dimanche 4 mai 2014

Coltrane. Antoine Hervé, Stéphane Guillaume

 
Pour John William Coltrane, un des saxophonistes les plus révéré, la musique a été une consolation dans une vie parsemée de deuils et un véhicule à sa quête d’absolu.
Elevé dans un milieu  religieux méthodiste, il trouve sa voie à Philadelphie qui connaissait alors le bouillonnement créatif qui était celui de La Nouvelle Orléans 40 ans plus tôt.
Commençant sa leçon de jazz par un bref rappel biographique, notre conférencier pianiste habituel http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/01/stephane-grappelli-antoine-herve.html
rend hommage à « Trane » pas seulement en paroles, mais en ouvrant magnifiquement le concert par « Naïma » en hommage à sa femme. Je me permets de penser à ce moment là, que la musique vaut le plus beau des poèmes.
Présenté comme un homme timide, méticuleux et rêveur, il participe à l’ensemble de Milles Davis qu’il quitta puis y revint, après avoir été accroché par la drogue. Il passe chez le grand architecte Monk.
Au milieu du XX° siècle, le natif de Caroline du Nord a traversé une période classique, modale puis free, cherchant sans cesse de nouveaux sons, de nouvelles harmonies, de nouvelles capacités instrumentales. Avant la mondialisation marchande il ouvrit nos oreilles aux musiques du Monde se considérant comme une interface d’une force supérieure.
Le complice d’Hervé, Stéphane Guillaume nous détaille au saxo ce qui faisait la spécificité de Coltrane : ses notes vrillées, ses sons multiphoniques, mais surtout il interprète « Giant Steps » « Body and Soul » « A Love Supreme » « My favorite things »…  avec subtilité, en cavalant dans des morceaux qui m’ont paru complexes, les deux musiciens alternant ou synchro nous ravissent. Pris par le plaisir de jouer partagé par le public qui les rappela à deux reprises, ils ne développèrent pas la période free, pas plus que ne fut mentionnée la date de sa disparition (1967), péché véniel.
Les touches blanches du clavier plutôt occidentales ont joué avec les touches noires du reste du monde


samedi 3 mai 2014

Home. Toni Morisson.

Dans le sud des Etats Unis dans les années 50 nous suivons les errances un homme revenant de la guerre de Corée. Pauvreté et violence pourtant omniprésentes apparaissent souvent comme par inadvertance dans le récit en 150 pages du prix Nobel 1993 de littérature, pas toujours frontalement comme ici : 
…elle dit quelque chose en Coréen. Ça ressemble à « Miam-miam ».
Elle sourit, tend la main vers l’entre-jambes du soldat et le touche. Ça le surprend. Miam- miam ? Dès que le regard passe de sa main à son visage, que je vois les deux dents qui manquent, le rideau de cheveux noirs au-dessus d’yeux affamés, il la flingue. Il ne reste que sa main parmi les ordures, cramponnée à son trésor, une orange tavelée en train de pourrir. »
Il s‘agit de la version du personnage principal, un noir dans un milieu où l’esclavage n’est pas si éloigné, qui alterne avec la voix plus poétique de la narratrice.
Les individus semblent des fantômes vaincus par le destin à la rencontre des cadavres mal enterrés de leur enfance. Le récit parfois en apesanteur peut aussi avoir la franchise des auteurs américains mais dérouter; il m’a fallu les commentaires de lecteurs enthousiastes pour comprendre que le style est parfaitement accordé au propos qui m’avait laissé assez insensible bien que les sujets abordés soient terribles.

vendredi 2 mai 2014

Deux mai.

