mercredi 8 janvier 2014

Ethiopie J 15. Les ordinateurs portables d’Awasa


La nuit fraîche n’a pas refroidi une chatte dont on ne pouvait ignorer qu’elle était en chaleur.
A six heures le soleil plombé assombrit le matin et une bonne polaire n’est pas de refus.
Dans l’enclos mitoyen de l’hôtel, des bouchers nous proposent un morceau de viande crue du mouton qui vient d’être dépecé. Nous déclinons le cadeau et nous nous rabattons sur les tartines au beurre de cacahuètes, nappées de miel.
Aujourd’hui nous avons 6h de route à faire jusqu’à Awasa dont certaines portions sont en reconstruction.
Peu après notre départ nous voyons des cases couvertes de plastique noir qui servent d’abris aux réfugiés somaliens.
Les paysages changent rapidement, nous passons des chameaux parmi les acacias aux cyprès en forêt puis aux encètes et à la végétation tropicale. La route se poursuit à travers un brouillard de plus en plus dense et un léger crachin. Peu à peu le ciel se dégage pour laisser apercevoir une campagne très verte. Les villages se succèdent coquets et fleuris, bien nettoyés et stockent sur les bas côtés leurs spécialités à vendre : ail, bois, qat, mangues, ananas, œufs, vanneries et régulièrement du bois destiné à la cuisine en petites plaquettes ou des longs troncs d’arbre qui pourraient servir à l’armature des cases.
Les camions chargés de livrer le qat roulent à tombeau ouvert et sont surnommés « Al-Qaïda ». Les toits des cases fument : l’évaporation s’ajoutant au feu des foyers.
Nous quittons le territoire des Boranas pour celui des Sidamos.
Arrêt repas à Dilla, dans un grand restaurant, l’équipe se régale de jus de fruits frais, mangue ou papaye, avocat qui remplacent le café.
Nous traversons la campagne verdoyante où les cases sont beaucoup plus grandes et supportent un toit de chaume écrasant qui descend très bas. Nous en visitons une en bord de route, où Girmay compte donner des photos prises lors d’un précédent voyage.

Nous sommes accueillis par un digne vieillard qui nous fait l’honneur de sa maison dont une grande partie est réservée aux animaux. Un jeune veau retenu par une corde piétine en compagnie d’une poule en liberté, en face d’une banquette pour les invités et d’un lit. La cuisine donne sur un jardin avec une ruche où prospèrent des encètes, des avocatiers, du café, des manguiers. Des barres parallèles sont installées pour les enfants. Girmay cause avec le patriarche père de 14 enfants eux-mêmes mariés et parents de petits enfants.
A  Hawasa ou Awassa, l’orthographe est variable, nous déchargeons nos bagages au Gebrekiristos Hôtel (esclave de Dieu en grec) qui offre ô miracle des douches chaudes dans toutes les chambres.
Après 20mn, nous sommes  près du lac  où nous entrevoyons un mariage sélect avec robe blanche et costards. Le marié est tiré en arrière par les hommes pour ne pas embrasser sa nouvelle femme tandis que la mariée est poussée par ses amies pour y parvenir.

Nous longeons la promenade du « sentier d’amour » qui borde le lac. Les gens nombreux et endimanchés baguenaudent tranquillement. Beaucoup de jeunes habillés à l’européenne témoignent de la présence d’universités dans cette ville importante. Des couples flirtent et se font photographier au bord de l’eau, des estancos proposent du café, des vendeurs ambulants vendent du pop corn et des pois chiches grillés. De nombreux oiseaux se plaisent dans les marécages et les vaches au bout du sentier se font un passage sans dévier de leur trajectoire.
Nous rentrons à pied à l’hôtel au milieu de la foule détendue d’un dimanche après midi. Au Lewi hôtel où une table est retenue, des employés stylés  nous servent une nourriture de qualité et bien présentée. La télé diffuse des nouvelles via la chaine Aljezeera.
A  notre sortie, les rues sont calmes, ne restent que les sans abris et quelques passants attardés.

mardi 7 janvier 2014

La revue dessinée. N°2.

