dimanche 9 décembre 2018

Clouée au sol. Gilles David. Georges Brant.

Quelle écriture : rythmée, poignante, décapante !
Quelle comédienne, seule en scène, s’écorchant, nous tenant en haleine, nous dépouillant !
Je croyais voir un spectacle de danse dans la salle de  L'Odyssée à Eybens puisque dans le catalogue de la MC 2 , il était question de corps, en réalité il y a très peu de mouvements, sinon avec la fermeture éclair d’une combinaison de vol. Pourtant, c’est vrai que le corps est mis en jeu jusqu’aux jointures des mains qui blanchissent sous l’intensité.
Quand j’ai relu le pitch : histoire d’une pilote d’avion puis de drone au moment de la guerre en Irak, je me suis demandé si je ne m’étais pas fourvoyé n’étant pas particulièrement porté à me mettre dans une peau sous uniforme US.
Pas du tout, au-delà de la réflexion sur la guerre, il est question de notre culpabilité, de nos vies devant les écrans. De surcroit, je ne suis pas amateur de fiction mettant en jeu des mutants mais nous sommes devenus malgré nos esprits forts, des esclaves du virtuel, des aveugles face à nos pertes d’humanité. Il faut bien passer par des situations extrêmes où des écrans jaillit la mort pour nous faire décoller un peu de devant nos windows réfrigérés.
Elle aime son mari et sa fille, après une période baignée dans le bleu, elle a atterri à la « rocking chair force », et voit le monde en gris dans la position intenable de Dieu. Elle-même vit sous l’œil des caméras de surveillance comme son mari dans son job de croupier.
Où sommes-nous, nous ?  Au théâtre, dans le désert autour de Las Vegas et dans le désert du pays des premières écritures, à regarder une comédienne forte et face à nous même avec comme rachat, le plaisir d’une découverte et  celui de comprendre un propos, intensément

samedi 8 décembre 2018

L’homme qui marche. Yves Bichet.

Comme on m’avait prêté ce livre, je me suis appliqué à aller jusqu’au bout des 200 pages.
Mais une fois encore avec cet auteur, je ne me retrouve pas dans les éloges qui lui sont adressés où même ses descriptions de la montagne me semblent conventionnelles; quant à sa vision de la condition humaine, il est permis de la trouver bien hostile aussi bien par la voix fatiguée de Coublevie, le narrateur, du nom d’une commune voisine de Voiron, qu’avec des personnages qu’il ne fait qu’apercevoir, gueulant à l’amour mais ne s’accordant aucun instant d’attention, accumulant les phrases absurdes et conventionnelles.
« Temps pourri sur Briançon, un bonnet fuchsia sur la tête de la gamine, une chanson débile et une chienne avec un nœud sur la tête… Plus ça va moins ça va … Et si ça continue, faudra que ça cesse. » Il a baptisé sa chienne du prénom de son ancienne femme.
Nous suivons un chemineau comme le désignait Jean Richepin, mais ce roman de 2018 est tout le contraire de la vision heureuse de l’auteur de « La chanson des gueux » (1876)
Le style du romancier qui mentionne volontiers qu’il a rénové lui-même sa maison, est artificiel, le fil du roman bien ténu, l’ambiance malsaine.
« …une infirmière qui empeste l’eau de lavande. Ça me file des haut-le-cœur, ce parfum. Je manque dégueuler et puis non finalement ça passe. »
Jusqu’ à ce qu’un médecin vienne l’examiner. « Il a une haleine de rat. »
J’avais été attiré par un de ses premiers ouvrages au titre qui me parlait tant : « Les Terres froides ». Je viens de cette région du Dauphiné, et son père, le docteur Bichet, était le médecin de notre famille. Mais cette proximité m’avait très rapidement mis mal à l’aise sous sa plume sans tendresse, au point de me retrouver dans la situation des paysans décrits par Pierre Jourde dans son remarquable « Pays perdu ». Se reconnaissant dans des portraits peu flatteurs, ils avaient accueilli à coup de pierres cet écrivain autrement plus fort.
Ci-dessous sont rassemblées des silhouettes aperçues entre deux fuites du SDF passant d’un bistrot à une construction en ruine sur la frontière entre la France et l’Italie.   
« … Bon débarras ! Tout le monde tire la gueule ces jours : Sylvain Taliano derrière son zinc, Mounir qui se désespère de se trouver une blonde, Camille qui guette l’amour derrière son œilleton, et peut être même le Chinois à lunettes de la rue Flandrin qui recense les clients snobant son échoppe… Chacun se plaint et gémit sauf les bambins dans leur bac à sable et mon cureton noueux sur La Ligne… ça laisse pantois, non ? Les adultes autour de nous se portent mal et les gosses sont bien portants. OK, on s’en fiche »

vendredi 7 décembre 2018

Jaunisse.

