lundi 23 septembre 2024

Ma vie, ma gueule. Sophie Fillière.

Agnès Jaoui au sommet de son art en quinquagénaire excentrique rencontre brièvement Philippe Katherine parfait dans ce film fantaisiste, original, doux-amer.
La comédie enjouée aux dialogues bien troussés évolue vers plus de gravité  au moment où les thèmes du vieillissement, de la folie, de la relation avec les enfants sont évoqués. 
Quand les rires ne sont pas des ricanements et que les destins ne tournent pas à l’apocalypse, scènes cocasses et  atmosphère poétique permettent d’illustrer parfaitement la catégorie «  comédie dramatique », drôle et sérieux, cocasse et émouvant, morose et rose.  

 

samedi 21 septembre 2024

Continuez sans moi. Jean Michel Mestre.

Dans son deuxième roman, l’auteur revient sur la vie de sa sœur qui s’est suicidée il y a quarante ans. Ce livre essaye de réparer l’absence de toute plaque sur la tombe où elle est enterrée. 
« À défaut de souvenirs, je m'en suis sorti en pensant : ce n'est pas moi qui l'ai oubliée, c'est elle qui est partie en claquant la porte, elle qui a tiré le rideau en lâchant : Ça suffit, basta, j'en ai assez, continuez sans moi. Elle ne l'a pas dit comme ça. A-t-elle seulement eu le temps de penser à ceux qui continueraient sans elle ? Et si ce que je prends pour de l'oubli relevait de la gêne. Il suffirait de la surmonter, d'ouvrir une vanne, puis deux ou trois, pour que d'autres bulles remontent à la surface. La trappe est lourde. » 
Dans toutes les appréciations de lecteurs à propos de ces 200 pages, figure l’expression « sans pathos » pour mieux souligner l’originalité du narrateur dans un exercice périlleux. J’ajouterai son honnêteté.
« Quand la maladie ou un accident emporte un proche, l'art de converser avec lui, de le garder vivant, d'entretenir un lien avec lui est casse-gueule mais un chemin reste possible. Chacun emprunte comme il peut, avec ses mots, ses silences, ses doutes, ses failles. Mais quand la violence du suicide éradique la possibilité d'un chagrin, qu'est-ce qui peut lui succéder ? J'ai cru remplacer la peine par l'effacement, la culpabilité par l'indifférence et le remords par le silence. Foutaises, bien sûr. » 
Le cheminement à l’intérieur de sa mémoire lacunaire est plus émouvant que le rappel des années post-68 communes à la génération boomeuse et au delà. Ses recherches tardives de souvenirs fantomatiques, bien sûr plus personnelles, font tout l’attrait, la force de ce retour vers ses faiblesses, ses fuites, son incompréhension.
Le cinéma, la musique, sont les instruments de cette archéologie avec Beaucarne, IBanez(Palabras para Julia de Juan Goytisolo). 
«  Mais souviens-toi toujours
De ce qu’un jour j’ai écrit
En pensant à toi, en pensant à toi
Comme j’y pense à présent. » 
Ses prospections minutieuses, fines, sont permises par un style limpide en accord avec l’intégrité de l’écrivain.  

vendredi 20 septembre 2024

Penser contre soi-même. Nathan Devers.

Tellement assailli par les dogmatiques, j’ai été attiré par ce titre alors qu’il est déjà si difficile de penser par soi même.
J’ai apprécié le récit d’un parcours intense depuis l’envie de devenir rabbin sous sa kippa, « dôme d’humilité », jusqu’à l’abandon de cette vocation exigeante intellectuellement. 
« Oui, il fallait se frotter aux questions difficiles. Aux religions différentes. Aux idées qui dérangent. Aux sciences. Aux arts. Aux livres. Aux révolutions intellectuelles, aux fluctuations de l’histoire. Ce n’est qu’à ce prix qu’on déployait sa singularité. Qu’on explorait sa propre altérité. » 
Avec ces 326 pages, le jeune philosophe met en pratique ses réflexions ancrées dans le quotidien: 
«  Réconcilier la littérature et la philosophie, moi qui étais amoureux de l’une et religieux de l’autre : n’était-elle pas là la clef ? Ne plus voir de différence entre ces deux continents. Abolir tout schisme séparant théorie et pratique ; conformer ses actions et ses idées, mais ne pas réduire celles-ci à la conceptualité. » 
Loin des manuels de savoir penser, vivre, cuisiner, les fatigués peuvent se requinquer avec ce livre accessible, agréable à lire: 
« Un scepticisme qui n’a plus rien à voir avec les sables mouvants de l’hésitation mais qui constitue un principe actif de la philosophie. Le moteur d’une négation qui travaille secrètement la pensée. Un doute souterrain, destructeur autant que créateur, qui, souvent invisible, traverse toute la philosophie et l’aide à s’accomplir. »

jeudi 19 septembre 2024

Les rencontres de la photographie. Arles 2024.

