dimanche 8 novembre 2015

La bande à Renaud.

Au moment où s’acheter des CD devient un geste aussi archaïque que de se procurer un 78 tours, on ne cherche pas s’il s’agit d’une opération commerciale cette reprise en deux volumes des meilleurs titres de Renaud des années 80, quand les méchants c’était pas nous et que les mistrals gagnaient. Je l’avais tant aimé.
L’occasion de confirmer nos préférences doublement avec des textes un peu délaissés ces  derniers temps et réanimés par des interprètes que j’apprécie pour la grande majorité.
Quoique Carla : non pas elle ! Si !
Et bien sûr dans une chanson démago contre l’école qui m’avait énervé déjà :
« C'est quand même un peu galère
D'aller chaque jour au chagrin
Quand t'as tellement de gens sur Terre
Qui vont pointer chez "fout-rien"
Avec les devoirs à la maison
J'fais ma semaine de soixante heures,
Non seulement pour pas un rond,
Mais en plus pour finir chômeur ! »
Par contre « La pêche à la ligne » convient parfaitement à Bénabar et si le chanteur d’Indochine Nicola Sirkis ne rend pas plus sympathique « Hexagone »,  son interprétation de « Petite conne » est pleine d’émotion sur un thème, la drogue, traité par ailleurs par Benjamin Siskou que je ne connaissais pas : « La blanche ». Elodie Frégé m’était aussi inconnue et j’ai bien apprécié « Il pleut » avec une surprise à redécouvrir :
« Et pi d'abord ça suffit
On s'casse pas à six ans et d'mi
Allez, d'accord, t'as gagné
Je te rallume la télé
Mais tu n'peux pas t'casser, y pleut
Ça va tout mouiller tes ch'veux »
Quand l’humour rencontrait la tendresse.
Bon, Thiefaine : ça ne peut être que du bon avec « En Cloque » et Alexis HK dans  « Je suis une bande de jeunes », et tous dans « Dès que le vent soufflera », mon jingle de classe de mer : ça le fait !  Arno réinvente « Ma gonzesse », Aubert ressemble lui trop à l’original, et Lavilliers chante presque trop bien « Mort les enfants »
Je deviens magnanime,  peut être moins sectaire qu’auparavant, la « Ballade nord-irlandaise » ne pouvait aller qu’à Nolwenn Leroy. Même si les acteurs Lindon et Seigner ne m’ont pas convaincu pas plus que Biolay, alors qu’Olivia Ruiz fait bien le boulot et Louane Emera de The voice rend « La mère à Titi » toujours aussi sympathique :
«C'est tout p'tit chez la mère à Titi
C'est un peu l'Italie
C'est l'bonheur, la misère et l'ennui,
C'est la mort c'est la vie » 

samedi 7 novembre 2015

Azami. Aki Shimazaki.


Azami, fleur de chardon : nom donné à 12 ans par le sage petit garçon Mitsuo à Mitsuko dont il était amoureux.
Il la retrouve plus tard entraineuse, qui se fait appeler… Azami.
Lui, devenu père de famille, ne couche plus avec sa femme, mais s’entend bien avec elle.
Une histoire d’adultère au Japon.
La berceuse de son enfance :
«  Ce soir encore, ton oreiller est baigné de larmes.
À qui rêves-tu ? Viens, viens vers moi.
Je m'appelle Azami. Je suis la fleur qui berce la nuit.
Pleure, pleure dans mes bras. L'aube est loin encore. »
130 pages de chez Actes Sud qui se lisent d’un trait, avec une écriture retenue, un style original d’une simplicité clinique qui rend cette histoire banale tout à fait palpitante.
Quand la poésie nait dans une vie réglée, la sensualité irradie un quotidien tellement raisonnable.
Nous sommes dans d’autres paysages, et c’est bon : mais si là bas aussi nature et ville s’opposent, les rapports aux rapports tarifiés se posent-ils différemment d’ici ?
Au début d’une série qui met en appétit, où la délicatesse, la douceur servent les questions aussi universelles :
que deviennent les souvenirs, que faire des désirs d’une autre vie ?  

vendredi 6 novembre 2015

Old school.