Loin, si loin où je puisse me trouver, du « bruit et de la fureur », je ne suis dispensé ni de la peur ni de la sidération quand l’effigie de Marianne se trouve éclatée sous l’Arc de triomphe.
Depuis les champs effacés de mon enfance, j’avais le sentiment que les Champs Elysées m’appartenaient un peu comme notre histoire de Charlemagne à « Charlot », comme les petits bateaux dans les bassins des Tuileries ou la gravité devant le mur des Fédérés.
Qui payera ?
Les carcasses de voitures calcinées rapprochent d’une imagerie de 68, tout esprit en allé, obstruant la réflexion. Les quelques tags au pied de la Marseillaise de Rude n’ont  plus rien des inscriptions quinquagénaires gaiement transgressives qui interpelaient les consciences printanières.
Que vaut une Porsche grillée face à la misère?
Nous rêvions d’un Tché pop art, notre monde 2018 est accablé par Trump.
Exploitant les colères de déshérités qui se réchauffent aux ronds points, ce sont nos enfants rois nés au quartier latin et leurs enfants qui vont au baston, ramassant le premier drapeau venu, tricolore ou jaune fluo plutôt que rouge. Les cocos viennent d’abandonner la faucille sur leur logo - pourtant depuis le temps qu’il y a des moissonneuses batteuses - dans l’indifférence générale. Brandir un tissu bleu blanc rouge n’empêche pas une image déplorable de notre pays quand sont saccagés des lieux d’éducation ou des boutiques de la rue de Rivoli.
Méprisant la culture, l’histoire et le respect des autres, la toute puissance des selfiés est sourde à la voix des raisonnables, que l’on n’entend guère. L’irresponsabilité va de soi, puisque les pseudos sont la règle. A l’heure où il est de bon ton pour les mieux pourvus de « lâcher prise », les plus démunis s’exhortent à « ne rien lâcher ». 
Certes l’homme n’a pas à être considéré «  comme un acteur économique isolé, rationnel et prédictible, mais comme un être changeant, pétri de valeurs contradictoires et interagissant avec ses semblables » (Le Monde). Dans la période, la complexité a du mal à faire son chemin.
Trop tourneboulé, j’hésite à m’exprimer, mais je m’y autorise au moment où je lis un éminent chroniqueur conseillant  au gouvernement le lundi de lâcher sur l’augmentation du gasoil et le mardi  lui reprochant de s’être couché. J’y vais donc de mon écrit  hebdomadaire destiné à être dépassé dans la minute. http://blog-de-guy.blogspot.com/2018/11/demission.html
Bien entendu je n’ai rien vu venir comme tout le monde, à part ceux qui en appellent depuis toujours à une rentrée chaude. Pour donner des leçons après coup par contre ça se bouscule, et dans le genre Hollande est Royal. La dignité et la pudeur s’oublient quand ceux qui flattent la haine ont pignon sur rue, alors la démocratie prend des coups. Ruffin ne fait plus rire.
Depuis le café du commerce à la vitrine fendillée, il est facile de constater que Macron avait l’intention de rassembler les centristes de droite et de gauche, il a rassemblé les extrémistes de gauche et de droite contre lui. Il y a  un problème manifeste de confiance et la paralysie guette, alors allons-y pour la dissolution et on verra.
Edgard Morin est toujours un recours avec ce bon mot :
« Les gilets jaunes sont le signe d’une crise de foi. »
Le déferlement des demandes contradictoires amplifie le constat qu’il devient difficile dans nos sociétés d’accepter la contradiction, la contrariété, les évènements négatifs de la vie : la maladie, la mort, un radar, un trainard, connard ! 
La pensée magique, «  on rase gratis », devient encore plus incongrue quand se libèrent les instincts les plus violents qui prennent les flammes des palettes voire des préfectures, pour des lumignons passés des chapelles aux trottoirs, pour quel deuil ? Les coûts seront bien plus élevés que ceux que nous devrons aux vitriers.
La planète est-elle dans un tel état désespérant que des foules de desesperados se défoulent dans un lâche et large (?) assentiment ?
Autant tout casser avant de se casser, tels les lemmings se jetant du haut des falaises.
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Les dessins viennent de Charlie, du Canard 
et de FB pour un dessinateur du "Monde"  ci dessous.

jeudi 6 décembre 2018

Caravage. Fabrice Conan.

