lundi 5 octobre 2020

The elephant man. David Lynch

Pour les peureux comme moi qui ont attendu quarante ans pour s’étonner encore que cette œuvre jalon de l’histoire du 7°art, soit inspirée par une histoire réelle, les premières images, évoquant le mystère et l’effroi que nous redoutons, nous amènent à regarder la vérité en face. 
Le choix du noir et blanc, décrivant magnifiquement le XIX° siècle, suggère une dimension allégorique condensée dans ce cri :  
« Je ne suis pas un animal, je suis un être humain». 
Les portraits des bons et des méchants sont typés, mais l’engouement des foules sordide ou altruiste nous interroge, et la générosité d’individus, leur évolution nous rassure sur la nature humaine. 
Dans ce miroir, interdit au monstrueux John Merrick, nous pouvons examiner notre goût du sensationnel et nos besoins de reconnaissance, le conformisme de nos préjugés, sans avoir l’impression de subir quelque leçon. Un beau film.

 

dimanche 4 octobre 2020

Partout la musique vient. Julien Clerc.

A l’écoute du chanteur qui commença dans « Hair», comédie musicale d’hier, j’ai connu des hauts, «  Ce n’est rien », et des bas, «  Petits pois lardons » ; la même impression contrastée me revient avec son dernier CD.
Il se trouve que c’est le moins connu de ses paroliers qui a commis :  
« Je marche pieds nus sur le carrelage italien je crois » 
ou «  l’image garde une qualité numérique »
et lorsque « Pierrot s’enfonçait dans l’histoire de Violette » nous atteignons le fond du kitsch ; il s’appelle Duguet- Grasser.
Alex Beaupain (AB) lui va parfois bien :  
«  Partout la musique vient », célébration de la vie qui pulse, « entendez ma douleur » se poursuit en tralala, 
ou «  Va-t’en si tu veux » quand la vitalité répare la séparation. 
« Danser » « sur les tombes et sous les bombes », bien que conventionnel, s’entend volontiers.
Mais A B, le jeune chanteur désenchanté 
ne convient pas toujours au septuagénaire que j’aime pour ses envolées. 
« Gagner la chambre » est davantage dans la confidence comme « Encore un verre » ou « Tout » aux accents delermiens que je verrai mieux susurrées par l’original : 
« Tu sais le monde vieux, tu sais le monde cruel» 
J’aime quand il tombe volontiers dans des bras :  
« Elle a pris mon cœur et mon cœur s’est épris » dans « On ne se méfie jamais assez ».  
« Mon Cœur hélas » est très sollicité : « cloué au lit à même le bois ». 
Dans la mélancolie de Le Forestier, « On va, on vient, on rêve » à laquelle il apporte quelques épices, la réussite est là : 
« Je suis venu tendre et stupide
Hanter la maison du bonheur
Je suis entré comme un voleur
Et j’ai trouvé la maison vide. » 
Mais c’est Carla Bruni, oui, qui lui fournit les paroles les plus belles avec « Les amoureux » : 
« Et d’où viennent les gens frêles
A la merci d’un rien, d’un regard, d’un péché,
Les inquiets, les fragiles, les bergers sans étoile
D’où viennent les naufragés » 
Les plus déchirantes, « Le chemin des rivières » 
« Je sens le bois se faire à ma peau
Je sens l’hiver se faire à mon âme
Et mes souvenirs doucement prendre l’eau » 
Des accents de « Lost song », de la délicieuse «  Double enfance », voire de l’intro de « Black is black » se repèrent dans quelques mélodies, trahissant une difficulté à se réinventer; j’opterai pour le plaisir des retrouvailles.

 

samedi 3 octobre 2020

Histoires de la nuit. Laurent Mauvignier.

