samedi 3 septembre 2022

En été. Karl Ove Knausgård.

A l’orée de la saison où les livres, surtout avec un tel titre, s’invitent à l’ombre, l’évocation de Francis Ponge à propos de l’auteur scandinave à succès m’a décidé. Je ne regrette pas mon choix, même si des chapitres évoquant « les coccinelles » ou « les arroseurs automatiques » me rappellent davantage Philippe Delerm que le poète minutieux auteur du « Parti pris des choses ».
Il faut bien 410 pages pour apprécier la diversité d’une écriture cherchant l’intégrité.
La chronique quotidienne d’une vie à la campagne nous rend familière sa famille où jamais l’émerveillement face au monde ne s’affranchit de la réalité, quand la fragilité d’un bouleau se remarque « juste à côté de l’endroit où je gare ma voiture ».
Son humour m’épate : après avoir refusé une deuxième glace à ses enfants, il va s’en acheter une pour lui tout seul.
L’observation des « groseilles » ou des « moustiques » l’amène à des considérations aussi évidentes que : 
« Ce n’est pas parce qu’un idiot habite en Norvège que la Norvège est un pays idiot ».
Une histoire d’amour aussi discrète que violente amène du romanesque dans cette recherche des mots justes nés du quotidien.
Et ce spécialiste du peintre Edvard Munch peut nous embarquer loin, sans pontifier, lorsqu’il nous fait connaître «  Baptême à l’église » d’Harriet Backer : 
« Le nouveau né qui fait encore partie de la nature mais qui bientôt intégrera la culture, n’est pas non plus ce à quoi je pense quand je regarde ce tableau, bien que cette notion soit bien sûr présente… »  
J’aime l’incertitude, les nuances.
Entre deux chapitres  consacrés à « la pluie d’été » ou au « batteur électrique », au « cynisme » ou aux « répétitions », les aquarelles d’Anselm Kiefer, que j’ai connu plus noir et monumental, viennent aérer un volume à la fois riche et léger. 
Je vais rechercher les trois autres saisons puisqu’il s’agit du dernier volume d’un quatuor.

vendredi 2 septembre 2022

Éléments de langage

« Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé »
:
les avertissements publicitaires venant contredire leur message initial, peuvent lasser tant ils sont répétitifs : après de nombreuses incitations à acheter une voiture (électrique), il est recommandé de ne pas l’utiliser : 
«  Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo »,
l’alcool, bien sûr, est « à consommer avec modération », 
par ailleurs « Jouer avec excès comporte des risques » 
et le pire est promis aux fumeurs dans le monde entier.
Tant d’évidences deviennent un fond sonore que nous ne percevons plus, elles participent  à nos « troubles dissociatifs de l’identité » et pour le moins aux hypocrisies régnantes.
Dans le domaine politique, si bavard où toute parole soupçonnée de n’être qu’« élément de langage » a du mal à se faire entendre, les silences tonitruants concernant l’agression dont a été victime Salman Rushdie apparaissent dans toute leur lâcheté.
Pour revenir sur un petit fait de campagne électorale qui m’a paru grave car se trouve affaiblie la parole anti-raciste quand elle est mise à toutes les sauces. Il s’agit de la polémique où apparait Clémentine Autain vis-à-vis de Taha Bouhafs. Celle là pour couvrir les accusations d'agressions sexuelles de celui-ci, amené à renoncer à sa candidature, avance l’argument d’une campagne raciste : c’est déplorable ! Quand ceux qui se proclament les meilleurs défenseurs des opprimé.e.s contribuent ainsi sans vergogne à affaiblir la parole publique, notre regard concernant notre société ne peut que s’assombrir.
Dans ce tableau pessimiste où l’outrance et la dérision n’arrivent pas à détourner les nuages des incendies allumés par nos semblables en Gironde, en Ukraine, au Mali, bien dérisoires peuvent apparaître les contradictions de ceux qui ne veulent pas « perdre leur vie à la gagner » tout en ne cessant de mesurer la qualité d’un travail à sa rémunération. 
« Il y a un temps pour tout, un temps de pleurer, un temps de rire, un temps à se lamenter et un temps de danser. » L’Ecclésiaste
Pour se la jouer plus solennel, j’élargirais la perversité et la faiblesse aux hommes en général quand ils dévoient les religions en machines à interdire la moindre mèche de cheveux et les sourires à leur égard.
Les avis des enfants parfois portés à bout de bras devant les fusils ennemis ou montés sur un piédestal, semblent désormais venir de cieux incontestables tant les vieux ont abandonné leur rôle de transmission.
Le passé s’est effondré, et dans les couinements de nos fours impérieux, de nos horloges pressantes, le temps s’accélère. 
« Pendant que je parle, le temps fuit. » Cadran solaire
Les deux dessins proviennent du journal "Le Point".
 

