mercredi 25 septembre 2013

Ethiopie J3. Les oiseaux du lac de Zwaye.



La nuit est longue grâce aux vertus énergisantes du café de 15h et puis vers 3h du matin les chiens ne paraissent plus aussi discrets qu’en plein jour.
Au petit déjeuner nous est proposé un thé au clou de girofle.
Patientant devant une banque, nous faisons le désespoir de petits cireurs de chaussures consternés par nos chaussures crottées.
Au dessus des arbres, deux vautours surveillent la rue.
L’embarcadère où nous devons prendre le bateau  est le royaume des oiseaux: sur la rive, marabouts, ibis et pélicans sont à portée de mains. Nous nous émerveillons devant leur vol, l’élégance des ibis, la laideur des marabouts, la blancheur des pélicans. Les ailes et les becs claquent pour se disputer un poisson.
Notre destination est  l’île de Tulu Goudo « grande montagne »  qui aurait abrité elle aussi l’arche d’alliance, à une heure trente de bateau à moteur.
Notre ascension  dure également une heure trente, elle débute parmi des cultures en terrasse labourées par les jeunes paysans et leurs bœufs. L’air est parfumé par les œillets d’Inde sauvages. Puis nous marchons dans une forêt d’euphorbes grosses comme des arbres, avec des aloès, des opuntias en fruits. Du jamais vu.
Vers le sommet le guide local nous montre une « pierre de punition » naturellement percée dans laquelle le condamné avait une jambe coincée et selon la peine prononcée restait dans cette position inconfortable un jour ou deux.
En 1973, le village qui dominait l’île fut abandonné comme trois autres et rebâti au bord de l’eau, les anciens avaient préféré le sommet pour éviter les moustiques.
Après avoir profité du  magnifique panorama nous redescendons vers un restaurant qui vient de s’installer pour déjeuner d’un poisson grillé, du tilapia, délicieux. Le plus audacieux d’entre nous prend l’habitude de faire « gorcha » (prendre la becquée) avec l’équipe éthiopienne. Nous apprenons que les chrétiens d’ici jeûnent 200 jours par an, tous les mercredis et vendredis.
Près de là des singes sautent dans un arbre, tout à côté de l’église, mais ne se laissent pas approcher. Certains ont sans doute cherché à chaparder nos bananes car ils ont laissé quelques traces dans le bateau qui vient nous chercher. Au retour, nous avons droit à un détour près d’une île occupée par des oiseaux.
Nous admirons sans nous lasser des colonies de pélicans alignés sur un rocher ou nageant à la queue leu leu, des marabouts dans leurs arbres des ibis et des cormorans. Nous suivons leurs vols en escadron, haut dans les airs ou en rase motte. Même descendus de la barque, nous continuons à les canarder de nos appareils photos, à les observer.
Nous avons aperçu  aussi des serres gigantesques destinées à la culture des roses qui prennent le relais de celle du Kenya, le propriétaire est Indien. Le site est déjà pollué et les poissons se raréfient.
Nous rentrons à pied, en flânant dans les lumières du soleil couchant. Nous croisons de nombreuses charrettes tirées par des petits chevaux transportant hommes et femmes.
Goulasch de poissons pour ce soir.

mardi 24 septembre 2013

La planète des sages. Jul Charles Pépin.