Enquêtes reportages et documentaires en bande dessinées.
Passé le moment d’agréable surprise du premier numéro, nous pouvons lire trois mois après, la suite de récits amorcés dans le un, concernant les gaz de schiste, ou dans les coulisses du jardin zoologique de Paris. Des rubriques pédagogiques s’installent avec le portrait de Barro un économiste qui prône la rigueur, et sur les abus dans le langage bien vus par James.
Je n’arrive pas vraiment à m’intéresser à la préhistoire de l’informatique malgré les petits dessins, mais les technologies du futur qui corrigeraient les déficiences de l’homme sont passionnantes, et la vie de Thalès (de Milet) narrée d’une façon amusante mérite un coup d’œil.
Il ne me restera pas grand-chose du récit de la vie de Lee Scratch Ferry car il me manque quelques éléments  de base en reggae.
Par contre « Les écoutes made in France » sont le résultat d’un vrai travail d’investigation et quand apparaissent les visages connus de « Pieds Nickelés » ils sont parfaitement à leur place à plus d’un titre : la France avait vendu à Kadhafi un système de surveillance d’Internet qui avait entrainé des tortures d’opposants, il est question de Takieddine. 
Le dessinateur  Emmanuel Lepage nous rend compte de sa visite  dans la région de Fukushima avec de belles images et cette citation d’un président sorti :
« Le coût de l’électricité produite par les éoliennes est le double de celui produit par notre parc nucléaire. Pourquoi voudrions-nous multiplier par deux le coût de notre énergie ? Y a-t-il une raison autre que l’idéologie ? Mais il n’est pas le temps de revenir à l’époque du moyen-âge, des peurs moyenâgeuses où on se méfiait du progrès. On ne va pas retourner à l’époque de la bougie. »
Ouf ! Il n’est plus aux manettes.

lundi 6 janvier 2014

Le loup de Wall Street. Martin Scorcese.


D’après une histoire vraie, a-t-on besoin de se redire, tant la destinée de ce courtier semble incroyable depuis ses débuts dans un garage jusqu’à la une des journaux financiers. Récit classique d'une réussite américaine, amorale et sans avenir.
Les acteurs  sont excellents, les musiques des monuments, les plans virtuoses, le rythme survitaminé.
La drogue a beau ravager le héros principal joué par Di Caprio, les putes appeler la pénicilline, il plonge et replonge, l’argent étant l’euphorisant le plus puissant.
Le milieu de la finance le plus obscène est efficacement décrit, mais aussi l’étourdissement de toute une société menée non par des idiots comme les jugeaient les critiques du « Masque et la plume » mais par des bonimenteurs qui savent jouer des passions de leurs contemporains.
Film américain, chez qui les loups aux fortunes insolentes n’ont même pas à se proclamer décomplexés - ils n’ont jamais été empruntés avec le pognon
- mais on peut aussi penser à des personnages de chez nous qui donnent des conférences bien rémunérées, la justice leur tourne autour, les atteindra-t-elle un jour ? Sur le pont de leurs yachts, ils reçoivent les caméras, bien que trop frénétiques pour être heureux.

dimanche 5 janvier 2014

Où vont les chevaux quand ils dorment ?



Avec ce spectacle en hommage à Allain Leprest, je pensais rattraper, en un soir, des décennies d’ignorance d’un auteur adulé par une amie aux goûts chansonniers très sûrs et  par toute une génération d’auteurs compositeurs.
J’ai apprécié les textes, néanmoins la représentation m’a paru datée.
La mise en scène  de cette cérémonie des adieux aurait mérité à mes yeux plus de sobriété.
Des chanteurs de métier qui lui rendaient hommage : Romain Didier, Jean Guidoni, je connaissais surtout Yves Jamait dont j’adore la voix et ses chansons.
Leurs prestations entrecoupées de textes lus par des enfants qui ne pouvaient comprendre ce qu’ils avaient à déchiffrer, perdaient ainsi de leur saveur :
« Un jour, boum, tu tombes sur « La mémoire et la mer » du grand Ferré et c’est l’éblouissement, le cataclysme émotionnel, l’inaccessible étoile qui va affoler ton sextant… »
Pourtant le poète lui allait direct au foie et au cœur :
« J´ai peur des notes qui se chantent
J´ai peur des sourires qui se pleurent
Du loup qui hurle dans mon ventre
Quand on parle de lui j´ai peur »
Il n’y avait pas besoin d’en appeler au « poète absolu » ni aux mânes de Rimbaud pour que le public fervent passe une bonne soirée.
« J´ai trop d´paresse – esse - esse
Pour musarder – der – der
Dans votre fief – ef – ef
S.D.F. »
De l’essentiel qui balance.
« Aujourd´hui j´ai fait ma valse
Et j´ai replié mon courage
J´ai une plaie sur la chemise
Et un accroc sur le visage
Omaha Beach, pas une trace
S´en vont et reviennent les flots
Une éponge de mer efface
Un grand ciel vert comme un tableau
Y a rien qui s´passe... »
Dommage que des sentiments surlignés lors des intermèdes avec la sempiternelle répulsion /fascination  par rapport au « système » qui permet aux chansons d’arriver à nos oreilles, soient venus perturber une rencontre avec une œuvre originale, subtile et forte.
« Quand le soir nous prête sa gomme
Où vont les chevaux quand ils dorment »

samedi 4 janvier 2014

Long cours. N°5. Automne 2013.