jeudi 1 septembre 2022

Eva Jospin. Nisa Chevènement.

Cet été nous avons apprécié les œuvres  de deux sculptrices, l’une fille de Lionel J., l’autre femme de Jean-Pierre C. Les convictions de ces deux personnalités s'étaient affirmées jadis bien
loin des vociférations des perroquets et autres roquets populistes de 2022.
Au domaine de la Garenne-Lemot à Clisson à côté de Nantes, Eva Jospin expose ses cartons  jusqu’au 18 septembre 2022.
Ses travaux au Louvre et au musée de la Chasse à Paris ont installé une notoriété méritée par l’originalité des matériaux utilisés à une échelle monumentale et ses choix esthétiques qui renvoient aux mythologies des forêts.
Le banal carton d’emballage  devient décor mystérieux 
où des architectures subsistent parmi des arbres rêveurs.
L’imagination de la créatrice nous enchante.
La nature ne s’oppose pas à la culture et ici la minutie du travail rapproche l’artisanat de l’art.
Nisa Chevènement
était accueillie au château de La Rochefoucault 
en Angoumois (Charente).
La renommée de la native du Caire a dépassé nos frontières 
bien que ses amas informes d’où émergent des formes humaines aient déjà été vus.
Pourtant sous les voutes séculaires la vitalité des sculptures de bronze 
surgit de l’engourdissement, la finesse s’extirpe de la grossièreté.
C’est encore meilleur quand le hasard met sur notre route des occasions 
qui nous mènent à la découverte de personnalités nouvelles. 

lundi 4 juillet 2022

Decision to leave. Park Chan Wook.

Le film de plus de deux heures « Décision de partir » démarre bien avec deux policiers au stand de tir :  
« C’est plutôt calme en ce moment »
Mais le mélange des genres pour ce dénommé « thriller » ne nous fait pas trembler : comédie un brin burlesque, énigmes à répétition, histoire d’amour sans frisson et couple qui se défait,   omniprésence des téléphones portables.
Un policier tombe sous le charme de la présumée coupable.   
Au-delà des curiosités anthropologiques, des complications scénaristiques s’ajoutent à des étrangetés de comportements, et prennent le pas sur la beauté de certaines images. 
Notre  intérêt s’est lassé. 
......
Pour des rencontres plus enthousiasmantes sur ce blog, il faudra attendre début septembre pour en lire de nouveaux compte-rendus.  
Vous pouvez réviser, il y  a 3292 articles déposés ici depuis 2008. 
Profitez bien de l'ombre.

dimanche 3 juillet 2022

Sous un soleil énorme. Lavilliers.

