mercredi 18 janvier 2023

Périgueux # 1

Pour gagner un peu de temps, nous délaissons la route pour l’autoroute, 
destination Périgueux.
Notre impression de toujours descendre réapparait sur le parcours.
Arrivés dans la ville, nous errons un peu pour déposer la Clio mais en nous élevant au-dessus de l’allée  de Tourny et de la préfecture, nous dénichons une place non payante dans un quartier résidentiel, près d’un magnifique parc et d’une synagogue.
Nous traversons l’allée et le cours Tourny à pied cette fois-ci, pour nous  engager dans la rue Saint Front ;
la vue de la cathédrale du même nom nous guide vers le centre touristique.
Nous passons près du temple maçonnique. Il se remarque immédiatement avec son caractère très particulier, de style orientalisant et avec la présence de ses outils symboliques sculptés sur  la façade.
Presque en face, une galerie d’art  moderne propose les œuvres originales et fortes de l’artiste Anne Bothuon, que nous ne connaissions pas.
Elle a confectionné des personnages en ouate recyclée parcourue d’un réseau de fils légèrement colorés.
Réalisés dans un format grandeur nature, ces poupées  nues et expressives revisitent l’art de la statue avec ce matériau inédit, elles manifestent une grande humanité sans hyper réalisme dans la forme des corps (de grands pieds, par exemple) et ne cèdent pas au dictat des canons de la beauté et de la jeunesse. Nous éprouvons un vrai coup de cœur face à ces « créatures textiles », superbes.
D’un tout autre genre, une exposition temporaire sur la truffe se déroule dans une belle maison historique appelée maison du Pâtissier.
Elle a pour vocation d’informer les touristes sur l’histoire de la tuber melanosporum, ce produit du terroir si célèbre et apprécié. Nous nous intéressons d’abord aux panneaux pédagogiques, avant qu’une jeune fille s’approche pour compléter les explications ; un trufficulteur pétrocorien passionné se mêle vite à la conversation, bien sûr plus documenté que la demoiselle qu’il doit trouver un peu insuffisante. Il nous introduit dans la cour intérieure et nous commente le carré de végétaux planté dans le but de présenter les essences favorables à l’apparition du précieux champignon.
En poursuivant notre chemin, nous tombons sur une autre galerie d’art spécialisée dans la peinture d’un seul artiste : David Farren  et tenue par sa femme anglaise. Nous sommes séduits par les paysages représentés  mais surtout par les carnets de croquis  posés sur des tables.
Nous continuons à déambuler dans cette partie du centre-ville.
Ici les ballons remplacent les parapluies dans les airs selon le même principe d’accrochage qu’à Aurillac et Brive.
Nous nous approprions peu à peu les lieux  avant de les mieux appréhender demain au cours d’une visite guidée retenue à l’Office du tourisme.
C’est prometteur.
En attendant, nous avons appris que les habitants de Périgueux s’appellent les Petrucoriens, du nom du peuple gaulois les Petrucores.
L’heure de notre rendez-vous avec Y. notre logeur à Annesse et Beaulieu nous pousse à interrompre nos flâneries, nous remontons donc en voiture, traversons des zones industrielles avant d’atteindre le AirB&B situé en bordure de route. Nous prenons possession d’un studio : chambre avec salle de bain, clim et TV. Dans l’enclos du jardin, Y. met à notre disposition un emplacement pour la voiture, la piscine hors sol entourée de relax, et une plancha. Et en plus, il nous aide à dépatouiller un problème rencontré avec les fonctions de AirB&B. Bon choix !
Sur ses conseils, nous partons manger à Saint Astier.
Ce joli village s’étend autour de son église romane engluée dans des maisons.
Parmi les nombreux bars et restaurants, seuls deux établissements ouvrent le mardi soir, car ils se relaient pour ne pas fermer tous en même temps. Nous  choisissons la terrasse de  « Aux délices des marronniers » et dégustons des brochettes de magret servies avec un accompagnement d’endives braisées plus une pression.
 

mardi 17 janvier 2023

Le poids des héros. David Sala.

