dimanche 29 mars 2009

Delerm, le fils.

Faudra pas qu’il se plaigne, le Vincent, que l’on cause à chaque fois de son papa Philippe, parce sur le terrain de la nostalgie qu’il emprunte à son tour, on sait faire aussi du côté des quinqua;on est même des cadors. Fanny Ardant ce ne serait pas l’univers des papas ? De sieste assassinée en petits plaisirs pour les grands et les petits, j’ai aimé l’univers paisible et provincial de l’écrivain de mon age. Les clins d’œil du fils, les marqueurs d’époque du chanteur traversent les générations et nous arrangent, nous parlent à nous les babys boomers insatiables, toujours « dans le vent » pour user d’une expression surannée. Nous avons annexé la génération Zatopek, mais Wayne Rooney nous évitons de le tâcler. Alors quand le petit fait oublier ses intonations nasillardes, nous pouvons goûter sur des mélodies souvent aguichantes:
« Et avant-hier
J'ai trouvé l'argument
Qui l'a calmée, sévère
Un tacle de Patrick Vieira
N'est pas une truite en chocolat
Une tente Quechua sur le canal
Un quatre étoiles
Un dirigeant d' la LCR
N'est pas un mono d' sports d'hiver »

Oui, c’est connoté, mais nous avons besoin de ces connivences, et j’apprécie aussi la petite surprise de trouver un photographe en chanson, « Martin Parr »repris en leitmotiv par un choeur féminin.
« Casino désert
Martin Parr
Vert fluo, dessert
Martin Parr
Cheveux bleus, grand-mère
Martin Parr
Vieillir quelque part »

Et d’ailleurs : « Souvent, le cœur des volleyeuses bat plus fort pour les volleyeurs »
et c’est ben vrai !

samedi 28 mars 2009

Monnaie d’échange

Je viens d’acheter d’élégantes baguettes en fer qui servaient en Sierra Léone chez les Kissis à payer par exemple du tabac , elles constituaient la monnaie avant les pièces de la colonisation.
En 1918, un bouquet contenant 20 ou 30 liasses de 20 pièces de Kissi penny permettait de payer une vache, il fallait le double pour une femme.
Quand cette monnaie serpent se casse, l’âme s'en échappe et les morceaux n'ont plus de valeur, seul le forgeron (aussi sorcier de la tribu) a le pouvoir de faire réintégrer l'âme en forgeant les deux morceaux.
En décrivant le détournement par l’esthétique d’objets d’usage très souvent chargés de spiritualité, est ce que je m’exonère du cynisme de l’homme blanc, est ce que j’entre dans la marchandisation du monde ?
Nous retrouvons dans les boutiques d’art africain, les verroteries qui servirent pour le commerce du temps des esclaves. Et quand dans une brocante dauphinoise je marchande un album amoureusement constitué par un enfant des années 50, pour quelques sous, je me paye une tranche de mémoire. C’est le charme ambigu de ces marchés du temps.
Si la vente ostentatoire des objets Saint Laurent par Bergé m’a parue assez indécente dans ces temps ou valsent les milliards, la mise à l’encan des pauvres lunettes de Gandhi qui fut aussi le symbole du détachement m’a parue obscène. Mais j’avais acheté à Pékin une paire de lorgnons que je trouvais très mandarin de bande dessinée. Elles avaient peut être été portées par un lettré qui fut pourchassé pendant la révolution culturelle, cet accessoire désignait l’intellectuel à combattre.

vendredi 27 mars 2009

Noir. Baru.

Après des B.D. consacrées à sa Lorraine natale où mobylettes et bières sortaient tout juste d’un cœur d’acier avec mémoire ouvrière et culture rital, cette fois le dessinateur Baru affiche « Noir ».
Un président omniprésent est encore là sur les écrans dans la décennie qui s’annonce, et dans les banlieues, c’est le pire du cauchemar sécuritaire. Les jeunes qui se déchirent ont toujours l’air de tomber au ralenti et la musique est absente sur les dalles des cités.
« Arrête de pleurer et prépare toi à courir, vite ! »
La troisième nouvelle dessinée offre une image d’espoir mais rappelle que l’aveuglement religieux en Irlande traverse aussi les disciples d’une foi voisine.

jeudi 26 mars 2009

Edward Munch

Prononcer Munk, mais ça risque de faire snob comme Bar (Bach)
En tous cas peut être le peintre le plus évident pour moi, où la douleur s’exprime sous des volutes élégantes.
Christian Loubet, le conférencier disert, ayant rencontré récemment Boris Cyrulnick, a tenu à clore la projection des oeuvres du norvégien par une toile ensoleillée pour illustrer en quelque sorte le thème de la résilience. Ce tableau au rayonnement naïf me plait beaucoup moins que des toiles plus sombres. Pas plus que je ne vois là une sortie miraculeuse d’une dépression qui travailla l'orphelin toute sa vie, je ne saisis pas de désespérance absolue dans la peinture des baisers qui me semblent souvent sensuels. Sa façon de travailler a sans doute été influencée par sa technique de graveur, et ses séries inaugurent-elles un genre systématisé par Warhol ?