D’habitude, quand nous retournons en septembre vers notre ville de cœur,
bien des chapelles et autres entrepôts qui accueillent des expositions sont fermés, 
mais cette année pas trop, et nous avons presque pu tout voir en deux jours.
Le temps passant, ce sont toujours les anciens qui nous accrochent le plus. 
Leur travail parle pour eux sans que les cartels aient besoin d’expliquer l’intensité de leur humanisme.
Ainsi à tout seigneur, tout honneur : Lucien Clergue au musée Réattu où fut créé le premier département de photographie dans un musée des beaux-arts en1965,
comme le rappelle dans une vidéo l’historien-photographe Jean Claude Gautrand. 
Alfred Latour par ailleurs graphiste est là bas en bonne compagnie.

Parmi les noms que j'aimerais retenir:  
Marie Hellen Mark qui aime les personnes dont elle offre les portraits
ou Lee Friedlander aux cadrages forts. 
Hans Sylvester magnifie les boulistes
alors que « Citoyens modèles » autour de militaires en apprentissage aux Etats-Unis et leurs uniformes «  Fashion Army » sont quelque peu redondants quand la déconstruction des images de guerre de Dock m’a semblé bien théorique.
Les problèmes du Liban apparaissent à travers un regard décalé, et les migrations perpétuelles des habitants du Bengale assaillis par la mer sont exposées mais dans le flot d’images et de thèmes regroupés en vain sous le titre de l'année: « Sous la surface »,
 « L’engagement » semble bien vaste à propos de la mondialisation, des déplacements de population, des déchets, des crises identitaires...
 Les sculptures baroques sur les toits au Pendjab sont une expression sympathique

mais les graffitis même emballés dans des discours complaisants - au mieux - m’indiffèrent.
L’évocation du fleuve Mississipi a besoin d’un nuancier de très grand format pour marquer l’originalité de la démarche semblable aux froides images abstraites de
Mustapha Azeroual
Par contre la sobriété d’un reportage de trente ans avec des japonaises pêchant les ormeaux en apnée éclate de beauté.
Au cours de nos pérégrinations, dans un jardin public, des images de la flore du Lautaret alternent avec le portrait de jardiniers un peu tristous,
 et une espèce de cabinet de curiosité a pris place dans la chapelle de la Charité.
« Transcendance »
, « Répliques » ou «  Quelle joie de vous voir » regroupent plusieurs artistes japonaises dont quelques unes retiennent l’attention. Le « Passé composé » à Saint Trophime pour la seule Vasantha Yogananthan ne laisse pas plus de trace que Ischuichi Miyako dont l’intention pourtant était de "révéler le pouvoir des lieux, des objets et des corps".  
Je ne suis pas monté dans «  Le manège fantôme » du chinois Mo Yi .
Et n’ai pas été « contaminé » par « les narrations simultanées invitant à un vertige poétique en perpétuel mouvement : qu’il soit à l’extérieur ou à l’intérieur de soi » de Nhu Xuan Hua et Vimala Pons.
Le titre « Les images apprennent à parler » m’a paru plutôt présomptueux
alors qu’ «  Une petite histoire du repas ferroviaire » revenant au temps où la modernité était désirable n’est pas seulement charmante.
« Le sport à l’épreuve »
s’avère photogénique, comme on disait jadis.
L’intelligence artificielle mise à contribution pour « Le fermier du futur » n’entame pas la nôtre. 

J’ai préféré les recherches des élèves de l’École Nationale Supérieure de la Photographie à propos de la ville d’Arles aux lauréats de la fondation Dior ou Roderer.

Sophie Calle, parfaitement  à sa place dans une crypte sous l’hôtel de ville, a déposé des œuvres qui avaient souffert de l’humidité et du temps, elle les achève. 

mercredi 18 septembre 2024

Vers l’Auvergne.

