jeudi 2 mars 2023

Enluminures. Catherine de Buzon.

 Les enluminures présentées par la conférencière devant les amis du Musée de Grenoble sont celles qui « chantent la gloire de Constantinople » entre le 6° et le 15° siècle. « Saint Marc copiant un rouleau dans un codex »

Le codex, fait de parchemins cousus ensemble lisibles recto/verso, a pris la suite du volumen, rouleau de papyrus offrant une seule face sur dix mètres de long. 
« L’une des plus anciennes éditions de l’Odyssée découverte à Ghoran (Égypte) »

En 330, Constantin inaugure « la nouvelle Rome », Constantinople, sur le site de la ville grecque de Byzance. « Mosaïque de l’ancienne basilique Sainte-Sophie (Istanbul)».
Il fait installer des scriptoriums où travaillent  laïcs et moines. La tradition classique est respectée. 
« Achille sacrifiant à Zeus pour le retour de Patrocle » (Bibliothèque  ambrosienne de Milan).
Le traité médical rédigé par le médecin Dioscoride est dédicacé à « La princesse Anicia Juliana », fille de l’empereur Olybrius. Elle distribue l’aumône, assise entre la Magnanimité et la Prudence.
« Le Dioscoride de Vienne » contient plus de 400 dessins où la plus ancienne dédicace côtoie le plus ancien traité sur les oiseaux, et un herbier somptueux témoin d’un art profane remarquable.
«
Dioscoride décrivant la mandragore»
Ernest Board, elle personnifie le pouvoir de la pensée.
Du temps de Justinien, empereur byzantin, dernier empereur romain, le manuscrit enluminé produit en Syrie, « La Genèse de Vienne », demeure le plus ancien codex biblique. Sur parchemin de veau teinté de pourpre, le texte est écrit en onciale avec une encre d’argent ou d’or.
Les enlumineurs déroulent le fil de la vie de « Jacob »
ou de « Noë » avec une inventivité qui n’altère pas le naturalisme.
Le « Festin d’Hérode et mort de Jean Baptiste, encadré par Moïse et David » figure dans un fragment de l’évangile de Mathieu dans le « Codex Sinopentis » du nom de la ville de Sinope au bord de la mer noire, conservé à la BNF (Paris).
Dans la « Guérison des deux aveugles de Jéricho », l’ardeur rencontre la rigueur.
« Judas rendant les trente deniers »
  avec le vieux prêtre qui ne veut pas le voir, appartient au Codex « Purpureus rossanensis » ou « Évangéliaire de Rossano » (Calabre).
A Florence, est conservée l’évangile de Rabula, du nom du scribe. Dans sa « Crucifixion » encadrée de motifs flammés, le fils de Dieu les yeux ouverts, est du côté de la vie.
« Eusèbe de Césaré et Ammonius d'Alexandrie », présentent des tables de concordance  qui permettent de trouver les passages comparables des évangiles.
La miniature « Abraham rencontrant des anges » a été sauvée de l’incendie de la bibliothèque du collectionneur anglais Cotton en1731.

Elle faisait partie de « La genèse de Cotton » riche de 400 pages et 340 illustrations qui avaient servi de modèle aux mosaïques  de la « Basilique Saint Marc » (1220) à Venise, rivale de Constantinople. 
La crise iconoclaste entre 726 et 743 s’élevant contre des pratiques idolâtres avec par exemple  des images saignantes, pose la question de la représentation de l’ineffable et va amener la destruction de très nombreuses œuvres.

Cependant des manuscrits sont toujours produits dans les zones périphériques de l'empire, en Palestine ou en Italie comme la « Sacra Parallela » de Jean Damascène « Jean de Damas », haut fonctionnaire du calife Abd Al-Malick puis moine, le dernier des Pères de l’église.
Cette scène de « Destruction d’icône » appartient au psautier Chludov.
« Le Rêve de Constantin avant la bataille du Pont Milvius »
extrait des  Homélies de Grégoire de Nazianze date de la « Renaissance macédonienne » entre le IX° et X°siècle telle la page du ménologe de l'empereur Basile II rappelant les fêtes à souhaiter (Bibliothèque vaticane). Celle-ci représente « le baptême du Christ ».
Le colophon d’un psautier fait mention de l’auteur dont il portera le nom. « Psautier de Théodore ».
Des images accompagnant les « Homélies de Jacques de Kokkinobaphos », rassemblent l’ancien et le nouveau testament, le dedans et le dehors.

