mercredi 26 février 2014

Contes des sages d’Afrique. Amadou Hampâté Bâ.

Joli livre broché à glisser dans un sac de voyage, avec des histoires variées où l’on apprend enfin pourquoi «  l’homme de bien est souvent l’époux d’une femme sans mérite et la femme vaillante l’épouse d’un bon à rien ». Lorsque hyène père entre en scène, l’issue ne sera pas forcément gentillette, pas plus que le début du récit du « roi qui voulait tuer tous les vieux », où un jeune inconscient apprendra que « nul ne peut voir tout seul le sommet de son crâne ».
L’écrivain ethnologue malien, à qui l’on doit la formule «  chaque fois qu'un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui  brûle », a recueilli ces contes essentiellement peuls. Il est mort en 1991.
Pour parler du conflit israélo palestinien, il s’était servi, depuis une tribune internationale, de l’histoire de deux lézards qui en se querellant ont mis le feu à la case et entrainé bien des malheurs; les protagonistes qui n’ont pas voulu intervenir à temps sont tellement emblématiques des renoncements diplomatiques.
On peut être indifférent à la généalogie de Njeddo Dewal mais apprécier les dialogues quand Satan s’en mêle :
« Espèce de mégère aux fesses disproportionnées et puantes, ferme la mangeoire qui te sert de bouche ou je vais avec ce bracelet qui vaut plus que ton prix, réduire tes dents en grumeaux de couscous »
S’il est  assez habituel que les fous instruisent les rois, il est moins fréquent qu’une baffe les remette dans le droit chemin, mais tout au long de ces 130 pages illustrées de beaux objets chargés de magie, nous aurons pu apprendre le prix d’une poignée de poussière. La sagesse  se mêle à la folie : les secrets de l’humilité se révèlent au bout de longues quêtes et  parfois au pied du coteau rouge dans la plaine des « fous lucides » peut se tenir une « foire catastrophe ».
Nous savons aussi que le mensonge peut devenir vérité, quand une autre hyène nous le rappelle dans une brève à la construction originale comme dans d’autres fables où la morale n’est pas forcément assénée.

mardi 25 février 2014

Le pire a de l’avenir. Georges Wolinski.

Cavanna vient de mourir et c’est toute une génération qui a chopé Parkinson.
Wolinski,  son pote de Charlie, le dessinateur de presse qui a maintenant 78 ans a commencé avec Siné dans « l’Enragé », il est passé à l’Huma, à Libé, à Paris-Match : 68 et ce qui en suivit.
Je le connais mieux que Proust ou Musil et sais peu de meilleurs moments que lire une BD en bouffant du chocolat.
Membre historique de la bande à Hara Kiri, il vient encore de publier un livre de 1000 pages après 80 albums dont on peut retenir quelques citations :
«On a fait Mai 68 pour ne pas devenir ce qu’on est devenus
« À quoi ça sert d'être connecté à la terre entière si on n'a rien à se dire ? »
« Heureusement que le monde va mal ; je n'aurais pas supporté d'aller mal dans un monde qui va bien ! »
Ses dessins sont la joie de vivre, la liberté : sous leurs robes légères ses femmes sont toujours en pleine forme. Quant à deux de ses personnages poursuivant leur dialogue de sourds, ils portent toutes les contradictions de la société, « ses personnages bavards s'embourbent dans des pensées pleines de bon sens ou de non-sens ».
Il promène un miroir à la surface duquel la politique peut être jubilatoire, et nos reniements s’excuser, quand les paradoxes brillent et que les logiques acharnées finissent en un sourire, en coin.

lundi 24 février 2014

L’image manquante. Rithy Panh.

