jeudi 3 juin 2010

Lorsque l’art fait scandale avec des images religieuses.

Eliane Burnet conférencière familière des amis du musée commençait sur du velours avec un graffiti romain représentant un âne en croix, jusqu’à une femme bien en chair placée sur la croix de Félicien Rops qui tente Saint Antoine, ou le christ avec un masque à gaz de Görtz. Le Caravage et sa vierge Marie aux pieds sales ou « la sortie de bains » de Michel Ange au plafond de la Sixtine ne choquent plus grand monde, pas plus que Masaccio avec ses chassés du Paradis parce qu’ils montraient leur douleur trop humaine et pas seulement le sexe d’Adam qui disparut sous les feuillages, un temps.
L’art contemporain secoue plus, en principe, mais il a fallu que la sculpture du pape bousculé par un météorite de Maurizio Cattelan arrive en Pologne pour susciter quelque émoi, et le christ - encore lui - crucifié sur un Bombardier de l’Argentin Ferrari, aurait pu être lu comme la souffrance renouvelée du seigneur qui saigne à chaque malheur du monde et pas forcément comme la dénonciation de la collusion de l’église avec les maîtres des orages U.S. Et aujourd’hui quand monseigneur Di Falco fait entrer un christ sur une chaise électrique, il électrise peut être quelques bigotes, mais il ne fait qu’entériner le glissement des églises vers une fonction patrimoniale, muséale.
Si les cochons tatoués de Wim Delvoye ont fait parler d’eux grâce aux défenseurs des animaux et aussi avec quelques intégristes à cause d’images religieuses sur couenne, il y a eu moins de battage quand un homme Tim Steiner a été tatoué par le même artiste. Il devra être présenté trois fois par an afin de permettre à l’acquéreur de l’exposer. Après sa mort, le tatouage sera détaché de son corps. Sur Internet il paraît qu’on peut acquérir un rein par exemple, un ventre à louer… Ce n’est plus du velours, c’est du lourd. L’esclavage a été aboli dans les textes, pas la misère absolue.

mercredi 2 juin 2010

Indochine

En 1992, au moment de sa sortie, ce film de Régis Wargnier ne m’avait pas semblé majeur ; en le revoyant après notre voyage au Viet Nam, je me suis aperçu qu’il avait accroché à notre mémoire quelques images : la baie d’Along terrestre et maritime, le palais impérial de Hué, les hévéas au « sang blanc », plus quelques archétypes qui participent au charme des voyages jusque dans leurs ambigüités. Confort de la colonisation auquel sied bien une lucidité désabusée lors des bals à l’ambassade, dans les fumeries d’opium, à la terrasse du café de Paris, sous les paumes des masseurs, chaleur et lents ventilateurs. Catherine Deneuve est au sommet de son art avec ce qu’il faut de ride naissante sous les yeux pour nous émouvoir et Jean Yanne est vraiment taillé pour la coloniale, Dominique Blanc en « môme caoutchouc », inattendue. Ce genre de film avec destins individuels sur fond de fresque politique, est finalement assez rare en France. En allant revoir sur Internet ce que fut le bagne de Paulo Condor évoqué dans ce film, on révise aussi les horreurs de ces années et la formidable énergie qu’il fallut à ce pays pour se libérer

mardi 1 juin 2010

La théorie des gens seuls Dupuis&Berberian

BD parfaite. Décrit l’époque avec ce qu’il faut de légèreté et d’humour pour faire passer la mélancolie, l’ennui, les difficultés à sortir de la solitude. Les quiproquos, les décalages naissent bien de ces incompréhensions. Monsieur Jean, un doux rêveur, ne se laisse pas importuner tant que ça par des tueurs qui lui apparaissent dans ses cauchemars. Félix son copain qui squatte son appartement, redoutable avec ses leçons définitives, nous conduit à nous situer du côté de ce gentil Jean. Dans ces comédies urbaines où flotte un air de film de Truffaut, les incursions à la campagne prennent des allures de chanson de Bénabar, et là les malentendus deviennent grinçants. Le trait noir élégant convient parfaitement à ces courts récits toujours justes qui disent avec finesse les malentendus avec des parents envahissants, les maladresses les mieux intentionnées, les vérités blessantes qui se voulaient tellement exactes…

