samedi 3 avril 2021

Nature humaine. Serge Joncour.

L’ambition du titre parfaitement réalisée en 400 pages varie les points de vue sur la nature, forcément humaine, avec un ancien militant du Larzac, chevrier, les maraîchers qui fournissent le super marché Mammouth, l’étudiante s’enivrant des odeurs de menthe, l’éleveur s’interrogeant sur l’agrandissement de ses bâtiments : quand le paysan devenait exploitant. 
«  Par chance, être agriculteur c’était travailler sans cesse, c’était embrasser le vivant comme l’inerte, ça suppose d’être à la fois éleveur, soigneur, comptable, agent administratif, vétérinaire, maçon, mécanicien, géologue, diététicien, zoologiste, chimiste, paysagiste et tout un tas de choses encore…et surtout de ne pas craindre de passer des heures dans les moteurs de toutes sortes… » 
Je ne déflore aucun dénouement en notant que l’engrais peut être explosif, car l’auteur sait nous tenir en haleine et sa description de l’évolution du monde rural ne concerne pas seulement les ruraux ou un de leur fils, genre abordé sur ce blog: 
Entre la sécheresse de 76 et la tempête de 99, de vache folle en Tchernobyl, les catastrophes se sont succédé et même au bout d’un chemin non goudronné, la mondialisation sous toutes ses formes pousse sa corne. 
« Depuis quatre jours dans le plus grand secret les Soviétiques bombardaient la centrale de sacs de sable largués par hélicoptères, mais ça n’y avait rien fait. L’unique solution était donc d’envoyer des soldats et des pompiers au cœur de cet enfer, cependant à force de brûlures et de radiations ces hommes tombaient les uns après les autres, au bout de deux minutes, ils s’écroulaient, alors il fallait vite en envoyer d’autres… » 
Global et local, ici et maintenant, les fracas du monde n’atténuent pas les fines notations sur les mentalités des différents personnages: 
« Vivant dans une ferme paumée au milieu des coteaux, pour les parents c’était rassurant de montrer à leurs enfants qu’ils participaient quand même de ce monde contemporain, celui des pubs à la télé, celui de la cafetière électronique et du fer à vapeur, celui du couteau électrique, de la foire aux T-shirts et de la yaourtière. » 
Bien des thèmes sont abordés, j’allais dire « habilement » mais cela laisserait entendre un savoir faire qui prendrait ses distances avec l’émotion, alors que la nostalgie s’exhale aussi bien que la poésie avec une tension qui n’a rien d’artificiel ponctuée de moments comiques, quand un publicitaire vient poser ses spots dans la prairie pour des tranches de jambon sous blister. L’intrigue sentimentale n’est pas qu’un vecteur narratif et pose les dilemmes autour de la liberté en particulier pour le personnage principal héritier d’une tradition en un milieu qui a su s’adapter à de grands bouleversements. Il subit plus qu’il n’agit, se tenant plus près du réel, de nous, qu’un omniscient héros. 
« S’ils se prirent la main c’est qu’ils venaient de tomber de haut. Tous deux sans rien dire, ils ruminaient leurs liens, tout ce qui les empêchaient de devenir réellement libres, elle qui se sentait appelée par d’autres pays pour sans cesse fuir le sien, et lui qui se sentait viscéralement attaché à sa terre. »

 

1 commentaire:

  1. Ma meilleure amie anglaise m'a offert le dernier livre de James Rebanks, "An English Pastoral" (Une pastorale anglaise), et je l'ai siroté comme un très grand cru. Rebanks n'essaie pas de convertir quiconque : il raconte l'histoire de sa famille sur un élevage de moutons dans le Lake District, en sachant que cette famille élève des moutons sur ces terres depuis... peut-être 6000 ans ?
    Ce deuxième livre de Rebanks reprend l'histoire de sa famille sur l'élevage depuis son grand père.(Il a un peu plus de 40 ans.) Il a eu l'immense chance de suivre son grand père dans un élevage... AVANT LES MOTEURS et le brouhaha du monde moderne. Quand on y songe, jusqu'à l'époque de son grand père, l'élevage des moutons se déroulait quasiment à l'identique depuis peut-être des milliers d'années. Donc... ça fait très peu de temps que nous avons tout chamboulé comme des cons en nous imaginant super intelligents de surcroît, grâce à notre hubris prométhéen qui ne dégonfle pas pour autant que je puisse voir maintenant.
    Je suis très heureuse d'annoncer que Rebanks louvoie de tonnerre pour essayer de retrouver les pratiques saines de son grand père, qui connaissait vraiment très bien sa terre, étant... souvent à pied, et pas haut-perché sur un engin motorisé pour faire vroum vroum (en sachant en plus que l'engin motorisé qui fait vroum vroum entraîne l'agriculteur dans une spirale de dettes qui ressemble... à la spirale de dettes de notre pays en ce moment ?).
    Trop de grosses ambitions nuit à l'économie, à l'agriculture, au sommeil la nuit, et surtout à la terre...

    RépondreSupprimer