Depuis le Guatemala, à travers le Mexique, trois adolescents
dont une fille habillée en garçon et un Indien vont vers le Nord, la Californie.
Principalement à bord de trains, véhicules inéluctables de la
tragédie de la pauvreté traversant des paysages magnifiques, ils rencontrent
policiers et maffieux. Et il y a du monde sur le toit des wagons de
marchandises ! Le récit est simple et les relations nouées entre les
personnages ne font pas oublier la forte tonalité documentaire de cette
sempiternelle quête d’un avenir meilleur malgré des barrières qui s’élèvent de
plus en plus haut. Les oiseaux noirs tournent au dessus de la décharge, des
chiens efflanqués accompagnent cette tragédie qui malgré la grâce de la
jeunesse, son insouciance parfois, va
jusqu’à son terme, implacable.
lundi 23 décembre 2013
dimanche 22 décembre 2013
Cendrillon. Maguy Marin.
Je connaissais le conte de Perrault mais ignorais que la
pauvrette au balai appartenait à un classique de la danse dont la version de
1985 de Maguy Marin fut jugée révolutionnaire.
S’il n’y a rien qui vieillisse plus vite que la modernité,
je n’ai pas décelé de poussière dans la représentation qui vient d’être donnée
à la MC2 après 450
autres dans le monde entier, par une chorégraphe dont je ne suis pourtant pas
un inconditionnel.
Une fois familiarisé avec les masques que portent tous les
danseurs, j’ai apprécié la richesse de la mise en scène sur plusieurs étages et
son ampleur.
Les personnages qui évoluent dans une maison de poupée
s’animent : depuis un récit venu des greniers de la prime enfance, les
corps enraidis incarnent la comédie humaine.
Je me suis étonné dans cette période de Noël que des
playmobils soient requis pour la
Crèche mais ils peuvent-pourquoi pas-raconter la naissance
d’une espérance, même si on préfére quelques santons aux manteaux soulevés par
le vent
Le récit poétique et inventif, mêlant candeur et mélancolie,
peut convenir aux enfants et aux grands. L’apprentissage de Cendrillon est bien
mené avec une épreuve de saut à la corde intense, et si comme dans les
cathédrales, les diables sont plus divertissants que les anges, aucune
mièvrerie n’envahit le plateau. La musique de Prokofiev aux allures de celle de
Chostakovitch, m’a-t-on dit, avait des élans communicatifs.
Je suis revenu au texte qui comporte une moralité :
« La bonne grâce
est le vrai don des Fées ;
Sans elle on ne peut rien, avec elle, on peut tout.
Sans elle on ne peut rien, avec elle, on peut tout.
C’est sans doute un
grand avantage,
D'avoir de l'esprit,
du courage,
De la naissance, du
bon sens,
Et d'autres semblables
talents,
Qu'on reçoit du ciel
en partage ;
Mais vous aurez beau
les avoir.
Pour votre avancement
ce seront choses vaines,
Si vous n'avez, pour
les faire valoir.
Ou des parrains ou des
marraines. »
Un réseau.
samedi 21 décembre 2013
7 milliards d’autres. Yann Arthus Bertrand.
Le photographe rendu célèbre par sa « terre vue du
ciel » est descendu de son hélicoptère et avec d’autres a interviewé 6000
personnes dans chaque continent de notre fragile planète. Un livre fait partie du
projet sous l’égide de Goodplanet qui a organisé des expositions et tout un
dispositif vidéo sur Internet.
Je pensais que ce volume de plus de 300 pages qui m’a été
offert serait certes plaisant mais superficiel, je l’ai trouvé utile et les
mosaïques de portraits divers donnent à penser. Quand un individu est interrogé,
en face de ses réponses sa présence est forte saisi frontalement dans la
diversité de ses expressions.
Le procédé peut sembler banal, lorsqu’il est multiplié, il
révèle une vérité humaine qui guérit de bien des cynismes, de toutes les
mauvaises fois, et pourrait ébranler quelques positions de racistes de toutes
couleurs, quelques paroles définitives d’intolérants de toutes obédiences.
