mercredi 29 juin 2022

La montagne. Jean Ferrat.

On l’avait trop entendue, la sérénade, et puis plus du tout, alors me vient l’envie d’exhumer cette pièce qui mieux que de sociologiques considérations décrivit un basculement majeur.
On ne s’est pas vraiment remis de cette vibrante fresque dépassant la notoriété de son auteur. L’émotion lors de sa disparition avait accompagné la fin d’une époque de toile cirée et d’Opinel.
Tel était le travail avant le télé travail. Les murettes même écroulées, dissimulées sous une seyante verdure, impressionnent encore les sans-gants pour gratter une terre ingrate.
L’opposition entre un monde ancien idéalisé et une modernité factice n’est pas aussi tranchée, quand il allait quand même de soi de vouloir vivre sa vie et de profiter du cinéma.
Le Formica attire les nostalgiques, la beauté de la montagne s’éprouve sur les sentiers de randonnée et les pistes pour VTT le temps d’une RTT, le label «  vin de l’Ardèche » aguiche le client. 
« Ils quittent un à un le pays
Pour s'en aller gagner leur vie, loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets, du formica et du ciné
Les vieux, ça n'était pas original
Quand ils s'essuyaient machinal, d'un revers de manche les lèvres
Mais ils savaient tous à propos
Tuer la caille ou le perdreau et manger la tomme de chèvre
Pourtant, que la montagne est belle, comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelles, que l'automne vient d'arriver ?Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes jusqu'au sommet de la colline
Qu'importent les jours, les années
Ils avaient tous l'âme bien née, noueuse comme un pied de vigne
Les vignes, elles courent dans la forêt
Le vin ne sera plus tiré, c'était une horrible piquette
Mais il faisait des centenaires
À ne plus savoir qu'en faire, s'il ne vous tournait pas la tête
Pourtant, que la montagne est belle, comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelles, que l'automne vient d'arriver ?
Deux chèvres et puis quelques moutons
Une année bonne et l'autre non, et sans vacances, et sans sorties
Les filles veulent aller au bal
Il n'y a rien de plus normal que de vouloir vivre sa vie
Leur vie, ils seront flics ou fonctionnaires
De quoi attendre sans s'en faire que l'heure de la retraite sonne
Il faut savoir ce que l'on aime
Et rentrer dans son HLM, manger du poulet aux hormones
Pourtant, que la montagne est belle, comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelles, que l'automne vient d'arriver ? »
 40 % des hirondelles ont disparu en deux décennies. 

1 commentaire:

  1. Le hasard voudrait que je lise ceci ce matin après avoir lu un très court essai de Barbara Kingsolver, sur son temps passé au Congo, à Kilonga. (Mais j'ai encore en tête les premières phrases de Karen Blixen : "I had a farm in Africa"... et la suite. Tout était déjà dit dans Karen Blixen sur le sujet qui nous obsède : notre abandon de la terre (pas la planète, voyons, mais la terre...) pour les villes.
    J'ai écrit un très court commentaire sur le texte de Kingsolver, rappelant le grand livre qui continue à me nourrir, et son récit du premier meurtre qui reste un énigme, bien qu'il ait eu lieu entre... frères, entachant à jamais le concept de "fraternité" et empêchant d'avoir des étoiles dans les yeux pour cette... "valeur". Dieu annonce pour Cain les conséquences de son acte : dorénavant la terre ne produira plus pour lui, il se l'est aliéné, et il ne lui reste plus que... partir pour fonder une ville pour vivre dans l'anonymat, l'invisibilité qui le protègera d'être identifié comme auteur de cet acte si peu (ou tant ?) fraternel. La ville comme lieu où l'Homme détaché de sa terre rêve de devenir tout ce qu'il voudrait devenir, assouvir son désir tout puissant d'être celui qu'il choisit d'être, délivré de ce qui le détermine, jusqu'à ses...responsabilités ?
    On se le rappelle : pas de liberté sans responsabilité...
    Oui, la montagne est belle avec sa rudesse ; elle est même belle en étant inhospitalière.
    Et quand on travaille de ses mains pour la faire fructifier, on sait ce que vaut son travail.
    Y a t-il plus grande... richesse dans la vie que ça ?
    Dixit... l'Ecclésiaste.

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