Le sous titre donne le ton : « encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies » : « mazette rien que ça » et second degré en 120 pages : 60 de BD, 60 de textes nerveux.
De Platon à Dérida, un prof de philo rigolo dialogue avec le père de « silex in the city » et nous fait comprendre pourquoi Descartes a des problèmes avec le montage de son armoire Ikéa et chez Freud, pourquoi un joueur de foot se débat avec ses transferts.
Sartre est en panne d’essence ; dans la caverne de Platon, les épicuriens sont à l’animation et un stoïcien (black) à la sécurité, Pythagore en VIP.
Bourdieu est à la photocopieuse pour la reproduction, et Machiavel ne fait pas l’affaire quand il se présente à la rédaction de Gala bien qu’il soit un spécialiste des têtes couronnées.
More en Casimir a de quoi éveiller les curiosités comme Simone Veil et Spinoza qui ont eu le courage de mettre leur vie en accord avec leur pensée.
« Vouloir ne pas vouloir, est ce encore vouloir ? » quelques formules mettent en appétit, avec un Maïmonide venu du fond des âges, un Confucius ou des écoles comme le collège de France et Thérèse d’Avila pour varier les approches.
Les sceptiques, philosophes par excellence, doutent qu’un avion ait mis à bas le Parthénon.
Jankélévitch avait toute sa place entre le lamaïsme et Hume, lui qui a écrit «  Le je-ne-sais quoi et le presque- rien », qui a intitulé son plus important recueil d’entretiens «  quelque part dans l’inachevé ».
Comme l’a mis en évidence Erasme, « l’insensé a le pouvoir de produire du sens » alors « accroche toi au pinceau, j’enlève l’échelle » peut nous emmener loin et nous nous mettons à la queue leu leu sur les conseils de Hobbes pour jouir de la vie.
Cet ouvrage participe à ce plaisir.

lundi 23 septembre 2013

Elle s’en va. Emmanuelle Bercot.



Catherine Deneuve. Bien que la scène du paysan qui roule sa cigarette ait été trop racontée, c’est un morceau de choix, comme les retrouvailles pudiques et maladroites de Deneuve avec sa fille jouée par la chanteuse Camille avec qui ce n’était pas gagné de se reconquérir.
Des personnages intéressants, mais leurs transformations sont parfois trop expéditives et la barque des péripéties biographiques est parfois chargée alors que cette virée commencée par hasard, par usure, nous laisse au début découvrir progressivement des petites routes, des fausses pistes. 
La conclusion bucolique est heureuse, tout le monde se retrouve au bout de l’autoroute : le petit fils inconnu devient  son complice en rien de temps, sa fille véhémente fond, Garouste est bien séduisant, l’arrière grand mère se remet à fumer.
L’addiction à la nicotine parait dans cette plaisante balade comme un vecteur de liberté.
Le road mamie va plaire et Catherine Deneuve est une grande actrice.

dimanche 22 septembre 2013

Stromae.



The storm of the rentrée.
Ses rythmes s’impriment facilement dans notre cervelet avec « Papaoutai », et  difficile d’éviter le trop facile :
« Tu étais formidable,
J' étais fort minable, »
Des musiques tapantes aux accents de sirènes sur des paroles déchirantes, comme  lorsqu’un drame prend plus d’intensité en se déroulant au milieu des flonflons d’une fête.
Il se place dans une filiation ; tout le monde reconnait évidemment des accents à la Brel,  des mots à la Nougaro, il rend hommage à Césaria Evora :
« Malgré toutes ces bouteilles de rhum, tous les chemins mènent à la dignité »
 Et pleinement dans le siècle avec le rappeur Oreslan dans  AVF ( Allez vous faire…)
« La nuit dans la bouteille, la journée dans les bouchons, »
Amateur de mots : des bons et des gros :
« T'es un homme ou bien tu péris
Cultrice ou patéticienne »
Il porte un regard acéré sur l’époque : ses cancers et ses tweets sur l’air de Carmen :
« Prends garde à toi
Et à tous ceux qui vous like
Les sourires en plastique sont souvent des coups d’hashtag »
Après ce deuxième album, passera-t-il à un stade où il en appellera moins à papa et maman sur trop de plages ?

samedi 21 septembre 2013

Modernes catacombes. Régis Debray.