Si le livre se clôt par le témoignage d’un certain Pierre
que des foules connaissent sous le nom de Rabhi, ses paroles de sagesse sont au
même niveau que celles de Kole l’Ethiopien, Anna la Russe, Floris Bela Maria la Brésilienne ou Surya
l’Afghane… Chacun répond à des questions touchant au sens de la vie, à leur idée
du bonheur, à la place des femmes, leurs colères, leurs rêves… Et lorsqu’une Irlandaise
dit que dans son pays « il y a plus de terrains de golf que de terrains de
jeux pour les enfants », je partage son indignation et j’essaye de suivre
le conseil de Gianmaria qui demande de ne pas se prendre au sérieux, il vit en
Italie.
Tous ne sont pas béatement souriants, certains ont des
blessures venant des avions d’une enfance au Japon ou très immédiatement au
Rwanda où Béatrice est heureuse d’être en vie seulement depuis deux ans.
Quand Beronica l’équatorienne dit que « la
vie c’est étudier, éprouver, palper, voir, être vivant, être heureux, sourire,
pleurer aussi » ce pourrait être une litanie légèrement niaise alors
que le bonheur d’apprendre ne va plus de soi chez nous pour des générations dont des
bataillons de souteneurs psychologiques, de cireurs de pompes, de gaveurs de
produits ont enrobé, dérobé, toute énergie, tout plaisir.
vendredi 20 décembre 2013
L’héroïsme : une valeur d’aujourd’hui ?
« Un bon héros
est un héros mort »
«Il n’y a point de
héros pour son valet de chambre»
Les formules définitives à graver au fronton de mausolées ne manqueraient pas, mais en ces
temps ricaneurs, j’ai bien aimé dans Libé, la pensée originale de Susan Neiman
philosophe lors d’un article préparatoire au débat organisé par la Villa Gillet, à l’hôtel de
région à Lyon:
« Hegel s’était
posé la question : «Il n’y a pas de héros
pour son valet de chambre ; mais non pas parce que le héros n’est pas un héros,
mais parce que le valet de chambre est un valet de chambre.» Le valet a une vision du monde fruste et grossière, et il fera tout en
son pouvoir pour la corroborer. Les gens mesquins et dénués de générosité
voient la mesquinerie et la parcimonie partout ; les âmes généreuses, elles,
recherchent leurs semblables. »
Elle rappelle : « Le
terroriste des uns est le combattant de la liberté des autres. »
Lors de ce débat bien mené, le reporter JP Mari de l’Obs a souvent joué au journaliste, contribuant à
créer la confusion entre victime souffrante et héros, en enchainant quelques
généralités telles que « soldats de
la paix », mais Vincent Azouley expert en Grec à l’ancienne, familier
d’Ulysse, héros incontesté bien que mal
parti et la philosophe ont élevé le débat bien mené par Olivier Pascal
Mousselard lui aussi journaliste à Télérama comme je les aime, n’envahissant
pas l’espace, posant des questions vives et cadrantes. Il s’interrogeait
pourquoi à la mi-temps de France All blacks sur le service public lançant une
série de documentaires sur 14-18, il n’était plus question que de « tous ces
héros » pour qualifier les combattants : est ce plus
vendeur ?
Sans aller comme un écrivain suisse, Benjamin Wilkomirski,
qui s’était inventé une enfance en camp de concentration, il est certain
qu’aujourd’hui la reconnaissance passe par la
compétition des souffrances : ce n’est plus l’acteur qui parle mais
ce que le monde nous fait subir.
Le héros se détache de l’humaine condition en mettant en jeu
la vie et la mort mais le grand homme se juge dans la durée.