Le livre que lit une maman à sa fille avant qu’elle s’endorme est intitulé « Histoires de la nuit ».
En une nuit, les histoires des personnages attentivement exposées tout au long des 635 pages vont se révéler, exploser. 
Même dans le hameau le plus reculé, derrière un panneau que personne ne lit, « L’Ecart des trois filles », nul n’échappe au passé. 
«  Et tout ça pour faire quoi dans un bled pourri du centre de la France, au milieu de rien, de champ suintant le pesticide et le cancer, l’ennui, la désertification et le ressentiment ? »
Commencé comme une chronique campagnarde dans la veine de la bienfaisante Marie Hélène Laffon http://blog-de-guy.blogspot.com/2014/11/joseph-marie-helene-lafon.html , le roman se poursuit en un huis clos palpitant mené par une écriture enveloppante dont les ralentis approchent de la vérité tout en mettant en jeu les violences.  
« … pour ne pas l’effrayer, est ce que ce sont des choses qu’on peut dire devant une fillette ? Est ce qu’on peut parler de ces menaces, de cette méchanceté, est ce qu’on ne doit pas la préserver et lui faire croire la plus longtemps possible que le monde qui nous entoure n’est pas peuplé de fous furieux, ni d’aigris, de jaloux, de mesquins ? » 
La distance entre les paroles rares et les intentions est marquée lors des dialogues intérieurs de chaque protagoniste, dans leur singularité, leur sincérité, leur quête, leurs contradictions.
La petite fille: 
« Ida comprend comment les choses se logent comme des bêtes dans les planches qui pourrissent dans la grange, des insectes qui grignotent le bois sans qu’on s’en aperçoive. » 
Sa maman : 
« Si elle ne le formule pas, la vérité c’est qu’elle rit d’avoir enjambé sa peur et d’avoir pu la tenir en bride et la faire plier. » 
La voisine artiste a noté dans ses carnets :  
« La culture, c’est ce qu’on nous fait, l’art c’est ce que nous faisons » 
Et celui qui tombe sur cette phrase : 
« Lui, ça l’étonne, ce genre de phrases ; Il ne comprend pas. Ce genre de citations. Yves Klein. Ne pas savoir qui c’est ce nom. Ne pas comprendre le blesse. »
Il est beaucoup question de la peur, des distances sociales, de peinture  et  d’écriture, et c’est tout à fait ça : 
« … recouvrir et faire jouer la transparence, recouvrir jusqu’à ce qu’une forme apparaisse qui n’a rien à voir avec celles qui, du dessous, ont rendu possible celle qui apparaît par superpositions, glacis, enregistrant des strates et faisant mémoire des couches qui ne se laissent pas dissoudre tout à fait et remontent, vibrent en s’effaçant… » 
Fort comme d’habitude et en même temps renouvelé; très fort.

vendredi 2 octobre 2020

Le goût du vrai. Etienne Klein.

La collection «  tracts » chez Gallimard au format court (58 pages) participe utilement au débat d’idées. 
Entre deux humoristes, l’entretien radiophonique du matin, m’a donné envie d’aller plus loin, tant la réaction du philosophe des sciences évitant de s’adresser principalement à ses pairs est claire comme de l’eau de roche
Il met en évidence quelques biais qui entravent nos compréhensions :
on croit ce que l’on aime croire,
on croit not’ maître,
on a oublié que « le cordonnier doit s’arrêter au bord de la chaussure »
et que « la science prend souvent l‘intuition à contre-pied ».
Jadis, le temps était constructeur, aujourd’hui «  la rhétorique de l’innovation s’appuie sur l’idée d’un temps corrupteur ». Le progrès a disparu.
Le vulgarisateur illustre d’une façon convaincante la réconciliation de la connaissance et de la passion, « l’émotion de la quête » pour combattre le populisme scientifique.
Mais « circulent dans les mêmes canaux de communication des éléments appartenant à des registres très différents : connaissances, croyances, informations, opinions, commentaires, fake news… »
L’enseignant en physique quantique parsème ses pensées de riches citations : 
« Il est difficile de dire la vérité, car il n’y en a qu’une, mais elle est vivante, et a par conséquent un visage changeant » Kafka.
Il  replace nos querelles dans l’histoire, datant de Galilée la séparation de l’homme et de la nature, sans renoncer aux avancées scientifiques pour réparer les dégâts causés à la planète. 
« Est-ce avec la physique d’Aristote que nous stabiliserons le climat ? 
 Avec la médecine d’Avicenne que nous parerons aux attaques du coronavirus et de ses successeurs ?
Avec la biologie de Pline l’Ancien que nous préserverons la biodiversité ? »

jeudi 1 octobre 2020

Femmes des années 40. Musée de La Résistance.

