dimanche 15 novembre 2015

Rio Baril. Florent Marchet.

Conviendrait parfaitement  pour illustrer une entrevue avec Christophe Guilluy auteur de « La France périphérique » http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/06/la-france-peripherique-christophe.html .
« Rio Baril », contrée imaginaire et ses habitants, décrite tout au long du CD, n’est pas vue de haut :
la mairie est fleurie,  mais
« les adolescents n’y reviendront plus »
même si les propos autour du méchoui  
«  très souvent je redoute ce que je peux y entendre ».
Impossible de ne pas penser dans les intonations à Souchon, mon chouchon, que j’ai évité dans ses récents duos mièvres avec Voulzy, mais le jeune Florent qui n’a pas connu Marchais n’a pas le même humour, ni  la gentillesse de son tendre ainé.
Dominique A, Philipe Katerine ont participé à l’album. On retrouve une ironie, un détachement très contemporain dont émane une poésie froide ayant dépassé le désenchantement.
 Dans le texte de « Il fait beau » :
« Mon père vient de se barrer sans même prendre le temps de gifler ma mère »
 Dans celui de « Sous les draps »
« Les souvenirs sont inutiles »
« La chance de ta vie » c’est :
« Tu auras, j’espère
Un boulot à plein temps
De la classe, du flair
La garde des enfants »
Et pour une rencontre avec « Ce garçon » poignante :
« Elle aimait sans comprendre
Asphyxiée
Quel est cet animal
Logé à l’intérieur
Elle voulait se défendre
Le cogner »
A reprendre chacun des 15 textes parfois parlés ou agréablement orchestrés avec des airs genre également Albin de La Simone, sans apprêt, sans tapage, une ambiance étrange s’impose, originale et moins futile qu’au premier abord.
« Ô mes amis changez d’adresse
Je voudrais devenir vieux
Ô les orties
Que l’on caresse
N’ont plus rien de merveilleux »
Pour conclure :
« Tout est oublié. Tout sauf ce mercredi de mes douze ans et le match raté. Dire qu’ils ont gagné le match sans moi. »

samedi 14 novembre 2015

Le grand voyage de la vie. Tiziano Terzani.

Le titre à la fois ambitieux et ordinaire est accompagné par un sous titre, tout aussi courant : 
« Un père raconte à son fils » qui m’a paru d’une modestie de bon aloi.
Il en va ainsi des 530 pages contrastées à la fois touchantes et agaçantes.
Atteint d’un cancer, un ancien journaliste passe le relais à son fils qui recueille ses récits et ses dernières paroles.
A la façon des best-sellers d’avant été qui suggèrent des recettes pour ne pas  trop déborder du maillot, j’ai suivi la démarche de l’octogénaire passé des fracas du siècle à la solitude, relativement  absolue. Le laboureur d’Asie « sentant sa mort prochaine, fit venir » son enfant.  
Il cherche à transmettre, bien qu’invoquant le détachement.
Le vieux Florentin employé de « Der Spiegel » (le miroir) a vécu une vie passionnante au plus fort des conflits, en Chine, au Viet Nam, aux USA, au Japon, en Inde.
L’évocation de moments où l’histoire se fait, par un témoin sincère est intéressante, bien que quelques remarques de son fils : « raciste envers qui ? » à l’évocation de la société américaine laissent pantois. Mais il évite la langue de bois :
«  Les intellectuels sont faits pour compliquer ce qui est simple, les journalistes pour simplifier ce qui est compliqué. »
Si ses emballements passés envers le socialisme lui laissent, en bout de course, une profonde perplexité, est-il possible d’évoquer encore des options lumineuses, quand les rougeoiements de tant de grands soirs se sont avérés être ceux du sang?
Le côté vieux sage m’a laissé circonspect avec quelques formules qui pourraient figurer dans tout manuel du genre: "la spiritualité pour les nuls"  :
« La destination c’est le voyage lui-même »,
« Lorsque l’élève est prêt, le maître apparait »
« La Vérité est une terre sans sentiers… »

vendredi 13 novembre 2015

Laïcité liberté école. Catherine Kintzler.

