jeudi 11 novembre 2021

Carpeaux, Bergès, Saint Ex, et d’autres dans les parages.

L’exposition consacrée à Jean- Baptiste  Carpeaux en face du musée Hebert à La Tronche fermera ses portes le 8 novembre,
alors que Mario Prassinos y est avec ses arbres noirs jusqu’au 31 janvier. 
« Mais déjà, se montrait le front sombre des grands arbres pressés l’un contre l’autre comme une foule qui m’aurait attendu. Une ouverture sombre indiquait le début d’un sentier qui s’enfonçait parmi la majestueuse population. Il fallait accepter l’invitation et suivre l’étroit chemin. »
Sur le thème de la forêt, une photographie intrigante de Philippe Baudelocque est collée à l’extérieur du paisible musée.
Si « La Danse », la sculpture de Carpeaux la plus célèbre ne figure que sous forme de citations,
plusieurs salles offrent un aperçu intéressant des talents de l’artiste dont la brève carrière fut très liée à Napoléon III.
Ses tableaux témoignent d’une patte originale
et ses ébauches d’une belle vigueur.
Le buste magnifique de la « Princesse de La Valette » est  émouvant, elle n’en était pas contente et heureusement qu’il en était resté des copies car l’artiste vexé de ne pas être connu dans sa vérité avait massacré la sculpture originale à coup de masse.
Il y a d’autres belles histoires comme celle de « La Palombella » dont il tomba amoureux lors de son séjour en Italie. Ses traits l’inspireront au-delà de sa mort.
Le sourire de ses personnages est célèbre,
l’interrogation « Pourquoi naître esclave ? », puissante.
Les sculptures de papiers à leur place à la maison Bergès de Villard Bonnot sont visibles jusqu’au 2 janvier.
L’ancienne usine à papier dont le fonctionnement est bien expliqué est toute indiquée pour recevoir en ses locaux art déco : origamis, collages, découpages, dentelles, de Ingrid Siliakus, Béatrice Coron, Stéphanie Beck, Mathilde Nivet.
Pour prolonger les plaisirs de la biennale consacrée aux dessins en 25 lieux de la rue Saint Laurent à Grenoble
voir à la galerie Alter Art «  Street Yeti »
https://thestreetyeti.art  encagé jusqu’à mi novembre.
Les techniques de la patatogravure ou de la linogravure rappellent les techniques Freinet d’une enfance lumineuse. Les monstres sympathiques amènent à des interrogations plus contemporaines dépassant les nostalgies.
Jusqu’au 16 janvier à La Sucrière à Lyon, Le petit Prince pour son 75° anniversaire est rapproché de son créateur Saint Exupéry.
L’iconographie fidèle aux originaux du célèbre aviateur est mise en valeur sous des lumières noires qui actualisent la poésie de l’ouvrage le plus traduit dans le monde après la bible.Tous les poètes n’ont pas forcément une image qui corresponde à leurs écrits comme l’icône Rimbaud, mais l’évocation de moments héroïques de l’aéropostale peut encore faire rêver.

mercredi 10 novembre 2021

Sur la route de Belfort.