Le débat où Onfray et tant d’autres s’en prennent plein la tronche ne peut être réservé aux intellectuels, car à voir comment certains philosophes dans Libé dénient toute légitimité à ceux avec qui ils sont en désaccord, est un comble d’incohérence voire de bêtise quand ils se proclament doux, doutant et sages.
Le nombre de ceux qui  seraient habilités à parler du peuple se restreindrait vraiment.
Et pendant ce temps le FN monte à mesure que se voilent les faces.
Ces discussions, niveau cour de récréation ou battle rappeuse, autorise le moindre bloggeur à  ne pas nourrir de complexe pour prendre la parole.
Mais depuis janvier 2015, je me sens patraque, les dessinateurs travaillaient sous la protection de la police et on a eu beau faire les malins, le crayon n’a guère bonne mine face aux kalachs.
Ma confiance et mon optimisme ont  pris un coup  de vieux : ce ne sont pas que des souvenirs de jeunesse qui ont roulé sous la table ensanglantée de Charlie mais une façon de voir la vie et mes contemporains, une façon de dire et d’essayer de penser : mon humanisme de petit fonctionnaire, serviteur de l’état et des mômes devient arthritique.
J’hésite, je tergiverse, de plus en plus rétif aux grandes envolées, je n’en suis pas à me chercher « the » penseur, mais laborieux de l’affirmation, je me contente de relire un entretien  donné au « Point » de Régis Debray qui a connu d’autres collimateurs que ceux derrière lesquels des gentils jettent leurs boulettes.
Espérance :
« Avez-vous noté le raccourcissement des cycles d’espérance en Occident ? Le christianisme ? Vingt siècles. Le scientisme ? Deux siècles. Le socialisme ? Moins d’un siècle. L’européisme ? Un demi-siècle. Résultat, une première historique : la peur sans l’espoir. L’homme, ce petit mammifère prématuré à la naissance, plus malin, mais plus faiblard que les autres, a toujours eu peur, non sans raison : des rhinocéros, de l’enfer, de la peste, des Barbares, des intrus, des kalachnikovs. La peur, c’est son destin, mais l’antidestin qu’il a inventé pour tenir le coup - la résurrection des morts, la société sans classes, l’éternité par l’art ou autres tranquillisants -, a disparu. Pour la première fois, [pour l’homme occidental moderne] il n’y a plus d’après. Ni au ciel ni sur terre. »
Présent :
« Le XXe siècle a vécu du futur plus qu’aucun autre, et jusqu’au XVIIIe notre civilisation vivait du passé, sur l’imitation de Jésus-Christ, des saints ou des héros. Le présent à l’état brut, sans rien devant ni derrière, c’est de l’expérimental. Je pressens du bipolaire : hystérie et sursauts de colère d’un côté, morosité et je-m’en-foutisme de l’autre. Le déprimé survolté par dix flashs quotidiens. »
Religion :
« Et plus les outillages progressent, plus les imaginaires régressent. Le passé revient en force, avec les fantasmes d’origine. Voyez le Moyen-Orient : les frontières modernes s’effacent, on remonte de l’État à l’ethnie. Le plus récent est le plus fragile. Quand il y a crise économique ou politique, ce sont les couches les plus anciennes qui affleurent : le clanique, le tribal, l’ethnique, le religieux. L’archaïsme, ce n’est pas le révolu, c’est le refoulé. Et la postmodernité, en ce sens, sera criblée d’archaïsmes. Pourquoi ? Parce que le nivellement crée un déficit d’appartenance, un désarroi existentiel, d’où le besoin d’un réenracinement traditionaliste, d’un affichage de singularité. On croyait jusqu’à hier que l’évolution du niveau de vie nous débarrasserait du religieux- une école qui s’ouvre, c’est un temple qui ferme. Erreur. Les informaticiens sont plus fondamentalistes que les littéraires, en Inde comme en islam. L’utopie libérale espérait que la Carte bleue gomme les cartes d’identité, en réalité, elle les fait sortir au grand jour. »
Moderne :
« Les grands nostalgiques créent du nouveau, en art comme en politique. Sans la République romaine dans les têtes, pas de Révolution française. Sans le Musée du Louvre, pas de Picasso. Ce sont les réacs qui posent aux modernistes. Ils s’adaptent au statu quo sans faire la percée. »
..............