Sous le slogan des années 70 : 
« Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme»,
un panneau en fin de parcours de l’exposition qui se tiendra jusqu’au 4 janvier 2021 pose la question : «  la libération a-t-elle libéré les femmes ? »
Le droit de vote qui ne figurait pas dans le programme du Conseil National de la Résistance leur avait été accordé enfin en avril 44, mais des rappels d’une longue marche débouchant sur des thématiques actuelles sont nécessaires :
création du premier planning familial à Grenoble en 1961
alors que la contraception n’a été reconnue qu’en 1967
juste après qu’elles n’aient plus besoin du consentement du mari pour ouvrir un compte en banque (1965).
« La pression nataliste était à son paroxysme durant les années d’après guerre. »
Et il est nécessaire de se rappeler Olympe de Gouges 
« La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune»
pour que celles qui sont mortes dans les camps ou qui ont résisté aient droit de cité dans nos mémoires.
Les femmes ont toute leur place dans la collection permanente très bien présentée du musée de la rue Hébert à Grenoble, bien au-delà des tentatives orthographiques récentes qui compliquent les accords, alors que l’engagement vers une égalité homme/femme est toujours nécessaire.
Marie Reynoard n’est pas que le nom d’une école pour parodier une accroche publicitaire du musée : « Jean Perrot n’est pas qu’une avenue », mais ces hommages qui éveillent nos curiosités sont tout à fait indispensables à l’heure où l’on déboulonne plus facilement qu’on n’honore. Parmi les héroïnes dont la jeunesse se remarque souvent, le récit de la fin atroce de l’ancienne prof au lycée Stendhal, dirigeante du mouvement Combat, désigne les infirmières du camp de Ravensbrück qui l’ont achevée.
Les témoignages ne manquent pas qui n’ont pas forcément valu une médaille, mais c’est tout l’intérêt de cette mise en valeur des actes du quotidien pour assurer les repas, l’habillement et les soins qui leur étaient habituellement dévolus.
Vêtements, tracts, affiches, cartes de rationnement mais aussi de grossesse, tampons pour faux papiers, constituent des supports émouvants. Les « queutières » faisaient la queue pour les autres. 
Ne sont pas oubliées celles qui firent de « la collaboration horizontale » (100 000 enfants nés de la guerre) pas forcément aussi coupables que celle qui s'était infiltrée dans le maquis du Vercors et travaillait pour les nazis, mais elles avaient déchaîné quelques tondeurs ou frappeurs qui n’avaient pas compris les mots d’Yves Farge commissaire de la République:  
« gardons nous des jugements prématurés et des égarements de la passion. » (26 août 44)

 

mercredi 30 septembre 2020

Queyras. Pierre Witt. Marianne Boilève.

Ces 144 pages composent bien plus qu’un joli livre de syndicat d’initiative, car le texte n’est pas qu’un accompagnement aux photos en noir et blanc, mais une occasion de réfléchir au progrès, à la tradition.
Le propos n’est pas nostalgique et si la sympathie envers les habitants de haute montagne est évidente, les contradictions sont évoquées, l’entre soi pointé.
Une écriture poétique anime les pierres polies des étables jusqu’aux roches inaccessibles. 
«  Le Queyras, une île frangée d’immenses vagues pétrifiées, infinies… Assauts successifs, écume de neige, obliques de pierre, lancés en tous sens par un vent nerveux. » 
La métaphore de l’île est particulièrement efficace et l’évolution des hommes vis-à-vis de la nature finement exprimée : 
«  … d’alliée nourricière, la nature a été promue attraction de choix dans un cirque de montagnes à la magnificence estampillée. »« Maintenant les forêts peuvent manger le bas des terres arables, le loup peut revenir : les visiteurs apprécient. Les paysans moins, mais qu’importe, il y a en a si peu. »
La couverture un peu terne n’est pas significative des portraits photographiques dynamiques ni des paysages d’ombres noires et de lumière blanche forts, beaux. 
« Et comme on fredonne un refrain réveillé de l’enfance, ils caressent avec nostalgie ces « sept mois d’hiver, cinq mois d’enfer », label livresque accordé au temps passé. »

 

 

mardi 29 septembre 2020

Michel et le grand schisme. Pierre Maurel.

« Tous ces flics et ceux qui les soutiennent, qu’ils soient politiques ou de simples citoyens, qui soutiennent cette violence gratuite, ils ont cassé la mayonnaise. Définitivement. Ils ont déclenché une sécession invisible. »
 
La quatrième de couverture annonce lourdement la couleur : jaune comme les gilets, avec en face parmi les citoyens cités dont je suis, ceux qui ne voient pas seulement la violence policière. 
Pourtant les 80 planchettes aux petits dessins vite expédiés ne sont pas aussi irrévocablement manichéennes.
Michel, qui traine son micro dans les manifs, tient des propos radicaux mais sa naïveté, ses rondeurs et ses maladresses le rendent émouvant. Obligé de faire des petits boulots pour subsister, il doit subir bien des humiliations comme sa copine qui travaille dans la grande distribution. 
A l’imitation de quelques manifestants qu’il avait rencontrés, il va quitter la ville pour vivre à la campagne, pas trop loin quand même d’un restaurant à couscous, d’un marchand de pizzas et des amis. Mais comment a-t-il financé cette maison de rêve à une heure de la capitale ?
Le chroniqueur, un verre à la main, voit les trottinettes accumulées, les Smartphones multipliés, les SDF entassés au pied des grandes affiches des grands magasins où les pères Noël font peur aux enfants. 
Il est édité par «  L’employé du moi ».
Je préférais « Monsieur Jean », le bobo, plus léger, avant que les barrières de toutes tailles et de tous périmètres se dressent :