mardi 30 septembre 2014

La force des choses. Graham Annable.

Les feuilles tombent et il faut les ramasser.
Thom a beau être dessiné avec un simple trait pour les jambes, nous partageons sa flemme, d’autant plus que les dents du râteau sont tordues et lorsqu’il se sera enfin décidé à les rassembler en tas, Billy Joël, le chien de sa compagne va les disperser.  
Elle seule travaille et peut reprocher à son compagnon :
«Tu ne te bouges jamais que sous la contrainte».
Ce n’est que le début d’une courte histoire grinçante avec des problèmes de voisinage et de chiens, de travail et d’un ailleurs : un mot laissé sur la table.
Bref et bien mené comme une nouvelle où il est question du temps qui passe et creuse les solitudes, le dessin met de l’humour quand il s’agirait d’accablante monotonie.
La force ( d’inertie) des choses.

lundi 29 septembre 2014

Léviathan. Andreï Zviaguintsev.

La musique de Phil Glass convient tout à fait à une œuvre allant bien au-delà des péripéties concernant  l’expropriation d’un garagiste qui se débat bien qu’il n’envisage pas d’échapper à son destin tragique. Ce Léviathan dont il est question, monstre biblique, a échoué sa carcasse au bout du monde, au nord de la Russie où les hommes pleurent.
Là, les politiques sont mafieux, la justice n’est pas mieux que l’église : sans espoir.
Le ténébreux a ses beautés, comme les rochers et l’herbe rase dans les lumières du petit matin, nous sommes en route vers l’usine où les femmes vident des poissons, et à la tombée des jours imbibés de vodka désespérée. Les belles lumières, depuis une véranda ou dans une église en ruines, ne réchauffent pas les solitudes qui finissent le nez dans l’eau froide. Si certains critiques ont vu de l’humour, je ne n’ai rien décelé de tel dans ce russe noir, puissant et magnifique.


dimanche 28 septembre 2014

Bambi galaxy. Florent Marchet.

Je me suis fait avoir : j’avais lu qu’il y avait du Souchon chez ce chanteur qui m’avait tapé à l’oreille un jour à la radio, mais quand l’humour n’est pas là, que ce « Space opéra » est lourd !
En outre, ce n’est pas parce qu’un titre s’intitule « particule élémentaire » que l’amère nouveauté de Houellebecq déboule.  
Des retrouvailles avec les stéréotypes western peuvent procurer du plaisir, ici dans l’imagerie de science fiction, les évocations de 2045 semblent des parodies telles que les Inconnus aux scaphandres postiches en fournissaient à la chaine.
 Et il y a pour moi du Jarre en potiche avec musiques enjouées pour sombres propos. 
« Nous sommes du ciment
Nous sommes du métal
Chauffé à blanc
Presque animal
Nous sommes les racines
Nous sommes la résine
Nous sommes troublants
D'un sang différent
Nous sommes de la glaise
Pris dans la fournaise »(Bashung au secours)
La vie n’est pas facile :
« Qu'est ce que j'ai fait au monde ? »
« Reste avec moi »,
« Il faut qu’on reste »,
« Mais que font les anges ? »
« Punissez moi »  
« Où étais-tu
Quand je partais vaincu »
déchaîne les rimes en « u » qui font rencontrer PMU / Dahu/ Jésus et Malibu.
 Mais les audaces sont limitées :
« Oh vivre nu
J'ai peur qu'on m'embrasse
Oh dévêtu
L'amour me dépasse
Oh vivre nu
Goûter la lumière
Oh étendu
La chair de ma chaire »
« Je crois qu'il est l'heure de quitter ce monde menteur
Je crois qu'il est l'heure de quitter ce monde menteur
Je crois qu'il est l'heure »
N’insistons pas.

samedi 27 septembre 2014

France culture papiers. Eté 2014.