A l’invitation du Cercle laïque de l’agglomération grenobloise et de l’ UFAL (Union des familles laïques), l’auteure de « Condorcet, l'instruction publique et la naissance du citoyen » a tenu conférence au CRDP. On dit d’ailleurs maintenant au « Canopé », le mot « Documentation pédagogique » contenu dans « CRDP » n’étant sûrement pas  assez  vendeur.
Nous sommes dans le sujet.
Les propos exigeants venant de l’estrade visent à sortir des approximations contenues dans  des expressions telles que « le vivre ensemble » ou avec le concept anglo-saxon de tolérance qui tente de fédérer des situations existantes.
Le régime de laïcité articule l'abstention au sujet des croyances et la liberté d'expression dans l'espace social. Qui ne peut être en accord avec ces mots où le premier des termes de notre devise républicaine est en bonne place ?
Pourtant la confusion entre espace public et privé entraine parfois des arrangements qui donnent  la main aux communautés, alors que la position symétrique voulant éradiquer tout signe religieux n’est pas tenable.
L’élève qui ôte ses signes religieux en entrant à l'école publique et qui les remet en sortant échappe à la pression de son milieu et à toute standardisation étatique.
Foi et loi sont disjointes, il n’est pas nécessaire d’ajouter aux frontons de services public : « laïcité », mot bien français, souvent abimé par ceux qui l’adjectivent : « plurielle », « positive », « accommodante » voire  « en intelligence » et l’édulcorent.
Tout au long de l’exposé et des discussions, des échos décourageants, très actuels, me submergeaient qui vont exactement en sens opposé de ces principes d’une école sûre de ses valeurs émancipatrices. Il était question de Condorcet alors que notre indignation était toute chaude en ayant pris connaissance de  la vidéo  de Mélissa Theuriau au sujet du harcèlement à l’école : http://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs/2015/11/07/harcelement-jai-teste-la-video-polemique.html.
Quand le ministère se moque de ses agents, quel respect peuvent nourrir les élèves qui ne sont pas des usagers, et quelle confiance de la part des parents envers une école qui commande à ses enseignants d'abandonner toute exigence «pour avoir la paix» ? 
L’école ne doit obéir à aucune transcendance, à aucune finalité extérieure, ni Dieu ni Medef !  La pression néo libérale qui vise à contractualiser le droit, s’exerce jusque dans la négociation permanente dans les salles de classe et retarde les moments d’enseignement. Le tourbillon des mots des réformes permanentes depuis 30 ans, renvoie les mots « raison » et « école libératrice » à des musées fréquentés seulement par des hussards blanchis.
L’autonomie des établissements en cultivant les différences, les accroit.
Défendre les connaissances contre les compétences parait ringard. Toutefois on peut rêver d’un intérêt qui ne précède pas forcément ce qu’on apprend, mais le suit. En milieu dépaysant, l’enfant s’extrait de sa condition infantile, l’élève s’élève.
L’école est construite comme la République sur un fondement critique, pas sur l’enthousiasme ; ni violence, ni séduction. Le doute méthodique ne  peut se confondre avec la critique systématique qui se perd sous les rires enregistrés.
« En général, tout pouvoir, de quelque nature qu'il soit, en quelques mains qu'il ait été remis, de quelque manière qu'il ait été conféré, est naturellement ennemi des lumières. On le verra flatter quelquefois les talents, s'ils s'abaissent à devenir les instruments de ses projets ou de sa vanité: mais tout homme qui fera profession de chercher la vérité et de la dire, sera toujours odieux à celui qui exercera l'autorité. » Condorcet

jeudi 12 novembre 2015

Le douanier Rousseau. Gilbert Croué.

