jeudi 24 juin 2021

Le courage de la nuance. Jean Birnbaum.

Nous révisons ou découvrons sous la plume du directeur du « Monde des livres »: Albert Camus,  Hannah Arendt, Raymond Aron, Georges Bernanos, Germaine Tillion, Roland Barthes, George
Orwell, le père de l’expression : « la décence commune » qui en avait appelé aussi à « la franchise simple et commune ». Mots
élémentaires de notre humanité.
Séparée par des interludes, l’évocation sur 130 pages des pensées de ces personnalités répond bien au projet de la rédaction d’un essai : 
« qui au sens propre, essaie, tâtonne, tente quelque chose, et dont la force n’est pas de trancher mais d’arpenter ces territoires contrastés où la reconnaissance de nos incertitudes nourrit la recherche du vrai. » 
Dans quel état en sommes nous rendus, qu’il faille faire appel à d’éminents penseurs pour aller à l’encontre de tant de lâchetés péremptoires visant à annihiler tout débat en particulier sur les réseaux sociaux ? 
« Chacun s’y cherche des ennemis déclarés, tout le monde y fuit les contradicteurs loyaux. » 
Une occasion de respirer, car  
« nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument  raison »  
comme disait Camus qui en a vu bien d’autres.
Manuel de premier secours particulièrement indispensable en ces temps haineux, il plaide pour la littérature, l’humour, le respect du contradicteur, contre le déni des réalités, et recommande de garder la conscience de notre inconscient et la volonté d’échapper à la sacro sainte crainte de « faire le jeu de l’adversaire ». 

mercredi 23 juin 2021

Chartres # 3

La cathédrale organise deux visites commentées et vend les billets sur place à la carterie
La première nous offre la possibilité d’accéder aux combles.
A 14h 30, une guide nous regroupe et nous entraine dans un escalier en colimaçon du côté Nord.
Elle prévoit l’ascension en plusieurs haltes.Tout d’abord, elle choisit un arrêt en plein air, où nous sommes protégés derrière des fenêtres à lancettes  ouvertes sur 3 côtés avec au-dessus de nos têtes une voûte et à nos pieds un bouchon donnant sur l’étage inférieur.
Du grillage aux ouvertures  préserve de la présence nuisible des pigeons.
De là, face au 4ème côté, nous donnons sur l’envers des vitraux en attente de restauration. Notre conférencière nous montre les différentes oxydations, couleur sable, ou vert de gris, variant selon la teinte de la pâte de verre et les agressions multiples.
Elle décrit un système moderne destiné à leur rendre leur éclat tout en les protégeant, et s’aide d’un exemple déjà accompli sur une verrière voisine.
Nous profitons d’une belle vue sur les arcs-boutants.
Puis nous longeons un cheminement étroit à la base du toit sécurisé par une balustrade, au- dessus de la ville.
Nous croisons sur la coursive un pigeon étripé et décapité par un rapace, ce qui est finalement un  moyen naturel de se débarrasser de cette engeance envahissante et dévastatrice !  Après avoir l'avoir enjambé, nous parvenons à la tour nord.
Cette  2ème étape ressemble à la première, abritée  sous une voûte, avec plus de vent s’engouffrant par les ouvertures grillagées. Il reste des gonds, ce sont les vestiges des ventaux  chargés de rabattre le son des cloches vers le bas.
Nous  franchissons la porte du fond, et  pénétrons dans le grand comble. Nous y accédons par l’une des 2 extrémités : Une charpente en métal, en fonte je crois, recouvre toute la longueur impressionnante de la nef et des transepts. Elle remplace depuis le XIX°/ XX° siècles celle en bois, trop inflammable. C’est un magnifique jeu de tubes en forme de voûte qui repose sur des bases anciennes de la  toiture, aujourd’hui  en cuivre. A terre, des bosses correspondent  aux  arches du plafond de l’église, comme de petits bulbes bien alignés. De petites fenêtres trilobées  ajoutent au rythme de l’architecture et laissent  passer  la lumière. Le vent souffle en continu, élément sonore inquiétant que les ingénieurs ont dû prendre en compte dans leurs études.
L’ampleur et l’esthétique de la construction nous saisissent d’autant plus que cette partie des monuments est rarement présentée au public, ici, l’envers du décor montre vraiment un beau savoir-faire. 
Nous revenons et  redescendons par un remarquable escalier à vis avec des marches lisses et patinées, à la recherche sur les murs, ça et là,  de signatures des tailleurs de pierre : un escargot, un serpent .., mais pas de noms.
Nous voilà rendu à nous même.
Et pour patienter, avant la 2ème visite que nous avons retenue, nous sortons étudier avec attention  le portail sud  grâce à notre petit livre.
A 16h45, nous rejoignons un nouveau  groupe  pour  nous plonger cette fois ci dans les sous-sols de la cathédrale et la crypte. Le guide, jeune et pince sans rire connait très bien son affaire. Il nous accompagne dans la déambulation de ce qui fut la 6ème cathédrale construite à Chartres qui en a connu sept.
Nous démarrons  par l’observation de trois maquettes tenant compte de l’évolution de l’édifice, placées près des fonds baptismaux.
Plus loin, des chapelles romanes et baroques alternent  et proposent des tailles de fenêtres ou des voûtes différentes. Malheureusement, un ancien responsable de la cathédrale avait jugé bon de « nettoyer » la partie en U et les oratoires en les uniformisant avec une peinture de couleur sans intérêt, perdant à jamais la trace des riches revêtements antérieurs. 
Cependant quelques parties  réchappèrent  à ce badigeonnage  sacrilège. Très encrassées, les spécialistes ne désespèrent pas avec des moyens modernes de les rénover et de mettre à jour les couches anciennes.
Nous passons devant un puits à base carrée, selon la mode celte, et de forme ronde à la romaine, d’une profondeur de 30 mètres. La légende raconte que les 1ers chrétiens y auraient été précipités, mais  aucun reste humain ou preuve n’étaye cette hypothèse.
Des vitraux modernes ne déclenchent pas notre enthousiasme notamment celui réalisé par un prêtre coréen ou celui  soi-disant figuratif  avec Marie et des anges. Enfin nous traversons un dernier sanctuaire utilisé encore pour les messes de la semaine. Il  est caractérisé par une sculpture de la Vierge et son enfant sur les genoux dans une position impossible à tenir.
Nous avons parcouru la Cathédrale « des (bas) fonds aux combles » et rassasiés d’informations,
nous  nous lançons maintenant dans l’itinéraire touristique fléché de la basse ville jusqu’aux petits ponts qui chevauchent l’Eure.
Nous  admirons les vieilles demeures : la doyenne de Chartres, un ancien atelier de vitraux plus ou moins abandonné possédant une  grande verrière et une galerie adjacente ne manque pas de nous charmer. Il émane de sa désuétude et de son début de décrépitude une douce nostalgie.
Nous remontons tranquillement  vers la grande place du parking plus moderne  et après quelques emplettes rentrons à Lucé.
Nous mangeons à la maison ce soir : gaspacho bière biscuits et raisin. 
Le ciel se pare d’un bel  arc en ciel, pourtant, il ne pleut  pas. Après un réchauffement  imputable au dieu Ra, Eole l’emporte et la fraîcheur  voire le froid gagne la partie.
Guy a été méchamment piqué côté droit ; son  visage son  bras et son dos, sont  recouverts de grosses bouffioles gonflées et dures  occasionnant de bonnes démangeaisons ! Quel insecte en est responsable : araignée, puce, punaise rencontrés dans les combles ?