Deux millions de personnes sont mortes au Cambodge au milieu des années 70, soit un habitant sur cinq massacré ou mort de faim.
Rithy Panh qui consacre sa vie à témoigner de ces horreurs : « S21, la machine de mort Khmère rouge », « Duch, le maître des forges de l’enfer »… mêle ses souvenirs personnels à un nouveau documentaire.
Le réalisateur, alors enfant, ayant été contraint de quitter la capitale Phnom Penh vidée de tous ses habitants, sera le seul survivant de sa famille, subissant à la campagne, dans la jungle, des privations terribles. Alors que la faim est une préoccupation éliminant toute humanité, une « machine à manger » est présentée par le pouvoir, sa ressemblance avec la machine de Chaplin dans "Les temps modernes", ajoute de l’ironie au tragique.
L’association Cinéduc qui avait invité à la cinémathèque celui qui assure la voix off dans le film, illustrait parfaitement ce soir là, le thème de sa biennale : « Réinventer au cinéma ».
Face à une révolution qui n’a existé que dans les images, paradoxalement, la rareté des archives a contraint le cinéaste à reconstituer ces évènements avec des personnages d’argile non en animation, mais comme des santons qui ne donnent cependant jamais l’impression d’être statiques. Il ne s’agissait certainement pas pour l’auteur d’une recherche formelle mais d’une nécessité,
L’image d’une vague rythmant le film m’a impressionné dans sa simplicité pour exprimer la difficulté de mettre des images sur l’innommable comme il en fut question pour les mots face à la shoah. On voit la vague arriver et la caméra est submergée.

dimanche 23 février 2014

PARCS. Bertrand Belin.

Pour aller chercher au-delà de mon Souchon de base, je m’en suis remis à Libé qui avait repéré « le chanteur de l’année ». Même si je dois m’accrocher aux rameaux de la branchitude parisienne, j’aime les découvertes. Et je fus surpris de trouver un chanteur sage, à la voix grave aux musiques agréables alors que j’attendais plus de bruit, de fureur. Mais je ne fus pas attrapé, me laissant bercer par une ambiance chaleureuse, il faut que je compulse la page de textes pour en saisir le sel trop laissé en suspension lors des auditions, mis à part quelques images fortes :
«Laisse le
Au bord du champ
Cet oiseau sans bec »
Il est question d’absence, d’hiver, d’eau et de feu, de moments élémentaires, intimes.
En ces temps agressifs, il dit bien :
« Animal
Viscéral
Vicinal
Communal
National
International
Pourquoi se battent-ils
Au bord d’un chemin »
Musique d’ambiance rêveuse, où les mots vont leur chemin :
« Partout le silence a pris comme on dit du galon
Des congères de silence sous des lits de liserons »
A écouter devant un feu de bois quand la pluie bat à la fenêtre, avec un whisky tourbé, comme dirait André Manoukian..

samedi 22 février 2014

Mémé. Philippe Torreton.

 
140 pages pour ceux qui ont pu être agacés comme moi par l’expression : « T’es plus chez ta mémé ! » invitant à se prendre en charge, sonner la fin de l’enfance,  comme s’il n’était plus le temps de se faire chouchouter.
Ce n’est pas que la grand-mère du comédien qui écrit bien, l’ait dorloté particulièrement, mais de la même façon qu’elle était écolo avant la mode, elle a donné de l’amour sans le crier.
Une enfance à la campagne, simple, où rien ne se perd :
Les bruits : « Les flèches de lait tombant dans le fer blanc, les basses continues des mâchoires pleines de foin, le cliquetis de chaînes râpant le bois de la mangeoire, un sabot piaffant, une dégringolade de bouse, un long soupir de vache soulagée, les jets d’urine, le gazouillis d’une hirondelle allant et venant dans l’étable, les claques de tes mains sur les croupes récalcitrantes… »
Les saveurs, les odeurs, les mots rares donc importants : « ils ne savent plus quoi inventer », « on va pas gâcher ça » ou l’on boit le café « s’il y en a de fait » et il y en a toujours.
Torreton s’était payé Depardieu lors de son exil fiscal, les lecteurs du Figaro ne lui ont pas pardonné en commentaire d’un article sympa sur Internet à propos de ce livre.
De la même façon qu’il consacre quelques pages à la façon d’autrefois de donner plusieurs vies à un sac plastique, il retient les sensations d’une autre époque, nous les redonne sans couleurs trafiquées. Le labeur, la vie qui va, s’en va, les étourderies et ce joli recueil.
Même si la Normandie n’est pas le Dauphiné et nos histoires différentes, j’ai retrouvé l’odeur des ficelles de lieuse et le souvenir d’un amour éperdu, qu’enfant, j’ai porté à la mienne de mémé.

vendredi 21 février 2014

Instruction/éducation.