« Les Chroniques de Skylitzès » illustrent la notion de «  Feu grégeois » mélange incendiaire qui protégea longtemps Constantinople prise cependant par les croisés et livrée au pillage en 1204.  
« Il est tragique que les assaillants, qui visaient à garantir le libre accès pour les chrétiens de Terre Sainte, se retournèrent contre leurs frères dans la foi. Le fait qu'ils soient chrétiens latins remplit les catholiques d'un profond regret » Jean Paul II, 800 ans plus tard, au primat de l’église orthodoxe grecque.

Le Tétraévangile gréco-latin fait partie des rares manuscrits réalisés pendant cette période « Portrait de saint Jean ».
Celui de « Denys l'Aréopagite » donné par l'empereur Manuel II Paléologue en 1405 à l'abbaye de Saint Denis, en frontispice de ses œuvres complètes, se conforme à l’idée que l’on a pu former d’un certain hiératisme dans l’art byzantin.
Le 29 mai 1453, les ottomans prennent la ville : c’est la fin du moyen-âge et de l’Empire romain d'Orient.
Cette illustration tirée d'un manuscrit français de 1455 montre « Le siège de Constantinople », la Corne d'Or, le détroit du Bosphore et la mer de Marmara.

mercredi 1 mars 2023

Angoulême # 2

Nous trouvons facilement à nous garer près du musée de la BD situé de l’autre côté de la Charente, loin des ruelles pentues du centre-ville.  
https://blog-de-guy.blogspot.com/2023/02/sur-la-route-dangouleme.html
La cité internationale du 8ème art a trouvé refuge dans les anciens chais Magelis réhabilités joliment, avec ses façades blanches, mis en valeur au centre d’une large esplanade exploitée par 3 foodtrucks discrets disposant de quelques tables et chaises pour la restauration.
- Loin des foules, nous n’attendons pas pour obtenir nos billets tarif vieux (5€), et débutons la visite par une exposition titrée : de Popeye à Persépolis, bande dessinée et cinéma d’animation.
Nous nous attendrissons devant les couvertures des livres de notre enfance voire de celle de nos parents, Felix le chat, Pimpampoum,  les pieds nickelés, Popeye, des comics et bien d’autres…., dans une rétrospective chronologique bien fournie allant de l’origine du genre à nos jours.
Des images d’Epinal, des caricatures, le livre imagé de la vie d’un homme du XVI° s’insèrent naturellement  parmi nos  personnages  familiers.
Nous découvrons des machines d’images ou pantomimes lumineuses d’autrefois, pleines de magie qui nous émerveillent encore avec leurs mécanismes astucieux. Des extraits de film du début du cinéma, des photographies complètent le propos
- Plus de notre temps, l’exposition « Belle Saison d’Edmond Baudoin » présente des planches où les  caractéristiques de l’artiste se reconnaissent immédiatement, que ce soit par son trait et son graphisme, ou encore par le blanc et le noir omniprésents, le noir pour le trait ou en aplats appliqué au pinceau . D’autres dessinateurs figurent à ses côtés
- Une expo temporaire promeut le travail de Fabcaro, de son vrai nom Fabrice Caro, à travers les pages de ses albums, qu’il s’agisse de « Zai zai zai » de « Grenoble » ou de « Jade ». Il ne manque pas d’humour pour dénoncer les poncifs, parler du quotidien, relater sa vie familiale ou les relations de couple. Les Extraits de « Carnets du Pérou » « Et si l’amour c’était d’aimer », « Formica une tragédie en 3 actes » « La bredoute parce que tout le monde est différent de chacun » nous ravissent.
- Pour les petits, le musée a prévu un coin enfant qui met  à disposition  des déguisements dont celui du marsupilami  (à ma taille !), des jeux de sociétés des livres BD des coloriages et des canapés. Ainsi les parents peuvent-ils s’échapper un moment  et se consacrer à la lecture des planches  trop dense pour leur progéniture.
Lorsque nous arrivons à la sortie, nous constatons que nous avons passé 3 heures dans le musée !Une pause s’impose et en l’absence de restaurant dans les parages immédiats, nous apprécions de pouvoir nous asseoir à l’ombre d’un parasol d’un foodtruck et de nous sustenter de burgers.
Reposés et repus, nous empruntons ensuite la passerelle Hugo Pratt. Elle enjambe la Charente et une petite île, et rend hommage au dessinateur dont elle porte le nom en arborant   l’effigie de son célèbre héros : Corto Maltese. Sa statue s’élève face à la rivière et scrute l’horizon.

mardi 28 février 2023

Manhattan beach 1957. Hermann Yves H.