Une grande histoire, de celle qui prend la majuscule quand le camp de Mauthausen où le grand père espagnol a été envoyé, apparaît sous des couleurs psychédéliques. 
« Lorsque vous écrivez un livre sur l'horreur de la guerre, vous ne dénoncez pas l'horreur, vous-vous en débarrassez. » Romain Gary
Les deux grands pères aux destins exceptionnels justifient le titre annonçant un hommage rendu sans grandiloquence, avec une force née justement de cette pudeur, de cette retenue commune à ces héros. 
« Tout à coup, il y avait ce SS devant moi, avec ces œufs, qu'il venait certainement de voler dans une ferme voisine. Le dilemme. Lâcher ses œufs ou prendre son arme?
Son hésitation m'a permis de prendre une avance suffisante. »
 
Les aquarelles sublimant les tapisseries des années d’enfance de l’auteur sont lumineuses et les références aux années 60, les dialogues du quotidien, d’une grande justesse : 
« Josette, Gérard ! Ça me fait plaisir de vous voir ! 
Un peu de jeunesse, parce qu’avec tous ces vieux là. Hahaha ! »
L’absence de procédé tonitruant laisse la place à l’émotion, bien que cette dimension éminemment personnelle doive éviter de submerger les critères ordinaires de la critique.
Excusant une auto fiction de plus et les mémoires s’affaiblissant tellement qu’elles en sont à faire leur devoir, de nombreux thèmes de réflexions peuvent être saisis en 170 belles pages où l’amour, le respect circulent l’air de rien : une réussite. 

lundi 16 janvier 2023

Caravage. Michele Placido.

« Le Masque et la Plume » avait dit que c’était une « croûte » et bien que je sache leur goût immodéré des bons mots, je m’attendais à un film médiocre.
Mais de la même façon que des chefs d’œuvres annoncés peuvent décevoir, cette version de la vie romanesque du peintre m’a parue bien supérieure cinématographiquement à celle de 1986.
Isabelle Huppert en marquise protectrice m’a surpris comme Louis Garrel dit « L’ombre » enquêtant sur le maître du clair obscur joué par Riccardo Scamarcio. Le génie de l'artiste fait pardonner ses crimes, il paiera de sa vie.
L’écorché vif est sûr de son génie, il a ébloui quelques prélats, choqué tant d’autres et traversé les siècles.
Le goût de l’impétueux romain pour les épées n’évince pas des questionnements autour de la création quand des modèles « humains trop humains » sont choisis pour représenter des divinités.
Nous échappons au concours de trognes pittoresques et les beaux éclairages ne parodient pas les tableaux du XVII° tout en évoquant la genèse de certaines toiles.
Le réalisateur avait adapté « Romanzo criminale » de Giancarlo De Cataldo.

dimanche 15 janvier 2023

Cabaret de l'Exil. Bartabas.

J’ai vécu comme un privilège d’aller voir chez lui
au Fort d'Aubervilliers celui que je suis depuis si longtemps, plaisir redoublé, car je croyais qu’il allait dételer. 
Du haut de sa chaire, un truculent personnage nous accueille d’une telle façon que c’est bien dans une cathédrale que nous pénétrons, en bois avec au bord de la piste des tables éclairées de lampes tamisées. Nous sommes invités à utiliser notre intelligence naturelle donc à éteindre nos intelligences artificielles. 
Bartabas se devait, après tant de voyages divers, d’évoquer les « Irish travellers », nomades irlandais avec sa troupe nommée Zingaro (tzigane en italien).
« Une Irish idée » titre Libération dans un bel article.
Cavaliers et cavalières, nous prennent pendant une heure et demie dans les volutes harmonieuses de leurs vifs déplacements alternés avec des moments de paisible enchantement. 
« Tu lances ton visage à la pluie
Et chantes pour apprivoiser les gouttes
Là-bas sur la lande de bruyère pourpre
L’arc-en-ciel se prosterne devant toi…
Traveller, tes livres n’ont pas de pages
De Galway à Wicklow, de Cork à Donegal
Le son des routes est rempli de ta voix. » 
Des moutons magnifiques et des oies sont de la fête. Des prêtres hauts en couleur dont l’un est concurrencé par un bouc bien païen et hiératique Bartabas, participent à la célébration des splendides postures des chevaux. Leur liberté magnifiée est le résultat d’un dressage subtil d’autant plus contraignant en amont que le maître n’intervient que très discrètement pendant la représentation par des bruits de bouche que nous avons pu percevoir car le chef était près de nous.  
Costaud de foire, acrobate époustouflant, femme de petite taille sur un grand cheval et mari benêt montant un âne blanc, danseur de claquettes sortant d’un tonneau, nous enivrent, en une farandole de tableaux assaisonnés de musiques entrainantes de l’Eire. 
La scène finale se déroule autour d’un feu devenu un luxe pour les sédentaires dépaysés que nous sommes. La boucle est bouclée depuis qu’en début de spectacle nous avons appris que doit être brûlée la roulotte d’un défunt pour que son fantôme ne revienne pas.
Que reviennent des créatures nouvelles pour un troisième volet du « Cabaret de l’exil » commencé avec le Yiddishland. 

samedi 14 janvier 2023

Chroniques !

