vendredi 7 décembre 2012

L’invention de la France. Hervé le Bras Emmanuel Todd.



Il y a trente ans j’avais lu cet atlas anthropologique et politique avec une jubilation qui avait persisté. Les temps étaient simples, les cartes des votes pour Giscard coïncidaient avec celle des pratiques religieuses, je retrouvais sur le papier mon histoire familiale avec des grands parents légèrement singuliers en Dauphiné après avoir travaillé sur une terre gasconne qui les avait formés.
Avec la réédition de ce livre, je me suis remis en mémoire par exemple ce rapprochement étonnant : les zones où les chasses aux sorcières de la fin du moyen âge avaient été les plus virulentes correspondaient aux départements qui avaient le taux de sages-femmes le plus important. Et révisé que l’implantation protestante s’est faite en Europe  sur fond de sentiment national mâtiné d’une pointe d’identification au peuple élu, alors que le catholicisme était plus universaliste.
La superposition des cartes depuis les invasions barbares, en passant par les taux d’alcooliques, celui des suicides, l’âge des mariages, la proportion d’hommes en capacité de signer… montraient des persistances politiques qui nuançaient une approche uniquement économique.
La zone d’occupation romaine continuait à se distinguer de celle des germains et des celtes.
L’implantation du parti communiste était forte dans les zones intermédiaires entre les types de famille nucléaire (papa/maman) et la famille communautaire quand les enfants mariés cohabitent avec les parents.
La forme de transmission de l’héritage, les champs ouverts ou fermés étaient déterminants :
« En pays de population agglomérée, on tente de limiter les conflits de voisinage car le voisin est tout proche de vous, alors qu’en pays de bocage, au contraire on cherche à faciliter le rapprochement car le voisin est loin. »
L’ouvrage de 500 pages est agréable à lire avec des titres tels que « les Francs sont ils de gauche ? » mais la vision claire des années 80 s’est compliquée avec l’émergence du FN.
Les deux chercheurs récusent sur ce terrain là aussi les lectures simplificatrices qui voient l’implantation du parti d’extrême droite essentiellement sur les territoires perdus par le PC.
La quatrième de couverture donne le ton.
« … du nord au sud, de l’est à l’ouest de l’Hexagone les mœurs varient aujourd’hui comme en 1750. Chacun des pays de France a sa façon de naître, de vivre et de mourir. L’invention de la France est un atlas qui cartographie cette diversité en révélant le sens caché de l’histoire nationale : hétérogène, la France avait besoin pour exister de l’idée d’homme universel, qui nie les enracinements et les cloisonnements ethniques.
Produit d’une cohabitation réussie, la Déclaration des droits de l’homme jaillit d’une conscience aiguë mais refoulée de la différence. L’idéologie aujourd’hui dominante, analysée dans la nouvelle partie inédite de cet ouvrage augmenté, pourrait être décrite comme un programme de défense d’une homogénéité menacée, ou, chez les plus radicaux, le rêve d’un retour à une homogénéité perdue. Mais ce que montrait justement L’Invention de la France, dès 1981, c’est que cette homogénéité n’a jamais existé.
Les défenseurs autoproclamés de l’identité nationale ne comprennent pas l’histoire de leur propre pays. Osons le dire : ils sont aveugles à la subtilité et à la vérité du génie national. Alors, pourquoi ne pas ajouter quelques différences, parfois importantes, quelques nouvelles provinces mentales, maghrébine, africaine ou chinoise, pour les atténuer, les apprivoiser avec le temps, comme on l’a toujours fait en France ? Il n’y est pas question de fixer des différences pour l’éternité, d’essentialiser des pays et des peuples.
La culture est mouvement, progrès, diffusion, homogénéisation bien sûr, mais sans oublier que de nouvelles différences apparaissent sans cesse. L’Invention de la France s’achève par une partie politique. L’effondrement du catholicisme, puis du communisme ont engendré un vide religieux et idéologique qui a fini par couvrir tout l’hexagone. On peut donc parler d’une nouvelle homogénéité par le vide, qui explique l’apparition, parmi bien d’autres choses, dans un pays où les Français classés comme musulmans ne pratiquent pas plus leur religion que ceux d’origine catholique, protestante ou juive, d’une islamophobie laïco-chrétienne, qui prétend que la seule bonne façon de ne pas croire en Dieu est d’origine catholique.
Le vide métaphysique du moment Sarkozy est ici saisi à sa source. » 
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Un dessin du "Canard" de la semaine: 



jeudi 6 décembre 2012

Plan relief de Grenoble.