À Ulysse qui le
félicite de régner parmi les morts, Achille répond :
« J'aimerais
mieux être sur terre domestique d'un paysan,
Fût-il sans patrimoine et presque sans ressources,
Que de régner ici parmi ces ombres consumées. »
Fût-il sans patrimoine et presque sans ressources,
Que de régner ici parmi ces ombres consumées. »
Giordano Bruno a été brûlé, Brecht dans « La vie de
Galilée » met en scène le disciple de l’auteur de « pourtant elle
tourne », indigné par le fait que son maître se soit renié, il dit :
« Malheureux le
pays qui n'a pas de héros! »
Galilée répond :
« Malheureux le
pays qui a besoin de héros. »
Quand le néo libéralisme triomphe, le héros qui doit
inspirer, nous élever, nous libérer ne
se trouve pas chez les sportifs (« Shako président », le « r »
n’a pas sauté il s’agit de celui qui a été décisif contre l’Ukraine en foot),
ni dans une boite de Viagra pour accéder au titre de « héros de l’amour ».
70 vierges qui attendraient au paradis ne sont qu’un faux prétexte pour risquer
sa vie : le fondamentalisme est plus sérieux.
J’ai le sentiment d’un éternel retour avec une invitation à
nous réapproprier les mots, c’est que nous ne serions pas sorti des
prémices : « au commencement était le verbe ».
………….
Dans le Canard de cette semaine :
jeudi 19 décembre 2013
Biennale d’art contemporain de Lyon. 2013.
Est-ce que parce que l’art contemporain est un marqueur
culturel impitoyable, un domaine de spéculation affolant, que nous devons nous
interdire de nous tenir au courant de ce qui se présente à nos yeux ?
Les obstacles sont nombreux : un verbiage le plus
souvent abscons accompagnant les œuvres,
une communication hiératique : l’œil poché qui annonce
la biennale, une tête de cochon ou une bulle de chewing-gum sont-ils
incitatifs ?
Quand on annonce « un
moment délicieusement érotique de
superposition, et nous nous réjouissons de repérer la perfidie » pour
des bouteilles pendues sous un cadre, il y a de quoi débander, nous débander.
La profusion des artistes est-elle décourageante ou permet-elle,
aux familiers du zapping, des découvertes, en épargnant les raseurs ?
Je livre quelques mots depuis deux lieux : le MAC et la Sucrière, en passant
par-dessus les vêtements sur le sol, quelques bites, des BD agrandies, quelques
rames de papier, des parpaings, des titres bidons et des provocations datant de
Mathusalem accompagnées de tant d’oublis.
Pour être peu sensibles aux vidéos proposées en général en
ces lieux, je change d’avis avec Takao
Minami qui respecte le thème de cette 12° biennale consacrée au récit
« Entre temps, brusquement et ensuite. » Des personnages fragiles
irisés de lumière traversent des paysages rêvés participant à un univers
original, poétique qui nous offre une belle découverte tout en nous paraissant
familier.
Gustavo Speridiao
a apporté pour moi une touche d’humour au cours d’une pérégrination qui n’était
pas là pour rigoler. Une histoire de l’art vraiment personnelle : une
série de photographies souvent
originales aux titres décalés.
« Nous sommes les pirates d’une histoire
inexplorée » sonne pas mal comme titre de Takewata qui s’attaque à Fukushima, rien que ça.
Le collectif Madein
company présente sous vitrine des gestes des religions, du sport ou de la politique qui se ressemblent. Cela
conviendrait mieux à un musée d’anthropologie mais les rapprochements sont
stimulants.
Paulo Nazareth a
payé de sa personne en faisant le trajet de Johannesburg à Lyon à pied, il a déposé
quelques étiquettes ramassées au cours du périple.
Les projections d’images poétiques sur du sable de Gabriela Fridrksdottir font partie d’une installation qui regroupe une
vidéo aux allures chamaniques, des bouteilles en verre soufflé, une
construction semblable à un fruit dans un environnement soigné de sons comme
dans quelques autres propositions succinctement décrites ci-dessus.
mercredi 18 décembre 2013
Ethiopie J 13. Konso.
Nous devons pas mal rouler aujourd’hui revenant sur nos pas
vers Key Afer. Dans la plaine, nous bifurquons par une piste rectiligne que
nous suivons un long moment avant d’atteindre un village Arbore.
Le rituel commence : un guide local nous explique les
coutumes du village constitué de trois tribus différentes, qui ont créé une
langue commune pour cohabiter.