Lever après une nuit chaude, fenêtre ouverte. Dehors, nos voisins manient le diable et commencent leur déménagement pour la Réunion, remplissent un container avec voiture, scooter, vélos, meubles et plus encore. Il y a
donc du monde  sur le parking, une autre voisine assure café et boissons disposés sur une table pliante. C’est notre premier départ couvert par notre alarme, et ce sera un faux départ : n’aurais-je pas enfermé un chat errant dans la maison ? Notre retour pour vérification permet cependant de dépanner le futur prof des tropiques avec des mèches de perceuses.
Nous démarrons réellement  pour Lyon à 10h avec pour objectif le musée des beaux-Arts. Nous connaissons les collections permanentes aussi nous souhaitons découvrir l’exposition temporaire intitulée « Connecter les mondes ».
Sans monde en cette période estivale et sans sacs laissés à la consigne, nous profitons agréablement de l’exposition, échappant du même coup à la pluie qui a le bon goût de s’arrêter à notre sortie.
Nous ne  nous attardons pas à Lyon, nous partons pour Saint-Bonnet-Près-Riom près de Clermont Ferrand où nous avons retenu un Airb&b. 
Il a pris place dans une ancienne exploitation de vin, dans une grange si vaste qu’elle contient un local pour judokas, un garage, un atelier et en mezzanine, un petit studio composé d’une cuisine/salon en bois, autrefois bar pour les sportifs assoiffés après leurs  cours, et une chambre avec salle de bain protégée derrière une porte. Notre logeur nous installe une clim' pour rafraîchir  la pièce sous les toits. Très accueillant, il a prévu deux bières dans le frigo et des pastilles Vichy pour satisfaire notre gourmandise. Il met à disposition une partie du mobilier extérieur.
Il nous reste du temps pour faire le tour de Saint Bonnet, de son église basse et ouverte, 
de son école moderne excentrée.
Nous remarquons surtout l’habitat particulier en pierre, 
adapté à l’activité viticole du pays Brayaud.
Une association du même nom, les Brayauds a investi un groupement de maisons typiques pour promouvoir et préserver musiques et danses traditionnelles.
Autrement,  un Vival, deux boulangeries, un bar PMU baissant le rideau à 19h, une pizzeria, un traiteur sans doute en vacances, bordent  la rue principale mais malgré tout, des maisons anciennes montrent des signes d’abandon.
Une fois rentrés, nous profitons de  la cuisine d’été de notre logeur, et installés  sur une table  dans un passage aéré, nous terminons une salade de crudités avec une bière, sans nous éterniser pour cause de moustiques. Nous passons une soirée tranquille  dans le salon puis dans la chambre climatisée devant les J.O. à la TV. L’incroyable Léon Marchand se qualifie une fois de plus, moins de réussite ou médailles (breloques dixit les médias ) pour les autres sports pour l’instant.

mardi 17 septembre 2024

Charogne. Borris & Benoit Vidal.

1864, aux contreforts des Pyrénées, pays des ours, quatre hommes portent le cercueil de leur maire respecté jusqu’à l’endroit baptisé «  La pause des morts » depuis qu’à l’époque de l’épidémie de choléra étaient bénis les défunts avant de rejoindre un nouveau cimetière.
Le long parcours périlleux, sous l’orage, alors que les porteurs de familles rivales fatiguent, révèlera bien des  secrets. Le prêtre dont l’église tombe en ruine va à leur rencontre.
Les dessins traduisent bien l’âpreté d’un récit efficace en 150 pages peu bavardes mais parlantes. 
« Mais qu'est-ce qu'elle a à voir avec les curés, la religion ? »

lundi 16 septembre 2024

A son image. Thierry de Pedretti.

Ce film inspiré du roman de Jérôme Ferrari « Une vie violente » parcourant les 20 dernières années de l’histoire de la Corse ne répond pas aux interrogations que soulèvent les rapports des insulaires au continent, entre volonté d’indépendance et dépendance envers l’état central.
Pendant ces deux heures, seule transparait la lassitude de la compagne d’un énigmatique indépendantiste souvent en prison. 
Malgré les ellipses, l’absurdité des engagements atteint son apogée lorsque les jeunes mâles du FNLC s’entretuent, c’est alors que le point de vue des femmes un peu plus développé aurait pu être intéressant. Difficile cependant de partager les sentiments de la mystérieuse jeune photographe puisqu’une voix off se charge d’expliquer ce qui n’apparaît pas à l’écran. 
Pas une de ses photos ne sera retenue lors de son voyage à Vukovar, où la guerre en 91 n’était pas du cinéma. Mais cette autre bonne idée n’est pas exploitée non plus. 
Le titre souligne l’importance d’un rapport aux images qui s’avère bien peu traité, alors qu’avec son appareil la débutante « mitraille » jusqu’à l’absurde la bande immature de ses amis clandestins.