Le dossier principal consacré aux utopies rencontre quelques inévitables : Saint Simon et Huxley. Si le rappel du tournage de l’An 01 par Doillon et Gébé parait lointain, la promenade à travers des lieux alternatifs d’Espagne au Danemark esquisse un paysage contemporain de la contestation sociale qui s’essaie à une vie plus juste, plus douce, essayant de ne pas reproduire les certitudes passées. Les tunisiens qui ont quitté leur pays pour les squares parisiens sont loin de Fourier, More, Owen … ou des jolies paroles d’illusion d’Olivier Py :
« Quand le théâtre s’adresse encore au public, il a toutes les chances d’être invincible »
 D'autre part, les  interviews de Frédéric Dard ou Dominique Rocheteau sont sans surprise, même si leurs noms m’avaient attiré, le portrait de Théodore Monod est d’une autre encre.
« La mare est, en cette saison, grande comme une pièce moyenne d’appartement. Tout à coup débouchent une centaine de moutons venant de la brousse qui se précipitent tous à la fois dans le bain boueux, suant, soufflant, éternuant, urinant, crottant, dissolvant quinze jours de crasse dans ce fond de cuvette ; c’est de cette « sauce » que nous avons rempli nos outres »
Un échange autour de madame Bovary rappelle les beautés de la littérature:
«  Mais elle, sa vie était froide comme un grenier dont la lucarne est au nord et l’ennui, araignée silencieuse, filait sa toile dans l’ombre à tous les coins de son cœur »
Flaubert avait vomi à deux reprises quand il écrivait l’empoisonnement d’Emma.

vendredi 26 septembre 2014

A la réforme !

"Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire" Einstein
Je maintiens l’article ci dessous écrit avant les égorgements dont l’horreur est là pour imposer le silence. Sans aller à bavarder sur la cigarette électronique ou l’origine des pins du Medef à laquelle la télévision publique vient de consacrer un dossier, à quelles mutations assistons nous ? Vers quels progrès allons-nous ? Quels bouleversements ?
Le mot réforme est devenu tellement galvaudé que la première signification qui me viendrait à l’esprit serait celle que lui donnait mon grand-père parlant de chevaux qui n’étaient plus bon pour le travail ou les courses.
Quand une modification des rythmes scolaires consensuelle au départ se retrouve pareillement embourbée,
quand notaires, pilotes de taxis, chauffeurs d’avion se braquent,
quand brûlent portiques éco taxes et perceptions,
quand les homos ont eu la possibilité de se marier et que ceux que ça n’obligeait pas se sont sentis outragés,
il n’y est plus guère de réforme envisageable,
comme il n’y a plus beaucoup de constructions possibles quand on demande leur avis aux riverains.
Et il n’est pas besoin de rappeler la litanie des maladresses, des reniements, au sommet de l’état pour rendre illégitime toute velléité d’avancée vers un peu plus de justice.
Les plus conservateurs, type Balladur, avaient déjà perverti le mot, synonyme de progrès, mais sur l’autre versant quand « le changement c’est maintenant » tant attendu, s’avança, le contre pied fut complet : toute réforme fiscale disparut et les mots de la droite furent mis à la sauce soc’ : Rebsamen vit les tricheurs avant tout… chez les chômeurs… Quant à Thévenoud…
Sur les écrans de l’information, les explosifs s’allument les uns aux autres : le doux devient mièvre, le laid fait le beau, la dérision ne fait plus sourire – quoique : « Sarkozy est à l'honnêteté ce que Nabila est à l'académie Française » pris sur le site « humour de droite »-
le soleil lui-même devient une menace.
Comment surmonter les haines, les facilités, les surdités, les renoncements ?
Bertrand Bonello, cinéaste,  cite Pasolini
"Pourquoi notre vie est-elle dominée par le mécontentement, l'angoisse, la peur de la guerre, par la guerre ? Pour répondre à cette question, j'ai écrit ce film sans suivre de fil chronologique ni même logique. Mais simplement mes raisons politiques et mon sentiment poétique."
Ce film s’appelait « La rage ».
…………..
Le dessin de cette semaine est copié sur le site de Slate.

jeudi 25 septembre 2014

Le noir. Damien Capelazzi.