lundi 31 mai 2010

Film socialisme. Jean Luc Godard

Dans cette dernière production quelque peu crépusculaire,il est dit que « les livres contiennent les livres », ce film contient aussi beaucoup d’autres films. L’octogénaire vaudois organise une croisière clignotante parmi les images d’un siècle révolu. Eau noire, Potemkine, et Agnès Varda, une fanfare attend les passagers du beau bateau sur le quai à Odessa, cartes postales de Barcelone et musiques qui s’achèvent à peine entamées, sentences pontifiantes, éléments historiques lapidaires et elliptiques, quelques expressions toutes faites revisitées, et « le sale gosse » s’applique toujours à rendre inaudible des morceaux de phrases. Quand on a décidé d’aimer, ce film passe comme en rêvant avec des erreurs de débutant exceprès quand le son se met à couiner où comme cette femme qui veut saisir la nuit et la mer avec le flash de son appareil photographique. Ces jeux avec les mots, les livres, la musique, la politique (si peu), les images sont à la fois revigorants et dérisoires mais JLG n’y croit plus. Nous, nous continuerons à aller dans les salles obscures pour nous émouvoir, réfléchir avec d’autres. Comme un arbre déraciné flottant sur cette mer du milieu des terres, où en recopiant la formule de Libé, parlant de cette dernière production, pour entendre « un enfant chanter dans la nuit ». Il est seul, nous sommes seuls, celui qui a été un saint pour les cinéphiles appliqués dont nous sommes par intermittence, nous donne encore une occasion de nous arrêter un peu à regarder un soleil bien orange qui descend sur la mer.

dimanche 30 mai 2010

Le temps des finales européennes.

Samedi de gala avec deux finales européennes pour l’ovale et le rond.
En rugby, la ville du rugby, Toulouse gagnait contre Biarritz ; plus de provincialisme c’est difficile. L’Europe rêvée par certains : pas au-delà de la Loire ! Sport des pédagogues et de France télévision : la fête est digne et les filles ont des robes d’été. Si les logiques d’entreprise taraudent tous ceux qui aiment ces rudes affrontements maitrisés, tous les vices du barnum mondialisé qu’est devenu le foot ne sont pas tous entrés dans la composition du cassoulet bien de là bas.
En foot, sur TF1, c’est Milan qui l’a emporté contre une autre grande cité : Munich, après que la plus belle équipe, Barcelone fut éliminée. Le seul italien de l’équipe, Bouboule Materazzi a joué une demi minute additionnelle ! Il n’est pas question de sentiment à ce niveau, mais de tactique, d’efficacité, d’individualité et de ce qui fait l’irremplaçable attrait de ce sport insupportable pour beaucoup : l’imprévisible. Bien que de plus en plus, comme pour la bourse, les incertitudes soient éloignées. Pourquoi certains jours une équipe a la grâce, un joueur du génie ? Mourhino est-il un sorcier ? Sujet inépuisable de conversation sous toutes les latitudes, un lien entre générations, au-delà des clivages culturels et aussi de belles émotions. Mais les salaires mirobolants, le cynisme de certains éloignent des nostalgies où les rêves de l’enfance pouvaient tenir entre deux pulls posés contre une murette. Je me justifie de mes fréquentations excessives avec le ballon rond en pensant que c’est une bonne école pour comprendre la société, pour aussi en rabattre afin de ne pas trop idéaliser l’être humain.