Après une nuit inconfortable dans un canapé lit, nous roulons en direction de Vesoul sur des routes étroites et droites. Le beau temps est au rendez-vous.
La journée commence par une jolie surprise;  lorsque nous traversons le village de DAMEREY, nous tombons sans nous y attendre sur la maison originale d’un « artiste de bord de route » nommé Roger Mercier.
Décédé, il a souhaité léguer son « château de Bresse et de Castille » à la communauté sous réserve qu’elle l’entretienne, ce qui est actuellement le cas mais interdit toute visite à l’intérieur des murs.
Cependant, on entrevoit de l’extérieur l’architecture créative et les sculptures colorées en béton.
Il en a  recouvert tous les espaces : les toits, la  façade ou le jardin. Ce créateur modeste pose un regard d’enfant sur son environnement, tendre, simple, imaginaire.
Ses représentations s’inspirent d’animaux avec des cigognes près des cheminées, une biche, un toucan  une otarie, des aigles….
Elles évoquent aussi l’Espagne, pays de sa femme, à travers un toréador et un taureau, un patio andalou ;
des palmiers des danseuses et des constructions rappellent l’Orient.
La mythologie transparait aussi dans la scène nautique avec Neptune et des sirènes.
Après quelques renseignements pris auprès d’une jeune cantonnière, nous quittons ce village désert et continuons notre voyage. Nous  constatons  à de multiples endroits que la crue du Doubs inonde toujours  les champs et déborde de ses rives, la décrue tarde à se faire. Nous passons dans le département du Jura où la limitation de vitesse sur les nationales autorise 90 km/heure au lieu des 80 imposés jusqu’ici. Les paysages et l’habitat semblent  plus pauvres ; des écriteaux à vendre apparaissent  sur beaucoup de maisons.
Nous buvons notre café en terrasse à Moissey « Au convivial comtois », agréable établissement qui connait la faveur de la presse et dont les articles élogieux sont placardés près de la porte. (la photo date des inondations de décembre)
Puis nous traversons des paysages plus vallonnés croisant de nombreux camions sur le ruban asphalté qui se déroule devant nous.
Nous nous arrêtons déjeuner après Vesoul à Roye dans un routier  « La réunion des amis ». Son décor vieillot avec ses pin up et ses couleurs fanées accueillent des habitués rebondissant aux propos du patron Jean Luc ; ce truculent personnage  possède une voix de stentor et un accent prononcé mis au service d’un humour et d’une faconde irrésistibles. L’ambiance est à la rigolade. Pas de menu ni de prix affichés, ici on mange ce qu’on vous sert, à l’ancienne : des tomates, de la terrine de foie et du cervelas composent les entrées. Elles sont suivies d’un plantureux plat familial qui aurait nourri 4 personnes au moins avec de nombreuses tranches de langue de bœuf accommodées de riz.
Le plateau de fromages bien achalandé circule de table en table puis il faut choisir son dessert entre tiramisu, profiteroles, îles flottantes ou baba au rhum bien arrosé et fortement recommandé. Nous conversons sans façon avec nos voisins de table, un couple de royens, et amis du patron qui vient se joindre à nous pour tailler bavette en fin de repas.

 

mardi 9 novembre 2021

La revue dessinée. N° 33. Automne 2021.

On commence à parler des algues vertes en Bretagne, pour ma part c’est dans la revue dessinée suivie ici depuis le premier numéro 
que j’ai eu connaissance du scandale.
Chaque trimestre apporte son lot de récits de combats pas toujours aussi imaginatifs que celui de soignants voulant se signaler au-dessus du défilé du 14 juillet.
Dans plusieurs régions des agriculteurs ont constaté une hausse de la mortalité dans leurs troupeaux et des comportements perturbés de leurs animaux, ils ont bien eu du mal à faire reconnaître les préjudices causés par l’implantation de transformateurs électriques, de lignes à haute tension enterrées, voire des parcs éoliens pourtant bien utiles.
L’incendie de Lubrizol a fait plus de bruit mais les lenteurs administratives, le déni justifie le titre «  écrans de fumée ». 
Il en est de même bien entendu lors de la course aux armements dont la narration n’est pas aisée, 
alors que le décryptage d’une image devenue icône de la grève du Joint français en 72 nous apprend que l’ouvrier et le CRS face à face étaient des amis de lycée.
Un petit rappel de la pause salutaire pour les animaux imposée par le confinement nous repose de tant de noirs aspects de notre humanité.
L’historique du canal de Suez à l’occasion de l’échouage d’un porte conteneur de la compagnie...Evergreen, est habilement didactique.
Les pages consacrées à l’association Unis-cité posent le problème qui mérite vraiment débat, car ce n’est pas si simple, de la notion de travail, de bénévolat, d’engagement.
Les aléas pour que soit reconnue l’inventrice du test de grossesse individuel sont révélateurs de tout un système.   
Le parcours de Fela Kuti débordant du domaine musical pourra intéresser mais les mystères du « Secret des poignards » bien que narré plaisamment peuvent laisser indifférents: question de goût. 
Comme cette fois la rubrique : « La sémantique c’est élastique » qui aborde le langage des chiffres : pourquoi dit-on « dix sept » après « seize » ?

 

lundi 8 novembre 2021

Ron débloque. Alessandro Carloni Jean-Philippe Vine.

