samedi 15 septembre 2018

Stendhal. Dominique Fernandez.

Cette fois à la bibliothèque d’étude de Grenoble, l’académicien (105,45 € par mois) président de l’éphémère club Stendhal qu’il monta avec Charles Dantzig présente un nouvel ouvrage consacré à l’auteur en « Rouge et noir ».
Le jour anniversaire de la mort du dauphinois, un bouquet d’épinard était posé sur sa tombe car « Les épinards et Saint-Simon ont été mes seuls goûts durables. »
Dans la collection « Les auteurs de ma vie » chez Buchet Chastel, des écrivains font partager leur admiration pour un classique comme Giono le fit avec Virgile, Gide avec Montaigne.
Pour Stendhal, ce ne pouvait être que le rédacteur d’un dictionnaire amoureux à http://blog-de-guy.blogspot.com/2013/04/dictionnaire-amoureux-de-stendhal.html, qui rédige une préface « Le courage d’être singulier » avant quelques morceaux choisis tels ceux qui furent lus lors de cette soirée.
Parmi les correspondances de Stendhal et autres ouvrages inachevés - celui-ci n’a publié que trois romans - une savoureuse lettre à sa soeur Pauline étonnante de modernité ou une réflexion au soleil couchant au bord de la Méditerranée… Morceaux, stimulants, « épatants »  mais rares puisque ce chercheur de vérité ne se laissait pas aller facilement au lyrisme , dédaignant les ornements, méprisant les gens d’esprit étalant leur esprit. 
Il aurait aimé être comme Rossini, qu’il admirait, dont il découvre l’identité seulement à la fin de leur rencontre dans une auberge : modeste et naturel.
C’est avec « le seul écrivain qui ne soit pas un homme de lettres », que  l’auteur de « La Course à l'abîme », histoire du Caravage, aurait aimé prendre un café, partageant leur goût pour l’Italie, la musique et la peinture.  
Comme Picasso qui n’arrêtait pas de dessiner, Henri Beyle qui a utilisé une centaine de pseudonymes, écrivait tout le temps.
Il commit des plagiats en début de carrière mais les rendit lisibles, son guide de Rome renouvelant le genre. N’étant pas un spécialiste, il ne cherche pas à être équitable dans ses jugements musicaux ou picturaux, il évite l’emphase, les fioritures. Subjectif, il éloigne une sensibilité trop appuyée.
Comme Baudelaire, Flaubert, Molière, Rousseau, Balzac il n’a pas accédé à l’académie française, bien qu’il y postulât vers la fin de sa vie (1842) après avoir été critique à son égard dans sa jeunesse, comme tout le monde. Théâtre et poésie étaient à l’époque du genre noble mais pas le roman, alors…

vendredi 14 septembre 2018

Foot et tauromachie.

Je reprends ci-dessous, quelques mots prononcés au moment du départ à la retraite de mon collègue Eric.
Le propos se devant d’être badin en ces circonstances, j'avais l’intention de parler rien moins, que de liberté et de fidélité à sa classe sociale.  
« Lorsque j’ai proposé à Eric de parler de football et de tauromachie, deux de ses passions coupables, je pensais le faire sur le mode de la révélation - on dit « coming out » - mais c’est qu’il ne s’en cache pas, il en est même fier.
Après tout proclamer son attachement au football est une transgression bien anodine, quoique les risques de passer pour un beauf ne sont pas nuls en milieu enseignant où la pratique du badminton est plutôt recommandée.
Dans ce cas, il est de bon ton de ressortir Camus :
« Le peu de morale que je sais, je l'ai appris sur les terrains de football et les scènes de théâtre qui resteront mes vraies universités. »
L’ancien gardien de but, prix Nobel, permet d’agrémenter cette fiche de préparation aux allures de leçon de morale - on n’y échappe pas. Je voudrais par là, souligner la tolérance d’Eric le militant, ambianceur de manifs. Il était dans un syndicat au sigle interminable, SNUIPP, concurrent du mien, qui lui - je cite- ne prenait pas ses ordres à Moscou mais plutôt au Vatican, puisque la CFDT venait de changer une de ses lettres.
Le football miroir grossissant  de la vie de nos sociétés et donc du néo libéralisme est une histoire de temps, liant les générations, une histoire de transmissions. Qui dit encore « les gônes » ou « les Minots », sinon les habitués des travées du « Groupama Stadium » ou au « Vélodrome » ?
C’est un langage universel compris des Terres froides jusqu’à Rio, et si le brassage social est moins évident aujourd’hui dans les équipes de quartier, les débats passionnés quant à Ngolo Kanté ou Paul Pogba ne se prennent pas au sérieux et peuvent se permettre des caricatures minant par contre les discussions politiques.
Concernant la tauromachie, je me sentirais ici presque dans la situation de Gérard Collomb qui aurait à tenir un discours à la fête de l’Huma.
Alors j’ai recours cette fois au philosophe Francis Wolf :
« Etre Torero c'est une façon d'être, de styliser son existence, de s'identifier à sa fonction. C'est une certaine manière de s'exposer sans le montrer, de dominer les évènements en se maîtrisant soi-même et de promettre une victoire sur l'imprévisible... » Remplacer « torero » par « instit » : ça marche. Par contre l’action pédagogique viserait à infléchir de trajectoires trop prévisibles.
Les images ne manquent pas sur le thème de la bête et de l’homme, depuis Lascaux jusqu’à Picasso, ni les mots avec Hemingway, René Char… autant de postulants à emporter les oreilles et la queue face aux allergiques à la muleta.
C’est qu’il est question de soleil et d’ombre, de combat, de mort.
En ces temps où les charcutiers se font agresser, il est nécessaire de réaffirmer la complexité de la vie et la valeur des passions qui ont plus de mal à palpiter sous l’effet de quelques fades tisanes qui ne vaudront jamais des « Marquisettes » de Féria…»