Ce road movie en voitures volées des années 50 avec flashbacks à partir d’une enquête policière de 1976 ravive des souvenirs chez un flic nostalgique.
Il a rêvé de Las Vegas, de sa belle d’autrefois, de ponton face à l’Océan du côté de Los Angeles.
Les dessins magnifiques installent une atmosphère familière avec Elvis Presley en fond sonore parfois installé à l’arrière des limousines, si bien que le scénario passe au second plan. 
 Le classicisme peut lasser ou rassurer : ces 54 pages tranquilles, sans surprises, se découvrent agréablement mais ne laissent pas de trace durable.       
 

lundi 27 février 2023

Tár.Todd Field.

Approche contemporaine de la grande musique dont une seule séquence du « Clavier bien tempéré » de Bach ferme la bouche de la « cancel culture » et vous transperce.
« Le narcissisme des petites différences mène à une ennuyeuse conformité ».
Du grand cinéma et une grande artiste, tout le monde l’a dit : Cate Blanchett. 
Alors que bien des critiques insistent sur les jeux de pouvoir, cette approche du monde de la musique dans l’intimité d’une énigmatique cheffe d’orchestre est passionnante tout en gardant son mystère, son prestige. 
Le personnage principal semble inatteignable avant d’être brisée. 
Ses passions passées la rattrapent mais son homosexualité n’est ni un problème ni un emblème.
Ceux qui la servent, serviles, consciencieux, sont transcendés par la force d’un orchestre répétant Mahler et de celle qui dirige. 
Le sublime se perçoit et une force vitale et indicible se devine transmise à travers les générations, même si les escaliers du présent sont parfois durs. 
« La musique peut nommer l’innommable et communiquer l’inconnaissable. » Bernstein
Loin des démonstrations habituelles avec méchants et gentils, les contradictions sont en chacun de nous, exécutants ou démiurges, la rédemption sera-t-elle à la clef ? Alors que de coûteuses exigences peuvent se dissoudre en complaisantes fleurs bleues, un chef hors du circuit peut bénéficier de discrètes faveurs et la tendresse aller vers une petite fille à consoler.

dimanche 26 février 2023

Harvey. Laurent Pelly.

Ah, l’humour ! Alors que je regrette son effacement dans nos rapports sociaux, au milieu d’une salle rieuse, je me suis senti hors du coup, trouvant cette pièce de Mary Chase de 1944 sans saveur, avec en vedette
un Jacques Gamblin muni de son Molière, surévalué.
Il n’y a que la mise en scène de Laurent Pelly à sauver qui essaie de donner un peu de rythme à cette heure quarante bien longue. Les changements véloces de décor jouant sur les illusions de la réalité sont les éléments les plus convaincants pour illustrer la thématique principale: qui est fou ?
Le gentil personnage central a un ami imaginaire gênant sa tante et sa fille au point qu’elles souhaitent le faire interner, d’où une suite de quiproquos.
Mais la gestuelle mécanique, une poésie à la Jacques Tati, un humour désuet qu’on n’oserait dire de boulevard, un absurde british, une loufoquerie genre Benny Hill m’ont semblé aussi surannés que le téléphone qui scande le début de la représentation avec fille niaise, mère évaporée et psychiatre frapadingue. 
S’il suffit aux critiques de l’évocation d’un lapin pour invoquer Lewis Carroll, qu’ils me communiquent l’adresse de leur droguerie pour que je décolle de cette terne représentation.

samedi 25 février 2023

Mémoire de soie. Adrien Borne.

 Il faut s’habituer au style lyrique quelque peu chargé pour partager cette histoire de paternité. « Elle fait tomber ses logiques au feu léger de ses élégances » 
Même si la métaphore autour de la soie titre chaque chapitre, la magnanerie qui a flambé n’est qu’une toile de fond. L’activité d’élevage des vers à soie était déjà en déclin au moment de la première guerre mondiale. Mais les arabesques d’écriture magnifient le travail et laissent de la place au lecteur pour interpréter les silences, les mystères, les blessures, les malheurs d’une famille dans le Drôme provençale, comment on survit. 
« Émile s’assure que le ciel est déjà vif. D’un bleu peigné de Mistral. » 
L’amour comme la violence en ce début du XX° siècle prennent des aspects pas toujours conformes aux déroulés qui nous sont familiers, quand est mise à l’orphelinat une petite qui n’est pas orpheline, pas plus qu’elle n’était folle quand elle fut enfermée dans un asile pour aliénés. 
« Elle avait tout connu sans rien connaître, elle avait aimé sans même en avoir le temps, elle avait été mère avec à peine le désir d'enfanter, elle avait été malheureuse en ayant tout juste salivé du bonheur. »
Forte, elle accepte son sort quand elle passe d’un internement à d’autres, d’un frère à l’autre sous l’autorité d’une méchante matrone. 
« Alors les gamines de ton cru, elles foutent le camp ou elles s’inclinent. Dans cette famille, les baveuses et les duchesses, très peu pour nous. Et tu m'as tout l’air d'être les deux à la fois. Bien bavarde et bien précieuse. »
La guerre et la grippe espagnole emmenaient les hommes, la vie n’était pas très soyeuse.

vendredi 24 février 2023

Au boulot.

