dimanche 12 octobre 2014

Six personnages en quête d’auteur. Pirandello.

" File la laine, filent les jours
Garde ma peine et mon amour
Livre d'images des rêves lourds
Ouvre la page à l'éternel retour. "
Une petite fille chante, elle est à l’âge où l’on joue dit-on à faire semblant, au cœur de cette pièce où le théâtre se joue dans le théâtre ; des personnages venant supplanter des acteurs en train de répéter.
Miroirs : où est le vrai ? Qui pourra dire la douleur ? Qui suis-je ?
La comédie dramatique de 1920, de genre philosophique, passe très bien grâce à l’humour, au dynamisme des acteurs, à l’évidence de la mise en scène, à sa poésie.
A l’heure où l’exposition de soi nous fait des gros nez en selfie, le metteur en scène Emmanuel Demarcy-Mota élargit le propos :
« Est-ce parce qu’aujourd’hui, il nous semble que la réalité s’est substituée à l’idée, que la figure de ce monde passe et n’est qu’une illusion, que nous croyons que le monde entier est une scène? On a plutôt aujourd’hui le sentiment que l’illusion a gagné les corps et les âmes, et engendré ce malaise de sujets irrémédiablement divisés. » 
Nous sommes bien au-delà d’un questionnement sur le monde du théâtre, nous révisons les mots qui tournent autour de la vérité : le mot « représentation », voire « arrête ton cinéma ! ».
Le théâtre ou le roman ne disent-ils pas les faits plus fidèlement que le visible, le trop évident ? J’adore discuter de l’indiscutable.

samedi 11 octobre 2014

Le quatrième mur. Sorj Chalandon.

J’ai lu ce livre au moment où depuis nos écrans nous savions que Gaza était encore mis à feu et à sang.
Alors l’acharnement du narrateur à vouloir faire jouer Antigone à Beyrouth en 82 au moment des massacres de Sabra et Chatila m’a paru bien dérisoire.
Le « quatrième mur » est dans le vocabulaire du théâtre ce qui sépare les acteurs du public. Dans leur lieu de répétition, il n’y a plus que trois murs.
Ce livre qui a reçu un prix de lycéens m’a paru désespérant en montrant l’impuissance de la culture face aux passions de mort. Il avait embauché dans son entreprise une palestinienne, un druze, un maronite, des chiites, un catholique mais même pour le temps d’une illusion de paix : impossible ! Mettre « ses tripes à l’air » n’étant pas une métaphore sous ces latitudes.
« Avant le cri des hommes, le sang versé, les tombes, avant les larmes infinies qui suintent des villes, les maisons détruites, les hordes apeurées, la guerre était un vacarme à briser les crânes, à écraser les yeux, à serrer les gorges jusqu'à ce que l'air renonce. »
L’ancien correspondant de Libé connait son affaire et ces 323 pages sont l’occasion de faire s’exprimer quelques protagonistes armés, de revenir sur les engagements militants des années 70,  avec une honnêteté et une lucidité qui nous laissent nus.
La violence, l’absurde sont rendus avec force mais l’éclat des mots pâlit sous les années corrosives  et les haines recuites. 
Le trop beau projet de reprendre cette pièce  d’Anouilh jouée en 1944 où une résistante préfère la mort à l’injustice se fracasse sur le réel, le metteur en scène qui a voulu honorer la promesse à un ami y perdra la raison et ses amours.
« Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu'elle va être Antigone tout à l'heure, qu'elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. »

vendredi 10 octobre 2014

Le Postillon. Octobre 2014.