 

mardi 22 juin 2021

Le tour du monde en 80 jours. Jules Verne. Younn Locard Jean Michel Coblence.

Sur ce blog, il a été question de Jules Verne à propos d’aventures dans le domaine artistique 
et du dessinateur de cette BD 
Quant à l’adaptateur, il s’était déjà attaqué à Hugo et rend ici un récit limpide d’après un maître du roman d’aventure.
Il est vrai que l’œuvre originale de 1872 offrait des trésors d’imagination, de rythme, de surprises, au service d’un optimisme qui en faisait un incontournable de la littérature jeunesse. Les personnages sont bien campés : Fogg au flegme anglais, son valet Passepartout français débrouillard et la veuve indienne, sauvée du bûcher, épousera le gentleman.
L’inspecteur Fix est à leur poursuite : 
«  J’ai lancé sur vous les prêtres de Bombay, je vous ai enivré à Hong Kong, je lui ai fait manquer le  paquebot pour le Japon… »
De Londres en passant par Suez, Calcutta, Yokohama, San Francisco et New York, Philéas Fogg revient juste à temps au Reform club, retrouve ses parties de whist et les journaux qui lui ont donné l’idée de partir. 
Le duo complémentaire maître/valet traverse les forêts profondes, les plaines infinies, éprouve tous les temps et les typhons les plus puissants, par trains et steamer, mais aussi en éléphant et en traineau. La fortune du héros lui permet d’effacer tous les obstacles qui auraient pu le retarder, allant jusqu’à acheter un bateau. Il gagnera son pari auquel le ponctuel Philéas ne croyait plus: parti vers l’Est, il a bénéficié d’un jour de plus.
Le titre reste mythique et nul ne se lasse de ces voyages dans le temps et l’espace parfaitement adaptés au neuvième art qui a multiplié les versions, ici en 60 pages.

lundi 21 juin 2021

Les Chariots de feu. Hugh Hudson.