mercredi 25 mars 2009

Maître disparu. Faire classe # 26

Le mot « instituteur », « celui qui institue », a bien disparu sans un mot.
J’avais milité pour le corps unique, j’aurais pu être content de devenir professeur. A compter toutes les heures, et les points retraites, nous avons émoussé aussi ce qui fondait la valeur d’un métier de prestige. Le désintéressement, la conscience professionnelle s’indemnisent et se perdent.
« Etre et avoir », le film chaleureux de Philibert m’avait permis de réviser sur l’écran, ma chance d’exercer ce métier! Il nous montrait une nature belle et rude, des enfants poignants et drôles, l’instit,pas idéalisé, pas infaillible, avec un amour qui aide à grandir, hors des baratins. Oui l’école génère des rapports humains vrais... forcément, terriblement, humains, loin des galéjades à la Gérard Klein ou des vitres froides des « w » qui slachent. Et puis l’instit’ du film s’est mis à vouloir plus d’avoir : déception.
Dernière trouvaille qui dure depuis des décennies: « il faut des professeurs expérimentés dans les zones difficiles ».
Ces paroles d’un bon sens de façade sont contredites par un travail de sape qui décourage bien des bonnes volontés. Les théories d’IUFM jadis bien notées par les offices cathodiques se sont retrouvées bien chétives car elles n'ont pas osé se confronter à l’expérience ramenée à des « recettes ». Entre la parole à donner aux enfants de l’après-guerre et celle monopolisée par le petit roi impérieux des années 80 : un brouhaha a succédé à un excès de silence. Les remèdes de Darcos contre les IUFM sont pires que le mal qu’il dénonce, mais n’empèche, les organismes de formation se sont coupés des praticiens. En effet, même si j’ai peine à croire de telles grossièretés : des formateurs déconseillaient aux jeunes sortants de fréquenter les ringards qui continuent à travailler auprès des enfants, ceux qui n’ont pas intégré le vocabulaire des entreprises et ne se soucient point de plan de carrière.
« Tu n’as jamais eu d’ambition ?
- Oh mais si ! dit –il, j’en ai eu ! Et je crois que j’ai bien réussi ! Pense qu’en vingt ans mon prédécesseur a vu guillotiner six de ses élèves. Moi, en quarante ans, je n’en ai eu que deux, et un gracié de justesse. Ca valait la peine de rester là. »
M. Pagnol
Maître : aujourd’hui seuls les notaires se prévalent de ce titre et le dernier artiste à solliciter la particule devait porter la Lavallière. Mes élèves me désignaient par ce terme et Yacine avait même ajouté un jour de classe de mer où je jouais au shérif auprès de jeunes parisiens : « le maître, c’est le boss ! ». Moi de bomber le torse, intérieurement, l’espère je. Est-ce que le débutant que je fus à dix-huit ans rougirait derrière sa Che barbe destinée à élargir le fossé des ans face à des fins d’études de quinze berges ?
Faut-il aller jusqu’au pied de l’Himalaya pour recueillir la sagesse qui énonce : « lorsque l’élève est prêt, le maître arrive » ? Cette version ramassée d’une expérience recouvre bien des autorités : « on a le président qu’on mérite, on a la compagne, les enfants, la directrice, l’inspecteur, les maîtres qu’on mérite. »
En transmettant je n’ai pas eu un sentiment d’amputation mais au contraire d’enrichissement.
Aujourd’hui, je n’aurai pas su enseigner correctement l’anglais, et je ne trouvais plus le courage d’affronter les nouveaux conformismes. Et puis quand je me suis mis en retrait de ma petite entreprise, je me suis senti tellement allégé des inquiétudes constitutives du métier ! Le packaging des projets nécessite trop de temps au détriment du travail avec les élèves. La responsabilité des enseignants se rétrécit; la hiérarchie, de plus en plus prégnante, veille aux apparences, le niveau peut monter. Les statistiques du chômage, les chiffres de la délinquance sont relativisés, et les succès au bac ? Le sens du travail d’enseignant perd de son évidence, aucune idée claire sur le chemin parcouru n’émerge : le ministre voulait interdire une méthode de lecture abandonnée depuis 20 ans… Les adultes doivent se taire, les « maîtres » disparaître, et quand viendra le moment de l’orientation, la toute puissance de l’enfant sera contrariée, les couteaux tirés, les frustrations familiales éclateront.
Certains orfèvres des communales savent ( ré) enchanter le présent, sans se bercer d’utopies factices, de fictions à deux balles mais en exerçant leur volonté : ce qui s’appelle véritablement vivre et qui tient tellement à l’esprit d’enfance.