Le gauche bimestriel (2 € les 16 pages), traitant de la cuvette grenobloise, titre pour ce numéro 27: «  Pierre Gattaz et le modèle grenoblois : c’est l’amour » avec Destot reconnaissable à son badge CEA et une rose, dans les bras du président du MEDEF.  
C’est du surligné, sans humour. Les dessins sont pour beaucoup toujours aussi maladroits, mais certains articles sont éclairants tel celui concernant le modèle Grenoblois reposant « sur un pillage de l’argent public, une philosophie inepte et des procédés immoraux » : c’est qu’on n’y va pas avec le dos de la clef à molette chez les amis de « Pièces et main d’œuvre ».
 « La recherche développement » peut être une manne pour les financiers quand le devenir des aides n’est pas suivi. C’est clair à travers l’explication de la stratégie de Raise Partner: cette startup permettant d’optimiser les placements boursiers à l’intérieur de laquelle était impliqué le nouveau maire de Grenoble comme le Postillon le révéla http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/06/le-postillon-ete-2014.html . Où l’on peut apprendre aussi que Pierre Gattaz n’a rien à voir avec l’enracinement isérois de son père Yvon qui créa  l’entreprise Raddiall devenue depuis très branchée sécurité.
« Cette année là, au cours d’une compétition officielle ayant lieu tous les six ans, une équipe d’outsiders de gauche menée par un capitaine charismatique fracasse les tenants du titre. Une victoire historique, un match qui marqua son époque. La recette de ce succès inattendu ? Des candidats issus en partie du monde associatif et de la société civile, un futur maire dynamique à l’image «  efficace »un programme faisant la part belle au « local », à la démocratie participative et au renouvellement de l’action publique… sans parler d’un contexte électoral favorable : gauche traditionnelle déboussolée, droite à la ramasse et un taux d’abstention élevé comme toujours. »
Il s’agit de l’année 1965, quand Dubedout fut élu, en habile introduction à un article intitulé « Piolle, jusqu’audubedoutiste ? » argumenté et vigilant quant aux injonctions participatives de la nouvelle municipalité.
La rencontre avec un contrôleur de la SEMITAG, un compte rendu d’audience au tribunal, un petit tour à l’Ile d’amour ou le récit d’un duel à l’épée entre journalistes du Petit dauphinois et celui du réveil du Dauphiné en 1887, sont vraiment à leur place dans ces pages apportant un regard sans concession sur notre biotope. 
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 Dans le "Canard" de cette semaine:

jeudi 9 octobre 2014

How much can you carry ? Floriane de Lassée.

Pour avoir, avec mes compagnons de voyage, croisé depuis nos 4X4 ces marcheuses du bord des routes d’Afrique ou d’Asie aux invraisemblables chargements, je viens de recevoir ce livre de 95 pages sous titré : « le poids de la vie ».  
Dans un dispositif  de photographe des temps anciens, la photographe au joli nom a  transcendé la peine, la pesanteur, sans tomber dans l’onirisme en faisant poser ses modèles devant des toiles tendues dont la texture est bien visible et les a fait jouer avec leurs chargements qui prennent des dimensions ludiques, poétiques, complices.
La métaphysique passe ici au delà de l’anthropologie, la créativité dépasse le témoignage. Sous une couverture toilée, la beauté rejoint la douce fantaisie, les visages graves voisinent avec des timidités et des fous rires.
Dans la diversité des propositions, difficile de choisir une image pour illustrer cet article, entre des éthiopiens aux caisses de plastique, des népalais portant leur famille au pied de poteaux de basket, des boliviens ou des japonais, des indiens ou des brésiliens, révélés par un regard original sans apprêt.

mercredi 8 octobre 2014

Iran 2014. J3 au matin. Persépolis.

Il faut partir  de Shiraz tôt ce matin et exceptionnellement le restaurant ouvre ses portes à 7h.
Nous sommes les seuls clients.
Au check point à la sortie de la ville, M. Ali, notre chauffeur, doit enfiler un pull sans manche ornementé d’épaulettes dignes d’un commandant.
Durant le trajet sur une autoroute bien chaussée, nous en apprenons un peu plus sur le pays dont la silhouette a une forme de chat assis. Sur la carte figurent la route de la soie, celle de Marco Polo, le trajet des Moghols… A l’Est l’on parle le turc, la région du Sud est riche en pétrole, dans le Sud Est une partie de la population vit du trafic de drogue.
Nous arrivons à Persépolis dont la construction remonte à 500 ans avant JC.
Sous les ordres de Darius  la cité a été édifiée par des ouvriers  venus de toutes les satrapies de l’empire. Elle fut détruite par Alexandre le Grand en 331 av JC.
Vers 9h, le soleil chauffe déjà fort, le parking immense n’offre aucune possibilité d’ombre. Munis de bouteilles d’eau, nous nous lançons dans la visite n’apercevant d’abord que les colonnes qui dépassent et le grand escalier qui y mène.
La grande « porte des nations » en impose et annonce d’entrée les particularités de ce site patrimoine de l’UNESCO où le shah Mohammad Reza Pahlavi donna de somptueuses fêtes en 71, ce fut son chant du cygne.
La porte des nations était un passage obligé des délégations venues faire allégeance chaque année au roi  Darius, il reste deux énormes colonnes avec des sculptures de taureaux ailés à tête humaine ; l’apadana (salle d’audience) le palais de Darius, de Xerxès, le palais des 100 colonnes, un harem et une banque composaient le lieu.
Des bas reliefs magnifiques représentent des combats de lions et de taureaux, les différents peuples reconnaissables à leurs tenues vestimentaires, robes courtes ou longues, couvre-chefs, cadeaux apportés au roi…
D’énormes têtes doubles de taureaux ou griffons s’accrochent au haut des colonnes ou sont tombées au sol exposées derrière des vitres protectrices.
Pour avoir une vision globale, nous grimpons au tombeau d’Arta Xerxès avant de reprendre le véhicule à moteur. Nous croisons un couple de vieux espagnols qui nous parlent en français de… La Mure.

mardi 7 octobre 2014

La revue dessinée. Automne 2014.

La revue pédagogique, 226 pages pour 15€, peut être aussi poétique et drôle. 
Mais son apport  lié à l’actualité qui dure est d’offrir un angle nouveau  aux informations.
Si le résultat du référendum en Ecosse désormais connu modifie notre lecture de l’histoire du « Yes », le reportage est très intéressant 
comme celui consacré au juge Renaud dont le meurtre reste impuni. Cette enquête de Benoit Colombat et Etienne Davodeau nous rappelle que dans les années Giscard (75) la république n’était  vraiment pas mieux avant : mafia et politiques pour le financement des partis, SAC… 
Les dessins remettant Pierre Etaix dans la lumière ont beau être séduisants, je n’ai pas été convaincu, pas plus que mon inculture économique n’a pu être surmontée par des pages bien ficelées concernant les emprunts toxiques qui ont fait des ravages dans les collectivités locales. 
Je me suis régalé par contre avec le décryptage de la photo de l’homme seul face aux chars de Tien An Men ou d’une scène du film de Fritz Lang « Le cabinet du Dr Caligari ». Les rubriques régulières sont utiles avec
la découverte d’un artiste de face B : Daniel Johnson,
la rencontre avec des « ouvriers prêtés » qui vivent la semaine loin de leur foyer et vont faire l’appoint dans d’autres usines du groupe où ils sont embauchés,
l’histoire de l’informatique,
un sport peu pratiqué : la natation synchronisée,
la xyloglossie : la langue de bois, très pratiquée.

lundi 6 octobre 2014

Shining. Stanley Kubrick.

Dès le générique aux accents d’un Dies Irae, nous allons vers les sommets.
Il m’a pourtant fallu des stratégies Hitchcockiennes et une mauvaise foi inattaquable même par une quelconque tronçonneuse pour que l’on m’accompagne vers ce monument de l’horreur, où Nicholson est ébouriffant.
Tout est clean dans l’hôtel  isolé dont la démesure va perdre le couple avec enfant qui doit garder le bâtiment pendant la période hivernale.
Nous sommes pris dans le labyrinthe du récit du réalisateur qui a embrassé tous les genres et à chaque fois produit un film qui a fait date.
Celui là est de 1980 et des interprétations concernant l’holocauste, le génocide des indiens ou les premiers pas de l’homme sur la lune ont été avancées, pourtant en tant que film de fantômes, nous pouvons l’aimer.
 « Shining est un film optimiste. C'est une histoire de fantômes. Tout ce qu'il dit c'est qu'il y a une vie après la mort, c'est optimiste »
Même si l’unique phrase réitérée de l’écrivain  à la hache frappant par ailleurs sur sa machine à écrire dans une salle trop vaste :
« All work and no play makes Jack a dull boy ».
« Beaucoup de travail et pas de loisir font de Jack un triste sir »
est traduite en « un tien vaut mieux que deux tu l’auras » assez éloigné de l’original.
Nous sommes derrière le vélo de Danny le petit garçon médium qui parcourt les couloirs frénétiquement et Jack qui apparait derrière la porte fracassée peut fournir le poster de nos nuits quand nos yeux sont écarquillés.