jeudi 13 septembre 2018

Rencontres photographiques d’Arles 2018.

En relisant mes impressions de l’an dernier je ne savais pas que j’aurai à faire part à nouveau d’une certaine déception.
Outre le fait de payer toujours plus cher pour un nombre d’expositions toujours moins nombreuses à être encore ouvertes à cette époque de l’été, il est bien difficile de repartir avec le souvenir d’une découverte exceptionnelle, le sentiment d’une créativité foisonnante ou d’avoir saisi l’idée forte de l’année.
Nos regards rassasiés n’ont pu aborder des thématiques concernant la réalité virtuelle ou le transhumanisme qui auraient peut être apporté leur lot de nouveauté.
S’il ne s’agit plus, bien entendu, de rechercher la beauté dans les expositions contemporaines, les émotions tiennent d’avantage aux sujets qu’à d’harmonieuses proportions, des couleurs jolies ou des cadrages inédits.
On retient les anciens : Depardon évidemment qui a trouvé aux Etats-Unis de quoi infléchir sa carrière. 
Robert Frank, Suisse installé aux EU a dû inspirer le natif de Villefranche-sur-Saône avec son livre préfacé par Kérouac : « Les Américains » où le hasard entre dans les cadres, quoique la présence de planches contact montre que le maître sait choisir.
De cette édition, la 49°, les photographies de Paul Fusco sont les plus émouvantes,  prises en 1968, depuis le train qui conduisait le corps de Robert Kennedy de New York jusqu’à Washington, saisissant l’hommage de toute une nation dans sa diversité et sa vérité. Travail repris plus tard à partir de photos d’amateurs qui assistaient à l’évènement et reconstitué encore récemment en vidéo.
La fondation Luma présentait également dans d’amples espaces  Gilbert and Georges et leurs provocations devenues banales sous leurs couleurs tranchantes : « fuck » en tapisseries, bites et étrons sous verre, nudités roses et anti-religiosité de mise.
Quand la critique par les artistes eux mêmes du milieu de l’art se monnaye au nom d’une proximité populaire, j’ai des doutes, et lorsqu’une lycéenne piège sa copine avec son portable devant des trous du cul, je m’interroge.
Le paysage artistique arlésien change : les ateliers sont rachetés  par Luma dont la brillante tour est encore en travaux, alors les « Rencontres » recherchent de nouveaux lieux.
L’un d’eux « La Croisière » aux allures de squat convient bien avec ses toiles d’araignées et ses murs décatis à une évocation assez conventionnelle de mai 68
ou à celle d’Esù le messager des dieux entre Afrique et Amérique.
 Adel Abdessemed et sa poésie immédiate y trouve aussi une place appropriée près des terrasses.
L’affiche du festival signée par William Wegman procure un peu d’humour, denrée rare par ici, pour aussitôt nous interroger sur cette mode actuelle qui souligne la proximité des animaux avec les humains, jusqu’à en devenir chèvre.
Lauréat de la Résidence BMW 2017, Baptiste Rabichon propose quelques balcons fleuris,
et Gregor Sailer des fausses villes, des villages Potemkine, des façades de maisons.

Heureusement au « Ground Control », à l’arrière de la gare, sur des parois d’aggloméré, des propositions parfois maladroites mais novatrices sont présentées.


