vendredi 12 décembre 2014

Le Postillon. Hiver 2014.

Si même leur couverture ne se met plus à imiter platement Reiser, que va-t- il rester au commentateur soc dém’ pour être à hauteur critique de l’esprit libertaire du bimestriel Grenoblois en son numéro 28 ?
J’en suis même rendu à recopier un de leur chapeau accrocheur :
« Quel est le rapport entre le nouveau parking de la Villeneuve et les lampadaires de Grenoble ? Entre Margaret Thatcher et Eric Piolle ? Entre la CGT et Jérôme Safar ? Entre le conseiller de Michel Destot et les actions que possède Eric Piolle à Soitec ? Entre la ville intelligente et les situationnistes ? Au mois d’octobre, une vive polémique a éclaté autour de la gestion des lampadaires grenoblois. Le Postillon tente d’en tirer quelques enseignements afin d’éclairer votre lanterne. »
Au moment où la presse parisienne s’extasie sur la fin des panneaux Decaux, la liberté de ton du journal de la « cuvette » est réjouissante. L’actualité c’est la remise en cause de la régie municipale GEG chargée de l’éclairage public depuis 1851 risquant d’être dévolu au privé : la décision est reportée mais pour l’ « autre gauche » arrivée aux manettes, ça a branlé au manche.
Les rédacteurs invariablement technophobes ont vite fait de relever les aménagements lexicaux des responsables de la nouvelle municipalité dont une chargée de « l’open data et des logiciels libres » avec de surcroit un portrait, éclairant forcément, de Vincent Fristo.
Le journal contestataire ne pouvait ignorer ce qui se tramait dans les Chambarans avec le Center Park, et même s’il reconnait avoir été précédé par d’autres sur ce coup dont les réfractaires sont pourtant proches de leurs positions, l’article titré «  La dame qui pétille contre le Tahiti de pacotille » est bien vu. La rencontre avec une vieille frondeuse, que j’ai cru reconnaître, bien qu’elle ne marche pas dans l’approche journalistique de départ avec portrait pittoresque qui mettrait au second plan les enjeux de cette contestation, est convaincante.
Sa verve : «  Faut savoir que moi j’aime pas la nature, j’ai même horreur de ça », la rend totalement crédible dans ses rappels historiques, et ses analyses pour l’avenir de Roybon et ses  habitants, elle que ses voisins croyaient au parti communiste mais comme disait une de ses copines : « pff, c’est encore bien pire ».
Le choix d’interroger une aide à domicile était pertinent, l’article aurait gagné à faire entendre plusieurs voix. Un reportage à la gare ne se contente pas d’être vivant, il cherche à saisir les évolutions qui mènent à un « pôle d’échanges multimodal ». Sous la novlangue : privatisation et lieu de misère sociale.
Allez en bonus : un morceau de la « Carte du tendre grenoblois ». Pour la totalité de l’image, allez chez le marchand de loto qui vend aussi parfois des journaux, ça revient à 2 € les 16 pages qui font 32 quand on les plie en deux.

jeudi 11 décembre 2014

Penone. Musée de Grenoble.