L’idée est excellente de nous remettre sous les yeux des critiques exprimées souvent avec élégance pour louer ou dénigrer des livres au moment de leur sortie et que les années ont consacrés parmi les essentiels de notre culture littéraire.
Nerval vu par Théophile Gautier :
« cherchait l’ombre avec le soin que les autres mettaient à chercher la lumière. » 
Et Hugo : 
« Stendhal ne s’est jamais douté un seul instant de ce que c’était que d’écrire.» 
Mauriac avait trouvé « abject » « Le deuxième sexe ».
50 ouvrages éminents nous sont rappelés, de « Delphine » par Madame de Staël (1802) à « Molloy »(1951) de Beckett. 
Mais ces 240 pages éditées par le service des archives de la Bibliothèque de France devraient se lire parfois avec une loupe, car elles abusent des reproductions réduites des journaux d’alors qui s’avèrent redondantes de temps à autre avec des textes un peu pâlichons les accompagnant.
La diversité des chefs d’œuvres commentés est bienvenue que ce soient 
des romans : « Vingt mille lieux sous les mers », 
de la poésie : « Les chants du Maldoror » 
ou du théâtre : « Les bonnes » ou « Cyrano de Bergerac »
Les étrangers sont honorés : Dostoïevski ou Stevenson, 
et quelques désuets sont rappelés : Loti, Triolet 
des outsiders remis en lumière : Alexandra David-Néel. 
Si l’on me dit Bram Stoker, je cale, mais son œuvre « Dracula » me parle, 
par contre « Monsieur Vénus » pas plus que Rachilde restent totalement inconnus.
Des avis donnent envie d’aller voir sur place, à propos de Simone Weil :
« Des trouvailles fulgurantes, qui appellent la comparaison avec Pascal. » 
Ils confirment aussi des champions, Camus : 
« J’aime cette plume qui troue le papier… » 
ou prophétisent  dès 1933: 
«  Le Procès est comme un long cauchemar empoignant, où tout est grimaçant et où tout est vrai. Kafka apparaitra peut-être comme un écrivain de génie. »

vendredi 13 janvier 2023

Postillon n° 67- Hiver 2022-2023.

Le trimestriel militant à 4 € pour 32 pages est toujours une source d’informations intéressantes et d’indignations personnelles devant des partis pris pas toujours aussi risibles que leur obstination à viser à la réintroduction de cabines téléphoniques. Pourtant la verve déployée à ce sujet est réjouissante en moquant un « street phone box project ».
Cette lubie folklorique est cependant cohérente avec leur aversion envers toute innovation technologique : que ce soit un robot introduit dans une classe de collège à Fontaine pour permettre à un élève absent de participer à la vie de la classe que contre les compteurs Linky et l’intelligence artificielle en général.
Ils reviennent à Brignoud sur le site d’Arkema abandonné depuis 18 ans, dont les anciens ouvriers se battent pour faire reconnaître leurs maladies professionnelles, et dans les bois de Champ sur Drac où des déchets de PCUK ont été emmenés dans les années 60.
Les rédacteurs anonymes regrettent la disparition des ateliers de fabrication de vélos après  un entretien de Routens qui se dispense, lui, de la nostalgie. Mais il y a quelque contradiction chez les cagoulés à mépriser l’argument de l’emploi, en s’acharnant sur la consommation d’eau de ST Micro déjà documenté dans un numéro précédent. 
Ils ont beau jeu de relever l’incohérence des écologistes dénonçant « les méga bassines à 600 km de chez eux » alors que ST en un an utilisera la capacité de 16 de ces réserves pour l’agriculture dans les Deux Sèvres. Ils relèvent avec pertinence le discours de Piolle s’en remettant à l’état en matière de sécurité comme le faisait jadis Carignon, ou le changement de conviction des verts à propos du Métrocâble. Dommage qu’ils ne développent pas plus loin le non renouvellement des structures du Plateau (à Mistral) et de La Cordée (à La Villeneuve).
La réunionite est dénoncée concernant le non traitement des maux de l’hôpital et ces adeptes du vélo - surtout pas électrique - poussent le goût du « c’était mieux avant » en allant à la rencontre de garagistes fragilisés par l’instauration de la ZFE (Zone à Faibles Emissions). Mais comment ces guérilleros du pédalage peuvent-ils se crisper à ce point sur leur frein quand des mesures sont prises pour une meilleure qualité de l’air ? 
Par contre les portraits de récupérateurs dans les déchetteries ou le témoignage d’un « messager du tri » sont expressifs et originales les recherches dans les archives de la place du lit dans la vie de nos ancêtres. 
Je lève un de mes préjugés à l’égard du journal satirique quand est décrit un match de foot entre Domène et L’Abbaye dont je n’aurai pas pensé qu’il ait droit à une page sans sarcasme. 