" Pourquoi dire: Il fait beau temps?
Ce beau temps là sent la pluie.
Un air de mélancolie s'est emparé du printemps. "
Le 1°Mai à Istanbul, à Taipei, à Jakarta, à Dacca : ça a de la gueule.
Ici, cette année je ne suis pas allé au défilé, j’avais pourtant tellement aimé ces rendez-vous parfumés au muguet, du temps où le printemps n’était pas qu’une affaire de météorologie, longtemps longtemps avant que les hérauts de la gauche ont disparu.
Rabhi ravit les téléspectateurs, mais Dany est parti, Rocky vieillit et Finki s’aigrit.
Les rouges bannières sont abattues comme il convient de le faire des voiles quand plus aucun vent ne les pousse, victimes de chansons aux couleurs de cerise comme tant  d’autres qui ont attendu le prince ou la princesse charmante toute leur vie et finissent seul(e)s.
Quand il ne reste que des squelettes de chansons, au moment où les rythmes solaires appellent les défilés à battre son plein sur les boulevards, « dictes moy où n’en quel pays » se trouvent des réponses aux inégalités qui se creusent, aux libertés qui se réduisent, aux fraternités qui se fracassent ?
Les féministes pouvaient se trouver dans le même cortège que ceux qui fêtaient les solidarités internationales ;
aujourd’hui des gamines ne sortent de chez elles que pour mettre la kalach sous leurs tentures, les brigades internationales font le Jihad.
Les rocardiens retrouvaient  des anars pour secouer les hiérarchies ;
aujourd’hui passent pour des gauchistes ceux qui veulent préserver les petites retraites !
Mise à toutes les sauces jusqu’aux plus rances, la liberté s’immole dans les incendies de portail écotaxe ou de radars qui visent à réduire la vitesse, elle s’éteint sous la régression des savoirs et la haine des cultures.
" … là-haut les quatre vents,
Pris d'une brusque furie,
Bousculent la bergerie,
Des petits nuages blancs...
pourquoi dire: Il fait beau temps? "
Rosemonde Gérard
……………
Dans le « Canard » de cette semaine :

jeudi 1 mai 2014

Affiches en France. #2. Savignac et les autres.

Benoit Buquet avait intitulé cette deuxième conférence aux amis du musée :
« Après guerre, années pop et contestation 39/75 ». 
Cassandre (voir http://blog-de-guy.blogspot.fr/2014/04/affiches-en-france-1-toulouse-lautrec.html#1 ) inventeur « du beau, du bon, Dubonnet » n’est plus aussi flamboyant après guerre qu’avant. Vichy a interdit toute publicité concernant l’alcool.
Willemot qui inventa la spirale en écorce d’orange d’Orangina, mit en scène « travail » « famille » et « patrie », puis à la libération rend hommage à la France combattante. Sa collaboration dans les années 60 avec les chaussures Bally est empreinte d’élégance ; le trait qui entoure les corps enduits de Bergasol assure une lecture franche du dessin et surligne la protection promise par le produit.
Des artistes comme Matisse se trouvent réactivés par les affichistes qui verront leur inventivité attaquée par le marketing.
Savignac, « né à l'âge de quarante et un ans, des pis de la vache Monsavon. » cherche à divertir. Il crée des mythologies au moyen de gags visuels efficaces : la vache du pot au feu Maggi se met en deux pour humer la bonne odeur de son autre moitié en train de mijoter. Un zèbre a mis ses souliers pour vanter Cinzano et « vite un Aspro !» car le trafic automobile traverse nos tympans. Il reçoit des commandes de toute l’Europe : fromages italiens, journaux hollandais, cigarettes allemandes…
Hervé Morvan, dans la même veine, met un homme à l’abri dans une bouteille de Gévéor et ses slips se confondent avec les coques de « Petit bateau ».
Georges Mathieu, s’exprime dans le registre de l’abstraction lyrique, dans une campagne pour Air France où son « tourisme de l’œil » fait escale.
La signalétique des jeux Olympiques de Grenoble est l’œuvre de Raymond Excoffon un graphiste, typographe, influencé par l’op art, qui laissa aussi la fourrure chaleureuse d’un écureuil épargnant humaniser les surfaces lisses offertes par les trente glorieuses.
Bien que La France ait été rétive à l’austérité du Bauhaus, le suisse Jean Widmer mettant la lettre au centre de ses travaux, va marquer nos paysages avec la signalétique des autoroutes, ou  celle de Beaubourg. Il venait de la direction artistique du « Jardin des modes », où il fit primer des compositions rigoureuses.
Roman Cieslewicz émigra vers la France, depuis la Pologne, son pays d’origine,  qui influença nos artistes par ses affiches de théâtre ou de cirque. Le portrait pop art d’un Guevara christique est à l’origine de toute une iconographie. Les lettres encadrées de guillemets « Che si » prenant la place des yeux, s’affirment avec force.
De l’atelier au sous sol des Beaux-arts en mai 68, sortiront :
« La chienlit, c’est lui », « Quand les parents votent les enfants trinquent », « La beauté est dans la rue », elle lançait des pavés si légers, « Sois jeune et tais toi », « La police vous parle tous les soirs à 20h », un CRS derrière son bouclier  siglé« SS » lève sa matraque, la jeunesse à la tête bandée s’inquiète pour son avenir...
En 72, le Front des Artistes Plasticiens manifeste contre une « expo fric », une « expo flic » à Beaubourg en reprenant le style sérigraphique qui fit florès quelques mois avant ; il conteste l’absence de certains ou la présence d’autres « vendus au capital » : une affaire d’artistes.

lundi 28 avril 2014

Amours chiennes. Inárritu.