« Le primitif perdu au milieu des modernes », disait à Picasso : «Nous sommes les deux plus grands peintres de ce siècle, toi dans le style égyptien, moi dans le style moderne »
Devant les amis du musée, le conférencier Gilbert Croué a présenté l’œuvre d’Henri  Rousseau qui ne fut jamais douanier - ce surnom fut proposé par Alfred Jarry - mais employé de l’octroi. Le récit de sa vie apporte un éclairage utile sur un style singulier identifiable au premier coup d’œil.
« Le rêve », sa dernière toile tonique, exubérante, avec ce sofa au milieu d’une jungle aimable, est en majesté au Moma à New York comme d’autres tableaux qui ont trouvé leur place dans les musés les plus prestigieux. Certains ont été retrouvés chez un plombier, dans une ferme, chez sa blanchisseuse ; Picasso en acquit et son ami Delaunay aussi.
Sa poésie, son efficacité picturale, sa spontanéité, furent reconnues par certains de ses pairs dont Signac,  Gauguin, Cabanel… Il s’était mis à la peinture à 41 ans.
Né à Laval en 1844, il déménage à Angers après la faillite de son père ferblantier. Il travaille chez un avoué mais doit s’engager dans l’armée après avoir commis un petit larcin. Il fait partie de la musique du régiment du 5° génie, se montrant attentif aux récits de soldats revenant du Mexique. Il deviendra d’ailleurs plus musicien que peintre, écrivant des poèmes, des pièces de théâtre,
Il s’installe à Paris et se marie avec Clémence, l’amour de sa vie, avec laquelle, bien que remarié, il dialoguera bien après la mort de celle-ci. Ils avaient eu huit enfants dont un seul  a survécu.
Le peintre du dimanche a obtenu la carte de copiste qui lui permet d’accéder au Louvre.
Ses premiers paysages avec vaches, moulin à eau et charrette révèlent des problèmes de proportions, de cohérence.   
Dans « La promenade dans la forêt »  est ce Clémence qui l’attend parmi les arbres dont l’harmonie annonce des réussites prochaines ? En tous cas, il s’est documenté dans les catalogues de sa  femme couturière à la manière d’un Cézanne qui se constituait des cahiers d’images.
« Un soir au carnaval » est présenté pour la première fois au Salon des Indépendants où 7000 peintures étaient exposées pour autant de sculptures. Pissarro en dira du bien, même si les sarcasmes à son égard furent plus nombreux que les éloges, cependant l’ingénu est sûr de lui. 
Dans le « Rendez vous en forêt » les personnages s’embrassent  en habit XVIII°, inspirés du maître des frondaisons, Watteau, dont il conservait quelques reproductions dans son atelier.
« L’île de la Cité »  nocturne, blafarde, graphique installe un décor puissant.
Dans « Moi même, portrait paysage »  il porte la faluche, signe distinctif des peintres, et redécouvre une démarche déjà présente dans les intentions de ses confrères, quand l’arrière plan ajoute au portrait, le commente. Pour la première fois, la Tour Eiffel, si décriée par ses contemporains, apparait. Les lignes électriques de la modernité s’invitent dans ses paysages à Malakoff,  avions et dirigeables à Ivry ou sur le pont de Sèvres, des rugbymen jouent dans le bois de Boulogne.

Le peuple danse autour des deux républiques, dans «  Le centenaire de l’indépendance », alors que « Les représentants des puissances étrangères  viennent saluer la république en signe de paix ».
Son efficace allégorie de « La guerre » est plus convaincante que la seule lithographie qu’il exécuta sur le même thème.
Il réalisa un seul paysage de la mer, qu’il ne vit jamais, pas plus que la jungle dont il peupla tant ses toiles de grande taille dont l’achat le ruinaient, lui, qui malgré la mansuétude de son propriétaire, était dans la misère. Ses animaux sauvages venaient du jardin des plantes  ou du catalogue des galeries Lafayette.
« Surpris ! »  par l’orage, est le tigre dans une végétation exotique, exubérante et riche de couleurs éloquentes.
Un lion renifle «  La bohémienne endormie », ses singes sont « De joyeux farceurs » et sa « Charmeuse de serpents » doit beaucoup au récit de la mère de Delaunay qui revenait d’Inde.
Ses portraits d’enfants solitaires sont empreints de mélancolie, les représentations de Pierre Loti, de Guillaume Apollinaire et Marie Laurencin, « à grand poète, grosse muse », ne comblèrent pas forcément les intéressés.
Dans un banquet en son honneur, organisé au « Bateau lavoir » avec Picasso, Braque, Max Jacob, que dire de mieux que Guillaume Apollinaire :
« Tu te souviens, Rousseau, du paysage aztèque,
Des forêts où poussaient la mangue et l'ananas,
Des singes répandant tout le sang des pastèques
Et du blond empereur qu'on fusilla là-bas.
Les tableaux que tu peins, tu les vis au Mexique,
Un soleil rouge ornait le front des bananiers,
Et valeureux soldat, tu troquas ta tunique,
Contre le dolman bleu des braves douaniers. »
Brancusi grava quelques vers de son ami au « gentil Rousseau », sur une tombe plus digne que la fosse commune où seulement sept personnes l’avaient accompagné, l’annonce de son enterrement était arrivée trop tard. 

mercredi 11 novembre 2015

Val d’Orcia.

