samedi 4 décembre 2021

La beauté dure toujours. Alexis Jenni.

Entreprise originale que de décrire l’amour d’un homme et d’une femme qui ne se lassent pas.  
« L’amour est une illusion ? Comme la musique, comme le cinéma, comme le roman. On n’en fait pas toute une histoire que ce soient des fictions. L’amour est une fiction vraie, qui se joue dans l’espace réel où évoluent nos corps. »
Et me voilà dans la position ridicule d’une lectrice admirative de l’écrivain : 
« Un roman consacré à l’amour, enfin ! dit-elle, déjà enflammée. Vous allez nous faire Belle du seigneur,
- Oh, pas du tout. Je vais même faire exactement le contraire. »
Suit une brillante analyse très critique du livre culte venant après des considérations fines et distanciées sur la position de l’écrivain. 
« Je suis le narrateur, c’est moi qui raconte l’histoire, la seule qui vaille, l’histoire d’amour. Lui, c’est Noé. Il est mon ami, je suis le sien, nous n’en avons pas tant, nous sommes l’ami l’un de l’autre et nous n’avons pas besoin de plus. Je raconte sa vie avec Felice, qui est son amie, son amante, sa femme. » 
La riche écriture convient mieux aux chapitres où le narrateur s’exprime en son nom plutôt que lorsqu’il laisse les mots au dessinateur et à l’avocate, parfois trop exaltés, à mon goût.  
« Tu es le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal » peut paraître excessif, mais ne recherche-t-on pas dans les livres à nous élever au-dessus de nos pâles perceptions, à pimenter nos connaissances ? La langue poétique de l’auteur ne s’exerce pas seulement entre des draps froissés à chercher trace d'excrétions corporelles. 
« J’aime pour ça la saveur atonale du chablis, ce goût qui manque toujours d’avoir lieu, qui promet, effleure, et disparaît, soleil pâle d’une belle journée d’octobre, ciel très bleu de porcelaine, feuilles métalliques prêtes à tomber, dernières grappes flétries laissées par les vendangeurs, vin tranchant et poliment en retrait qui laisse toute la place à la contemplation. »
Les 250 pages frémissantes se délectent d’une permanence toujours menacée, avec des protagonistes pas toujours exemplaires. Noé est enfermé dans ses dessins, occasion de belles pages sur cet art et il n’aime pas les plages ensoleillées. Des passages drôles reposent de l’idylle. L’évolution des personnages est intéressante et bien des points de vue sont abordés, l’éditeur fait valoir le sien : 
« L’amour qui dure, c’est celui sur lequel il n’y a rien à dire, tu le sais, non ? Un tunnel. Ce qui intéresse les gens c’est le début et la fin, là où ça bouge un peu, parce que sinon, entre, il y a quoi ? Des pantoufles ? Des poils dans la baignoire ? Un baba au rhum au dessert ? Rien de plus qu’une lente dégradation, et l’échec prévu depuis toujours. »

vendredi 3 décembre 2021

En cabane.

La planète s’épuise et les murs se surélèvent. 
Les motifs d’accablement ne manquent pas et l’on pourrait être reconnaissants aux écologistes de nous distraire de tant de noirceur. 
Après sapin de Noël, Tour de France et foie gras, voilà piscine à proscrire et cabane pour gilets jaunes et ses bacs à fleurs, cadeau de M. Piolle. S’il faut dans un premier temps se retenir de rire, il me semble que cette affaire témoigne au-delà d’une démagogie habituelle, d’un positionnement problématique à l’égard de la démocratie. 
«Dans le rugby, y a pas que des cons, mais tous les cons y sont» Jean-Pierre Rives.
En ce qui concerne « les Gilets Jaunes » je souscris à la règle d’essayer de ne pas « essentialiser » et précise, comme on faisait dans le temps, d’où je parle.
Le regard critique que je porte sur leur mouvement 
est débarrassé de toute condescendance puisque je suis de ce pays des « gens de peu ». Je n’ai pas besoin de me documenter pour « aller au peuple », j’en viens, et je sais intimement le mépris pour l’avoir subi en tant que « pagu » (paysan). Je ne partageais pas, en leur temps, les sourires que suscitaient les Deschiens, ils ressemblaient tellement aux miens.
Les occupations de ronds points ont été un révélateur des fractures de notre pays.
Mais l’accumulation de leurs revendications portait trop de contradictions : « moins d’impôts et plus de services », et leurs méthodes violentes pouvaient susciter des désaccords profonds.
Qu’un élu de la République qui a prétendu la diriger le temps d’une tournée des plateaux, apporte une aide à ceux qui ont rêvé de mettre à bas « La gueuse » est atterrant. 
Ils n’ont cessé de remettre en cause la démocratie représentative dévorant dans la même effervescence leurs propres leaders. Ils criaient à la dictature alors qu’ils étaient enclins à se tourner vers des solutions autoritaires. Et au bout, ont connu de bien faibles scores lorsqu’ils se sont présentés devant le peuple.
Si le mouvement qui a émergé en s’opposant aux taxes sur le diésel et aux limitations de vitesse à 80 km/h se trouve conforté par les ennemis de l’automobile c’est qu’il y a d’autres convergences de fond qui ont permis de passer par-dessus de telles contradictions.
Et c’est bien la remise en cause de l’état de droit qui est posée dans ce défi à Paris.
Une étape est franchie, depuis que les communaux des villes dirigées par les communistes venaient grossir en autocars les rangs des manifs de la CGT, avec ce coup de main à un mouvement en perte de vitesse. Les rituels du jeu social ont été rendus obsolètes et sont validés les coups de force permanents débutés avec le refus de déclarer préalablement les manifestations. Les Black Blocks cherchaient les CRS et les ont trouvés.
Eau et électricité avaient déjà été alloués par la collectivité locale grenobloise à « Nuit debout » devant la MC 2 devenue un temps base activiste quelque peu éloignée du « flower power ». Comme sont reniés les libertaires sous les injonctions permanentes, les interdictions quotidiennes des nouveaux pères et mères fouettard.e.s.
Les salles de réunions ne manquent pas, la Bourse du travail est pimpante et les sièges des partis politiques ne demandent qu’à être garnis. Cette alternative folklorique sous pergola ravit les candides qui remercient les élus de leurs bonnes œuvres mais peuvent inquiéter sur la nature de ce pouvoir municipal minant les pouvoirs élus pour mieux asseoir le sien. 
« La démocratie, c'est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c'est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l'adversaire; c'est un code moral. » Pierre Mendès France