Les petits enfants nous autorisent à voir des films qui ne nous sont pas forcément destinés et comme dans la littérature enfantine avec « Le plus bel été du monde » de Delphine Perret, 
ils nous permettent de réactiver des réflexions essentielles avec une légèreté qui n’est pas toujours présente dans les productions pour les grands trop souvent pris pour des minus.
Ce film d’animation se situe à la hauteur de « Wall-e » 
 Ron est un robot mal configuré qui va accompagner le seul collégien à ne pas posséder un « B-Bot », dont les performances anticipent à peine un univers où les machines omniprésentes permettraient de se faire des amis.
Le sujet brûlant est traité avec humour et nuance. Le sympathique personnage principal n’est pas chargé d’asséner des vérités, pourtant décalé parmi ses camarades, il est bien dans sa famille avec son père ringard et son archaïque grand-mère qui l’aiment. Les personnages nous rappellent des acteurs essentiels qui façonnent notre monde ou qui essayent de le réparer avec cette collègue professeure dégoulinante de bienveillance, à côté de la plaque.
Les relations humaines sont défendues, la vacuité des relations numériques soulignée et la singularité des individus valorisée : ça va de soi, mais c’est encore mieux en le disant subtilement.   

dimanche 24 octobre 2021

Fuck me. Marina Otero.

Contre-pied habituel : en lisant le papier accompagnant le spectacle le mot 
« performeuse » connoté art contemporain, je m’apprêtais à regretter ma première impulsion genre « papy se dévergonde » qui m’avait amené salle René Rizzardo ; mais pas du tout, alors que j'ai été déçu par celui que j'attendais
C’est pour l’instant le meilleur spectacle que j’ai vu de la saison : émouvant, drôle, violent, sincère, inventif. Avec au cœur de cette heure intense des approches neuves autour de mots tellement sollicités : liberté, authenticité, pudeur. 
Cinq hommes prêtent leur corps à « la cause narcissique » de l’ancienne danseuse dramaturge qui depuis le coin de la scène rappelle son passé au micro et par écran interposé. A force de se jeter par terre lors de représentations précédentes de sa trilogie, sa colonne vertébrale endommagée lui interdit de danser.   
Alors que l’autofiction a envahi la littérature et que je veux oublier une version approchante dans l'intitulé: « Baise moi » de Despente à la notoriété douteuse, sur scène, je n’avais pas de souvenir d’une telle force évitant même d’être tonitruante. 
Les dégâts occasionnés par le temps qui passe sont incarnés et en même temps transcendés par la beauté des corps, pathétiques, malmenés et surhumains: c’est tout un art. 
La belle argentine - oui « la belle Otero »- rend accessible le thème du « genre » tellement mode qu’il en est saoulant, il apparait ici en toute franchise. Sous des musiques excellentes, avec son « boys band », ses hommes, on ne peut plus nus, nous passons au-delà des procédés épate-bourgeois vus souvent sur scène. Elle s’est, on ne peut plus, dévoilée, mais qui voudrait y voir une quelconque inconvenance ? La vérité est nue, dit on. 
« Tandis que nous entrons dans l’hiver obsédant, 
Dans l’étroite saison, où, seule, la musique 
Fait un espace immense et semble un confident 
Qui, saturé de pleurs de nos soirs nostalgiques
 Les porte jusqu’aux cieux avec un cri strident » Anna  de Noailles
......
 Reprise des publications sur ce blog le lundi 8 novembre.

samedi 23 octobre 2021

De plus en plus de gens deviennent gauchers. Eugène Durif.

14 nouvelles en 117 pages étroites de chez Actes Sud plongeront les dépressifs un peu plus dans la tristesse à moins que ceux-ci s’estiment bienheureux par rapport à une kyrielle de personnages désespérants décrits avec intensité par l’auteur de « Sale temps pour les vivants ». Défense de rire.
Ils sont présentés en quatrième de couverture comme des tendres et des sensibles, mais je n’ai décelé aucun humour annoncé dans ces portraits où la violence alterne avec l’ennui.
Un intervenant devant des collégiens : 
«  Vous croyez que je n’ai rien d’autre à foutre dans ma vie que de venir gaspiller mon temps avec des petits bourgeois de merde comme vous, des petits privilégiés qui n’ont jamais eu à se battre pour rien, des gavés absolus et indifférents comme des canards que l’on emboque d’une culture dont ils n’ont rien à faire, une culture purement décorative dont ils n’ont même jamais pensé qu’elle puisse avoir un sens et une nécessité. » 
Sauf que son temps, il le gaspille en abimant aussi ses proches, il participe de la violence et à une déculturation qui le fait souffrir chez les autres tout en restant passif face au décor.
Quelques formules sont heureuses : 
« Petits copeaux de réel sur l’établi du temps »
Il faut des efforts pour que le moindre flocon de neige ne tourne au chagrin. 
« Pourquoi la neige n’a-t-elle définitivement plus cette façon enfantine et joyeuse de tomber ? C’est moi qui suis très vieux, et pourtant, par moments, en tournant la tête vers le ciel, j’arrive à ne plus rien voir de cette boue dégueulasse vers laquelle va s’échouer la blancheur. » 
Le nounours pendu de la couverture n’est pas trompeur. 
A offrir avec un baril de Xanax.