L’école est à poil, prise entre des demandes contradictoires : d’un côté remède à toutes les démissions, de l’autre : devant se taire.
J’en étais resté aux mamans mono parentes qui ne savaient plus quoi faire de leurs mômes et qui attendaient que l’école les éducasse. Dans un ciel vide, à quel saint se vouer ?
Et voilà qu’au XXI° siècle - cachez ce sein - réapparait la vieille méfiance envers l’éducation nationale, ministère dit de l’instruction publique jusqu’à Edouard Herriot.
Nous en sommes là : le terme instruction est employé essentiellement dans le champ judiciaire, rarement pour caractériser le travail à l’école. Le mot « savant » est devenu lui aussi obsolète, … et il n’y a plus d’argent pour chauffer des salles en fac.
J’exerçais du temps où les enfants disaient : « la maîtresse en maillot de bain » et à la fin de l’année : « les cahiers au feu et le maître au milieu », la confiance régnait.
Aujourd’hui il faut des kits, des programmes, des instructions, pour apprendre l’égalité, tout un catéchisme qui aura autant de pouvoir de persuasion que le clérical, s’il n’est ancré dans la vie de la classe. Regardez la sortie d’un établissement scolaire après les dispositifs bien pensés de la prévention routière où tout le monde a son diplôme : ralentissez !
Pas facile d’éduquer : une visite au Musée de la Résistance peut être une occasion de déconner pour certains collégiens, mais quand même tout le monde ne « fait pas la quenelle » à Auschwitz.
La mode du « principe de précaution » alliée au conformisme conduit l’école au politiquement insipide : conjuguons le verbe pouvoir au passé simple et qu’on rigole !
Les planches anatomiques dans les dictionnaires sont au complet depuis un moment, mais les enfants attendront d’être en médecine pour fourrer une paire de testicules dans les poches des copines.
Que de complications !
Tout le monde semblait d’accord pour une réforme des rythmes scolaires : eh bien une demi-journée de plus le mercredi, avec les autres jours de 6h apaisés, utiles, dynamisés par des intervenants extérieurs et une maîtresse à bord, c’était trop simple!
Les rares porteurs de soutanes - d’autant plus virulents qu’ils sont rares – et imans à barbe poussée de frais se donnent la main contre l’école des mécréants qui n’émet plus guère et n’émeut pas plus. « Ecole des mécréants », je viens d’entendre cette expression  archaïque de la part  d’une adolescente qui a rejoint les brigades internationales en Syrie. Elle réactive une question lancinante : comment se fait-il que ces jeunes qui malgré les aléas ont été accompagnés dans leur scolarité avec bienveillance, vomissent notre école, pour aller vers des milieux des pires contraintes où « la mort est une récompense » d’après un autre djihadiste venu de nos banlieues ?
PISA prend-il en compte ces échecs ? De la même façon que des pédagogues pionniers ont été interpelés par les élèves indociles, y aura-t-il un ressaisissement des acteurs de l’école qui ont de meilleurs rôles à jouer pour des responsables parents que celui du procureur ou pour les enseignants celui de l’enfermement corporatiste ?
Pieuses paroles, mais puisqu’il est question de professionnels : qu’ils enseignent en assumant des choix, le reste sera donné de surcroit.
Pour commencer, en haut de la page : « Veuillez bien écrire la date.»
Bien qu’aux Etats Unis on n’apprenne plus à écrire  et euh … 2013 ou 1435 ?
« Et pour cet art de connaître les hommes, qui vous sera si important, je vous dirai qu'il se peut apprendre, mais qu'il ne se peut enseigner. » Louis XIV au dauphin (Louis croix bâton vé)
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Dans "Le Canard" de cette semaine:

jeudi 20 février 2014

Goya Francisco. Néo classicisme et romantisme.