jeudi 2 décembre 2021

Ateliers en Flandre au XV° siècle. Gilbert Croué.

Après les présentations de Van Eyck et Van Der Weyden qui à la suite de Campin ont influencé tant d’autres peintres, le conférencier, devant les amis du musée de Grenoble, clôturait un cycle consacré aux « primitifs flamands ».
Les artistes, passant du Moyen-âge aux abords de la Renaissance, ont développé la technique de la peinture à l’huile sur panneaux de bois, rendant parfaitement les matières et les visages, conservant un tel état de fraîcheur que leurs personnages nous regardent dans les yeux plus de cinq siècles après leur réalisation.
Petrus Christus arrive à Bruges en 1435 en continuateur de Van der Weyden.
Son « Orfèvre dans son échoppe » reçoit deux jeunes gens richement habillés venus acheter un anneau, elle a posé sur la table sa ceinture rouge couleur du mariage.
Un miroir convexe d'inspiration eyckienne permet de voir deux hommes à l’extérieur de la boutique dont l’un est accompagné d’un faucon attribut de la noblesse.
Un grand soin est porté aux différentes matières figurant à l’arrière plan dont un objet de monstration d’hosties surmonté d’un pélican symbole du sacrifice. Deux dents de requin accrochées au mur devaient prévenir de la présence de poison dans les aliments.
« La nativité »
 : derrière ses colonnes où deux télamons supportent le poids du péché d’Adam et Eve, le petit enfant est posé sur le manteau de sa maman comme l’avait vu sainte Brigitte. Bethléem, la ville du blé, figure derrière l’étable délabrée. Le triangle de la charpente représente Dieu et sur la branche sèche, l’ancien testament, pousse un rameau nouveau, le christianisme.
Sur le même thème, « La madone à l’arbre mort » est entourée de « A » première lettre de l’oraison «  Ave Maria » à répéter 15 fois qui renverse la cause de la damnation des Hommes : Eva «(Eve) devient Ave.
La « Rencontre de Jacob et de Rachel » est un des rares dessins de l’époque qui ait pu être attribué à  Hugo van der Goes. Sa carrière à Gand fut très courte et il ne sut rien de son influence.
Le diptyque « La Chute et la Rédemption de l'Homme » était  peint pour les dévotions privées : toute l’histoire religieuse est là, en  34 X 22.
Quand ils ont vu l’explosion des couleurs derrière les portes en grisaille  du « Triptyque Portinari », et la qualité de l’expression des humbles, Botticelli et Ghirlandaio ont été saisis.
Ce dernier peindra lui aussi une « Adoration des bergers ».
Les influences se croisent, ainsi Enguerrand Quarton, de l’école d’Avignon, où la trinité assure « Le couronnement de la vierge »,
est à comparer avec celle de Dirk Bouts, de Louvain,
comme son Ressuscité avec  « Le christ bénissant »  du castillan Fernando Gallego.
A droite, le personnage agenouillé à côté de celui qui a ordonné le « Martyre d’Hippolyte », converti par Saint Laurent qu’il devait surveiller en prison, sera également écartelé. Hippolyte signifie celui qui aime les chevaux.
« La Dernière Cène », panneau appartenant au retable du Saint Sacrement, a demandé 4 ans de travail, à Bouts, chaque glacis travaillé à plat requérant plus d’un mois de séchage.
Tani, banquier florentin,  avait commandé à Hans Memling « Le jugement dernier »
Il n’a été restitué au musée de Bruges que le temps d’un anniversaire, depuis qu’il avait été intercepté par un pirate de Dantzig (Gdansk) sur la route maritime entre la Belgique et Florence.
Les fracas des récits bibliques et l’histoire mouvementée de ce chef-d’œuvre ne nous empêchent pas d’entrevoir les ressuscités se reflétant sur la cuirasse dorée de Saint Michel : quelle virtuosité ! 
Il est facile d’établir encore une comparaison entre « Le Christ bénissant » d’Hemling  et celui d’ Antonello da Messina.
Le polyptyque de la « Vanité terrestre et de la Rédemption céleste » parle de lui-même.
Il faut bien toutes les faces d’une « Châsse de sainte Ursule » pour conter l’histoire de la protectrice des jeunes filles qui fut massacrée à Cologne par les Huns avec 11 000 vierges qui l’avaient accompagnée à Rome avant d’accepter de se marier avec un païen anglais.
Après la mort de Charles le téméraire (1477), la Bourgogne avec laquelle la Flandre avait des liens puissants passa sous le contrôle des Habsbourg. L’influence des grandes cités se modifiait : Anvers au débouché de l’Escaut ouvrait sur le grand large, alors que le canal de Gand à Bruges s’ensablait.
Bruegel vint au monde vers
1525.