En photographie, j’ai souvent le nez sur le motif, et privilégie le gros plan. 
Alors pour élargir l'horizon, quand j’ai vu sur un présentoir de cartes postales survivant, l’adresse des paysages qui nous avaient conduits dans les parages, un petit tour dans le val d’Orcie s’imposait.

Je me suis posté dans les emplacements presque comme Kodak en prévoyait dans le défilé du Colorado : clic clac, pour des images de calendrier des postes, ainsi que je les aime depuis longtemps http://blog-de-guy.blogspot.fr/2010/11/le-calendrier-des-postes.html
La campagne est préservée, et si de nombreuses fermes sont désormais abandonnées, les courbes ne sont pas gâchées par quelques panneaux fâcheux, les couleurs des champs de céréales et des terres répondent au cahier des charges de l’UNESCO qui classa la région au patrimoine mondial. 
La petite ville  fortifiée de San Quirico d’Orcia vaut un arrêt d’autant que les glaces y sont délicieuses et les crocodiles qui figurent au fronton de l’église, intrigants.

mardi 10 novembre 2015

Au fil de l’art. Tome 1. Ivana & Gradimir Smudja.

Sur la page de couverture, tels les frères Ripolin : Rembrandt peint Velasquez qui peint Rubens qui peint Vermeer qui peint  Bruegel qui peint Le Gréco…
Cette histoire de la peinture s’arrête au moment où un roi furieux envoie chercher ce fainéant de Watteau. 
Grâce à un fil rouge, un vrai, une petite fille et son chat Vincent passent de La grotte de Lascaux où travaille un homme préhistorique qui ressemble beaucoup à Picasso à Léonard de Vinci, en panne devant la Cène car ses modèles l’ont abandonné.
Les transitions d’un peintre à l’autre ne sont pas toujours aussi inventives que lorsque le fil rouge dessine une porte qui permet de sortir d’un cachot espagnol pour aller en Hollande.
Mais peu importe le scénario, la virtuosité des dessins est époustouflante, les angles sont originaux à bien des égards.
Cette petite centaine de pages est pédagogique, poétique, facétieuse, magnifique.
Dürer est hanté par son lapin et Michel Ange a des problèmes de délais.
Un débutant ne saisira pas forcément les clins d’œil nombreux en direction d’un public averti à qui cet album est destiné.

lundi 9 novembre 2015

Belles familles. Jean-Paul Rappeneau.

Film du dimanche, quand il y avait des dimanches, film français, film d’acteurs, film en pantoufles, film avec André Dussollier.
André Dussolier, un genre à lui tout seul, est de passage pour jouer un maire politicard, sympathique, ancien amoureux de Nicole Garcia, alors que Mathieu Amalric joue cette fois le naïf pressé avec en outre Karin Viard en maîtresse d’un défunt qu’elle est la seule à regretter… Marine Vacth est très belle, elle n’a pas besoin de jouer ni de surjouer, son destin est tracé. Gilles Lellouche roule en 4X4 au cas où on n’aurait pas compris qu’il incarne un beauf de première : agent immobilier.
Rythmée, cette comédie autorise quelques sourires même si certaines situations sont convenues, elles nous reposent des faux semblants de la politique : un film de distraction.  Nous pouvons cultiver d’autres occasions de nous étonner en lisant quelques critiques ridicules dans leurs excès :
« Une œuvre rare et unique, obsédée par la beauté »
« Son magnétisme envoûtant injecte une belle dose de jeunesse dans ce beau film qui, espérons-le, offrira un nouveau départ à son réalisateur... » 
Rappeneau a 83 ans