Si j’ai consacré 15 articles sur ce blog à mon quimboiseur (sorcier) préféré qui sollicite d’emblée le dictionnaire, c’est que parmi sa production tellement abondante qu’elle suffirait à  me nourrir à plein temps, chaque lecture m’enchante.
Nous sommes conviés à un voyage au pays des lettres : il fait l’éloge de  Gary, Sartre, Semprun… égratigne élégamment Sollers et s’attaque avec finesse à quelque monstre sacré tel Foucault.
« Par un contre effet de bascule, replongèrent dans le noir - en même temps que la famille, l’atelier, l’usine, la ferme - les ci-devant « travailleurs des villes et des campagnes », assignés par le radical chic à la condition de beauf (pour ne rien dire des malheureux « inspecteurs du travail », deux mots, deux offenses).
Je n’ai pas la culture suffisante pour juger de la justesse de ses opinions concernant Gracq, Nourissier ou Fumaroli mais l’originalité de son propos est stimulante, l’élégance du style séduisante, la vigueur de ses oppositions nous réveille, ses formules claquent :
si nous sommes passés dans nos relations «du haïku à la main au cul», De gaulle fit effectuer à la France « Une traversée en première classe avec un billet de seconde.» 
Je goûte toujours son humour désenchanté quand par exemple il met en débat les formes littéraires les plus concises :
« La genèse ? Un homme. Une femme. Une pomme. Un drame. »
Et ses mots portent bien au-delà d’un dilemme pour qui  serait tenté par l’autobiographie :
 «…  vous n’avez pas le choix, me semble-t-il, qu’entre deux positions fausses : ou vous reniez votre passé, au nom d’une lucidité présente, et vous racontez l’histoire triste d’une abjuration. Ou vous continuez d’épouser ce passé, pour vous justifier, et c’est la rétrospection paranoïaque d’un idiot. »
300 pages où souffle «  le sentiment de l’Histoire dont Chateaubriand fut l’accoucheur et Malraux le croque mort. »

vendredi 20 septembre 2013

« Sectaire »



Enfumé passif  par le babil médiatique, me voilà à ronger l’os que les services com’ viennent de nous livrer, quand un ancien premier ministre affirme qu'en cas de duel PS/UMP aux municipales, il recommanderait de voter « pour le moins sectaire » ; il aurait pu dire :
« pour le moins démagogue,  le plus républicain, le plus honnête, le plus  juste, le plus soucieux de l’intérêt général …»
Parler pour ne rien proposer, avec au bout sempiternellement, le FN en arbitre des élégances, sur fond de mémoire courte, de pensée  moutonnière et de perte des repères.
Fillon qui n’a fait qu’obéir pendant son séjour à Matignon, dénigre son maître maintenant qu’il a le dos tourné et se replace en zig zag. Ah ! Il n’est pas sectaire vis-à-vis de l’extrême droite,  juste un peu traitre à l’égard de ceux qui le  précédaient et ceux qui le suivaient : il était contre le « ni ni » à Copé qui en arrive à donner aujourd’hui des leçons de cohérence, un comble !
Le mot « sectaire » repris par tous les médias est  le synonyme systématisé de passionné, de fidèle aussi.
Bien des désillusions ont terni nos enthousiasmes adolescents et ce n’est pas la mobilisation de nos adversaires pour le renflouement de l’UMP qui va me rassurer sur le civisme de mes concitoyens. Ces contributeurs se sont surtout élevés contre l’avis de l’état que servit Seguin, un des mentors de l’ancien maire de Sablé-sur-Sarthe, ils n’étaient pas invités à adhérer à un programme constructif, quand même le mot « gaulliste » est tombé en désuétude.
Mais c’est bien vrai que l’on vote surtout contre, et les leçons de morale exaspèrent de plus en plus, surtout que les émetteurs du parti de Guérini ne sont pas forcément des modèles de vertu.
Le FN n’a rien à faire, L’Europe, l’UMP, le parti de Cahuzac lui fournissent de l’eau pour sa résistible ascension. Qu’ils arrêtent de pleurnicher ou de dédaigner les citoyens ! De la hardiesse, de la franchise réhabiliteraient les politiques qui se réclamaient d’un arc républicain désormais bien endommagé.
Bien sûr, les palinodies à droite me réjouissent, mais la gauche se cache les problèmes et éloigne les solutions : réforme pénale et celle des collectivités locales, refonte de la fiscalité…
Et le non- cumul des mandats !
Pourtant leur stratégie du brouillard semble réussir concernant les retraites. Et je dois modifier mon appréciation concernant la transition écologique: les verts sont contents.
Les partis qui nous gouvernent ont peur de l’ombre de leurs électeurs pour avancer toute mesure qui demanderait un peu de courage pourtant sûrement plus porteur électoralement que la reprise des mots de l’adversaire : « ras le bol fiscal ».
Une certaine gauche minimise l’émotion autour du bijoutier de Nice, en suspectant les « like » de soutien sur Facebook d’être gonflés, et méprise ceux qui sont préoccupés de sécurité, se montrant aussi caricaturale dans l’angélisme, que ceux qui ont oublié que la justice, certes bien imparfaite, était un pilier de notre civilisation.
La doctrine « oeil pour œil » aveugle encore des foules au XXI° siècle : faut pas « Charia » !
………….
Un dessin du Canard de cette semaine :