mardi 24 mars 2009

Grossesses d’ogresses

J'ai replacé les planches sur la margelle. La sueur me coule entre les omoplates en dépit du froid. La lune est mon seul témoin ; elle se moque bien des frimas, pleine comme elle est, à sourire, contente d'être au maximum de son tour de taille. Tu ne peux empêcher, ma vieille, que ce que j'ai fait, je l'ai fait et bien fait et que rien ne pourra défaire ce que j'ai fait.
Là-bas dans la maison basse, ils dorment, les six fils, les trois filles, leur père aussi. Les innocents, ils dorment …
Ah ! Les innocents…
Hier soir, il a considéré longuement la situation, en larmes : non je ne peux pas faire ça ! Quand je pense que c'est son extrême sensibilité qui m'a séduite, il y a dix ans de cela… Il saurait me comprendre… nous marcherions la main dans la main, les yeux dans la même direction, comme écrivait Saint Ex… qui a largué sa bonne femme la plupart du temps ! Aux poèèètes, on pardonne tout. Aux épouses, les basses œuvres ! Faut-il être particulièrement conne pour aimer un homme de lettres ! J'ai froid au dos, c'est la sueur qui se fige. Je ne peux pas partir tout de suite. Il faut que je sois sûre. Je n’entends plus rien mais on ne sait jamais !
Oui, il a dit en reniflant, moi je ne peux pas faire ça… Toi, tu sais gérer ces affaires, ton enfance à la campagne t'a endurcie. La vie, la mort c'est du naturel pour toi… Moi, tu le sais bien, la vue de mon propre sang m'envoie dans les vaps.
Excuse-moi, a-t-il pleurniché. J'ai eu cette journée pénible avec l'éditeur. Bonne nuit, chérie.
Regarder dans la même direction… moi devant, lui, derrière. Quand je pense qu'il n'a pas voulu assister à la mise bas de nos neuf enfants !
Il y a une heure, j'ai mis au lit ma nichée. Les plus petits étaient joyeux comme d'habitude, ils attendaient l'histoire. L'aînée, Amélie, a encore bougonné qu’elle voudrait bien avoir sa chambre à elle, qu'elle n'aurait pas d'enfants quand elle serait grande, que d'ailleurs elle ne se marierait pas, qu'elle serait juge pour enfants, avec le boulot qui ne manquait pas ! Je l'ai câlinée, je lui ai dit que je l'aimais. Elle a pris son pouce, a sombré de suite.
Les petits attendaient leur conte en sautant sur leur lit. "Le Petit Poucet ", a hurlé Norbert !
- Je vous l'ai déjà raconté cent mille fois, non ?
- On s'en fiche. C'est une histoire de famille nombreuse et nous on aime les histoires de famille nombreuse…
- Ouais, a complété Célimène (ma future prix Nobel) parce que les ogres peuvent réussir quelquefois, si le plus petit n'est pas assez malin !
Et elle a pincé le nez du dernier dans mes bras.
- Allonge un peu l'affaire des deux lits, tu sais. Les filles de l'ogre avec leurs couronnes et les pauvres avec leurs bonnets, a supplié Clément, l'aîné des garçons.
- Dis, maman, y a pas d'ogre dans le jardin qui va passer par la fenêtre quand tu dormiras ?
- Non, il n'y a pas d'ogre dans le jardin. Et s'il venait, maman le tuerait avec la hache à bois, ai-je affirmé avec conviction et geste violent.
J'ai pensé… pas d'ogre mais peut-être une ogresse.
La lune escalade les proues du Vercors. Je n'ai plus froid. Penser à mes enfants me réchauffe. La mousse de la margelle est douce, humide sous mes doigts. Aucun bruit. Tout dort. J'ai bien accompli ma mission, ce travail qui revenait à ma mère, à ma grand-mère… Depuis des siècles, la chaîne sans fin des Baba Yagas
L'élastique bien serré autour du sac de plastique.
Il a dit que je savais faire…
Oui je sais faire ces choses-là : le coup au lapin derrière les oreilles, la chienne à mener chez le véto pour l'ultime piqûre, l’anguille à écorcher vive. Oui, je sais. Je sais aussi raconter des histoires, pousser un chariot entre les rayons de conserves, et maintenir en vie les orchidées. Tu as les doigts verts ma chérie.
Ce que je déteste, c'est l'odeur de l'éther. Je ne m'y ferai jamais.
Le silence. Je suis morte de fatigue, je rêve d’un lit tiède, à son corps chaud sous la couette où il ronfle du ronflement délicat des poètes.
Miaulement plaintif amplifié par la gorge du puits.
Zut ! C'est à refaire !
Marie Treize

lundi 23 mars 2009

Bellamy

J’aime Depardieu et sa solidité, Brassens, la province, Simenon, la cuisine. La promo avec la paire Chabrol/Gégé laissait entrevoir des dialogues savoureux, de la sensualité ; hélas le coup est un peu éventé. Heureusement le dernier quart d’heure, à l’inverse des conclusions américaines sirupeuses, apporte une dose de complexité, de mystère, de subtilité : la morne intrigue se résout mais la réputation de Chabrol me semble encore une fois surévaluée.