samedi 29 mai 2010

Traquettes

Une bloggeuse d’origine américaine nous invitait l’autre soir à venir à la manif de jeudi :
« L’Amérique nous regarde et ce gouvernement a peur ».
La famille des Brice Boutefeux qui rejoue quotidiennement avec l’insécurité tout en l’entretenant, serait-elle atteinte par la pétoche ?
Les inégalités qui s’accroissent sautent aux yeux: quand Nicolas va à l’usine, la télé a beau le cadrer au mieux et le public peut bien être trié, ce sont bien les ouvriers qui ramassent en premier avec la réforme des retraites. « Relever l'âge légal défavorise ceux qui ont commencé à travailler tôt, donc n'ont pas étudié longtemps, c'est à dire plutôt les ouvriers, dont nombre se trouveront avoir cotisé trop longtemps, avant d'avoir le droit de liquider leur retraite. »
Dans les discussions, j’en arrivais à trouver trop facile d’opposer « la bande du Fouquet’s » à ceux qui sont persuadés que ce sont les profs, les cheminots, les électriciens qui sont les privilégiés. Je suis contraint de revenir à des fondamentaux de la lutte des classes dans ce qu’elle a de plus élémentaire, quand certains en sont à revendre leurs médailles de baptême pour boucler une fin de mois et que passe en catimini une libéralisation des jeux en ligne au profit de Courbit et autres Bouygues… Tout ne se résoudra pas en faisant « payer les riches » pour combler tous les déficits, établir plus de justice dans la fiscalité, rendre la planète plus respirable, payer toutes les retraites, mais un peu de décence, arrêtez de vous goberger encore plus ! Et comment proposer de travailler plus longtemps aux séniors quand le travail manque pour tous?
Les éléments de langage soufflés par l’Elysée se désintègrent, et lorsqu’un reporter de France télévision se réjouit : « Bonne nouvelle ! La grève ne sera pas bien suivie dans les transports » les masques tombent. C’est vrai que les cheminots n’étaient pas là jeudi, la colère était moins visible - les régimes spéciaux ne sont pas concernés, pour le moment.
Le mot « objectivité » est devenu obsolète.
Comme le mot « travail » a été trahi. Le retournement des mots, où le jeu avec les citations de Jaurès par Guaino révélait un vrai culot mais le sens a été épuisé. Allez désormais employer le mot « courage » ou « travail » sans être guetté par l’ambigüité. Le conformisme, la lâcheté, le cynisme gagnent du terrain.
Le courage se portait bien jadis chez ceux qui revêtaient l’uniforme, aujourd’hui quand des gendarmes refusent de prendre des dépositions qui perturberaient les statistiques non souhaitées comme on s’arrange dans les jurys du bac à faire coller les résultats aux fourchettes ministérielles où que les pandores se font insulter par une famille qui perturbe depuis un certain temps la vie d’un immeuble : il y a quelque chose qui cloche !
Des voitures ont encore cramé dans notre banlieue paisible.

vendredi 28 mai 2010

XXI printemps 2010

Quand je viens d’acheter mon XXI trimestriel, j’ai la même tentation qui s’emparait de mes élèves au moment du pique-nique : commencer par les biscuits au chocolat avant d’attaquer la salade de riz. Commencer par la bande dessinée avant les reportages. Mais des fois, je suis raisonnable et c’est dans l’ordre des 200 pages que j’ai dégusté la production toujours aussi variée et riche de ce phénomène éditorial qui s’inscrit en tête des ventes des libraires au moment de sa parution. En revenant au Rwanda par les coulisses où s’activait un certain capitaine Barril, où le rôle des réseaux de madame Habyarimana est dévoilé, le dossier de ce numéro 10 est éclairant. Mais cette fois c’est le récit de la vie d’un vieux cow-boy, qui à priori n’avait rien pour me séduire, qui m’a touché. C’est tout le talent du journaliste de rendre sympathique, ce pathétique macho solitaire. De la même façon qu’entrer dans la passion d’un collectionneur de livres consacrés à la photographie peut révéler la richesse humaine, l’histoire d’une rue à proximité d’Orléans porte les marques de la grande histoire derrière la banalité des façades. Le récit graphique d’Olivier Balez qui raconte le combat de son frère contre la maladie de Crohn est édifiant, utile à tous ceux qui seraient tentés de baisser les bras. Et l’entretien avec le créateur des « folles journées » de Nantes est également requinquant. Un beau personnage, ce René Martin qui a su faire partager sa passion de la musique classique au plus grand nombre. Lire XXI, ça fait du bien, tout simplement.