Pour les amis du musée de Grenoble, Gilles Gentil a choisi l’ordre chronologique pour faire valoir la richesse des talents du peintre à la cour d’Espagne qui mourut à Bordeaux en 1828 à 82 ans.
Le graveur a alterné avec le peintre de cartons de tapisseries, le maître du portrait s’est révélé après des travaux en chapelles. Cette variété pourrait se voir comme dans sa représentation d’un printemps lumineux et charmant voisinant avec un rude hiver.
La permanence de sa force se retrouve dans la famille nombreuse de ceux qu’il a inspirés : Picasso et ses taureaux n’est pas seul. Pour prendre dans l’actualité des expositions : Vallotton  qui écrivit « c’est la guerre », grave un massacre de civils dans une cave où des canons pointent dans un coin.
Dans sa série des « désastres de la guerre » réalisée à partir de 1810,  une planche intitulée « On ne peut regarder cela » préfigure le « Tres de mayo » où l’inhumain vainqueur sans visage tient le fusil.
La représentation d’une « Rixe à l’auberge nouvelle » n’est pas franchement un sujet aimable bien que sa facture pleine d’ardeur, de vivacité dans l’exécution nous ravisse. Elle vient dans les œuvres de jeunesse avec  la plaisante « Ombrelle » ou  « Le marchand de vaisselle » dont les repentirs rendent une atmosphère étrange.
Nous sommes amenés à plonger dans « La prairie de San Isidoro » traitée en panoramique qui alterne les teintes claires et sombres derrière des personnages grandeur nature.
Loin des multitudes chamarrées, un condamné solitaire « Le garrotté », la tête boursouflée, les pieds crispés, accuse.  Pourtant le garrottage était un privilège de noble, par rapport à la pendaison roturière.
Au musée de Besançon, on peut voir des « Cannibales préparant leurs victimes » ou « montrant des restes humains » plus probablement inspirés de caricatures anglaises contre-révolutionnaires que d’Iroquois ayant massacré des jésuites.
Power point permet de nous approcher des toiles, ainsi la flèche d’argent dans les cheveux de la reine Marie Louise offerte pas son amant le duc Godoy, se retrouve plus tard, bien plus tard, dans un portrait de vieilles se regardant  dans un miroir où est écrit au dos « Que tal ? » « Comment ça va ? ». Elles peuvent voir la mort derrière elles.
Pepita Tudó, l’autre maîtresse du duc, qui inspira la « Maya vestida»  et la « desnuda » nous regarde dans les yeux, elle  figurait en face de « La Vénus au miroir » de Vélasquez dans un pays ou l’inquisition avait raréfié les nus et inquiété Francisco Goya.
 « Toute cette cour qui fut emplie de son nom resplendit pour nous de son soleil noir ». Malraux.
Le roi Ferdinand 7 disparait derrière les vibrations colorées de son costume et la réunion qu’il préside, « la junte des Philippines » s’ouvre sur du vide.
Le monstrueux « Saturne dévorant son fils » accueillait les visiteurs de la « maison du sourd » qu’il était devenu, envahie d’autres peintures noires. 
Est-il plus terrible que le « Duel au bâton » où deux hommes les jambes enfoncées dans la terre s’entretuent ?  
« Le sommeil de la raison engendre des monstres »
De nombreux écrivains ont apporté des mots qui ont sublimé les œuvres majeures de l’Aragonais, mais  je retiens cette citation du créateur lui-même : n’annonce-t-elle pas la venue d’une peinture nouvelle ?
« Où se trouvent les lignes dans la nature ? Moi je n’y vois que des corps éclairés et des corps qui ne le sont pas… »