Les filles ont la tête rasée et s’habillent de peaux de
bêtes alors que les femmes mariées se laissent pousser les cheveux et se
ceignent la taille avec du tissu.
Autour de nous la population grossit, sauf des femmes occupées à refagoter
l’armature d’une case, remplaçant les parties noircies par le feu.
La séance photo peut commencer, nous choisissons les
figurants par groupes de trois. Les
demandes de soap, t-shirt, de nos bracelets se multiplient, les soldes pour les
photos arrivent… nous parvenons à
remonter dans les 4X4, après avoir acheté un tabouret.
Nous subissons une nouvelle crevaison après avoir croisé des
pintades peu farouches.
Nous mangeons dans un restaurant routier, assez grand, avec
plusieurs paillotes. On nous sert deux plateaux pour 6 sans viande à cause du
jeûne car nous sommes vendredi.
Nous nous régalons de purée de pois cassés et lentilles
rouges légèrement pimentées.
Des merles métalliques s’approchent des plats qu’ils
picorent en compagnie des worabées (tisserins jaunes) de façon assez effrontée.
Les becs affamés font inévitablement basculer dans un grand bruit de métal des
plateaux disposés avec les restes sur une murette.
La route vers Konso
passe dans des paysages verdoyants de collines où se distinguent des terrasses
et grimpe en pente non négligeable vers des altitudes plus élevées.
La ville de Konso se répartit autour de la rue centrale
descendant sérieusement jusqu’au rond-point faisant référence à l’UNESCO.
Notre hôtel, « The green Hôtel » n’est pas très
reluisant avec une cour ravinée où sont plantés quatre totems en bois et deux
abris circulaires surmontés de toits de chaume traditionnels. Nous logeons dans
des chambres au rez-de-chaussée, le premier étage est encore en construction.
Pas d’eau courante, nous nous contenterons du seau d’eau, quant à la lumière , Achenafi,
un de nos accompagnateurs, court acheter des ampoules.
Nous partons à pied, dans la ville que nous pouvons parcourir
tranquillement : « welcome ».
Nous nous asseyons un moment sur un
banc de terre adossé à la case d’handicraft d’où nous observons la vie de la
rue : femmes croulant sous le poids de fagots, habillées de jupes
traditionnelles blanches retournées et ceinturées en haut, des enfants, des
motos, des hommes en habit musulman ou européen et une colonne de jeunes
portant leurs pelles, rentrant du travail.
Autour d’une table bancale nous nous réunissons pour
discuter, lire, compléter nos journaux. Girmay nous raconte comment enfant il
attirait les pintades avec des plumes pour les prendre au collet.
mardi 17 décembre 2013
La vie secrète des jeunes. Riad Sattouf.
Le dessinateur de Charlie hebdo a beau annoncer au début de chacune des scènes, qu’il croque, que ce sont des situations « vues et entendues », nous sommes partagés entre l’effarement et l’admiration de voir la réalité si efficacement attrapée.
Dans le métro, les fast food, dans la rue, quand le
téléphone portable amplifie l’impudeur, les jeunes ne sont guère saisi à leur
avantage dans les traits de leur visage, ni dans leurs paroles.
Les relations sont souvent violentes et quand il s’agit des
enfants, on ne rigole pas ; c’est parfois ignoble.
Cette accumulation sur 160 pages poursuivie sur trois tomes
est un document utile sur l’état de la société qui se lit facilement grâce à un
humour qui met à distance les plus sordides situations.
La transcription des langages est fine, cocasse et sans
pitié pour les tics et la vacuité.
Je vais essayer de lire La Bruyère avec ses portraits
piquants auxquels j’ai pensé à cette occasion.
Plus vif que l’émission strip tease mais de la même acuité,
il cultive chez nous un pessimisme des plus tenaces. Faut-il en rire ou en
pleurer ? Pour les héritiers d’Hara Kiri, « le journal bête et
méchant », le vivier où barbotent les stupides, les perdus, les brutaux
est encombré, avec donc d’autres volumes à dévorer.
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