XXI a beau être mon chouchou, je me réjouissais de trouver sur  le présentoir de la libraire du Square un trimookstriel qui lui ressemblait d’autant plus qu’il contenait un article concernant Rimbaud en Afrique. Mais si la revue au joli titre montée par l’Express est agréable au toucher il est moins lourd que le modèle de tous les mook (magazine+book), il l’est aussi dans le contenu, plus léger. L’ancêtre XXI a beau être imité dans le format, la longueur des articles, la volonté d’aller aux quatre coins du monde, sa profondeur, son originalité, ne sont pas égalées, au vu de cette livraison de ce concurrent.
Ce n’est pas indigne non plus. Mais le dossier concernant la géopolitique de l’Islam n’apporte pas vraiment du neuf en  évoquant le trésor de Kadhafi, les touaregs du Mali, la guerre fratricide des sunnites et des chiites, la série Homeland miroir tendu à une Amérique dans l’incompréhension du monde musulman et une nouvelle d’un écrivain : Enard  pour le retour d’un homme en Syrie.
Une BD en antarctique : classique, un reportage photos sur des nostalgiques des années 50 en Australie, sur les touristes chinois en Chine ou d’excentriques anglais : pas vraiment novateur.   Le reportage sur Istanbul, j’ai l’impression de l’avoir lu plusieurs fois et Djian qui se met à narrer son voyage à Shanghai à travers sa traductrice, a été en meilleure forme d’autres fois.
Par contre le récit de la construction d’un nouveau port à côté de Tanger montre les difficultés du développement quand le clientélisme n’a pas disparu et apporte des éléments nouveaux à l’idée traditionnelle d’un rif voué au kif. Le parti pris de se mettre dans les traces de Tom Wolfe à Miami est une excellente idée. Et une enquête sur les insectes nous emmène au-delà d’assiettes sensationnelles en évoquant tous les enjeux alimentaires qui se posent à la planète, les blocages et aussi les innovations possibles pour assurer par exemple une alimentation raisonnée des poissons ou des volailles. Le portrait d’un chercheur qui écoute les animaux est intéressant et la déambulation de Léonardo Padura Fuentes en front de mer à Cuba ne renvoie pas à des cartes postales mais à nos dualités suivant qu’il se tourne vers la ville pour regarder la vie ou vers la mer pour aller vers lui-même, ayant choisi de vivre « à proximité de mes regrets, de mes souvenirs, de mes frustrations et, bien entendu, de mes joies et de mes amours. »

vendredi 3 janvier 2014

Bon an mal an.