Après Versailles, Grenoble jusqu’au 22 février 2015. 
Et c’est  très bien ici, dans des salles reconfigurées qui ouvrent, au premier coup d’œil, une perspective sur des réalisations anciennes et nouvelles.
Pas besoin d’ordre chronologique, tant l’artiste est revenu sur ses ouvrages, tant le temps est d’une autre dimension, qui emprisonne des mains en fonte dans les lignes des arbres, ou un visage se devinant dans une feuille enserrée par le lierre.
Retraité infiltré à la suite de professeur Brunet qui présentait l’exposition à d’autres professeurs, j’ai apprécié une nouvelle fois son souci de laisser un espace aux élèves pour leur propre interprétation tout en apportant des informations décisives.
Penone, le benjamin du groupe « Arte Povera » où chacun poursuit une démarche singulière, a commencé par accompagner son grand père qui savait si une branche allait porter des fruits ou des feuilles.
Devenu un artiste majeur, faisant ressurgir l’arbre depuis la poutre, comme Zadkine devinait « Le prophète » à venir dans un morceau de bois, il nous fait partager désormais un regard, on ne peut plus urgent, quant à notre rapport à la nature.
Sur un délicat papier de soie, des cernes de croissance se forment autour de l’empreinte d’un doigt. Intitulée « Propagation », cette trace humaine au cœur de l’arbre primordial, poussée par le temps, prend des proportions monumentales.
Nous sommes bien au XXI° siècle quand la dimension religieuse s’invite. Un tronc doré, évidé, recueille de la sève, en un « Ecrin » sur un fond en peau qui joue de l’ambigüité des mondes minéraux, animaux, végétaux.  
Comme dans la salle suivante, où du cuir recouvre des souches à côté de troncs en marbre de Carrare, hyper réalistes et cependant blancs comme l’antique.
 Le sexagénaire engage son corps intensément : sa silhouette apparait sur un drap frotté à la chlorophylle, accroché à différentes écorces dans le « Vert du bois ». Ses mots sont poétiques : ainsi « Respirer l’ombre » dont un mur de feuilles contenues derrière des grillages évoque l’échange chimique entre l’homme et la nature. Dans un hommage à la poterie ancienne, il rend palpable l’immatériel « Souffle » vital aux allures matricielles.
Ses rencontres entre branches aux feuilles de bronze reviennent aussi vers l’histoire et les mythes au temps des grotesques et des jardins maniéristes.
Comme un tapis qui se déroulerait en une temporalité géologique, un cylindre en marbre aux veines sculptées en relief appose son « Sceau » au pied de « Peau de graphite - Reflet d’ambre». 
Il convient de jouer également du rapprochement et de l’éloignement  pour découvrir une bouche immense composée de milliers d’épines d’acacia en face d’un puissant panneau sombre.
« Répéter la forêt » est planté dans le patio. Depuis la poutre inerte (la culture), retour à l’arbre et à ses flux (la nature).
En sortant de ce lieu … de culture, par l’allée centrale, des traces de peau agrandies sur 50 m,  réalisées en collaboration avec des étudiants des beaux arts, prennent de décoratives allures abstraites.
Ne pas oublier en salle 42, deux gros cailloux, appartenant au musée de Grenoble, dont la présence peut sembler absurde sans explications. L’un est ramassé dans un fleuve et l’autre en est une réplique dans la même roche avec les traces du temps taillées au burin : « Etre fleuve ».
Sur les murs, figurent les traces laissées par le cerveau humain aux parois de la boite crânienne, reproduites à la sanguine, telles des paysages ou des « Feuilles ».

mercredi 10 décembre 2014

Iran 2014 # J 9. Ispahan.

Nous quittons l’hôtel après le petit déjeuner et la récupération des vêtements donnés à laver. Première étape à la poste, nous achetons des timbres pour nos cartes postales de moins en moins nombreuses à envoyer. Puis nous filons vers le grand bazar, vite freinés par l’achat d’une pierre ponce et de bracelets en cuir masculins, chaperonnés par un petit monsieur qui veut se mêler à toutes les négociations. 
Nous déambulons dans le labyrinthe des petites boutiques, assez tranquilles, parfois salués gentiment, au milieu du trafic des carrioles à vide ou surchargées poussées par des hommes. Puis nous rejoignons le bazar moderne qui nous permet d’accéder à la porte de la mosquée du vendredi.
Depuis 841 elle témoigne des évolutions de l’architecture suivant les époques « abbasside, bouyide, seldjoukide, ilkhanide, muzaffaride, timouride et safavide ». Elle se distingue des autres, car elle est en briques, sans carrelage ni mosaïque, très sobre. Elle abrite un très ancien mehrab du XIV ° siècle avec une chaire au bout d’un escalier. Elle a subi un tremblement de terre, un incendie, un bombardement pendant la guerre contre l’Irak. Une salle avec plus de 400 piliers de traviole témoigne du séisme. Les coupolettes diffèrent par leurs briques disposées de façons variées. Sur des piliers il y a des sortes de croix qui participent à l’acoustique de la salle.
Repas derrière le rideau baissé d’un restau : c’est ramadan.
Nous allons tous au café repéré hier qui délivre des expresso.
Le palais des 40 colonnes n’en comporte que 20, mais elles se reflètent dans un bassin. Comme dans le palais d’Ali Qapou des miroirs alvéolés agrémentent un plafond extérieur soutenu par ces piliers avec des têtes de lion à leur base. 
Nous nous promenons dans le parc où nous pouvons  pénétrer dans un tronc gigantesque d’un arbre mort.
A l’intérieur de magnifiques fresques représentent des scènes de guerre, des assemblées de notables avec danseurs et musiciens et en plus petit des scènes galantes aux couleurs magnifiques avec même une salle ouverte spécialement pour nous grâce à notre guide.
L’église arménienne Saint Sauveur comporte  aussi beaucoup de fresques dont un immense jugement dernier, il n’y a pas un espace laissé libre. Une barrière sépare l’espace de prêtres et celui des fidèles. Un arménien parlant français nous explique que l’immigration arménienne a été bénéfique pour l’Iran en fournissant en particulier des ingénieurs pour le pétrole.
Un petit musée sur deux étages est installé dans un bâtiment annexe  avec des manuscrits remarquables, des vêtements, des objets religieux , des instruments de musique, mais surtout un cheveu où l'on peut voir sous microscope, une phrase entière écrite avec une pointe de diamant.
En mangeant une glace au safran nous longeons la rivière Zayanderoud, à sec à cause d’un barrage en amont. Le pont Si-o-se Pol à deux étages compte  trente trois arches, il est le rendez vous des amoureux. Deux footballeurs nous sollicitent pour correspondre avec des clubs français. Nous revenons à l’hôtel en passant par un ancien caravansérail occupé par  le luxueux hôtel Abbasi.
Nous accédons par minibus à un restau en terrasse qui domine la ville, où il fait bon : c’était une surprise. A la sortie échange de photographies avec des dames en noir et humour universel : un gendre veut nous refiler sa belle mère. Les ponts magnifiques au dessus du fleuve à sec sont éclairés,  nous imaginons Lyon sans le Rhône.   
D'après les carnets de voyage de Michèle Chassigneux.