Ainsi un casseur de pierres cassé  sur fond de cartes postales, des images inquiétantes d’un purgatoire crypté, une ferme qui va fermer,  la guerre en Ukraine, Auroville , des églises transportées dans Bucarest après Ceausescu, photos insoupçonnées d’un grand père iranien, échanges Facebook…
Il y avait quand même de quoi s’en mettre plein les yeux, pour le reste faudra-t-il aller un jour à Perpignan pour les reportages, et prendre du temps pour garnir ses propres albums ?

mercredi 12 septembre 2018

Le monde est à toi. Romain Gravas.

- Qui vous a inspiré ?
- Ma mère, répond le fils de l’auteur de « Z », présent dans une salle modeste du quartier de La Bocca pendant « the » festival de Cannes, après être passé sur des tapis rouges plus vivement éclairés : merci monsieur.
Dans ce film de gangsters les Tontons Flingueurs parlent le langage des banlieues du siècle « Ixe, Ixe, Barre ».
Adjani se fait appeler maman par  Karim Leklou, son grand dadais de fils qui rêve faire commerce de Mr Freeze au Maghreb.
Ça canarde dans les dialogues, et les grenades sont cachées dans des sacs Hello Kitty quand la mafia russe rencontre nos zaïrois.
Philippe Catherine est avocat, Vincent Cassel un chauffeur grillé aux Illuminati.
Un moment jubilatoire de divertissement.

mardi 11 septembre 2018

Le guide du mauvais père. 4. Guy Delisle.

Il en est à son numéro quatre ! J’ai donc manqué un épisode de la vie familiale du reporter qui nous emmena de Corée du Nord à Jérusalem,
ce qui me contraint d’éviter de répéter que les chroniques du canadien qui tiennent pourtant 191 pages, sont trop courtes.
Façon de dire ma jubilation de retrouver ce bon papa, « pauvre papa », tel qu’en lui-même, étourdi, facétieux, loin d’être parfait, mais dont je vais m’empresser d’offrir un exemplaire à mon fils, père exemplaire, comme je le fus.
Ainsi il raconte une histoire qu’il va publier, à ses enfants:
« Je suis dans le salon et je lis le journal.
Alice entre et elle me demande si elle peut jouer à la console.
Je lui réponds : «  Est-ce que tu as rangé ta chambre avant de jouer à la console ?
Elle dit : « Bon j’y vais » et elle va ranger sa chambre.
Elle revient et demande encore pour jouer.
Je lui dit : «Est ce que tu as fini tes devoirs ? »
Alors elle revient encore quelques fois comme ça, et à la fin je lui dis :
« Tu vas pas te mettre à jouer maintenant, c’est l’heure de dîner. »
Les enfants ne trouvent pas ça drôle, mais demandent qu’il en raconte une autre.
Moi j’ai bien ri. 
Et d’autant plus qu’est rappelé la fragilité de ces moments de tendresse, d’insouciance, menacés par la fin prochaine de l’enfance. L’adolescence qui s’annonce recèle sûrement des occasions de goûter à l’avenir quelques bouffées d’humour délicat. 

lundi 10 septembre 2018

Shéhérazade. Jean Bernard Marlin.

Ils sont si jeunes et ils ne savent pas.
Zacharie, 17 ans, que sa mère n’attend même pas à sa sortie de prison, va  finir par récolter l’argent de sa copine mise sur le trottoir ; il ignorait que c’était du proxénétisme, réprimé par la loi.
Leur naïveté, leur stupidité sont consternantes alors que leur énergie, leur audace nous ragaillardissent.
Les acteurs amateurs apportent une crue véracité des cités qui saute à nos gueules ridées. 
L’amour, omniprésent dans les fictions, ne se dit plus comme au temps de Marivaux.
Il nous rassure. Cette relation chez les cas soc’ a tant de mal à se distinguer de la haine lorsqu' elle entre en conflit avec un tabou fondamental du système mafieux : être une « balance » !
Les fleurs bleues peuvent pousser au bord de la Grande Bleue, et même dans les jardins de la protection de la jeunesse un certain romantisme peut se cultiver.
Dans un Marseille terre de drogues et de prostitution, les structures éducatives et leurs agents bienveillants font ce qu’ils peuvent face à tant de détresse, que même les caïds  reconnaissent comme des conduites à l’envers.


dimanche 9 septembre 2018

Au Bonheur des mômes 2018.