Le film préféré de Jo Biden date de 81, il montre que le sport est bien plus qu’une affaire de chaussures à pointes.
Un jeune écossais presbytérien et un juif anglais se préparent pour courir aux jeux olympiques  de Paris en 1924. Au-delà des entrainements qui voient un jeune lord poser des verres pleins sur des haies pour s’astreindre à ne pas heurter les obstacles, ce sont surtout les motivations des athlètes qui sont discutées : foi religieuse et volonté d’insertion dans la société.
Alors qu’il est toujours difficile d’insérer des images de compétition parmi des scènes dialoguées, nous pouvons partager ce qui permet de transcender les champions quand l’ambition est un puissant moteur.
Alors n’intervenaient ni agents, ni la télévision, mais des questions quant à l’amateurisme commençaient à se poser et c’est passionnant quand à la sortie des tueries de 14-18, la vie reprend ses droits et que le monde se transforme. Ma comparse se montre critique envers la musique de Vangélis, qu’elle trouve sommaire, alors que ce fut un succès planétaire reconnu même par ceux qui n’épargnent guère le scénario. 
J’aime bien les jeunes gens qui courent sur la plage au son d’un synthétiseur, les discours de vieux profs, les collines écossaises, les traversées en bateau, les cigares de l’entraineur et les chapeaux des cantatrices, le fil de laine à franchir le premier…

dimanche 20 juin 2021

Biface. Bruno Meyssat.

Pour évoquer la conquête de Mexico au temps de Charles Quint, les cinq personnes présentes sur le plateau ont un papier à la main quand ils interviennent pour souligner que leurs mots proviennent à la fois des écrits de Cortès et des Aztèques. 
Certaines séquences énigmatiques rapprocheraient ce théâtre sans réplique des performances de l’art contemporain dont le symbole serait le cadre d’un paravent aux panneaux vides  au centre de la scène. 
Pour mieux suivre les recherches déconstructivistes actuelles, l'intitulé de ce "Biface" pourrait préciser : « documentation pour jouer à notre façon», comme je viens de le voir à propos du festival pour enfants du Grand Bornand « cirque théâtralisé et musical » ou « jonglerie comique et visuelle ».
Nous avançons parfois vers la disparition du spectacle vivant à force de voix off, de juxtapositions de fragments, où le public peu nombreux pourtant en ces instants de reprise est tenu hors du coup s’il ne fait pas partie des initiés.
Une conférence historique peut mieux éclairer les riches heures du colonialisme
En ce qui concerne la confrontation claire de deux récits, il y a eu au musée du quai Branly en 2015, une exposition remarquable mettant en parallèle, au Pérou, l'Inca Atahualpa et le conquistador Pizarro.
Afin de rendre compte un peu de ces deux heures, à la façon de ceux qui ne voient dans un match de foot que 22 gars en short courant après un ballon, j’aurais voulu m’amuser à énumérer quelques images suivant la froide procédure descriptive des médiateurs des FRAC. Mais ma subjectivité prend le dessus et décrète que des scènes fortes alternent avec d’autres que je n’ai pas comprises. 
Un acteur trace une figure en sable qu’un autre balaiera, un homme enlève ses habits en obéissant à son partenaire, l’un d’eux est entouré de ruban adhésif collé à une table de camping, manière de signifier la fixité de certaines représentations, une autre fois un acteur évoque Moctezuma, le roi Aztèque, habillé comme le christ d’un seul perizonium (« étoffe qui cache la nudité du corps du Christ dans les représentations de la Crucifixion »)… une bite de tissu se gonfle, des corps sont trimballés et des souliers claquent …
La sauvagerie de ces temps dits Renaissance, accentuée par les incompréhensions réciproques mêlées d’admiration, se retrouve jusque dans le récit saisissant de la mort atroce du tout puissant roi Philippe II. Les habitants du nouveau monde qui n’avaient jamais vu de chevaux confondaient les canons ennemis avec de grandes trompettes.  
« Montezuma avait réuni toutes les variétés d’oiseaux qu’il collectionnait. Ce fut mon grand regret que je les détruisis et cela faisait encore beaucoup plus de peine aux Mexicains et aux habitants des bords de la lagune, car pas un ne pensait que nous puissions jamais arriver jusque là » Cortés

samedi 19 juin 2021

La chartreuse de Parme. Stendhal.