mardi 9 décembre 2014

Fête des lumières Lyon 2014.

J’en étais resté à 3 millions de visiteurs pour ces quatre jours lumineux, certains parlent de huit millions, en tous cas: beaucoup de monde pour 75 propositions. 
Avec forcément une part de frustration à la marge d’un plaisir renouvelé chaque année http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/12/fete-des-lumieres-lyon-2013.html
Nous sommes restés dans le centre de la ville ancienne aux bâtiments magnifiés en ce début décembre pour entrer, au vin chaud, dans l’hiver.
 A Bellecour nous n’avons pas tout vu, mais le passage d’acrobates sur leur bicyclette ailée devant une lune à portée de main était magique, en hommage à Saint Ex. Au fond la basilique de Fourvière sous une boule à facettes en oublie ses airs de Reconquista.
La lampe de chevet construite sur la fontaine de la place des Jacobins prépare les enfants à leurs rêves.
Nous sommes devenus bien difficiles en jetant seulement un coup d’œil distrait sur les lanternes chinoises rue de la Ré ou sur les fleurs tête bêches de la rue Edouard Herriot.
De petits esquimaux facétieux sur les murs de l’ Opéra ouvrent l’appétit.
Les poissons de papier du parc de la Tête d’or et les globes sur l’eau du lac donnent parmi les arbres, un air de féerie  et d’humus au cours d’une déambulation forcément urbaine.
Le clou de la fête est toujours Place des Terreaux,  où cette année beaucoup s’accordent à trouver la performance artistique particulièrement réussie. Des tableaux évoquant les œuvres contenues au musée s’animent en musique et éclaboussent de couleurs l’hôtel de ville et toute la place.
 En passant de l’autre côté de la Saône la gare Saint Paul a pris des allures de machine à sous, et la cathédrale Saint Jean offre ce qui a été pour moi le plus cohérent des spectacles de cette cuvée : un coloriage original met en évidence l’architecture, la requinque en s’accordant parfaitement à des musiques qui nous élèvent.
Il parait que les arbres en tutu  de la place Sathonay ou les champs de lavande de l’amphi des trois gaules valaient le détour, mais ce que j’ai préféré ce sont les petits pots colorés qu’a préparés ma petite lyonnaise pour mettre sur sa fenêtre le 8, le vrai jour.

lundi 8 décembre 2014

Timbuktu. Abderahmane Sissako.

Les bandes djihadistes au  Nord Mali, très bêtes et très méchantes interdisent le foot et la musique, lapident et font mettre gants et chaussettes aux femmes. Une poissonnière n’en veut pas, et les femmes les plus exposées aux machos qui ne tuent pas que leur ennui, une fois de plus, seront les plus courageuses.
Il y a de quoi désespérer des hommes quand ceux-ci  affrontés à la misère s’appliquent à asservir encore plus leurs sœurs et frères.
Des séquences utiles dont la force s’amoindrit parfois en se liant à une intrigue aux traits appuyés, à des images lumineuses trop lisses qui banalisent un message politique indispensable.
Le réalisateur aurait du s’appliquer plus souvent l’expression d’un de ses personnages : «  ce que je ne te dis pas, tu le sais déjà ». 

dimanche 7 décembre 2014

Oncle Vania. Tcheckov.Lacascade.

