vendredi 23 mai 2025

Dignité.

Lors d’une conversation avec mon fils qui me vantait les mérites de la BD « Champs de bataille » à propos du remembrement en Bretagne, nous avons révisé notre généalogie, depuis  nos ancêtres laboureurs dont la lignée s’est éteinte avec mon père jusqu’au chef de projet en milieu numérique avec sous nos yeux nos petits, en passant par l’instit’ qui causera de cette B.D. un de ces mardis sur ce blog.
Au-delà des responsabilités des politiques, des banquiers, des syndicalistes dans la destruction des bocages, se retrouve l’antique bagarre entre girondins et jacobins, état central et autonomie régionale. 
Pour ma part, j’ai pris les chemins confortables de l’exode rural, les portes de la grange se sont fermées. 
Celui qui peint le geste auguste du semeur n’a guère de cal aux mains, 
mais Hugo enchante le monde : 
« Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours. »
L’expertise des paysans est perdue à l’heure où les travailleurs de la terre se voient idéalisés ou méprisés. Leurs compétences allaient de la prévision de l’orage menaçant un voyage,de foin, aux soins des animaux. Elles semblaient naturelles pour mon grand-père, héritier d’une longue tradition, vétérinaire au black, perclus de rhumatismes météorologiques, qui pouvait mal juger un ministre de l’agriculture ignorant la différence entre un épi de blé et un épi de seigle.
Cette dignité disparue dans les campagnes est semblable à celle des profs et des médecins bouffés par Internet. 
Nous devenons tous des experts de tout et connaisseurs en pas grand-chose. 
« La dignité passe par le sentiment qu'on a de son utilité. »
Henri Lamoureux
Je ne mêlerai pas ma voix à tous les méprisants populistes et complotistes qui crachent sur l’école, les experts, les politiques. Blessés, ils blessent. Cette défiance vient de loin et les frustrations ne datent pas d’aujourd’hui, elles ont à voir avec la perte de sens de bien des pauvres jobs, et interrogent la démocratie envers laquelle la confiance n’est plus de mise. L’emprise d’un Trump, les symboles les plus honnis déterrés sans vergogne sont les manifestations les plus bruyantes de ces abandons citoyens, de ces érosions de l’éducation.
Ces pertes en estime de soi font la fortune des coachs et autres restaurateurs de cramés à la moindre étincelle.
Les vocations souvent évoquées ici se trouvaient chez le mécanicien, le menuisier, le géographe… 
Les uns et les autres reprenaient l’affaire familiale et il n’y avait rien à redire sur la « reproduction sociale » gimmick de ceux qui ont diabolisé la continuité. Les orientations allaient de soi dans la cohérence et la fierté, sans que soient dépréciés les métiers manuels.
Mais il n’y plus de mains, que des pouces pour scroller.
J’allais ajouter que chacun avait le sentiment de travailler au bien commun.
Mais ce tableau évitera d’être trop pompier en se souvenant des luttes qui ont amené des « progrès », mot incandescent avant de tomber en cendre.
Mon goût des paradoxes, des contrastes, serait comblé en voyant des députés bien mis sous la représentation de notre Marianne dépoitraillée.
Pour sortir du temps de l’imparfait, nous pouvons continuer à goûter les émerveillements d’un printemps capricieux tout en «  cherchant à décoller des évidences et des enchainements mécaniques ».
M’avançant avec la lâche prudence du meunier de la fable accompagné de son fils et de son âne pour évoquer les avantages de la transmission, je n’ignore pas les inconvénients sur le plan fiscal de « l’héritage qui pèse désormais plus que le travail » dans la constitution des patrimoines. 
Mais ce n’est pas près d’être changé. 
« Un état chancelle quand on en ménage les mécontents.
Il touche à sa ruine quand on les élève aux premières dignités. »
 Diderot

1 commentaire:

  1. Je continue sur ce sujet, puisqu'il m'inspire...
    Je crois que la condition du paysan laboureur (à se souvenir que la femme.. laboure aussi à ses heures) va de pair avec notre histoire humaine collective de domestication, de l'élevage, notre sentiment d'être asservi ? à la terre, et notre rage devant la nécessité de manger, et être des corps, et pas de purs esprits AFFRANCHIS de l'humiliation d'être assigné à résidence dans un corps qui n'est pas tout puissant. Et le paysan est l'incarnation même dans nos esprits de la confrontation avec notre condition humaine INDEPASSABLE (credo). Le paysan sait, d'avoir vu, touché, d'où vient la viande sur la table du CIToyen urbain. Le paysan SAIT que les pâtes ne poussent pas sur les arbres. D'où notre très grande ambivalence à son égard, parce qu'en même temps qu'il récolte de la haine, il est le lieu d'où surgit la vérité sur les origines dans "Oedipe Roi" de Sophocle, par exemple. Il est un lieu.. dépositaire, et en tant que tel, sa dignité coule de source. Sa dignité... est inséparable de la nôtre.
    Et maintenant, il s'agit de pouvoir s'autoriser à recouvrer le savoir du paysan, savoir/expérience qui lui venait de fréquenter sa terre DE PRES et dans la durée, en l'observant avec intelligence, et en tirant le fruit de ses observations pour continuer à travailler et faire fructifier la terre.
    Cette intelligence, ce savoir ont été abandonnés par l'école et son projet éducatif ET POLITIQUE, je le crains...

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