jeudi 12 janvier 2023

De la nature. Sophie Bernard.

La conservatrice du musée de Grenoble présente aux Amis du Musée, l’exposition qui se tiendra jusqu’au 19 mars 2023. L’association a participé d’ailleurs au financement du catalogue où quatre artistes familiers des lieux donnent à voir leur rapport sensible à la nature. 
« Les liens vitaux qui se tissent entre moi et autrui, l’âme et le corps, le corps et le monde, l’homme et l’Être en vue de dépasser toute dualité, ces liens se tissent dans la « chair du monde » Merleau Ponti. 
Philippe Cognée, seul peintre parmi les quatre sélectionnés,  connu surtout pour ses vibrantes vues urbaines s’empare de la thématique environnementale.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2012/11/philippe-cognee-au-musee-de-grenoble.html
Vu du train, un « Champ de colza » est dématérialisé par la vitesse.
Des « fleurs épuisées, géantes écrasées »,  
« Amaryllis rouge »  d’un autre pays que le floral, incorporent la mélancolie.
La matière est essentielle, «  Etude pour un paysage tourmenté », quand remontent
aux frontières de l’abstraction des sensations de végétation primordiale depuis une enfance au Bénin. 
On ne voit que les os d’une « Forêt enneigée » privée de ses feuilles.
Autres « vanités », les « Châteaux de sable » sont voués à la disparition.
Cristina Eglesias
, à la jonction de l’architecture et de la sculpture, construit des motifs décoratifs en béton, fer, albâtre ou bois, dans un style néo baroque. « Passage II ».
Installant souvent ses labyrinthes en extérieur, en écho avec des institutions muséales, elle pose «  avec ironie et sensualité la question du rapport entre nature et culture ».
Si Cognée est du côté du feu, l’espagnole joue avec l’eau, «  
Sous un aspect de mastaba austère, le visiteur à l’intérieur est invité à rêver, le microcosme cristallin éveillant (peut être) l’inconscient.
Variant les formats depuis des plaques de cuivre rongées à l’acide « Hondalea Studies »,
elle a réinventé un phare désaffecté sur l’île de Santa Clara au large de San Sébastien.
Wolfgang Laib
, déçu par le rapport occidental au corps lors de ses études de médecine, s’est mis en quête de l’immatériel inspiré par les spiritualités orientales. 
Il présente un œuf cosmique, le « Brahmanda » en granit poli enduit d’huile de tournesol,
et un « carré de pollen de noisetiers » recueilli patiemment autour de chez lui en Allemagne. Des formes simples avec des matériaux essentiels, offrandes à la vie, s’inspirent du sacré. Ses dessins blancs sur fond blanc explorent les confins du visible.
Guiseppe Penone
, dans son rapport fusionnel aux arbres, benjamin du mouvement de « l’arte povera », révèle les énergies vitales à l’œuvre dans la nature.
« Vert du bois », il imprime la peau des végétaux sur des tissus de lin jouant de la confusion des règnes en une « vision tactile ».
Une végétation encore maigre fusionne avec des « Esprits de la forêt » en bronze aux allures d’écorce. 
Dans toutes ces représentations où souvent les hommes n’apparaissent pas, même si on peut peindre la mer avec l’eau de la mer ou s’imaginer être la forêt, les artistes nous rendent plus proches du monde. 
 « L’Assemblée immatérielle » Zazü
La responsable des collections du musée de Grenoble nous livre pour conclure un extrait de Gaston Bachelard plus fécond qu’une énième leçon d’écologie : 
« Dis-moi quel est ton infini, je saurai le sens de ton univers, est-ce l'infini de la mer ou du ciel, est-ce l'infini de la terre profonde ou celui du bûcher ? »