Après le rouge http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/05/le-rouge-damien-capelazzi.html : le noir.
Dans la ville de Stendhal, le conférencier récidive dans cette dernière conférence de l’année 2014 aux amis du musée.
Il se réfère à Pastoureau, l’historien, pape de la symbolique des couleurs tout en apportant un regard original quand la nuit  va se « lever » alors que dans l’expression courante, elle a tendance à « tomber ».
« Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le premier jour. »  
Au plafond de la Sixtine, vu de dessous, le Dieu de Michel Ange, à la barbe nuageuse sépare le bien du mal. La lumière permet de percevoir le monde et d’entrevoir le Tout Puissant par l’intermédiaire d’un philosophe de la renaissance Marsile Ficin qui concilia Platonisme et Christianisme. Pic de la Mirandole fut son élève.
En Egypte, le maître des cérémonies des morts, Anubis, le Dieu chacal est noir, en référence au sombre limon régénérateur du Nil. En Grèce, Charon le passeur des âmes était fils de Nyx (la nuit).
Perséphone, la belle enlevée par Adès avec ses chevaux noirs aux reflets bleutés chez Rembrandt va vers les enfers. Elle sera assignée en garde alternée six mois (automne / hiver) plus bas que terre aux côtés de son époux et six mois sur terre (printemps / été) avec sa mère Déméter. Par ailleurs, lors de ce rapt, jamais le marbre n’a été plus chaud que dans la statue du Bernin où la pierre se fait chair.
Dans toute cette mythologie pleine de passions, Zeus punit les titans qui avaient dévoré un de ses enfants, première incarnation de Dionysos, en les réduisant en cendres d’où naquit l’humanité partagée désormais entre l’amour et le mal.
La vierge noire de Montserrat est plus extatique mais Marie qui a été comme le premier manteau couvrant « le fruit de ses entrailles », tient son fils promis à la dernière couverture que sera la terre. Cette clairvoyance permet de se « dégraisser » du merveilleux antique.
Mais les mythes nourrissent  notre humanité : Rodin sculpte Eurydice dans l’ombre, derrière Orphée aveuglé par la lumière à la sortie des enfers, et nous sommes éblouis.
Le noir corbeau depuis Apollon qui le teinta ainsi à cause de son manque de vigilance, se retrouve auprès de Noé, s’attaquant à la charogne, et dans l’ultime champ de blé de Van Gogh.
« Nul autre peintre n'aura su trouver comme lui, pour peindre ses corbeaux, ce noir de truffes, ce noir de gueuleton riche, et en même temps comme excrémentiel. » Artaud
Dans la querelle de la couleur et du noir le bénédictin Suger pense que le Créateur est lui-même à l’intérieur d’un monde chatoyant alors que pour le cistercien Bernard de Clairvaux il n’y a place que pour la contrition et la mort.
Les premiers portraits tels que celui d’un condottière balafré mais raffiné par Antonello da Messine tiennent du « selfie », tant sa situation précaire devait s’affirmer face aux établis.
La beauté du monde se révèle avec ses contrastes : La « jeune fille » de Petrus Christus au front épilé, au teint diaphane porte une ravissante coiffe noire, et « La belle Ferronnière » en réalité Lucrezia Crivelli maîtresse de Ludovic Sforza le maure ainsi que Cecilia Gallerani, « la dame à l’hermine (patibulaire)» peintes par Léonard de Vinci sont si belles sur fond sombre.
Le magicien de l’éclairage, Le Caravage, peint Béatrice Cenci  qui avait été condamnée injustement à mort en  « Sainte Catherine d'Alexandrie », un enfant des rues représente l’amour et lui-même est à la fois David et Goliath : le sang coule sur le noir.
La lune d’Aristote est tachée, elle n’est plus la frontière entre un monde cristallin et un monde putride: Galilée est dans le mouv’.
Le noir est élégant : la dame au voile d’Alexandre Roslin est coquine, celle à la mantille de Goya est inquiète derrière sa pose assurée.
Van Gogh dessinait : « On dirait qu'il y a de l'âme et de la vie dans cette craie de montagne, qu'elle comprend ce qu'on attend d'elle, qu'elle y met du sien. Je voudrais la baptiser craie tsigane. »
« De l’humilité des sols aux lumières de Soulages » tel était l’intitulé de la conférence : nous avons fait le tour du pot au noir, en concluant avec notre contemporain reconnu en premier par le musée de Grenoble. Le nonagénaire marqué par l’art pariétal, laissa les images derrière lui. A Conques ses vitraux doivent se voir le soir quand ils restituent les ors du jour. Celui-ci, brûle tant de ses œuvres qu’il possède un incinérateur. Mais notre syntaxe a pu se régénérer pour « aller au-delà du voile de l’image » quand la lumière accroche sur la matité des matières rythmées.
« Le noir est subtil et sait surprendre en rugissant derrière son apparent silence »

mercredi 24 septembre 2014

Iran 2014. Le matin à Shiraz.