Cette fois l’indifférence l’a emporté sur le plaisir de retrouvailles avec le chanteur pour lequel j’avais collé des affiches à ses débuts
Le septuagénaire d'aujourd'hui figurait comme le seul français avec Juliette Armanet parmi les 50 albums musicaux de l’année écoulée retenus par les critiques du « Monde », c’est dire le désert.
La voix de Cantona, entre autres, minimise la force de l’emblématique « Qui a Tué Davy Moore » créé par Bob Dylan et popularisé par Greame Alwrigth, à propos de la responsabilité.
Ressortent, en regard de la pertinence de ce titre, la platitude et les facilités des dernières créations du Stéphanois en « Piéton de Buenos Aires »: 
« Personne ne demande qui je suis » 
c’est que là bas « Les Porteños sont fatigués ».
Revenu de « L’ailleurs », assis à la table du diable,  
« Une musique plane  
La nuit dans la pâleur des issues de secours
Où quelques sentinelles veillent sur le retour
Des naufragés perdus
Suspendus aux nacelles. » 
Mais des rimes déjà entendues : 
« C'est presque une attitude
ça devient une habitude »pèsent « Au cœur du monde ».
S’il a emprunté à des poètes considérables, ce n’est pas chez Cendrars, prince des « Voyages » qu’il a trouvé : 
« Voyages,  il y a  ceux qu’on fait et ceux qu’on imagine ». 
Il remet sur scène « les petits marquis » déjà entrevus naguère dans « Beautiful days » comme « Ta jupe largement fendue sur ton bas noir » dans « Noir tango ». 
« Je tiens d'elle » revient à Saint Etienne, 
« La misère écrasant son mégot sur mon cœur
A laissé dans mon sang sa trace indélébile », en 75. 
« Plus brave que belle, plus frère que fière » en 2021. 
 « Toi et moi »« On se caresse, on se dévore » rappelle d’autres rengaines  
Qui reconnaitra «  stomacale et livide » « La corruption » - à dénoncer- depuis un énigmatique « banquet de Platon » ?
On lui pardonnera comme on se pardonne nos emballements de jeunesse quand énormes furent les soleils ravageurs.
 

samedi 2 juillet 2022

Un été avec Colette. Antoine Compagnon.

La rencontre du professeur au collège de France
et de la créatrice de Sido, Claudine et Gigi ne pouvait être qu’agréable. 
« L’odeur des fleurs vivantes, leur toucher frais, ont tiré d’un coup brusque le rideau d’oubli que ma fièvre avait tendu devant le Montigny quitté… J’ai revu les bois transparents et sans feuilles, les routes bordées de prunelles bleues flétries et de gratte-culs gelés, et le village en gradins, et la tour au lierre sombre qui seule demeure verte, et l’école blanche sous un soleil doux et sans reflet ; j’ai respiré l’odeur musquée et pourrie des feuilles mortes, et aussi l’atmosphère viciée d’encre, de papier et de sabots mouillés, dans la classe » 
Les 250 pages de cette collection sont garnies bien sûr de citations de Colette qui au début de sa carrière n’apparaissait pas sous son nom, mais on peut retenir aussi quelques lignes du rédacteur de cet ouvrage pédagogique :
« Proust et Colette ont donné à la littérature française le monde de l’enfance, l’étoffe de la sensation, l’émotion de la mémoire. » 
Il n’hésite pas à enrichir son éloge de l’avis documenté de Benjamin Crémieux, un des contemporains de l’octogénaire qui a fini sa vie au mitan du XX° siècle. 
« Premier exemple typique de cette prose fluide, spontanée, sensuelle, coquette, ardente, abandonnée, auprès de laquelle les proses d’homme les plus musicales et les plus directes semblent artificielles et cérébrales. » 
Cocteau y va de son grain de sel : 
 «Elle achève son existence de pantomimes, d'instituts de beauté, de vieilles lesbiennes, dans une apothéose de respectabilité.»
Sa vie palpitante ne peut se réduire à quelques titres parmi quarante chapitres bien nommés : «  La sauvageonne, « Notre grande charmeuse de mots », «  Cela sent la littérature à plein nez »… 
Nous avons envie de replonger dans ses écrits. 
« … ma gourmandise remonte à des origines rustiques, car c’était une tourte de pain bis de douze livres, à grosse écorce, la mie d’un gris de lin, serré, égale, fleurant le seigle frais, et une motte de beurre battu de la veille au soir, qui pleurait encore son petit lait sous le couteau, du beurre périssable, point centrifugé, du beurre pressé à la main, rance deux jours après, aussi parfumé, aussi éphémère qu’une fleur, du beurre de luxe … »
 

vendredi 1 juillet 2022

« On recrute »

