vendredi 10 mai 2019

Zadig. N°1.

J’ai beau affirmer me défendre d’un flot d’informations débilitantes, je me suis laissé aller une nouvelle fois à mon goût des premiers numéros de journaux et magazines, d’autant plus facilement qu’il est édité par le « 1 » de Fottorino. http://blog-de-guy.blogspot.com/2016/03/jai-vu-la-fin-des-paysans-eric-fottorino.html .
Le trimestriel de 200 pages coûte 19 €, sans pub ; un succès de librairie.
Son thème « Réparer la France » est bienvenu  sous une couverture positive, des signatures familières : Ozouf, Kerangal, Slimani, Boucheron, Rosanvallon… des angles variés, un confort de lecture assuré.
Le reportage à bord d’un chalutier au large du Guilvinec est intéressant
une infirmière qui exerce entre Dunkerque et Calais attachante,
la petite pensionnaire de Marie Desplechin interroge,
un prof à Cagnes-sur- Mer offre des possibilités à des élèves en difficulté...
Même si des témoignages d’entrepreneurs travaillant dans la réinsertion sont sympathiques,
je retiens surtout du côté de Vesoul, la description désespérante d’une campagne où la drogue est familière chez les jeunes,
et à Vierzon ces charcutiers  qui n’ont pas de successeur.
Les faits divers rassemblés par Régis Jauffret sont criants,
les cavaliers intervenants aux Baumettes avec leurs chevaux sont magnifiques,
les femmes qui ont eu le cancer et se retrouvent à coudre dans un local à Créteil
« ravaudent la beauté déchirée du monde ».
William Boyd est un peu décevant même si c’est encore par les étrangers que nous pouvons retrouver une meilleure image de nous même.
Le Havre de Maylis de Kérangal est plus accessible
que le pays de Marie Darrieussecq
et s’il faut bien être Christian Bobin pour voir tant de poésie au Creusot,  c’est bien bon,
je ne pensais pas suivre avec autant d’attention Orelsan à Caen, d’autant plus qu’il est commenté avec pertinence par Bertrand Dicale :
« Oreslan est évidemment français, c'est-à-dire tout endolori de soupirs qu’il chérit, détestant l’enfer du présent, en attendant qu’il se mue en paradis perdu. »
Les cartes de Le Bras mettant en évidence la « diagonale du vide »allant des Ardennes aux Pyrénées, n’apportent pas tellement de nouveauté,
alors que les infographies sur les inégalités nous rappellent utilement que « le système d’impositions et de prestations sociales a permis de réduire de moitié les inégalités de niveau de vie entre les ménages les plus aisés et les foyers les plus modestes. ».
L’épicier que décrivait Balzac ne manque pas de sel,
un « homme aux cinquante métiers » a du savoir-faire et exprime un rapport au travail très contemporain,
l’esthéticienne d’Ivan Jablonka qui a « plaisir à faire plaisir » est vraiment aimable.
Mona Ozouf interrogée sur le parallèle entre 1789 et le mouvement des Gilets jaunes dit son inquiétude et sa mélancolie :
« Inquiétude, parce que ce que l’affaire met en évidence, c’est l’extrême fragilité de notre tissu culturel, une pellicule sous laquelle perce toujours la menace d’un dérèglement inhumain. Mélancolie aussi : ma génération a cru à des lois de l’histoire, possibles à déchiffrer et à utiliser. Et nous voici un peu vexés, le nez sur l’indéchiffrable et l’immaîtrisable. »

2 commentaires:

  1. Je crois que la seule loi de l'Histoire que je retiens, c'est qu'elle se laisse déchiffrer... dans l'après coup, ce qui est assez sain, et même... prévisible, finalement.
    Je trouve qu'on met trop l'accent sur les inégalités. Il y a toujours eu des inégalités, et il y en aura toujours. Mais que les inégalités conduisent au mépris... c'est une autre paire de manches. La diagonale du vide, c'est quoi ? le Massif Central ? Un coin très attachant de mon point de vue.
    Peut-être qu'il manque un nouveau Saint François à la France ? Un homme... très attachant, et très improbable, pendant qu'on y est.

    RépondreSupprimer
  2. Diagonale du vide... démographique, qui précise la distinction métropoles/milieu rural.

    RépondreSupprimer