Pour les élèves d’aujourd’hui la répétition n’est plus de mise, mais à mon âge le rabâchage est un plaisir augmenté quand il s’agit d’assister à une conférence devant les amis du musée de Grenoble. Il est question de rivalités et d’amitiés à l’époque où Michelangelo Merisi venu du village de Caravagio exerçait à Rome, de 1592 à 1606 jusqu’à ce qu’il parte en exil à Naples puis à Malte et en Sicile, après avoir tué un adversaire au cours d’un duel. Le Musée Jacquemart-André expose en ce moment dix de ses toiles sur la soixantaine qui lui sont attribuées jusqu’au 28 janvier 2019, organisant un dialogue avec des peintres de son temps.
Le « Garçon avec un panier de fruits »  figure ci-dessus plutôt que le jeune « Bacchus malade » déjà publié. http://blog-de-guy.blogspot.com/2016/03/le-caravage-et-les-caravagesques.html . Il possède le même fond sombre et un cadrage à mi-corps caractéristique d’une manière acquise lors de son itinérance dans les ateliers lombards où la représentation d’après nature était également travaillée. Caravage appartient à la maison du cardinal Del monte pour laquelle il est appointé, et il est associé aux cercles romains intellectuels influents.
« Judith et Olopherne » est un tableau majeur parmi tant des têtes coupées, bibliques de préférence : la concentration est à son comble et les visages de la jeune criminelle et de la vieille servante, œil vif, bouche haineuse, contrastés. Il était présenté sous un rideau de soie chez son propriétaire qui avait demandé à ses héritiers de ne pas se séparer du tableau.
L’œuvre concernant le même thème, d’Orazio Gentileschi, est bien plus sage, en regard également de celle d’Artémisia Gentileschi, sa fille qui l’a désormais dépassé en notoriété.  http://blog-de-guy.blogspot.com/2016/11/du-manierisme-au-baroque.html
La version de Carlo Saraceni est dans des tonalités plus douces, une lumière plus diffuse.
Pour les douleurs de l’âme, la musique est un réconfort, le luth au ventre rond et au manche vigoureux, peut y pourvoir, tandis que le crincrin s’anoblit. « Le joueur de luth » chante une partition de madrigal tout à fait lisible à côté d’une nature morte où un rugueux concombre figure parmi les fruits.
 « La Douleur d'Aminte »  de Bartolomeo Cavarozzi fut attribuée un temps au Caravage, mais cette fois la musique ne peut rien face au désespoir du berger qui vient d’apprendre que sa bien-aimée  a été dévorée par des loups.
Le jeune « Saint Jean Baptiste au bélier »  inspiré des « Ignudi » (nus) de Michel Ange est bien vivant, voire impudique,
comme « L’amour victorieux » dont le modèle est identifié sous le nom de Cecco, serviteur, amant, élève, qui deviendra peintre.
« L’Amour sacré et l’Amour profane » de Baglione est dans le style du maître du clair obscur mais le satyre est représenté avec les traits du scandaleux débauché.
« Saint François en méditation sur le crucifix » aux couleurs absentes est tout en intériorité.
Cigoli avait gagné le concours organisé autour du thème « Ecce Omo », mais pas Le Caravage, quand Ponce Pilate présente Jésus à la foule : «  Voici l’homme »... pourtant, voir ci-dessus.
Alors que Pensionante del Saraceni, livre un original et vigoureux « Reniement de Saint Pierre »
« Le souper d’Emaüs » rejoint son histoire. « Pendant qu’il était à table avec eux, il prit le pain ; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent ; mais il disparut de devant eux. »
Il peint en plusieurs exemplaires une sensuelle « Madeleine en extase » pleine de ferveur au moment où il se réfugie chez les Colonna, ses protecteurs de toujours, lors de sa fuite de Rome.
Sa disparition à 38 ans, lors d’une rixe ou bien épuisé par la maladie, alors qu’il revient vers la ville dont il connaît aussi bien les clients des tavernes que les puissants, laisse place au mystère et aux romans.  Par contre, sa marque dans l’histoire de l’art ne souffre pas d’incertitude.
« Si tu ne guettes pas l'inattendu, tu ne découvriras pas la vérité. » Héraclite