Au Grand Bornand, la 27° édition du festival de théâtre pour enfants se tenait fin août.
Là bas quand une salle de spectacle s’appelle « Tout là haut sur la montagne », il faut prendre pour de vrai un téléphérique au dessus des vaches dont les cloches sonnent en prélude à l’ouverture de la porte des rêves. 
Alors la pièce « Un jour » invite les petits spectateurs à voyager depuis le fond des mers jusqu’au ciel, pendant quarante minutes, format habituel. Le manipulateur d’objets poétiques de la compagnie All’improviso est d’origine italienne comme le conteur de l’Accademia Perduta qui fait habilement redécouvrir « Le petit Poucet »,  celui qui est obligé de grandir pour surmonter ses peurs.
Les acteurs de la compagnie Telaio, venant également de l’autre côté des Alpes -ce sont les invités de cette année- sont tout à fait audibles puisqu’ils ne s’expriment que par des sifflements. Les enfants ressortent du spectacle «  Le nid »  avec un origami en forme de petit bec après avoir assisté aux bouleversements qui accompagnent l’attente d’une naissance.
La mise en scène du désordre demande beaucoup de rigueur et le duo énergique de Bazarnaum Productions jouant « Katastroph Orkestrar » est tout à fait crédible quant à une origine supposée balkanique puisque leur musique enjouée parvient au public, grâce à quelques incidents contrariants et rigolos. Ils viennent de Saint Etienne.
L’énergumène de la Ni (Cie) qui fait « Des Pieds et des mains », en s’emmêlant lui aussi  les pinceaux, se fait très bien comprendre dans une langue inventée, ou en fredonnant dans son cazoo.
Il captive par ses acrobaties et son énergie, mais peut impressionner un public en phase d’initiation. Je partage tout à fait le malaise de celui qui serait sommé de monter sur scène, comme ce fut trop souvent le cas, en d'autres lieux.
René Cousins, promet une augmentation de l’intelligence grâce à ses potions .  
« Tout doit disparaître », dit-il, sauf les interrogations qui demeurent après ses tonitruants tours de magie: comment il a fait ? C’est tout le charme de la comédie. « L’avantage d’être intelligent c’est qu’on peut faire l’imbécile, alors que l’inverse est totalement impossible. »
Recommandé jusqu’à six ans, « O », du Caracol Théâtre, participe à l'évolution d’une programmation  s’adressant, ainsi que le faisait remarquer une mamie amie, de plus en plus à des tout petits. Il m’a semblé un peu régressif pour mon gars de cinq ans avec des jeux autour de l’eau en baquet, comme on n’en voit plus guère pour se baigner.
La poésie omniprésente en cette semaine est peut être plus accessible à partir d’objets anciens, ainsi pupitres et bonnet d’âne sont habilement utilisés par deux acteurs et leurs marionnettes exploitant magnifiquement un décor inventif pour jouer avec les mots.
«  Du vent dans la tête » du Théâtre à la coque préparait idéalement à la rentrée avec son optimisme et sa finesse. «  Les ours ne doivent pas perdre leur culotte glacière. »
Leur façon d’aider les enfants à grandir, comme le respect envers des textes des minots hospitalisés à La Timone à Marseille présentés par la compagnie « Après la pluie » méritent tous les éloges. Posés sur des musiques variées, les mots  d’«  Au cœur de nos rêves », bien portés par trois chanteuses étaient pour moi plus forts, plus justes, que le « gros son » revendiqué par la vedette Aldebert qui a emballé les foules.
Je ne me doutais pas d’un tel engouement envers celui qui s’est consacré désormais aux « Enfantillages », déjà aperçu il y a quelques paires d’années  http://blog-de-guy.blogspot.com/2010/11/aldebert.html .
S’il a toujours des bonheurs d’écriture : «  la nostalgie d’un pays qui n’existe toujours pas » lorsqu’il évoque un lionceau, ses appels aux réflexes grégaires pour redouter la rentrée et se moquer de « Jean petit qui danse » me contrarient. Certes c’est furieusement contemporain de se faire valoir en dénigrant les autres, mais en me montrant critique envers une "vache sacrée" qui remplit les Zénith (700 dates), je suivrai ainsi le directeur du festival lorsqu’il invite à ne pas être sage et à ne pas écouter les adultes.
Ce bémol posé, l’ambiance patiemment construite dans le village est prodigieuse grâce à une nuée de bénévoles permettant qu’à chaque pas les enfants soient sollicités par des jeux originaux, des parades extravagantes, des ateliers palpitants: les princes de ce village sont des enfants. Des adolescents sont acteurs avec la présentation très professionnelle des travaux de l'association Oval dont l'histoire du "Petit Prince" sert de fil conducteur à de virtuoses numéros de cirque: "Prince"
Il ne me parait  pas souhaitable que les enfants deviennent  des despotes, surtout quand des adultes semblent avoir tant de mal parfois à sortir de l’adolescence… avant que je ne retourne moi même en enfance.