La maquette de Grenoble en 1840 du temps où elle était ville de garnison, est exposée au Magasin, musée d’art contemporain. Elle est monumentale: 60m2. 
La maquette de fort Barraux est installée au musée Dauphinois également  jusqu’au 6 janvier.
Ces deux représentations minutieuses figurent parmi les 260 plans reliefs constitués pour des raisons militaires depuis le règne de Louis XV jusqu'à Napoléon III. Pierre Mauroy les avait extirpées des réserves où elles prenaient la poussière.
Les fortifications servirent bien peu.
Des jumelles sont à la disposition des visiteurs mais un bon zoom d’appareil photo est plus efficace pour apprécier la finesse des détails, la beauté de l’ensemble.
Au-delà des courbes de l’Isère et des pentes de la Bastille, la cathédrale Saint André, le couvent de Sainte Marie d’en haut sont des repères immuables et le public se régale de voir les évolutions qui se sont opérées. Pas de trace de la gare qui sera édifiée 12 ans après la maquette.
Au moment où des transformations spectaculaires s’apprêtent, il est bien agréable de poser un regard surplombant, en retrouvant des sensations qui remontent à l’enfance.
« Je craignais trouver à Grenoble ce vilain petit pavé pointu qui à Lyon m’empêchait de marcher. Mais les grenoblois sont des gens d’esprit ; sept de leur rues sont déjà pavées de pierres plates que l’on tire de Fontaine, et dans six ans il n’y aura plus de pavé pointu » Stendhal n’a pas été toujours aussi indulgent avec sa ville ; d’autres citations enrichissent la visite :
 «  Ce que j’aime dans Grenoble c’est qu’elle a la physionomie d’une ville et non d’un grand village comme Reims, Poitiers ou Dijon. Toutes les maisons ont quatre ou cinq étages, quelquefois plus. Cela est incommode et  moins salubre, sans doute mais la première condition de l’architecture est de montrer la puissance. »

mercredi 5 décembre 2012

Bordeaux # 2. Moderne chez les anciens.



Dans le quartier Saint Pierre des mascarons ornent les dessus de portes avec des visages africains qui rappellent discrètement la traite négrière.
De cet âge d’or « ne peut être détaché de l’origine de sa richesse : les denrées coloniales, fruit du travail des esclaves des Antilles et de l’océan indien. »
Au cœur de cette zone touristique, le cinéma d’art et d’essai Utopia est installé dans une ancienne chapelle.
 « C’est Mériadeck ici! » dans le langage local signifiait « c’est le bordel !», c’est qu’il y en avait jadis dans ce quartier pauvre à présent témoin de l’architecture des années 60 à forte teneur en béton qui ne jure pas tant que ça avec la vieille ville qui nettoie ses noires façades. 
Récemment, Rogers, l’architecte qui a conçu Beaubourg, a réalisé le tribunal de grande instance dont chaque salle d’audience semble une ruche derrière la façade transparente.
A la limite du quartier des Chartrons, un entrepôt des denrées coloniales accueille depuis trente ans un musée d’art contemporain CAPC (centre d’arts plastiques contemporains).
Le quartier doit son nom à un couvent des chartreux qui en était le centre, et sa renommée aux négociants Anglais qui apportèrent un air d’outre manche, que Flamands, Irlandais ou russes perpétuèrent. 
La préservation des volumes imposants de l’entrepôt Lainé est le principal attrait du lieu.
Keith Haring est dans l’ascenseur. Buren, Warhol, Barcelo, Boltanski, Combas font partie de l’exposition permanente, mais j’ai regretté leur discrétion face à la rampe de Michel Majerus "If you are dead, so it is" qui occupait provisoirement la nef principale et aurait pu satisfaire les skateurs ailleurs.
Si le quartier des Chartrons est lié au commerce du vin, Bacalan à côté des bassins à flot accueillait les dockers. Son nom n’a rien à voir avec  quelque bacalhau portugaise, mais avec le patronyme d’une famille protestante de la région.
Bien mise en lumière, la base sous marine située au Nord de la ville, que nous n’avons pu visiter, éveille la curiosité. Ce bunker colossal construit en 1941 par 7000 ouvriers, abritait des sous marins allemands sous ses 6 mètres de ciment. Aujourd’hui des galeries y sont installées.
De préférence aux installations froides des institutions vouées à l’art contemporain, l’art brut est pour moi plus immédiat, plus bouleversant.
C’est à Bègles, ancienne banlieue rouge, chez  le vert Mamère,  que nous trouvons notre affaire au musée de la création franche.
Nous sommes dans l’intimité d’une maison du XVIII° où alors Rosemarie Koczÿ exposait. L’abondance de ses dessins intitulés « Je vous tisse un linceul », leur force, le thème des camps de concentration m’ont conduit à abréger ma visite. Je me suis reconstitué avec des œuvres de l’art postal qui parfois crient aussi mais dont la diversité m’a enchanté.

mardi 4 décembre 2012

Les gosses. Carabal.