Enfin j’ai comblé le manque que mes comparses des salles obscures me rappelaient depuis qu’ils avaient découvert ce réalisateur mexicain en 2000.  
L’une d’entre eux n’avait d’ailleurs pas regardé le film jusqu’au bout, n’ayant pas supporté la souffrance des animaux.
Depuis le toutou parfumé pour accompagner la solitude d’une cover girl ou la troupe des batards suivant leur clochard jusqu’aux bêtes de combat, le cinéaste ne reste pas de faïence sur la description de la violence. Celle-ci ne se détend à aucun moment avec  des frères ennemis, des femmes méprisées, un idéaliste fourvoyé, un pauvre type riche…
Cette rubrique des chiens et des hommes écrasés prend une dimension épique avec des habiletés du scénario qui font se croiser tous ces destins cassés.
C’est vrai que c’est un film à voir même si sa nouveauté d’alors a pu s’émousser.
Les 2h1/2 ne nous laissent pas le temps de japper à la lune tant le rythme est soutenu même si cette ampleur aurait pu permettre d’entrer dans la nuance pour certains personnages.
« Nous sommes aussi ce que nous avons perdu »

dimanche 27 avril 2014

Vortex Temporum. Anne Teresa de Keersmaeker.

Le groupe Ictus joue la musique spectrale de Gérard Griset qui disait : « Nous sommes des musiciens et notre modèle, c’est le son, non la littérature, le son, non les mathématiques, le son, non le théâtre, les arts plastiques, la théorie des quanta, la géologie, l’astrologie ou l’acupuncture. »
Les danseurs viennent sur le plateau et dansent dans le silence.
Il fallait bien chez De Keersmaeker qui tricote si bien la danse avec la musique que dans un troisième temps les danseurs rencontrent la musique. Une musique pas facile à apprivoiser mais que les mouvements des corps rendent plus fluide. Les  courses à l’envers reprennent  leur bon sens, les galopades s’amorcent, des duos fragiles apparaissent, des harmonies s’ébauchent et s’il faut se raccrocher au titre qui signifie « Le tourbillon du temps » nous sommes dans l’ambigüité qui s’affiche en latin pour une certaine universalité, en réalité destinée à une caste lettrée.
Je suis en face d’un tournoiement parfaitement réglé comme si je regardais un documentaire sur le ballet des planètes de notre système solaire dont « le silence  éternel des espaces infinis m’effraie » avec Pascal. Cette musique vivante est intéressante à aborder, d’ailleurs l’initiation ne dure qu’une heure. En 2008 ATDK était venue à la MC2, mon billet était bref :
Les spectacles nous contraignent et le jeu avec le temps est une découverte renouvelée. Avec cette musique nous restons dans l’attente comme si les instruments n’en finissaient pas de s’accorder mais quand la lumière s’éteint sur un dernier geste discret et central du chef d’orchestre nous venons d’éprouver l’épaisseur de l’instant, de goûter la justesse de gestes dont le prix tient à leur brièveté, à leur inventivité, à leur évidence

samedi 26 avril 2014

Schnock. N°9

Coluche est en couverture de ce numéro qui était resté en rayon depuis un moment dans ma librairie préférée, mais nous ne sommes pas à un trimestre près, pour un retour vers les années passées par paquets de dix. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/06/schnock-n7-ete-13.html  
Ce n’est pas qu’un exercice nostalgique : le recul permet de relativiser les emballements. Celui  qui n’hésitait pas à enlever la salopette se retrouve à nu après tout ce temps (86 : putain de camion). Lederman témoigne, Miou Miou a apporté des photos, Romain Bouteille et Sotha du café de la gare parlent des débuts et même des photos anthropométriques sont publiées, Fred Romano la compagne des années destroy se rappelle et Louis Rego parle du tournage de « La vengeance du serpent à plumes », un livre noir est entrouvert, un autre est doré.
Nous en apprenons aussi sur un autre personnage haut en couleur : Paul Newman, par contre dans un autre article, comme je ne savais rien au départ d’une certaine Marie France chanteuse avec le groupe Bijou, je n’ai pu apprécier.
Le rappel des starlettes de Cannes est charmant, et la recension de quinze jouets aussi : premiers Playmobils, Dinky toys et l’ordi Atari… Le récit d’un voyage en Allemagne de l’Est  dans les années 70 est exotique. La reprise d’un article de Paul Gégauff concernant le milieu du cinéma du temps de la Nouvelle vague ne manque pas de piment dans un ensemble où le style des journalistes est un des atouts durant 175 pages sur la ligne :
« No future mais No Stalgie »