Dans ce monde dingue - et ce n’est pas nouveau - la cohérence d’une réflexion me semble inaccessible, alors pour cette ultime chronique de la saison, je m’abandonne plus que jamais, à une trajectoire à « hue et à dia ».
Comment ne pas tomber dans ce qui m’horripile chez les autres: à savoir parler d’un autre sujet quand l’objet de la discussion dérange ? La place prise par la décision de la cour suprême à Washington concernant l’IVG m’a semblé démesurée alors que la guerre en Ukraine une fois la sidération passée est prise pour de la roupie de sansonnet. 
Il n’y a pas que Trump qui se la raconte, « chacun voit midi à sa porte » et se fabrique son propre soleil.
Je reconnais, deuxième précaution oratoire, que broder à propos des ruines et des cadavres depuis nos salles climatisées s’approcherait de l’indécence, s’il n’y avait pas d’autre posture possible: plus l’Ukraine est bombardée, plus elle bombe le torse. Près de la moitié de la population mondiale s’en fout ou se positionne carrément contre l’Europe. 
Nos petits calculs hexagonaux paraissent bien dérisoires avec des renverseurs de tables qui  prient pour que le chaos advienne mais n’assument pas, en usant de gros mots pour travestir leur fuite face aux responsabilités. Manuel Bompard a oublié qu'il était la République, en évoquant une déclaration du chef de l’état, il se permet de parler de « crachat au visage du peuple Français »; où est l’arrogance ?
Troisième excuse à l’égard de ceux qui me lisent : je ne sais sortir de mes rabâchages concernant les postes non pourvus chez les personnels de santé, d’éducation, de transports, de service, de colonie de vacances, de restauration… La jeune coiffeuse ne veut pas travailler le samedi, et la serveuse à la boulangerie pas le dimanche matin, elles ont Hellfest tous les week-end ? Certes plus grand monde ne souhaite  « perdre sa vie à la gagner », accueillons à bras ouverts les étrangers acceptant ces boulots, et ne pleurons pas sur la désindustrialisation de la France. Réduire l'aversion vis à vis du travail à un problème de rémunération est bien court; la marchandisation des actes aurait-elle atteint jusqu’aux plus déterminés des opposants au néo libéralisme ?
Le vertige peut saisir le campeur en sa zone tempérée aux alentours du 45° parallèle, le mot « tempêtrée » me venant sous les doigts. Fourmi dans la fourmilière globale, la succession des calamités, apparaîtrait presque comme régulation d’une population trop importante pour la planète. Poutine en ange exterminateur de la part de Gaïa viendrait en seconde lame après la COVID. Les hésitations des couples à procréer ramènent au sujet de la semaine : l'avortement. L'IVG constitue un point de friction majeur entre religieux et non-religieux, entre droite et gauche, et questionne la notion de libre arbitre dans tous les pays du monde. Les informations sur la contraception se sont révélées insuffisantes. L’homme ne croit plus en lui ni en l'avenir et la femme non plus.
« Les parents boivent, les enfants trinquent »: parmi les formules banales, celle-ci devient moins usitée, pourtant pour répondre à l'interrogation tout aussi courante concernant la planète que nous laissons à nos enfants, qui osera bannir l’expression « écologie punitive » et affirmer que la seule voie souhaitable mène à plus de sobriété?
Dans les espaces où les propagandes s’affrontent a-t-on oublié une étude qui minimisait l’impact des affiches sur les résultats électoraux ? « Au moins ça les occupe ! » Les militants collent, les publicitaires plastronnent, les électeurs s’abstiennent. 
Dans les cours d’éducation civique, dans les théâtres, les cinémas, les messages antiracistes se sont multipliés, l’extrême droite s’est renforcée. 
« La propagande est autochtone, la vérité vient d'ailleurs. » Alice Parizeau.
...... Ajout: The Lancet dans Courrier International: 
"La vaccination contre la COVID 19 a évité 20 millions de morts."