Une planche de la BD parait chaque semaine dans « Femmes actuelles », depuis 95.
Le trait du papa qui raconte sa vie de famille a beau rappeler Reiser par sa vivacité, c’est la gentillesse qui domine dans ces chroniques tendres qui s’intitulent dans le premier album d’une série de 17 : 
« Et en plus c’est vrai », on n’en doute pas.
C’est la mère harassée que le petit dernier appelle avec insistance pour lui dire : 
« t’es belle maman ! »
Les gosses sont bavards, leurs bons mots naturels, les parents font de leur mieux, c’est reposant.
Et  on ne dit pas « la dépanneuse grosse » ni « la blanche dépanneuse » ni « la voiture de nous » même quand  sa propre voiture est emmenée à la fourrière par une grosse dépanneuse blanche.
« - Hein papa qu’il faut pas dire la mec ?!
- Oui ! Mais s’il te plait laisse-moi écouter les infos !!
- On dit les informations… »

lundi 3 décembre 2012

Sharqiya. Ami Livne.



La terre, l’eau.
Les paroles sont rares, les enjeux élémentaires.
L’état d’Israël a décidé la démolition de misérables cabanes qui abritent deux frères bédouins aux caractères différents et la femme de l’un d’entre eux.
Ils vont se défendre.
La lenteur permet de nous installer du côté de ces hommes dignes, face aux forces dites de l’ordre qui fabriquent du terroriste à la pelle.

dimanche 2 décembre 2012

Arno.



Il a une telle voix que lorsqu’il chante en anglais je suis prêt à faire des efforts pour écouter et je peux aller jusqu’au flamand.
Le plus rauque’n roll des chanteurs de toutes les Wallonie et Biélorussie réunies.
Pour que son interprétation des « Filles du bord de mer » vous transperce, il en faut de la profondeur, et la légèreté d’Adamo qui eut son charme en est toute retournée.
Le natif d’Ostende, là où les chevaux de la mer nous causent depuis leurs brumes, nous régale d’un d’humour qui ne se trouve pas sur toutes les plages rock.

« Tu penses que je suis pas trop petit
Tu penses que je peux être heureux
Tu penses que je vais mourir
Tu penses que je dis des conneries

Et moi je veux nager
Encore une fois avec toi
Et moi je veux nager
Ma femme n'est pas là

Moi j'aime Dieu
Moi je fais ce que je veux
J'adore Hollywood
J'aime l'été à St Tropez

Et moi je veux nager
Encore une fois avec toi
Et moi je veux nager
Ma femme n'est pas là

I wanna swim with you
In the moonlight
Je veux nager, nager avec toi
In the moonlight... »

Rugueux et tendre.
Il parait qu’il a quarante ans de scène derrière lui, alors  je suis bienheureux,  j’ai encore beaucoup à découvrir de cet artiste rare.
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samedi 1 décembre 2012

Un repas en hiver. Hubert Mingarelli.



Appâté par une critique de Libé qui s’était mis à la hauteur du livre, j’en ai acheté deux et je ne me suis pas trompé.
« Tout à l’heure nous avions traversé un village polonais, triste comme une assiette en fer qu’on n’a jamais lavée. »
Implacables destins de trois soldats allemands et d’un jeune juif qu’ils ont capturé dans la forêt en Pologne.
« Nous avions l’habitude, nous savions ce qui nous attendait, et pourtant le froid nous surprenait toujours. On aurait dit qu’il rentrait par les yeux et se répandait partout. Comme de l’eau gelée qui serait passée par deux trous. »
Pour faire fondre la neige, chauffer une soupe tellement attendue, ils vont brûler les chaises, l’étagère, la porte de la resserre où se blottit leur prisonnier.
Nous entrons avec eux dans cette pauvre maison avant leur retour au camp, et nous en ressortons glacés.
« Pourquoi le lieutenant Graaf avait-il besoin de nous rassembler dehors ? Ne craignait-il pas le froid lui aussi ? Ce qu’il avait à nous dire, nous aurions pu aussi bien l’écouter au chaud, debout devant nos lits de camp. Sans doute ne trouvait-il pas assez solennel de nous parler à l’intérieur du gymnase. Il avait fait suspendre une plaque en fer à un poteau téléphonique, et le bruit qu’elle faisait, lorsqu’il frappait dessus, ce tintement sinistre, nous le haïssions plus que le froid qui nous attendait dehors. Nous n’avions pas le choix, nous obéissions à un ordre, mais il en fallait n’empêche du courage pour sortir par un temps pareil. »
La barbarie, et des éclairs d’humanité dans les gestes élémentaires, fumer, creuser une cuillère,  apercevoir un cristal de neige tricoté sur un bonnet.
Je ne vais pas tout recopier, le livre n’a que 130 pages et l’essentiel est dans chacune d’elle.