« Fabrice à Waterloo » figure parmi un des épisodes les plus fameux de la littérature française; « il faut avouer que notre héros était fort peu héros en ce moment » 
L’honnêteté de l’écriture, son naturel, se retrouvent tout au long des 529 pages.
« Mais le lecteur est peut être un peu las de tous les détails de procédure, non moins que de toutes les intrigues de cour. De tout ceci on peut tirer cette morale, que l’homme qui s’approche de la cour compromet son bonheur, s’il est heureux et, dans tous les cas, fait dépendre son avenir des intrigues d’une femme de chambre. »
Ces intrigues de cour peuvent sembler lointaines, les évanouissements plus vraiment de saison, les promesses démentes, les générosités démesurées et quelques bassesses inconcevables. C’est dans ce monument, le coup de pistolet : 
« La politique dans une œuvre littéraire, c'est un coup de pistolet au milieu d'un concert, quelque chose de grossier et auquel pourtant il n'est pas possible de refuser son attention. » 
En passant, l’air de rien, sont glissées quelques réflexions de bon sens : 
« L'amant songe plus souvent à arriver à sa maîtresse que le mari à garder sa femme ; le prisonnier songe plus souvent à se sauver que le geôlier à fermer sa porte ; donc, quels que soient les obstacles, l'amant et le prisonnier doivent réussir. » 
Le récit qui au détour d’une subordonnée donne des indications décisives est parfois contemplatif: 
« L’imagination est touchée par le son lointain de la cloche de quelque petit village caché sous les arbres : ces sons portés par les eaux qui les adoucissent prennent une teinte de douce mélancolie et de résignation, et semblent dire à l’homme : La vie s’enfuit, ne te montre donc point si difficile envers le bonheur qui se présente, hâte-toi de jouir »
 Il nous fait partager des passions en changeant souvent la focale. 
« L'amour observe des nuances invisibles à l’œil indifférent, et en tire des conséquences infinies. » 
Des amours invraisemblables peuvent se lire aujourd’hui comme d’utiles moyens de résilience.
Del Dongo arrive à la prison où l‘a mené le meurtre, présenté comme anodin, d’un rival : 
« Mais ceci est-il une prison ? Est-ce là ce que j’ai tant redouté ? » Au lieu d’apercevoir à chaque pas des désagréments et des motifs d’aigreur, notre héros se laissait charmer par les douceurs de la prison. » 
L’homme ne m’a pas semblé le personnage principal : la Sanseverina est forte : 
« … elle voulait toujours ce qu'elle avait voulu une fois ; elle ne remettait jamais en délibération ce qui avait été une fois décidé. Elle citait à ce propos un mot de son premier mari, l'aimable général Pietranera : quelle insolence envers moi-même ! disait-il ; pourquoi croirai-je avoir plus d'esprit aujourd'hui que lorsque je pris ce parti? » 
Clélia est déterminée : 
« J’ai fait vœu à la Madone, comme tu sais, de ne jamais te voir ; c’est pourquoi je te reçois dans cette obscurité profonde. » Ils vont concevoir un enfant.

vendredi 18 juin 2021

La société malade. Jean-Pierre Le Goff.

Celui qui sait si bien dénoncer les baratins n'a pas eu besoin d'aller bien loin pour trouver un titre à cette analyse de la période que nous vivons où les faiblesses de l’état ne se résolvent pas avec une verticalité à la fois réclamée et critiquée.
Le pouvoir : « gère tant bien que mal une société morcelée, impatiente et caractérisée par une mentalité victimaire d’ayant-droit. » 
Mais est-ce parce que je suis d’accord avec lui tout au long des 280 pages que je regrette  de moins retrouver l’originalité vigoureuse du philosophe par contre toujours aussi clair ?
Oui le confinement « a accentué fortement des tendances au repli individuel et au refuge face à un monde plongé dans la confusion et le chaos. » 
Ayant été lui-même atteint par la maladie, sa confiance en la science, ses attentes, pour n’être pas conventionnelles en ce moment, sont réconfortantes. 
« Les limites de la science et de la technique que certains considèrent comme l’incarnation d’une volonté prométhéenne de dominer la nature se faisaient sentir cruellement. » 
Le rappel des 30 millions de victime du SIDA est utile, et significatif l’effacement de la religion quand « se rendre dans un lieu de culte » n’a pas figuré comme motif d’autorisation de sortie alors que « n’étaient pas oubliés les besoins des animaux de compagnie ». 
Sa critique des médias et de « l’hôpital-entreprise » est juste comme est mesurée sa position face à la restriction des libertés et le mélange des genres entre science et politique.
«  La perte du « sens commun » ne concerne pas seulement une partie de la classe politique, mais nombre de journalistes militants et d’intellectuels qui ne s’embarrassent guère des «  réalités empiriques » pour faire valoir leurs propres conceptions. »  
A l’abord d’une conclusion qui n’oublie pas les bouleversements de nos héritages culturels, je me dis que ce livre illustre bien une phrase de Tocqueville qui  
«  soulignait que le despotisme nouveau se chargerait d’assurer leur jouissance [des citoyens] et de veiller sur leur sort » avant d’ajouter : 
« Que ne peut-il ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »