samedi 11 octobre 2014

Le quatrième mur. Sorj Chalandon.

J’ai lu ce livre au moment où depuis nos écrans nous savions que Gaza était encore mis à feu et à sang.
Alors l’acharnement du narrateur à vouloir faire jouer Antigone à Beyrouth en 82 au moment des massacres de Sabra et Chatila m’a paru bien dérisoire.
Le « quatrième mur » est dans le vocabulaire du théâtre ce qui sépare les acteurs du public. Dans leur lieu de répétition, il n’y a plus que trois murs.
Ce livre qui a reçu un prix de lycéens m’a paru désespérant en montrant l’impuissance de la culture face aux passions de mort. Il avait embauché dans son entreprise une palestinienne, un druze, un maronite, des chiites, un catholique mais même pour le temps d’une illusion de paix : impossible ! Mettre « ses tripes à l’air » n’étant pas une métaphore sous ces latitudes.
« Avant le cri des hommes, le sang versé, les tombes, avant les larmes infinies qui suintent des villes, les maisons détruites, les hordes apeurées, la guerre était un vacarme à briser les crânes, à écraser les yeux, à serrer les gorges jusqu'à ce que l'air renonce. »
L’ancien correspondant de Libé connait son affaire et ces 323 pages sont l’occasion de faire s’exprimer quelques protagonistes armés, de revenir sur les engagements militants des années 70,  avec une honnêteté et une lucidité qui nous laissent nus.
La violence, l’absurde sont rendus avec force mais l’éclat des mots pâlit sous les années corrosives  et les haines recuites. 
Le trop beau projet de reprendre cette pièce  d’Anouilh jouée en 1944 où une résistante préfère la mort à l’injustice se fracasse sur le réel, le metteur en scène qui a voulu honorer la promesse à un ami y perdra la raison et ses amours.
« Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu'elle va être Antigone tout à l'heure, qu'elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. »

1 commentaire:

  1. Le statut de l'art.. fiction dans nos vies ne cesse de me préoccuper, depuis ma plus tendre enfance.
    Je me souviens de mes 19 ans où, devant la terrible beauté de la fin du "Conte d'Hiver" de Shakespeare, une fin miraculeuse par excellence, j'ai eu un cri de coeur pour demander pourquoi la vie ne pouvait pas être à la hauteur de ce miracle de l'art.
    Je n'ai toujours pas de réponse à cette question. Mon professeur à l'époque disait qu'il fallait laisser l'art/la fiction sur SON plan, et accepter de rester sur le nôtre.
    Avait-il raison ?
    En tout cas, je crois déceler toute la perversion à vouloir que notre monde ressemble à un grand parc d'attraction plein de petits "miracles" produits par des marionnettes, en entonnant de manière répétitive le refrain de "paix, amour", etc.
    Vouloir que la vie singe l'art pour être miraculeux... n'est pas plus tenable peut-être que vouloir que l'art singe la vie pour être sordide et... "réaliste", pour coller au plus près de notre quotidien.
    Mais je sais qu'il y a des personnes qui font des miracles avec le théâtre. Et si on parvient à transformer un.. "malade mental" en Antigone, un détenu italien en Jules César, de manière convaincante, je ne vois pas pourquoi on n'y arriverait pas avec une jeune maigrichonne de Gaza.
    Le théâtre, l'art, PEUVENT faire des miracles.
    Mais... seuls les gens qui croient sont à la hauteur de faire émerger les miracles dans le quotidien. Je dirais que seuls les gens qui croient que l'art.. ELEVE l'être humain peuvent favoriser ces miracles.
    Et ne crois pas (forcément) qui veut...

    RépondreSupprimer