mercredi 5 décembre 2018

Lacs italiens # 1

A 7h 45 depuis Grenoble, direction l’Italie. Peu de circulation, nous passons le Fréjus sans problème en surveillant la vitesse en souvenir de radars qui furent efficaces pour un éternel retour sur les terres de nos cousins proches.
A partir des notes de ma femme,  commence ainsi, comme chaque mercredi à venir, le compte rendu de nos vacances 2018 dans la Nord de l’Italie. 
Passés la frontière, Guy est ravi par la dénomination « bande rumorosa » signalant la présence d’aspérités aux limites de la route.
Après Bergame, en l’absence d’aires d’autoroute, nous quittons  l’autostrade enserrée dans de hautes glissières, à la recherche d’un coin pour pique-niquer. Nous le trouvons à Calepio, village médiéval déserté où la route se termine en cul de sac, à côté d’un château et d’un jardin public face à un panorama grandiose sur la vallée. Nous nous attablons sous un arbre, seuls au milieu des jeux d’enfants et du monument aux morts dédiés aux « prodi » (valeureux). Nous mangeons les sandwichs de Paul après nous être bombardés de répulsif contre  les moustiques. Nous nous contentons d’un Caffè « netto » dans le bar local, sans céder au « correto » agrémenté de Grappa.
Poursuite de la route grâce au GPS de google maps, nous arrivons à destination vers 16h15 au milieu des vignes hautes sur pieds dont pas une feuille ne dépasse, chez Lucia Gabrielli, à San Pietro in Cariano.  
Le logement est charmant derrière son vieux porche de pierre dans l’enceinte d’une maison d’édition. Notre hôte nous introduit dans la demeure bien fraîche aux murs épais, dotée de la climatisation. Mais il est haut perché et pour y accéder, nous grimpons un 1er escalier, débouchons dans une belle bibliothèque aux tommettes anciennes où nous faisons trembler les vitres d’une armoire rien qu’en passant à côté ; enfin par un 2ème escalier aux marches usées, nous parvenons à notre appartement de 2 chambres munies de leur salle de bain, d’une grande pièce  à vivre avec cuisine.

Nous déballons nos affaires et partons au ravitaillement  au supermarché. La note nous semble bien inférieure à ce que nous escomptions avec un litre de Cinzano pour environ 5 €, produit le plus onéreux de nos achats.
Un ciel couvert nous surprend à la sortie. Avant de rentrer nous  poursuivons notre route au-dessus de Cengia où une église et quelques belles demeures dominantes promettent un bel aperçu de notre situation. Le point de vue en hauteur  porte le nom de Castelrotto ; la placette est mignonne avec son église, son bistrot en terrasse où les gens dégustent leur spritz d’un orange vif et un restaurant surplombant le site, le « Castrum » qui n’affiche pas des prix prohibitifs. Un petit vent léger se lève mais ne parvient pas à chasser la moiteur ambiante.
Retour à la maison : après un spritz à domicile, gaspacho, chiffonnade de mortadelle et de jambon de Parme, yaourt , pêches plates et chocolat.
Temps tranquille sous la clim bien réglée et réparatrice : lecture, tablette, écriture.

mardi 4 décembre 2018

Leçons de choses. Grégory Mardon.

Titre parfait pour le récit d’une enfance à la campagne, du point de vue d’un petit garçon nommé, comme tout le monde, Jean Pierre Martin.
La quatrième de  couverture évoquant l’exécution de chatons superflus donne une idée dramatique de l’album, alors que c’est l’innocence, l’émerveillement, l’imagination augmentant le réel qui dominent ces 80 pages.
Les couleurs ravissantes, le trait naïf, transcendent l’ennui, la cruauté, les aspérités de la vie dans un village sans pittoresque, permettant d’en faire un lieu commun à tous nos rêves d’enfants et à nos indulgences adultes.

lundi 3 décembre 2018

Carmen y Lola. Arantxa Echevarria.

Le désir d’émancipation sociale de la jeune Lola va de pair avec sa volonté de vivre sa vie d’homosexuelle, tabou majeur dans la société gitane.
Nous suivons la naissance de l’amour entre la jeune qui a envie de devenir institutrice et une autre fille fiancée depuis peu, engagée dans la trajectoire habituelle : coiffeuse, comme il semble que ce soit le sort pour les habitantes de cette banlieue de Madrid.
Les fêtes sont colorées, ensorcelantes et les sentiments qui doivent se dissimuler tracent à la bombe à peinture des cœurs enfantins.
Nous regrettons une uniformisation du monde, une banalisation des cultures, mais sous les claquements entraînants des talons, où la féminité est outrée, le conformisme est étouffant.
Ces conflits, ces contradictions, sont vivement exposés et l’apprentissage d’un type de relation amoureuse en milieu hostile, s’il est sensuel, n’alimente aucun voyeurisme.