jeudi 23 janvier 2020

Turner au cinéma. Jean Serroy.

Revoir  le film « Mr Turner »  peut permettre de l'appréhender différemment 
et en mieux quand un conférencier le met en perspective.
Mike Leigh le réalisateur a fait des études artistiques comme la réalisatrice du film « Artemisia » http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/11/artemisia-jean-seroy.html proposé juste avant dans le cycle « les peintres au cinéma » aux amis du musée de Grenoble.
La formation théâtrale de l’auteur de «  Another year » l’a amené à porter à l’écran une de ses pièces « Bleak moments » qui connut un succès critique plutôt que la reconnaissance du public.
Il est un des représentants du « free cinéma » britannique, équivalent de notre « nouvelle vague », issu du documentaire et portant des préoccupations sociales.
Il a réalisé une douzaine de films après une vingtaine de pièces de théâtre mettant en valeur ses acteurs comme Timothy Spall qui a bien mérité son prix d’interprétation à Cannes en 2014 pour « Mister Turner ».
Il a beaucoup travaillé pour apporter des éléments authentiques au récit des trente dernières années de la vie du  célèbre peintre. Par contre la séquence expliquant la genèse du  tableau « Le Dernier Voyage du Téméraire »  est une fiction, le peintre n’a pas assisté au remorquage du bateau de Nelson le vainqueur de Trafalgar.
Il avait peint « La bataille de Trafalgar ».
Mais ce moment est  indispensable pour exprimer le changement d’époque, voire marquer une étape vers le déclin de Joseph Mallord William Turner. Celui-ci porte le même prénom que son père avec qui il entretenait une relation fusionnelle. Après avoir affiché ses premiers dessins à la vitrine de sa boutique de barbier, il se chargera de la commercialisation des œuvres de son fils qui prendra ensuite le nom de Booth, celui de sa logeuse avec laquelle il s’installe à la fin de sa vie à Chelsea.
Son ancien mari avait raconté sa vie de charpentier de marine : « Négriers jetant par-dessus bord les morts et les mourants - un typhon approche »
Sa peinture a évolué, la marine est passé de la voile à la vapeur et la photographie enferme la lumière derrière son obturateur, lui l’étale en des paysages mentaux inédits qui annoncent l’impressionnisme voire l’abstraction. «  Pluie, vapeur, vitesse ».  
Précédant un générique superbe qui dévoile une toile dans des volutes fuyantes, la silhouette du peintre muni de son carnet toujours avec lui, apparaît à plusieurs reprises devant un ciel prenant de plus en plus de place.
Il semble peindre, mais son crayon ne découpe pas la réalité, il précède des touches vaporeuses nées en atelier où nous approchons de la matérialité de la peinture avec la préparation des couleurs, des précisions sur les formats et n’ignorons pas l’économie de l’art : il refuse de vendre ses tableaux à un acheteur généreux pour que son œuvre garde son unité.
Il cherche, il maugrée. On en oublierait la gouvernante-servante qui lui est attachée et qu’il maltraite à la façon d’un Weinstein. « Tempête de neige en mer »
« Quand Turner peint, il voit au-delà du ciel et de la mer et capte l’essence de la vie
 C’est Mike Leigh qui le dit, une autre tête de mule parait-il, qui sait :
« Le génie n’est pas toujours emballé de façon romantique.» « Pêcheurs en mer »
Il a voyagé : « Bonneville »
« Rome, vue de l'Aventin »
Jean Serroy a conclu en jouant sur le mot « mystère » alors que le titre mettait en avant  la personnalité du « Mister».
Occasion nous a été donnée de surcroit d’aller voir chez Baudelaire qui écrivait à propos de la photographie, intermédiaire entre cinéma et peinture s’encourageant l’un l’autre, tout au long de ces deux heures et demie :
« Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très-humble servante, comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature. Qu’elle enrichisse rapidement l’album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquerait à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques renseignements les hypothèses de l’astronome ; qu’elle soit enfin le secrétaire et le garde-note de quiconque a besoin dans sa profession d’une absolue exactitude matérielle, jusque-là rien de mieux. Qu’elle sauve de l’oubli les ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie. Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute son âme, alors malheur à nous ! »

1 commentaire:

  1. Je partage le sentiment de Baudelaire...
    Je me souviens du film, et je me souviens de la séquence où Turner se pose devant l'objectif pour sa photo, et de sa méfiance ? perplexité devant cette invention qui...
    semble jouir de la croyance du plus grand nombre que l'image qu'elle restitue EST la réalité, et non pas une interprétation de la "réalité".
    Le mot "objectif" est tout un programme.
    Je ne prends pas de photos maintenant.
    Pourquoi... externaliser sa mémoire ? Certes le procédé est tentant, mais plein de choses sont tentantes, et regarde un peu là où ça nous mène.
    Pas dans un endroit où j'ai envie de séjourner, en tout cas.
    La conférence a du être passionnante. Merci pour le compte rendu.

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