Il faut changer les calendriers, les aiguilles ont tourné.
Alors essayer de prendre la mesure du temps et pendant qu’on y est des espaces emboités:
le ciel au dessus de nos têtes est noir de charbon, les eaux sont poisoneuses.
Mondo : Les conférences environnementales à l’échelle de la planète ne font plus illusion.
Euro : Le bleu du drapeau européen comporte plus de taches que d’étoiles.
France : Mon président blague. J’avais voté pour lui à la primaire socialiste pensant qu’il susciterait moins de rejets qu’Aubry : je m’en enfonce le bonnet jusqu’aux yeux. Cahuzac.
Ceux qui ont toujours estimé que la gauche au pouvoir était illégitime par nature, arrêtés dans l’après guerre quand les chars soviétiques devaient stationner sur le mail de Voiron, ont repris du poil de la bête. Et le pouvoir est paralysé.
La mise à plat de l’impôt semble relever de la tactique et l’ajustement des rythmes scolaires qui rencontrait  pourtant le consensus passe mal ;  le « mariage pour tous » hystérisa des manifs par touffes.
Au-delà de ces péripéties surjouées, faut-il faire tout un plat des « quenelles » ?
Descendu de sa voiture de luxe, Anelka parle d’un « geste anti système », lui dont le système  en a fait un de ses rois. Il entretient la connivence avec toute une partie de la société dont la haine se cultive sous des excuses bidon, qui savent emprunter les codes clean pour continuer à pourrir le « vivre ensemble ». Bras d’honneur, doigt d’honneur et faux semblants.
Deux fractions du pays ne se voient plus.
L’école fut au moins un lieu de rencontre, mais lorsque les conditions d’apprentissage sont compromises, pompiers et vigiles sont requis. Avec des cours en ligne qui s’ouvrent dans les universités, on pourra économiser sur les profs.
Certains jeunes  pourront filer fissa, quand d’autres végèteront sur canapé, que dira PISA ?
Ariane Mnouchkine dans ses vœux sur Médiapart décrit ce climat de pessimisme qui me mine puis donne du souffle :
« Je nous souhaite d’abord une fuite périlleuse et ensuite un immense chantier.
D’abord fuir la peste de cette tristesse gluante, que par tombereaux entiers, tous les jours, on déverse sur nous, cette vase venimeuse, faite de haine de soi, de haine de l’autre, de méfiance de tout le monde, de ressentiments passifs et contagieux, d’amertumes stériles, de hargnes persécutoires.
Fuir l’incrédulité ricanante, enflée de sa propre importance, fuir les triomphants prophètes de l’échec inévitable, fuir les pleureurs et vestales d’un passé avorté à jamais et barrant tout futur. »
Les chantiers sont boueux : quand les portails écotaxe crament, la solidarité est absente, et nos souliers collés : le chômage s’aggrave et qu’y faire ?
A Saint Egrève, sous l’affichage d’une fleur tenue dans un gant, un assemblage d’intérêts particuliers concourt pour les municipales, où les opposants d’hier qui contrarièrent jadis tout projet proposé par la gauche, sont de retour. Fidèles à eux même, eux, dont la motivation essentielle est que rien ne se construise demain : illustrant avec leur divorce de la majorité actuelle, qui nous avait vaincu aux dernières élections, que les étiquettes sont trompeuses : les plus conservateurs en rosissent.
......
 Après les cadeaux de Noël, depuis Internet cette image simple:

jeudi 2 janvier 2014

Watteau Antoine.


Prononcer Ouateau comme  à Valenciennes où il est né.
Depuis 28 ans de conférences aux amis du musée, le peintre des fêtes galantes n’avait pas été présenté, le manque est désormais comblé avec Eric Conan.
Watteau, élève à Paris de Gillot, illustrateur, décorateur, peintre, fréquente le marché Saint Germain où se donnent des parodies des succès théâtraux de l’époque, « libertin d’esprit mais sage de mœurs ». Son œuvre sera marquée par la commedia del arte et s’il apprend les arabesques, les singeries, il apporte sa propre fantaisie au cours de la Régence dont il incarne par ses toiles, la légèreté, la délicatesse.
Pourtant il ne vécut que six ans après le règne de Louis XIV (54 ans au pouvoir).
En 1717, il est élu membre de l’Académie de peinture après avoir présenté  le « Pèlerinage à l’île de Cythère» dans une catégorie crée spécialement pour lui : «  peintre de fêtes galantes ». Jardin d’amour inspiré de Rubens qu’il avait eu l’occasion de voir au musée du Luxembourg.
Rodin a écrit: « … les pèlerins font monter leurs amies dans la nacelle qui balance sur l'eau sa chimère dorée, ses festons de fleurs et ses rouges écharpes de soie. Les nautoniers appuyés sur leurs rames sont prêts à s'en servir. Et, déjà portés par la brise, de petits Amours voltigeant guident les voyageurs vers l'île d'azur qui émerge à l'horizon. »
Greuze y vit des « fricassées d’amour ». Les amants s’en vont.
J’aime ses dessins aux traits efficaces. Dans les scènes bucoliques, les frottis sont légers pour des frondaisons presqu’impressionnistes. Quand s’effacent les décors, la frontière entre le réel et sa représentation est floue. La mélancolie se mêle à  la futilité, la sensualité s’esquisse.
Les musiciens accordent leurs instruments, dans un décor pastoral, les tourtereaux content fleurette.
« L’enseigne de Gersain » fut sa dernière œuvre, aux belles dimensions alors que souvent la taille de ses productions est modeste, en milieu urbain cette fois.
Des commentateurs y voient un précurseur de Degas ou Daumier pour cette scène de la vie parisienne.
Depuis la rue pavée nous entrons dans la boutique idéalisée qui permet de citer Rubens, et les flamands. La palette est lumineuse, s’anime de personnages aux tenues soyeuses, se regardant dans un miroir, un portrait de louis XIV est mis dans une caisse, alors qu’un marchand présente une scène mythologique.
En 1721, il meurt de tuberculose, il a 37 ans.
Alors que beaucoup de ses tableaux sont à l’étranger, au Louvre le grand  « Pierrot » longtemps appelé «Gilles », le clown immobile lumineux et triste, nous interroge.