Il m’est arrivé bien des fois au cours de ma carrière de ne pas être
accessible au second degré, quand par exemple, je surprenais un garçon battant
un de ses camarades qui se défendait : « on s’amuse
m’sieur ! » disait-il. La blague n'était pas bonne pour tout le monde.
Aujourd’hui, d'autres malhonnêtes me consternent : ceux qui ne savent pas
prendre du recul, ni apprécier une complicité, avec qui c'est devenu impossible
d’user de ce qu’on appelait « l’esprit » aux airs aristocratiques. L’expression « un
homme d’esprit » approche de l’obsolescence dans un carnet de vocabulaire aminci.
On ne rit plus, les ricanements ont tout corrompu, le goût
du clash est permanent, la compréhension a dégringolé les degrés,
l’humour est mort.
Va donc dire :« Ça me tue !
» L’expression a ponctué nos indignations quand les
atteintes à l’intelligence devenaient lancinantes, et puis un prof cette fois-ci a été tué pour des
dessins. Coupez !
« Par quel
enchevêtrement d’idées, de discours et d’errements en est-on arrivé à ce que,
pour la première fois dans le monde occidental depuis la fin de la guerre, un
journal soit décimé, avant de devoir se retrancher dans un bunker à l’adresse
secrète ? Qui a nourri le crocodile en espérant être le dernier à être
mangé ? Parce que c’est toujours la même chose : quand on est
confronté à la peur, certains choisissent de pactiser. »
Richard Malka, avocat de Charlie.
Le nombre de péremptoires sanguinaires a explosé, et pour
des raisons supérieures à une imperméabilité aux plaisanteries, l’absurdité
aggravée de mauvaise foi et de foi mauvaise recouvre la planète.
Les intégristes gagnent des parts de marché et ceux qui ne
voient que complots de partout ne veulent plus comprendre ni histoire, ni
science, quand la langue qui nous était commune est devenue essentiellement une
source de malentendus. Trump a fait des émules bien au-delà des folklos à front
de bison. L’école a failli chez nous aussi.
Des siècles de manipulation des symboles par les religieux
auraient dû nous prémunir de ne pas tout prendre à la lettre : nous savons
quand même que tous les croqueurs d’hostie ne sont pas des cannibales.
Le prophète n’avait pas posé les fesses à l’air devant un
dessinateur de Charlie et le Christ du Gréco est bien trop blanc pour être le
vrai.
« Les couilles de mon
grand-père, pendues dans l'escalier, dont ma grand-mère, se désespère de les
voir se dessécher » comme disait la chanson, ne sont pas celles de mon pépé!
En matière de mythe, le bonhomme Noël se traine avec son
traineau mais les séparatistes qui ne voient chez lui que les couleurs de Coca-Cola
interdisent à leur progéniture d’imaginer au-delà des nuages autre chose que
des phénomènes météorologiques.
Fantaisie bannie, symboles incompris, lexique réduit : le sourd, l’œil collé à la serrure, gueule! Mélanges, montages, amalgames; la distanciation ne vaut que pour des raisons sanitaires et au jeu de la mise à nu des rois, personne ne gagne en humilité, en indulgence.
Dans le monde littéraire où l’attention aux mots devrait être la
raison de vivre, la distance entre l’œuvre et l’auteur se réduit, et la doxa
actuelle cherche plus volontiers du côté de la braguette d’Hugo plutôt que vers
ses vers. Voulant faire passer Rimbaud de la clandestinité des «invertis» aux ors de la République depuis que le gay est présentable,
certains postulent pour lui au Panthéon. Quant à Sade qui figure toujours en
bonne place dans les suppléments littéraires, verra-t-il une érosion des
faveurs critiques quand tant d’autres moins sulfureux disparaissent coulés dans
les piliers de ciment du politiquement correct ?
Pour m’en tenir à un format familier à ceux qui acquiescent
à « OK boomer ! », je retiens une formule de papier de
papillotes :
« Celui qui veut
écrire son rêve se doit d’être infiniment éveillé » Paul Valéry
Des envies de fermer les yeux subviennent pourtant à
la vue de l’inscription « ACAB » ( All Cobs Are Bastards) dans le
prolongement de nos imbéciles « CRS : SS » et que meurent trois
gendarmes qui n’ont même pas fait l’objet d’une brève chez Médiapart tandis qu'un
croche-patte de la part d’un policier nourrit leurs lecteurs pour la quinzaine.
« Un boomerang,
c’est comme un frisbee, mais pour ceux qui n’ont pas d’amis »