Dans "Le Canard" de cette semaine:

jeudi 5 novembre 2015

Gustave Courbet. Serge Legat.

Dans le triptyque du cycle qui s’ouvre devant les amis du musée, consacré aux scandales de la modernité, le communard arrive en premier.
Si certains de ses tapages autour de sa peinture ne sont pas intentionnels, de la part de l’artiste reconnu qu’il était, ses engagements politiques sont décisifs.
Artisan de la rupture dans l’histoire de l’art, il ne peut être considéré comme un père de la modernité. Même pas refusé au salon de 1863 ! Monnet le fut.
Il a connu beaucoup de critiques mais ses mécènes lui furent fidèles, ainsi le demi-frère de  Napoléon III, le duc de Morny,
L’ « Autoportrait au chien noir »  au cadrage « sotto in sù » (de dessous vers le haut) traduit une personnalité sûre de sa valeur qui lui vaudra souvent d’être représenté avec une grosse tête sous les crayons des caricaturistes. Cheveux bohèmes et vêtements élégants, sa carrière commence sous les meilleurs auspices.
Quand il se peint en « Violoncelliste » les critiques évoquent des souvenirs du Caravage et de Rembrandt, de Vélasquez et de Murillo.
Son « Désespéré » est peut être surjoué,
alors que le tableau de « L’homme blessé » qu’il ne voulut jamais vendre, exprime un désespoir plus authentique. Virginie, sa bien aimée dont il eut un garçon, mariée à un autre, a été effacée de la toile : la  douce sieste initiale a tourné à une souffrance héroïsée.
Avec un « Après-dînée à Ornans», il se montre fidèle à ses amis de cette région natale du Doubs dont il peindra de nombreux paysages.
Son père y figure de même que dans « Les paysans de Flagey revenant de la foire ». Ce monde paysan sérieux et digne, comme les frères Le Nain le montrèrent, est ici monumental. Certains critiques n’hésitent pas à parler d’« un culte rendu à la laideur ». Berlioz qui lui commanda un portrait, le refusa, le génie inspiré ne transparaissait peut être pas assez.
Le terme de « laideur » fut aussi employé pour le colossal « tableau de figures humaines », un « Enterrement à Ornans » au format réservé jusque là à la peinture d’histoire tel « Le couronnement de Napoléon » de David qu’on n’attendrait pas forcément en cette compagnie si le conférencier Serge Legat ne les avait mis en parallèle. Courbet s’est opposé à l’enseignement dispensé aux beaux arts comme David avait lutté pour la suppression des académies.
« Les Demoiselles de village » faisant l’aumône à une petite vachère sont charmantes, ce sont les trois sœurs de celui qui disait « Pour peindre un pays, il faut le connaître ».
Pourtant se déchainera à nouveau le mépris parisien qui estime qu’elles ne méritent que la dénomination « filles » puisqu’elles sont de la campagne !
Sa palette se nuance après son séjour à Montpellier à l’invitation de l’industriel Alfred Bruyas qui accueille l’artiste dans « Bonjour Monsieur Courbet » ,titre désormais attribué.
Si «L’atelier du peintre » ne figure pas à l’exposition universelle, onze de ses tableaux y sont accrochés. Il voulait traduire une « Allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique » Le peintre est en position centrale avec sa muse aux pieds cachés soulignant  l’intention de ne rien dévoiler des procédés de l’artiste. D’un côté, ses amis : Baudelaire, Proudhon, Champfleury  qui « vivent de la vie » alors qu’en face « ceux qui vivent de la mort » : le braconnier dont les traits doivent à Napoléon III  et parmi tant d’autres fâcheux, un juif ; l’antisémitisme sévissait aussi à l’extrême gauche.
« Les Demoiselles des bords de la Seine » sont peut être « de mauvaise vie », elles furent reprises par Picasso.
Elles répondent à celles du village et « les baigneuses » dont « une percheronne » dixit Eugénie, femme de l’empereur, jouent à « noli me tangere » (ne me touche pas.)
Pour la collection privée du diplomate turco égyptien Khalil-Bey, il peint «  Le Sommeil »  aux deux beautés féminines enlacées
et l’ « Origine du monde » qui n’apparaitra que derrière un rideau  quand elle fut acquise par Lacan.
Bien qu’ayant baptisé un lieu de ses expositions « pavillon du réalisme » il ne veut pas se laisser embrigader derrière des étiquettes :
« Le titre de réaliste m'a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques. Les titres en aucun temps n'ont donné une idée juste de choses : s'il en était autrement les œuvres seraient superflues. » 
Après la commune, il est emprisonné en 1871, il se rajeunit  dans un « Portrait de l'artiste à Sainte Pélagie » et ne pouvant acquitter l’amende considérable dont il a écopé pour la mise à bas de la colonne Vendôme, il s’exile en Suisse.
« La Truite »  à l’agonie c’est lui, comme « Le renard dans la neige »
et « La vague » ?
Sa sœur Zoé disait :
«Tous ses sujets sont des autoportraits » 
 Le goudron qui entrait dans la composition de ses fonds remonte et tend à assombrir ses œuvres.