Nuit courte mais reconstituante grâce à une bonne température. Nous partons à pied vers le centre, les « welcome » et les « where are you come from ? », nous accompagnent lancés par des hommes ou des femmes souriants sans intentions mercantiles. Nos photographes fous se défoulent, le mot « axe »  signifiant « photographie » servant de Sésame, sans aucun refus à leurs demandes ou répondant aux sollicitations d’une population amusée et curieuse.
Sur un marché des poussins sont colorés en rouge ou orange, par contre les garçons croisés dans la rue restent sobres : pas de teinture platine ou de coupe footballistique. Haleh  notre guide a pris en charge un groupe de filles asiatiques logeant dans notre hôtel et se dirigeant comme nous vers la mosquée Nasir-ul Mulk. Mais nous trainons trop à leur goût et elles nous distancent assez vite. Nous cheminons à travers les rues aux maisons de briques très simples, risquant de tomber dans des caniveaux de belle taille à la moindre distraction. Nous sommes frappés par la propreté de rues, quelques tags, pour nous illisibles, proposent des publicités. Les dessins des mosquées ou mausolées figurent sur les murs accompagnés d’une flèche indicative. Traverser la rue se révèle  parfois périlleux : aucun des feux ou stop ne régule la circulation, chacun se faufile au mieux et pour tous, c’est « Chiraz les murs » d’après le mot d’un auteur qui n’a pas demandé de droits.
Au cours de notre déplacement, Haleh nous montre un palais reconverti en café restaurant où il aurait fait bon prendre une boisson dans le jardin face au bassin rafraîchissant si ce n’était fermé pour cause de ramadan. Nous atteignons en flânant la mosquée Nasir-al-Molk, le seul endroit où nos croisons quelques touristes, d’origine asiatique, qui ne constituent pas cependant une horde déferlante, tout aussi appliqués que nous à respecter les coutumes locales notamment l’habillement excessif par ces chaleurs et le port du voile.
Le bâtiment qâdjâr du XIX° siècle est recouvert de faïences représentant surtout des roses, d'où son surnom/ la mosquée rose.
Un bassin rectangulaire avec des poissons rouges  marque le centre d’une cour, deux salles de prières se font face : l’une hivernale, l’autre estivale. Nous enlevons nos chaussures pour pénétrer dans la plus travaillée des deux, celle de l’été qui sous ses tapis rouge cache un sol turquoise. La lumière filtrée par des vitraux colorés est douce et chatoyante, deux rangées parallèles de six colonnes la séparent et sur les tapis rouges attendent des pierres de prières posées sur de rubans verts. Ces pièces en terre cuite permettent à ceux qui ne peuvent pas se prosterner de se frapper le front.
Les plafonds sont travaillés en alvéoles multi facettes( muqarnas) comme les deux côtés (N et S) de la cour. La salle de prières hivernales, plus sobre, abrite un puits et un couloir enterré destiné à tenir l’eau au frais. Nous passons ensuite au mausolée des enfants des imams dans une jolie courette mitoyenne ombragée par un oranger aux fruits amers. La salle plus petite offre un sol en albâtre recouvert de tapis. Au centre une cage de verre recueille les tombeaux et les billets de banque tenant le rôle d’ex-voto.
A la sortie de la mosquée, nous rejoignons la citadelle de Karim Khan en passant par le marché couvert du même nom. Nous sommes accostés  toujours sans insistance mais avec gentillesse, soit pour nous proposer de l’aide, soit pour nous faire goûter quelque spécialité locale et exotique. Il fait presque frais dans les galeries marchandes.
Haleh attire notre attention sur les heurtoirs de lourdes portes en bois massif qui apparaissent toujours par deux, aux formes suggestives et correspondent aux visiteurs hommes ou femmes.
Nous débouchons sur la forteresse du XVIII° rénovée, qui comme le célèbre monument de Pise, possède une tour curieusement oblique suite au sol qui a bougé. Le soleil tape et se réfléchit sur la pierre et la brique de la couleur des collines alentour. Sur le chemin du retour, vers l’hôtel, nous changeons de l’argent et essayons de comprendre la monnaie : 4000 Tomans= 1€ environ ; il faut distinguer les Tomans des Rials : il suffit d’enlever un zéro aux Rials pour parler en Tomans.