Le mot « instituteur », « celui qui institue », a bien disparu sans un mot.
J’avais milité pour le corps unique, j’aurais pu être content de devenir professeur. A compter toutes les heures, et les points retraites, nous avons émoussé aussi ce qui fondait la valeur d’un métier de prestige. Le désintéressement, la conscience professionnelle s’indemnisent et se perdent.
« Etre et avoir », le film chaleureux de Philibert m’avait permis de réviser sur l’écran, ma chance d’exercer ce métier! Il nous montrait une nature belle et rude, des enfants poignants et drôles, l’instit,pas idéalisé, pas infaillible, avec un amour qui aide à grandir, hors des baratins. Oui l’école génère des rapports humains vrais... forcément, terriblement, humains, loin des galéjades à la Gérard Klein ou des vitres froides des « w » qui slachent. Et puis l’instit’ du film s’est mis à vouloir plus d’avoir : déception.
Dernière trouvaille qui dure depuis des décennies: « il faut des professeurs expérimentés dans les zones difficiles ».
Ces paroles d’un bon sens de façade sont contredites par un travail de sape qui décourage bien des bonnes volontés. Les théories d’IUFM jadis bien notées par les offices cathodiques se sont retrouvées bien chétives car elles n'ont pas osé se confronter à l’expérience ramenée à des « recettes ». Entre la parole à donner aux enfants de l’après-guerre et celle monopolisée par le petit roi impérieux des années 80 : un brouhaha a succédé à un excès de silence. Les remèdes de Darcos contre les IUFM sont pires que le mal qu’il dénonce, mais n’empèche, les organismes de formation se sont coupés des praticiens. En effet, même si j’ai peine à croire de telles grossièretés : des formateurs déconseillaient aux jeunes sortants de fréquenter les ringards qui continuent à travailler auprès des enfants, ceux qui n’ont pas intégré le vocabulaire des entreprises et ne se soucient point de plan de carrière.
« Tu n’as jamais eu d’ambition ?
- Oh mais si ! dit –il, j’en ai eu ! Et je crois que j’ai bien réussi ! Pense qu’en vingt ans mon prédécesseur a vu guillotiner six de ses élèves. Moi, en quarante ans, je n’en ai eu que deux, et un gracié de justesse. Ca valait la peine de rester là. » M. Pagnol
Maître : aujourd’hui seuls les notaires se prévalent de ce titre et le dernier artiste à solliciter la particule devait porter la Lavallière. Mes élèves me désignaient par ce terme et Yacine avait même ajouté un jour de classe de mer où je jouais au shérif auprès de jeunes parisiens : « le maître, c’est le boss ! ». Moi de bomber le torse, intérieurement, l’espère je. Est-ce que le débutant que je fus à dix-huit ans rougirait derrière sa Che barbe destinée à élargir le fossé des ans face à des fins d’études de quinze berges ?
Faut-il aller jusqu’au pied de l’Himalaya pour recueillir la sagesse qui énonce : « lorsque l’élève est prêt, le maître arrive » ? Cette version ramassée d’une expérience recouvre bien des autorités : « on a le président qu’on mérite, on a la compagne, les enfants, la directrice, l’inspecteur, les maîtres qu’on mérite. »
En transmettant je n’ai pas eu un sentiment d’amputation mais au contraire d’enrichissement.
Aujourd’hui, je n’aurai pas su enseigner correctement l’anglais, et je ne trouvais plus le courage d’affronter les nouveaux conformismes. Et puis quand je me suis mis en retrait de ma petite entreprise, je me suis senti tellement allégé des inquiétudes constitutives du métier ! Le packaging des projets nécessite trop de temps au détriment du travail avec les élèves. La responsabilité des enseignants se rétrécit; la hiérarchie, de plus en plus prégnante, veille aux apparences, le niveau peut monter. Les statistiques du chômage, les chiffres de la délinquance sont relativisés, et les succès au bac ? Le sens du travail d’enseignant perd de son évidence, aucune idée claire sur le chemin parcouru n’émerge : le ministre voulait interdire une méthode de lecture abandonnée depuis 20 ans… Les adultes doivent se taire, les « maîtres » disparaître, et quand viendra le moment de l’orientation, la toute puissance de l’enfant sera contrariée, les couteaux tirés, les frustrations familiales éclateront.
Certains orfèvres des communales savent ( ré) enchanter le présent, sans se bercer d’utopies factices, de fictions à deux balles mais en exerçant leur volonté : ce qui s’appelle véritablement vivre et qui tient tellement à l’esprit d’enfance.
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