La dame de 64 ans pose le dernier Goncourt et va gratter le pied de ses rosiers. 
A quel moment elle bosse ?
Pas besoin forcément de gants pour extraire de terre une pomme, alors que pour certains se taper Joyce relève toujours du pensum.
Le passage d’une activité à une autre ne peut se décrire sous l’oxymorique vocable :« gestion du temps libre », quand la frontière entre travail et loisir fluctue suivant les époques.
Culture et nature : « ne reste pas le nez dans tes livres !» désormais obsolète, versus «  le jardinage me détend » plutôt tendance.
Revoilà sempiternellement travaillée la notion de travail au moment où se repose encore la date de nos mises en retrait : gagne-pain de hasard ou œuvre d’une vie.
La séquence parlementaire qui aurait pu être éminemment politique enfonce les tactiques politicards, quand les propositions les plus évidentes disparaissent sous les colifichets, dans un brouhaha théâtralisé à ranger dans la catégorie « querelles byzantines » aux fragrances décadentes. 
La dérision n’est que l’autre face d’une pièce où s’exagèrent les enjeux dans le déni des contraintes.
Une accumulation de signes inquiétants chez nos compatriotes auraient pu sembler plus urgente à traiter : maladies psychosomatiques, fatigues, congés sabbatiques avant de s’y mettre, démissions. 
Il y a du pain sur la planche pour les chercheurs qui ne veulent chercher qu'aiguilles dans bottes de foin, sans connaître les prairies.
Des crédits universitaires ont été débloqués en Norvège pour des études autour des peintures blanches des murs qui seraient un signe d’assouvissement raciste : de quoi se rouler dans la neige, se faire un rail ou au moins s’avaler un petit blanc.
Pour le reste, il n’y qu’à passer par les cabinets de conseils.
D’autres études cependant fouillent, des recherches creusent, mais les tweets gagnent à la fin, surtout quand la haine les met en évidence parmi tellement de mots nous sommant, nous assommant, qu’on ne sait de quel côté fuir.
La place laissée vacante par les professeurs sachant professer voit se succéder tant de donneurs de leçons. A l’instar des bonnes âmes qui ne voulaient pas que leur obole à un clochard finisse en vin, voilà que des publications distinguent loisir consumériste et temps consacré à l’épanouissement humain pour flécher nos libertés qui ne sauraient être débridées.
Sûrement que la vacance correcte recommanderait la fréquentation de lieux artistiques, mais à user avec circonspection, quand du pays de Biden, de toxiques injonctions sont prises au sérieux interdisant aux acteurs de jouer un homo s’ils sont hétéros… de doubler Mickey s’ils ne sont souris !
Lieux des alertes, les arts sont en crise et les commentaires à leur suite: je cherche la plupart du temps en vain des critiques en matière théâtrale où l’entre-soi semble le plus installé, masqué derrière des écriteaux appelant à ce qu’ils ont chassé: ouverture, simplicité, légèreté, modestie, humour.
Cette frilosité autour du spectacle vivant se retrouve dans des commentaires certes plus abondants autour des films où domine un conformisme frileux tel qu'il se retrouve aussi sur les plages musicales quand ne sont guère critiques les habituels prescripteurs envers les fans et les enfants de « Nique ta mère ».
La minceur des propositions artistiques contemporaines s’accompagne de gloses volumineuses, et aux portes des galeries dans lesquelles s’exposent des objets minimalistes de gigantesques fresques les serrent comme étaux.
«Ceci n'est pas une pipe» titrait Magritte  sous une peinture, mais un couteau est un couteau à Saint Jean de Luz ou ailleurs.
Quand les notions de bon et de beau sont mises à la question chaque matin, les injonctions nouvelles amènent à confisquer le dernier Vivès au profit de la dernière Nobel.
Je me tiendrais volontiers dans une position méprisante à l’égard des méprisants sermonneurs et autres doctes universitaires. Ils préfèrent en revenir au temps des colonies ou étudier quelques barbaries machistes paléolithiques plutôt que voir comment contrarier les fatalités sociales, réhabiliter le travail et tenir sa place dans la société. 
« A vouloir enseigner trop de médecine, on n'a plus le loisir de former le médecin. »