Que serait un automne sans Anton (Tchekhov) ?
Si des durées de plus de deux heures deviennent habituelles, les plateaux avec onze acteurs se raréfient.
Les comédiens, celui qui joue Vania en tête, sont parfaitement au service du metteur en scène qui a adossé « L’homme des bois » à la célèbre pièce titre, même si tous ne correspondent pas à l’idée que je me faisais de leur âge. Je ne voyais pas non plus une exposition des sentiments aussi soulignée d’autant plus qu’amours et amitiés sont chahutés, mais rien ne semble grave dans cette tragédie traitée parfois de burlesque façon, jusqu’à la fin des rêves.
La vie du groupe réuni à la campagne comporte des scènes très enlevées, sans les ambigüités  que j’imagine chez l’auteur, mais il est vrai que l’alcool  tient sa place et l’outrance slave ne contredit pas forcément les subtilités.
Lacascade qui avait déjà monté du Gorki ici http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/06/les-estivants-de-maxime-gorki-eric.html dit : « pour Tchekhov existe un combat permanent entre une intériorité et une extériorité, entre le fond et la forme»
Nous attendons l’arrivée des invités comme les premiers acteurs qui patientent, et si la musique accompagnant cette réunion à la campagne de familles recomposées a des accents mélancoliques, la vigueur des verres qui s’entrechoquent nous donne soif. Le discours qu’on dirait écologiste du médecin est époustouflant, la pièce a été écrite en 1897. Faut-il se réjouir de sa modernité, car le constat n’a fait que s’aggraver ?
Et de toutes façons : « Que faire ? Il faut vivre ! Nous vivrons, oncle Vania ! Nous vivrons une longue série de jours, de longues soirées. Nous supporterons patiemment les épreuves que nous enverra le destin […] Et quand notre heure viendra, nous mourrons soumis. Et là-bas, au-delà du tombeau, nous dirons combien nous avons souffert, pleuré, combien nous étions tristes […] Nous nous en réjouirons, et nous rappellerons avec une humilité souriante nos malheurs d’à présent. Et nous nous reposerons. »
Les lumières sont magnifiques.

samedi 6 décembre 2014

Un été avec Proust. Laura El Makki et compagnie.

Ouvrage collectif dont le collaborateur le plus connu est Antoine Compagnon qui produisit l’été d’avant un succès de librairie avec Montaigne en digest. Ce fut aussi une série d’émissions sur France Inter pendant les vacances.
Craintif devant la cathédrale représentée par les sept tomes de la centenaire « Recherche »,  j’ai acheté ce petit livre, comme un guide de voyage avant de m’embarquer peut être pour ce pays impressionnant.
Les 230 pages explorent le temps, les personnages, l’amour, les mondanités, les lieux et l’imaginaire de l’écrivain majeur et son art de révéler musique, peinture… Pour conclure avec ses rapports avec les philosophes, lui, le cousin de Bergson.
"Comme le dit Bergson, on ne voit jamais les choses mêmes, mais on voit les étiquettes qu'on a posées sur elles"
Ses phrases sont si longues afin d’approcher subtilement les objets, qu’un empilement de citations ne pourrait qu’être grotesque, pourtant :
« Tâchez de toujours garder un morceau de ciel au-dessus de votre vie » est bien joli.
L’entreprise est sympathique car elle ne prend pas le lecteur de haut, tout en faisant confiance à son attention :
« même si on ne s'intéresse pas du tout aux salons du tournant du XIXe siècle, qu'on ne veut rien savoir du milieu des Guermante ou du monde des Verdurin, on peut comprendre qu'il y a un Proust à l'intérieur de nous-mêmes, et qu'il nous décrit »
Parce que « la lecture est une amitié » :
« Et dire que tout à l'heure, quand je rentrerais chez moi, il suffirait d'un choc accidentel pour que mon corps fût détruit, et que mon esprit, d'où la vie se retirerait, fût obligé de lâcher à jamais les idées qu'en ce moment il enserrait, protégeait anxieusement de sa pulpe frémissante et qu'il n'avait pas eu le temps de mettre en sûreté dans un livre. »
De quoi occuper quelques automnes.