jeudi 19 septembre 2013

Passage à l’art.



Le réseau Mémorha qui regroupe des responsables de lieux consacrés à la Seconde Guerre mondiale et des universitaires de la région Rhône Alpes avait organisé à Pont-en-Royans, une table ronde où étaient examinés les liens entre artistes et intellectuels. Lorsque l’art s’intéresse à l’histoire.
Le sous titre « l’impossible transmission du vide » a été, à mon avis, illustré  par  des participants au-delà de leurs intentions.
L’enseignement de la Shoa est  paraît-il empêché dans certains collèges, est ce encore vrai ? Ce problème n’était pas à l’ordre du jour.
La discussion venait après une « lecture- performance » de plus de 500 questions par Annie Zadek  adressées à ses fantômes, accompagnées des photographies  d’Arno Gisinger.
Cette introduction roborative aurait mérité une explication pour les non-initiés.
Malheureusement l’art contemporain souvent si bavard aime parfois les ellipses qui participent à un éloignement décourageant, alors que souvent les intentions sont pédagogiques.
Pourtant les deux historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka n’ont pas besoin de grands mots pour charpenter leurs discours lors de leurs interventions dans un débat un peu vague, sans contradicteur.
Le photographe fut clair lui aussi pour nous rappeler que la nature de son travail est justement de rendre présent le passé et que la notion de point de vue, si féconde, vient du vocabulaire des photographes.
La discussion  a été utile pour saisir l’apport de la poétesse qui regrette que les mots soient toujours entre parenthèses depuis la Shoa, mais les intervenants ne sont pas allés vers un point de vue plus général et n’ont guère apporté d’exemples variés pour approfondir le sujet.
Le noir installé furtivement entre deux diapos, claquait comme jadis  au patronage.
Nous avons pu après coup apprendre comment  se nouent les mots et les objets photographiés frontalement sur fond gris : ce sont les meubles en voie de restitution pris chez les juifs autrichiens partis on sait où.
Cette représentation de l’inventaire de biens spoliés est justement à la charnière d’un travail d’historien chargé ici de la « collation* » d’objets et de celui de l’artiste qui « met en présence » afin de rendre le passé intelligible. Ce passé qui s’infiltre dans le présent, se métamorphose.
L’émotion peut permettre d’accéder à une mémoire raisonnée et dépasser le pathos mais dans ces recherches la « babelisation » de la langue, évoquée au cours du débat, permettra-elle d’aller plus loin dans l’investigation du passé et sa transmission ?
Je crains que les mots traversant les frontières soient plus ceux des traders que des professeurs d’histoire.

*J’ai appris un  sens nouveau pour ce mot, j’en étais resté à « l’en cas » ou comme dit celui qui m’a permis d’assister à cet après midi studieuse « 2-3 tranches de poitrine roulée et une tomme poussées au Côtes »: « Confrontation de textes manuscrits ou imprimés pour s'assurer de leur conformité. » ou « Ensemble des caractéristiques physiques d'un ouvrage (nombre de volumes, format, etc.), permettant son classement. »