vendredi 22 octobre 2021

Le Postillon. N° 62. Automne 2022.

Je continue à lire le bimestriel grenoblois radicalement anti technologies nouvelles, 
bien que mis dans de mauvaises dispositions à cause de leur positionnement anti pass pourtant habillé d’humour : «  Siamo tutti antipassti »
Ils ne vont pas au-delà des étiquettes pour comprendre ce qui amène l’extrême gauche à manifester aux côtés de l’extrême droite et des « intégristes criant-sans aucune ironie : « touchez pas à nos enfants » », voire à suivre Didier et Raoul suppôts de Philippot.
L’usage des jeux de mots donne du punch aux articles : «Cafetiers pas cafteurs », cependant le contenu n’en est pas moins parfois contestable à mes yeux. Le mélange des genres nuit parfois à leur crédibilité quand l’ironie submerge l’information. 
Par contre dans la parodie, ils sont dans leur élément : un faux publireportage concernant les « e-shoes », chaussures à assistance électrique révèle avec verve les absurdités de certains engouements contemporains. 
Et leur page rigolarde après la défaite de Piolle aux primaires écologistes les amène à dresser un tableau piquant des loosers de la cuvette : 
«  Les bibliothécaires grenobloises. Cinq semaines de grève contre le passe sanitaire après avoir manifesté des mois contre la fermeture des bibliothèques il y a cinq ans, mais pas un seul article dans la presse nationale, ne serait ce que dans Libération. Meghan Markle change de chaussettes  et BFMTV arrête ses programmes. Si l’attaché de presse des bibliothécaires n’est pas un tocard, qu’est ce que c’est alors ? » Depuis la presse nationale en a causé. 
A mon avis, c’est leur combat qui n’est pas le bon : alors que chacun doit prendre sa part dans la lutte contre la pandémie, leurs positions outrancières ne peuvent que susciter l’incompréhension. 
Quant au chœur des soignantes ayant refusé la vaccination: elles geignent autour d’une situation qu’elles ont-elles-mêmes créée. 
Les critiques des rédacteurs sont affutées pour déceler le ridicule des discours technocratiques et la vacuité de certaines innovations tels des chèques cadeaux proposés aux citoyens qui ont bien trié leurs déchets. La numérisation du service des Métrovélos ne pouvait qu’attirer leurs remontrances.
Et c’est leur originalité que d’apporter des éléments vus nulle part ailleurs à propos du dossier de la « Papothèque », structure en difficultés financières qui s’occupe des personnes âgées dans le quartier du Lys rouge en soulignant les contradictions de la majorité municipale et l’opportunisme des oppositions. Leur vigilance concernant «  La Seveso valley » est salutaire et leur positionnement à côté d’une salariée abusivement licenciée du Synchrotron est attendu comme leur dénonciation des lenteurs d’Actis à propos de logements mal isolés voire insalubres. 
Leur coup de patte spécial sera cette fois pour Glenat et ses évasions fiscales et les tests comparatifs concernant les « bars-concepts » ne leur font pas vraiment une bonne publicité.
Les dilemmes des associations invitées à s’installer dans le nouveau centre commercial Neyrpic à Saint Martin d’Hères sont intéressants car nous sommes amenés à nous faire à l’idée que des démarches inédites sont à entreprendre lorsque les formules de l’éducation populaire « ne font plus recette ».
Ils abordent rarement les sujets culturels, mais à l’occasion de la sortie d’un livre : « Grenoble calling, une histoire orale du punk dans une ville de province », ils partagent l’humanité des rédacteurs mais trouvent que la musique est trop bruyante.