mercredi 1 décembre 2021

Ballon d’Alsace

Nous récupérons la voiture et nous orientons vers le Ballon d’Alsace distant d’une quarantaine de kilomètres de Belfort.
A la platitude du décor d’hier se substituent peu à peu les pentes forestières des Vosges d’où dévalent  les torrents du nom de « gouttes ». La forêt  dense cède la place à l’alpage.
Un énorme troupeau de salers, magnifiques bêtes de couleurs brun/roux y pâture près de la petite « Savoureuse », elles secouent doucement  leur cloche en un concert bucolique et reposant.
Pour compenser un petit déjeuner absent, nous profitons de la terrasse du «  restaurant du sommet » que nous imaginons aisément rempli de skieurs en hiver. Face au paysage ensoleillé nous commandons un café.
Un office du tourisme bienvenu est installé dans la petite station. Il met à disposition des circuits de randonnées ou des renseignements concernant la région. 
Il loge pour la saison dans un chalet au départ d’une promenade outrageusement prévue pour une durée d’une heure trente.
Facilement praticable sur un large sentier pierreux qui monte vers une statue de Jeanne d’Arc, la balade longe une crête avec une belle vue de toutes parts,
redescend vers une table d’orientation, ballon mais aussi balcon d’Alsace, 
puis vers une statue de la Vierge vêtue de bleu aux pieds de laquelle se multiplient les cairns déposés par les promeneurs, et enfin elle nous mène plus bas vers une ferme auberge. Pour retourner au parking et finir la boucle, nous  empruntons un chemin aménagé  parallèlement à la route à proximité des troupeaux  et de l’autre côté du restaurant du sommet.
Nous consultons les cartes routières obtenues à l’Office du tourisme, afin de planifier un itinéraire jusqu’à Mulhouse  et musarder dans de beaux paysages. Nous nous engageons dans la vallée de la Doller vers Masevaux. Des panneaux annoncent de temps à autres des fermes auberges mais souvent éloignées du bord de notre route.
Une petite faim et une certaine curiosité nous poussent cependant  à nous détourner de la route à Sewen, pour tester la ferme auberge du « Schlumpf »,  en « montagne ».
Au menu : apéritif à base de fleurs et bretzels, 
collet de porc ou émincé de bœuf accompagné de spaetzle et bière : provenance des produits et préparation, tout est maison ;
nous avons  décliné entrées et desserts, pourtant, la tarte aux myrtilles servie à nos voisins  entasse une strate de fruits impressionnante. 
Un café nous aide à digérer. Nous laissons les bons vivants attablés au pays des
"schlitters" (traineaux qui descendaient le bois) et continuons notre route.
Après Masevaux (dont les habitants s’appellent les Masopolitains)
nous bifurquons vers Thann,  toujours à l’écart des hordes touristiques.
De ce fait, nous ne rencontrons  aucune difficulté à trouver un stationnement  (avec disque bleu) près de la Collégiale Saint Thiebaud considérée comme la deuxième plus belle église gothique d’Alsace après Strasbourg (d’après le Routard).
La flèche, l’un des joyaux de l’église a besoin de réfection et malheureusement, elle disparait  derrière des échafaudages.
Par contre les sculptures, les détails les quelques 500 personnages qui abondent dans de très beaux tympans notamment côté Ouest nous récompensent de notre venue.
L’intérieur a été repeint dans des teintes claires avec des clés de voute pimpantes, 
sans présenter d’intérêt particulier à part les stalles
et une réserve d'eau bénite en cuivre dotée d’un robinet surmonté de la croix.