin, conserve ce fouillis fructueux dont il prélevait des poussières pour les projeter sur ses châssis. Il mélange pastels et acryliques, usant de brosses, balayettes, chiffons, éponges, couvercles… Il choisit parfois de vitrifier les images pour mieux impliquer le spectateur par son reflet. Peignant souvent au bout de la nuit  « dans une empoignade du flegme et de la frénésie » suivant les mots de son ami Leiris, il réussit « à rompre ce qu’il peut faire facilement ». Après  la banalité du mal chez Arendt et Beckett, il veut toucher le fond d’une souffrance qui est le propre de l’homme. 
« J’aimerais que mes tableaux donnent l’impression qu’un humain est passé entre eux, comme l’escargot, laissant la trace de l’humaine présence et la mémoire du passé comme l’escargot laisse un sillon de bave »

mercredi 8 juin 2016

Cœur glacé. Johan De Moor Gilles Dal.

La solitude de l’homme occidental. Entouré d’une ligne claire et agréablement colorié, le héros aligne les bulles soigneusement banales comme nous en proférons quotidiennement, en une dépression peuplée de sinistres gens souriants.
Bien plus efficace que de charbonneuses planches, le compte à rebours de ce gentil bonhomme est agréablement décrit, richement et simplement illustré.
Il fait penser aux fanfares nostalgiques et fatales qui concluaient les films de Fellini.
Etat des lieux désabusé et efficace d’un européen sans problème, au confortable conformisme qui malgré les douces images, une lucidité de four après pyrolise, ne sait plus entendre la chanson :
« Qu'est-c' qu'on attend pour être heureux ?
Qu'est-c' qu'on attend pour fair' la fête ?
Y a des violettes
Tant qu'on en veut
Y a des raisins, des roug's, des blancs, des bleus,
Les papillons s'en vont par deux »
Les chants les plus gais ne mènent pas forcément au paradis .

mardi 7 juin 2016

Des salopes et des anges. Tonino Benacquista Florence Cestac.

Retour sur les années 70 à travers le destin de trois femmes qui se sont rencontrées lors d’un voyage à Londres où les françaises allaient alors avorter.
Utile pour relativiser les jérémiades genre « c’était mieux avant » et rappeler que les luttes peuvent influer sur le cours de l’Histoire.
Une suite à ces 44 planches serait également intéressante pour comprendre pourquoi l’avortement est toujours un problème alors que les informations concernant la contraception ne manquent pas, me semble-t-il, en ce XXI° siècle où  par ailleurs l’obscurantisme prospère.
Des « salopes » suivant l’expression de Charlie hebdo reprenant le manifeste de 343 femmes paru dans le Nouvel Obs en 73 qui avouaient avoir avorté.
Et des « anges » comme  les « faiseuses d'anges » qui étaient condamnées voire exécutées en des temps moyen âgeux.
Nous nous attachons à cette secrétaire dont l’arrivée d’un enfant n’était pas prévue dans le plan de carrière familial, à la bourgeoise enceinte de son amant et à la militante qui devenues grands-mères continuent de se voir. Une histoire chaleureuse d’amitié loin d’être nunuche.
Si les références à propos du scénariste sont partielles sur ce blog,
les articles concernant la dessinatrice aux gros nez sont plus nombreux.
Leur collaboration pour ce volume est bénéfique, alliant habileté et efficacité du scénario, un  humour léger n’effaçant pas les drames mais favorisant la transmission d’une mémoire profitable en particulier à ceux et celles qui ne sauraient pas ce que signifie par exemple le MLAC : Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception.

lundi 6 juin 2016

Soleil de plomb. Dalibor Matanic.

Nous mettons un certain temps à distinguer sans y parvenir, un serbe d’un croate…et peu importe. Cette guerre était absurde, comme toutes, voire plus. La séquence initiale située en 1991 est la plus intéressante, posant les enjeux : Roméo et Juliette au bord d’un pacifique lac slovène. Les deux autres épisodes en 2001 et 2011 où les douleurs perdurent découlent de la précédente, et bien que les histoires soient distinctes, les personnages interprétés par les mêmes acteurs prêtent à confusion… déjà que ce n’est pas simple. Les musiques ont changé. Mises en marge des fêtes trop bruyantes, les solitudes s’enkystent dans ce qu’il est difficile de qualifier d’histoires d’amour quand tant de haines ont tout miné.

dimanche 5 juin 2016

Le sorelle Macaluso. Emma Dante.

La tendresse est rabougrie dans ce monde de brutes du Sud de l’Italie. Les danses qui expriment le rêve sont plus convaincantes que les monologues frontaux dont la violence pèse sur cette heure dix, en salle de création à la MC2.
Une des sœurs qui va mourir - on meurt beaucoup dans ce spectacle en palermitain sur titré - offre une image poétique, irréelle : par la grâce de l’éclairage, son corps nu se dévoile comme au fond d’un verre à alcool de riz d’un restaurant chinois.
Le livret d’accompagnement pouvait mettre en appétit, rien qu’avec cette anecdote citée par la metteuse en scène promettant humour et jeu avec la réalité :
« Une agonisante appelle sa fille à son chevet pour lui demander si elle est vivante ou morte.
” Tu es bien vivante”, répond la fille.
La mère, narquoise, rétorque avec un sourire:
“Ce n’est pas vrai, je suis morte depuis un bon bout de temps. Vous ne me le dites pas pour ne pas m’inquiéter”. »
Mais les intentions concernant aussi l’esprit d’enfance ou des situations cocasses auraient pu mieux se percevoir avec moins de gesticulations, de proclamations, de véhémence.
La conviction des actrices s’extériorise un peu trop à mon goût pour amener l’émotion.
Alors ne se retiennent que quelques soubresauts et seulement les silhouettes des sept sœurs à la présence portant affirmée mais dont les nuances n’ont pas affleuré.
Le papa fait tellement un métier de merde qu’il en est éclaboussé quand il va déboucher les chiottes d’une boite de nuit. Alors lorsqu’il danse en nuisette avec sa femme, la tendresse passe difficilement
Quand le premier degré cogne aussi fort, il est bien difficile d’ « entrer dans la famille » comme le font pourtant les critiques dont j’ai pris connaissance.