Dans son deuxième roman, l’auteur revient sur la vie de sa sœur
qui s’est suicidée il y a quarante ans. Ce livre essaye de réparer l’absence de
toute plaque sur la tombe où elle est enterrée. « À défaut de
souvenirs, je m'en suis sorti en pensant : ce n'est pas moi qui l'ai oubliée,
c'est elle qui est partie en claquant la porte, elle qui a tiré le rideau en
lâchant : Ça suffit, basta, j'en ai assez, continuez
sans moi. Elle ne l'a pas dit comme ça. A-t-elle seulement eu le
temps de penser à ceux qui continueraient sans elle ? Et si ce que je prends
pour de l'oubli relevait de la gêne. Il suffirait de la surmonter, d'ouvrir une
vanne, puis deux ou trois, pour que d'autres bulles remontent à la surface. La
trappe est lourde. » Dans toutes les appréciations de lecteurs à propos de ces
200 pages, figure l’expression
« sans pathos » pour mieux souligner l’originalité du narrateur dans
un exercice périlleux. J’ajouterai son honnêteté.
« Quand la
maladie ou un accident emporte un proche, l'art de converser avec lui, de le
garder vivant, d'entretenir un lien avec lui est casse-gueule mais un chemin
reste possible. Chacun emprunte comme il peut, avec ses mots, ses silences, ses
doutes, ses failles. Mais quand la violence du suicide éradique la possibilité
d'un chagrin, qu'est-ce qui peut lui succéder ? J'ai cru remplacer la peine par
l'effacement, la culpabilité par l'indifférence et le remords par le silence. Foutaises, bien sûr. »
Le cheminement à l’intérieur de sa mémoire lacunaire est
plus émouvant que le rappel des années post-68 communes à la génération
boomeuse et au delà. Ses recherches tardives de souvenirs fantomatiques, bien
sûr plus personnelles, font tout l’attrait, la force de ce retour vers ses
faiblesses, ses fuites, son incompréhension.
Le cinéma, la musique, sont les instruments de cette
archéologie avec Beaucarne, IBanez(Palabras para Julia de Juan Goytisolo).
« Mais
souviens-toi toujours
De ce qu’un jour j’ai
écrit
En pensant à toi, en
pensant à toi
Comme j’y pense à
présent. »
Ses prospections minutieuses, fines, sont permises par un
style limpide en accord avec l’intégrité de l’écrivain.