mercredi 4 novembre 2015

San Gimigniano.

La silhouette de la ville de Géminien, évêque du IVe siècle est caractéristique avec ses 14 tours qui furent plus de 70 à l’époque de la splendeur… plus que New York comportait de gratte-ciels.
A l’abri de ses triples enceintes, la bourgade de 7000 âmes a conservé les caractéristiques architecturales des XIIIe et XIVe siècles depuis qu’Etrusques, puis Guelfes et Gibelins marquèrent l’histoire.
La vue est belle depuis la ville « delle Belle Torri » qui figure au patrimoine mondial de l'UNESCO : les touristes y abondent.
A l’intérieur du Duomo, les fresques de Ghirlandaio évoquent en particulier Santa Fina, une jeune fille très pieuse, condamnée à être dévorée par les souris et les vers.
De part et d’autre de la nef, des œuvres à l’expressivité remarquable, magnifiquement conservées, permettent de réviser ou de s’initier à l’ancien et au nouveau testament.
Les visions de l’enfer de Tadeo di Bartolo sont spectaculaires et le célèbre  martyr de Saint Sébastien, par Benozzo Gozzoli est intéressant à comparer avec l’interprétation d’autres peintres.
Au Palazzo comunale où Dante passa en 1300, de belles fresques plus profanes avec des scènes de la vie conjugale, celle du podesta d’alors, sont également intéressantes.
Si les peintures modernes qui voisinent avec les objets du musée archéologiques ne révolutionnent pas l’histoire de la peinture, un petit tour à la Spezieria di Santa Fina, annexe à l'ancien hôpital, a gardé sa pharmacie.

mardi 3 novembre 2015

Les filles de Montparnasse. Nadja.

L’auteure est la sœur de  Grégoire Solotareff lui aussi illustrateur de livres pour enfants, leurs styles ont un air de famille, ils ont d’ailleurs travaillé ensemble.
Ici les gouaches de celle qui fut connue avec Le Chien bleu font tout l’attrait de ce livre mais magnifient à mon avis un peu trop l’époque au sortir de la commune dont le traitement certes charmant et expressif s’avère superficiel.
Les filles sont jolies et les jupons seyants :
« Amélie écrit, Garance peint, Elise veut devenir chanteuse, Rose-Aymée est modèle ».
Elles vivent ensemble, elles sont légères et les hommes lourds.

lundi 2 novembre 2015

Notre petite sœur. Kore Eda.

Film positif donc complètement original dans un ensemble de productions vues à Cannes où la violence occupe les écrans.
Trois sœurs aux caractères différents, mais unies, vivent dans une maison ancienne, elles accueillent leur demi sœur née d’un père qui a refait sa vie plus loin. Celui-ci vient de disparaitre. Elles vont élever la pétillante petite, s’apprivoiser. Toutes ces belles femmes, belles personnes, sont des battantes, tendres,  fines, drôles et généreuses. Ce que je sais du cinéma japonais qui interroge sans cesse sur la tradition et la modernité m’enchante souvent particulièrement pour sa façon de traiter de la famille avec délicatesse et profondeur.
Ce film parle de douceur, de bonheur, il fait du bien sans mièvrerie.
Deux adolescents sous un tunnel de cerisiers en fleurs sont bouleversants.